• Afghanistan : des « escadrons de la mort » US posent pour des photos auprès de civils assassinés (The Guardian)

    Les Commandants en Afghanistan se préparent à d’éventuelles émeutes et une colère publique déclenchées par la publication de photos « trophées » prises par des soldats américains qui posent auprès des cadavres de civils sans défense qu’ils ont tués.

    De hauts officiels à la Force d’Assistance à la Sécurité Internationale de l’OTAN à Kaboul ont comparé ces images publiées par l’hebdomadaire allemand Der Speigel aux images de soldats en train de maltraiter les prisonniers d’Abu Ghraib en Irak, photos qui avaient déclenché des protestations anti-américaines dans le monde entier.

    Ils craignent que ces nouvelles images ne provoquent encore plus de dégâts. Ces images montrent les suites du meurtre délibéré de civils afghans l’année dernière par une unité blindée US dans la province du sud, à Kandahar.

    Certaines des activités de cet auto-proclamé « escadron de la mort » sont connues, car 12 hommes sont en attente de leur procès à Seattle pour l’assassinat de trois civils.

    Cinq de ces soldats sont mis en examen pour meurtre avec préméditation après qu’ils aient mis en scène des cadavres pour faire croire qu’ils s’étaient défendus d’une attaque de Talibans.

    D’autres accusations portent sur la mutilation de corps, de possession d’images de victimes humaines et d’usage de stupéfiants.

    Tous les soldats ont plaidé non coupable et risquent la peine de port ou la prison à vie.

    L’affaire a déjà provoqué un choc à travers le monde, particulièrement avec les révélations que les soldats auraient découpé des « trophées » des cadavres de leurs victimes.

    Une enquête du magazine allemand Der Spiegel a découvert environ 4000 photos et vidéos prises par les soldats.

    Le magazine, qui prévoit de ne publier que 3 images, a dit que les soldats ont été inculpés non seulement pour leurs crimes mais aussi pour « des collections entières de photos de leurs victimes que certains des accusés gardaient sur eux. »

    L’armée US a tenté d’empêcher la publication de ces images par crainte d’une réaction au moment où l’antiaméricanisme en Afghanistan est au plus haut.

    Dans une déclaration, l’armée US a présenté ses excuses pour l’émotion provoquée par ces photos « qui décrivent des actions répugnantes aux yeux de tout être humain et qui sont contraires aux valeurs et aux pratiques des Etats-Unis ».

    Le long article du Spiegel qui accompagne les images comporte de nouvelles révélations sur le degré de sadisme des soldats.

    Lors d’un incident au mois de Mai (2010), selon l’article, au cours d’une patrouille, l’équipe a arrêté un mollah qui se tenait au bord de la route et l’ont emmené dans un fossé où ils l’ont obligé à s’agenouiller.

    Le chef du groupe, le Sergent Calvin Gibbs, aurait ensuite lancé une grenade vers l’homme tandis qu’ordre était donné de lui tirer dessus.

    Gibbs a été ensuite décrit en train de trancher un doigt de la victime et de lui arracher une dent.

    La patrouille a ensuite affirmé à ses supérieurs que le mollah l’avait menacée avec une grenade et qu’elle a été obligée de l’abattre.

    Dans la nuit de dimanche, de nombreuses organisations qui emploient du personnel étranger, y compris les Nations Unies, ont imposé un « couvre-feu » à leurs employés en leur interdisant tout mouvement dans Kaboul et en leur demandant de rester barricadés dans leurs quartiers.

    En plus des menaces d’une attaque à la suite de la publication de ces photos, la sécurité a été renforcée par crainte d’une tentative par les talibans de perturber les célébrations du nouvel an perse.

    D’autres attaques pourraient avoir lieu lors du discours prévu par le président Afghan, Hamid Karzai, qui doit annoncer quelles sont les régions d’Afghanistan actuellement sous contrôle international qui passeront sous contrôle afghan.

    Un responsable de sécurité pour la société américaine DynCorp (*) a envoyé un courrier électronique à ses clients pour les prévenir que la publication de ces images allait probablement « agiter la population locale » car « les images de l’incident sont extrêmement choquantes »

    Jon Boone

    http://www.guardian.co.uk/world/201...

    Traduction "Echange deux bouts d’Afghan contre un futur bout de Libyen" par VD pour le Grand Soir avec probablement les fautes et coquilles habituelles.

    (*) DynCorp WikiLeaks : Texas Company Helped Pimp Little Boys To Stoned Afghan Cops http://blogs.houstonpress.com/hairb...

    (Wikileaks révèle que la société DynCorp a organisé la prostitution de jeunes garçons pour des policiers afghans drogués)

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  • Lu sur Investig’Action.

    Yémen : ce n’est pas Al-Quaïda que les USA combattent mais la démocratie

    Michel COLLON, Grégoire LALIEU

    L’actualité place de nouveau le Yémen sous les feux médiatiques : deux colis piégés à destination des Etats-Unis ont été interceptés ce week-end à Dubaï et à Londres. Les colis étaient envoyés depuis le Yémen et porteraient, selon les enquêteurs, la marque d’Al-Quaïda. Nous vous proposons, à cette occasion, l’interview de Mohamed Hassan sur le Yémen réalisée en janvier 2010. A cette époque, le pays de la péninsule arabique faisait la une de l’actualité : il avait été décrété base-arrière du terrorisme islamiste après qu’un jeune nigérian, entraîné au Yémen, ait tenté de faire exploser un avion aux Etats-Unis. Dans cette interview, Mohamed Hassan nous explique les causes profondes de l’instabilité au Yémen et ses répercussions sur la politique de Washington.

    Un pantalon prend feu dans un avion près de Détroit et des missiles pleuvent au Yémen : l’effet papillon ? Pour Mohamed Hassan, la menace terroriste n’est qu’un prétexte. Dans ce nouveau chapitre de notre série « Comprendre le monde musulman », notre spécialiste nous explique le véritable enjeu du Yémen : combattre la démocratie dans le Golfe pour garder le contrôle du pétrole.

    Investig’Action : Depuis l’attentat manqué de l’avion Amsterdam-Détroit, le Yémen fait la une des journaux : c’est là que le jeune terroriste nigérian aurait été entraîné. Comment ce pays, allié des Etats-Unis, serait-il devenu un refuge pour Al-Qaïda ?

    Tout d’abord, nous devons observer ce phénomène qui se répète : chaque fois qu’un régime soutenu par Washington est menacé, des terroristes apparaissent. Dans le cas de pays musulmans, ça tombe sur Al-Qaïda. Ce groupe terroriste fantôme apparaît partout où des mouvements nationalistes ou anti-impérialistes ébranlent des gouvernements marionnettes soutenus par les Etats-Unis. C’est ce qui se passe aujourd’hui au Yémen. Ce pays est dirigé par un régime corrompu allié de Washington. Mais il est menacé par des mouvements de résistance.

    Et voilà qu’apparaît ce jeune Nigérian qui embarque avec des explosifs dans un avion à destination de Détroit. Ca n’a pas de sens. Ce présumé terroriste était placé sur des listes de surveillance depuis que son père avait prévenu les autorités américaines. De plus, les Etats-Unis disposent d’importants dispositifs de sécurité et de matériel de pointe : avec leurs satellites, ils pourraient dire si vous mangez un sandwich au thon ou au poulet ! Cette histoire de terrorisme ressemble à une popote interne qui montre que la situation du Yémen échappe aux Etats-Unis et que leurs intérêts sont en danger.

    Pourquoi le Yémen est-il devenu si important aux yeux de Washington ?

    Le président du Yémen, Ali Abdullah Saleh, est au pouvoir depuis trente ans. Son régime est corrompu, mais aligné sur la politique des Etats-Unis. Un groupe de résistants dans le nord du pays et des séparatistes dans le sud menacent la stabilité du gouvernement. Si un mouvement révolutionnaire renverse Saleh, cela pourrait avoir un impact dans toute la région et encourager les résistants qui luttent dans les Etats pro-impérialistes de la région. Particulièrement contre le régime féodal d’Arabie Saoudite.

    D’ailleurs, lorsque les combats avec les résistants du nord ont éclaté au Yémen, la Ligue Arabe, dirigée par l’Egypte, a immédiatement condamné les rebelles et apporté son soutien au gouvernement yéménite. J’attends encore que cette même Ligue condamne les agressions d’Israël contre le Liban et la bande de Gaza. Le conseil de coopération du Golfe, une organisation dévouée aux intérêts occidentaux, regroupant certains pays producteurs de pétrole, a également condamné les résistants du Yémen. Pour les Etats-Unis, qui sont en pleine récession, leur colonie saoudienne ne peut être menacée par des mouvements de résistance. L’Arabie Saoudite fournit en effet une part importante de pétrole à Washington et constitue un précieux allié dans le Golfe. Si la région devenait instable, cela aurait de graves conséquences économiques pour les Etats-Unis.

    Qui sont ces résistants au nord du pays ? Quelles sont leurs revendications ?

    Dans le nord du pays, le gouvernement affronte depuis plusieurs années la résistance armée des Houtis qui tirent leur nom du fondateur de ce mouvement, Hussein Al-Houti. Ce dernier est mort au combat il y a quatre ans et son frère a pris la relève. Tout comme la majorité des Yéménites au nord, les Houtis sont zaydites. L’islam est divisé en plusieurs courants tels que le sunnisme ou le chiisme. Ces courants se déploient à leur tour en différentes branches, le zaydisme étant une branche du chiisme.

    Le président Saleh est lui-même zaydite, mais les Houtis ne reconnaissent pas son autorité. Le fait est que le Yémen est un pays très pauvre : son économie repose essentiellement sur une agriculture en déclin, quelques rentes pétrolières, un peu de pêche ainsi que l’aide international et l’argent envoyé par les travailleurs expatriés. Et avec tout cela, seule une poignée de personnes dans l’entourage du président profite des quelques richesses du pays alors que la population devient de plus en plus pauvre. La majorité des Yéménites ont moins de trente ans mais aucune perspective pour le futur : le chômage atteignait 40% en 2009. Les Houtis ont donc interpellé le gouvernement sur le sous-développement de la région, le manque d’eau et les problèmes d’infrastructures. Mais le président Saleh n’a pas répondu à leurs appels. Depuis, les Houtis ont entamé une lute armée. Leur bastion est la ville de Saada. Ce qui est très symbolique : c’est dans cette ville que s’installa il y a plus de dix siècles le fondateur du zaydisme yéménite.

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    Les combats près de Saada font rage. On dénombre plusieurs milliers de réfugiés et le gouvernement accuse l’Iran de soutenir les rebelles… Cette accusation est fausse. L’Iran est à majorité chiite, mais les zaydites du Yémen, par leur manière de prier et bien d’autres choses encore, sont en réalité plus proches des sunnites. Si la résistance houtiste a suffisamment d’armes pour continuer le combat pendant les dix prochaines années, c’est parce qu’elle bénéficie de l’aide d’une partie de l’armée yéménite. En effet, beaucoup de soldats et d’officiers sont zaydites eux aussi. Les combats dans la région ont déjà fait plus de 150.000 réfugiés et les militaires zaydites voient que leurs frères souffrent. Certains rejoignent même la résistance.

    Le président Saleh doit donc mobiliser des sunnites opportunistes au sein de l’armée pour combattre la résistance dans le Nord. Ce qui n’est pas sans conséquence : ce président zaydite, qui a déjà usé de ses convictions religieuses pour mobiliser la population et l’armée, fait aujourd’hui appel à des sunnites pour combattre d’autres zaydites. Saleh est en train de perdre tout le soutient qui lui restait au nord du pays. Et le Sud demande la sécession ! Le président yéménite semble vraiment en mauvaise posture…

    L’histoire du Yémen est essentielle pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Le pays dans sa configuration actuelle est né de la fusion en 1990 de la République démocratique populaire du Yémen au Sud et de la République arabe du Yémen au Nord. Ces deux Etats ont eu des parcours différents…

    La création du Nord remonte à plus de dix siècles avec l’arrivée des zaydites à Saada. Mais, en 1962, une révolution éclate pour renverser le régime féodal et installer une république. Nasser, le président égyptien défenseur de l’indépendance arabe, soutient le mouvement révolutionnaire. De leur côté, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Arabie Saoudite et le chah d’Iran envoient des mercenaires pour secourir les éléments réactionnaires de l’ancien régime féodal et affaiblir Nasser. Le conflit débouche sur une guerre horrible où plus de dix mille soldats égyptiens perdent la vie. Finalement, le gouvernement républicain n’est pas renversé, mais sort très affaibli du conflit. Il n’a pas les moyens d’amorcer une révolution culturelle, de démocratiser complètement le pays, ni de l’industrialiser. Bien que l’imam-roi qui dirigeait le pays se soit enfui en Arabie Saoudite, une grande partie du Yémen du Nord reste à l’état féodal.

    Et au Sud ?

    Le Yémen du Sud a eu un parcours différent. Il a été colonisé par les Britanniques pour bloquer l’expansion des Français qui s’étaient emparés de Djibouti et des Russes qui s’étendaient jusqu’à l’Asie centrale. Mais il s’agissait aussi de maintenir la domination britannique dans le Golfe arabe et sur le passage stratégique du détroit d’Hormuz. C’est la Grande-Bretagne qui a construit la ville portuaire d’Aden au Yémen du Sud. Cette ville est devenue très importante pour l’empire britannique. On pourrait dire que c’était le Hong-Kong ou le Macao de l’époque. Beaucoup d’étrangers ont également été envoyés dans la région.

    Voici quelle était la pyramide sociale dans cette société coloniale : au sommet, trônaient les colons britanniques ; venaient ensuite des communautés somaliennes et indiennes qui constituaient une sorte de tampon avec la dernière classe, les Yéménites. C’était une stratégie classique des colons britanniques : utiliser un groupe d’individus contre un autre pour se préserver eux-mêmes. Ce faisant, toutes les personnes que la Grande-Bretagne jugeait dangereuses dans sa colonie indienne - comme les nationalistes ou les communistes - étaient envoyées en exil à Aden.

    Comme nous l’avons vu pour la Somalie, ces prisonniers politiques vont influencer le cours de l’Histoire dans la région ?

    Tout à fait. Des mouvements indépendantistes font fuir les colons britanniques en 1967 et la République démocratique populaire du Yémen voit le jour deux ans plus tard. Elle est gouvernée par le Parti socialiste yéménite : une coalition des divers éléments progressistes hérités en partie des prisonniers d’Aden. On y trouve des communistes, des nationalistes, des libéraux, des baasistes venant de Syrie ou d’Irak… Tous ces acteurs se trouvent réunis sous la bannière du Parti socialiste. Le Yémen du Sud devient alors l’Etat arabe le plus progressiste de la région et connaît ses plus belles années avec une réforme agraire, l’égalité des sexes, etc. Cependant, le Parti socialiste reste composé de nombreux éléments aux origines diverses. Les communistes encadrent le parti et maintiennent une certaine cohésion mais chaque fois qu’il faut faire face à un enjeu de taille, les contradictions éclatent au grand jour. A cause du manque de base industrielle et du caractère petit bourgeois de la coalition, ces contradictions débouchent sur des assassinats. Les membres s’entretuent littéralement ! Le parti connaîtra ainsi trois révolutions internes sanglantes. Et la dernière lui sera fatale. La plupart des cadres idéologiques qui dirigeaient le parti sont assassinés et l’aile libérale prend la tête du mouvement. C’est donc un Parti socialiste très faible qui gouverne le Yémen du Sud lorsque la réunification des deux Yémen prend effet en 1990. Bien qu’elles aient eu des parcours relativement différents, les parties Nord et Sud ont toujours inscrit l’unification du pays dans leurs agendas respectifs.

    Alors, pourquoi a-t-il fallu attendre 1990 pour que le Nord et le Sud s’unissent ?

    Au nord, l’Etat était très faible depuis la guerre. Il était dirigé par des libéraux dépourvus d’idées vraiment révolutionnaires et contrôlés par les pays du Golfe, surtout l’Arabie Saoudite. Le voisin saoudien fournissait en effet des armes et de l’argent à la classe féodale afin d’affaiblir le gouvernement central. Pour l’Arabie Saoudite, un Yémen du Nord tribalisé était plus facile à gérer. Le Sud était par contre devenu un bastion des idées progressistes. En pleine guerre froide, il était considéré comme un ennemi de la région et devait être placé en quarantaine.

    Mais en 1990, les choses avaient changé. Tout d’abord, l’Union soviétique s’était effondrée et la guerre froide était finie. De plus, le Parti socialiste yéménite ne représentait plus une grande menace. En effet, ses leaders idéologiques avaient été supprimés lors de la troisième révolution interne du parti. Pour les pays de la région et pour les intérêts stratégiques des Occidentaux, l’unification du Yémen ne présentait donc plus de gros danger. Ali Abdullah Saleh, qui était déjà président de la République Arabe du Yémen depuis 1978, prit la tête du pays. Il est encore au pouvoir aujourd’hui.

    En 1990, le Yémen est le seul pays avec Cuba à s’opposer à la guerre en Irak. Vingt ans plus tard, si Castro tient toujours tête aux « Yankees », Saleh s’est pour sa part rangé aux côtés des Etats-Unis dans leur guerre contre le terrorisme. Comment expliquez-vous ce changement ?

    L’opposition à la guerre en Irak n’était pas le fruit de la politique de Saleh, mais des membres de l’ancien Parti socialiste yéménite qui occupaient quelques postes-clé dans le nouveau gouvernement. Cependant, bien que le Parti socialiste ait toujours souhaité l’unification des deux Yémen sur une base progressiste, il était trop affaibli par ses révolutions internes pour faire passer complètement sa politique. De plus, l’Arabie Saoudite, fidèle allié des Etats-Unis, fit payer très cher au Yémen cette prise de position contre la guerre en Irak. Le royaume saoudien expulsa en effet un million de travailleurs yéménites qui bénéficiaient d’un statut spécial pour travailler librement de l’autre côté de la frontière. Cela provoqua une grave crise économique au Yémen tout en envoyant un signal fort au président Saleh. Ce dernier revit sa politique pour devenir graduellement la marionnette de l’impérialisme US que nous connaissons aujourd’hui.

    Et les éléments progressistes du Sud l’ont laissé faire ?

    La réunification a été une grande déception pour les dirigeants du Sud. Ils se sont lancés dans ce processus sans véritable stratégie. Et comme nous l’avons vu, le Parti socialiste était très faible. Le centre du pouvoir gravitait donc au nord autour du président Saleh. Le régime était corrompu, le renvoi des Yéménites travaillant en Arabie Saoudite avait provoqué une crise majeure et la situation économique se détériorait.

    Tous ces facteurs ont amené le Sud à demander la sécession en 1994. Les séparatistes étaient soutenus par l’Arabie Saoudite qui préférait avoir un voisin divisé et faible pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’elle entretenait des contradictions avec son voisin sur le tracé de la frontière : le Yémen réclamait en effet certains territoires situés en Arabie Saoudite. Ensuite, parce qu’un Yémen uni avec un bon leadership pouvait apporter des problèmes aux classes féodales des pays du Golfe comme l’Arabie Saoudite.

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    Ces tensions entre Nord et Sud débouchèrent finalement sur un conflit. Le président de confession zaydite mobilisa la population du Nord et une grande frange de l’armée autour de ses convictions religieuses pour lutter contre le Sud à majorité sunnite. Les séparatistes furent vaincus, ce qui affaiblit encore plus les anciens membres du Parti socialiste au sein du gouvernement yéménite. Cette guerre a finalement offert au Nord et à Saleh l’occasion d’asseoir leur domination sur les plans militaire et politique.

    Quinze ans plus tard, le Sud demande à nouveau la séparation. Pensez-vous que le président Saleh s’en sortira aussi bien cette fois ?

    Non, évidemment. Saleh doit affronter des problèmes de toutes parts. Le Sud réclame à nouveau un partage équitable du pouvoir après que ce gouvernement corrompu ait pratiquement ramené le pays à l’état féodal. Pour les Yéménites du Sud qui ont un passé progressiste, la situation n’est pas acceptable. Mais elle ne l’est pas non plus pour les Houtis au Nord. Et dans ce cas-ci, le président Saleh ne peut plus mobiliser une grande partie de la population et de l’armée autour de ses convictions religieuses : les Houtis sont aussi des zaydites ! La résistance houtiste a en fait permis de mettre à nu la véritable politique de ce gouvernement comme aucun stratège n’aurait pu le faire en si peu de temps. La population découvre ce qui se passe vraiment et le mécontentement gronde de plus en plus fort.

    Quelles sont les raisons de la colère du peuple yéménite ?

    Tout d’abord, la situation sociale et économique. Alors que le régime profite des richesses, le peuple devient de plus en plus pauvre. Il y a aussi le fait que le Yémen soit devenu un bastion de l’impérialisme US et que Saleh se soit rangé aux côtés de Washington dans sa guerre contre le terrorisme. Les Yéménites voient ce qui se passe en Afghanistan, au Pakistan et en Irak. Pour eux, c’est une guerre contre les musulmans. Barack Hussein Obama a beau avoir un nom musulman et faire tous les discours qu’il veut, il n’y a pas d’autres mots pour définir cette guerre. De plus, le gouvernement yéménite n’est même pas capable de protéger ses citoyens. Après les attentats du 11 septembre, certains ont été enlevés et séquestrés sans raisons. C’est arrivé à un chef religieux yéménite éminent. Alors qu’il se rendait aux Etats-Unis pour voir son fils, il a été arrêté et envoyé à Guantanamo sans motif valable. Après six années de détention, il a finalement été relâché. Mais il est décédé trois semaines plus tard, car sa détention l’avait rendu malade. Cette guerre contre le terrorisme ne fait vraiment pas l’unanimité au sein du peuple yéménite !

    Enfin, Saleh a reconnu les frontières de l’Arabie Saoudite dans le différend qui opposait les deux pays. Il a aussi autorisé les bombardiers saoudiens à pilonner la région où sont établis les rebelles houtistes. Pour les Yéménites, cette situation est inacceptable. Saleh est sur un siège éjectable. C’est pourquoi il a besoin du soutien des Etats-Unis qui agitent l’épouvantail d’Al-Qaïda afin de pouvoir agir librement dans le pays.

    Après l’Afghanistan et l’Irak, le Yémen va-t-il donc devenir le troisième front des Etats-Unis ?

    Je pense que ça l’est déjà. L’armée américaine a déjà envoyé des missiles et des troupes spéciales sur place. Elle fournit également beaucoup de matériel au Yémen, mais une bonne partie de ce dernier passe aux mains des résistants à cause des liens qu’ils entretiennent avec les zaydites de l’armée yéménite ! Cela fait six mois que Saleh a lancé une offensive de taille contre les Houtis. Il a également fait appel aux renforts des armées saoudienne et US. Je ne serais pas étonné qu’Israël rejoigne prochainement la partie. Mais malgré tout, ils ne parviennent pas à bout de la résistance houtiste. Cette dernière est logée dans une région montagneuse, comme les talibans. On sait toute la difficulté qu’il y a à combattre des rebelles sur ce terrain. De plus, les Houtis disposent d’assez d’armes pour combattre encore longtemps.

    Un nouvel échec en vue pour les Etats-Unis ?

    L’histoire semble se répéter pour les Etats-Unis. Ce pays a beau être aujourd’hui dirigé par un ancien musulman, sa politique n’a pas changé. Le discours d’Obama peut d’ailleurs être très semblable à celui de Georges W. Bush : il promet de traquer les terroristes où qu’ils soient. Washington agite l’épouvantail d’Al-Qaïda pour combattre des rebelles tapis dans les montagnes du Yémen ? Bush a fait la même chose il y a plus de huit ans avec l’Afghanistan et cette guerre n’est toujours pas finie. La question est de savoir combien de temps cela va-t-il encore durer. L’historien Paul Kennedy a relevé que le décalage entre la base économique et l’expansion militaire était l’un des principaux facteurs de déclin des grands empires. Si l’économie d’une grande puissance est en perte de vitesse, mais que ses dépenses militaires augmentent, cette grande puissance est condamnée à sombrer et à devenir très faible. C’est la situation des Etats-Unis aujourd’hui.

    Source : www.michelcollon.info

    Mohamed Hassan* est un spécialiste de la géopolitique et du monde arabe. Né à Addis Abeba (Ethiopie), il a participé aux mouvements d’étudiants dans la cadre de la révolution socialiste de 1974 dans son pays. Il a étudié les sciences politiques en Egypte avant de se spécialiser dans l’administration publique à Bruxelles. Diplomate pour son pays d’origine dans les années 90, il a travaillé à Washington, Pékin et Bruxelles. Co-auteur de L’Irak sous l’occupation (EPO, 2003), il a aussi participé à des ouvrages sur le nationalisme arabe et les mouvements islamiques, et sur le nationalisme flamand. C’est un des meilleurs connaisseurs contemporains du monde arabe et musulman.

    http://www.michelcollon.info/

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  • Sakineh (et Teresa)

    Botul Jr., entraînant dans le sillage de sa pseudo-pensée tout ce que Paris compte de rebelles sans cause, a pris la défense d’une femme iranienne condamnée par la justice de son pays pour avoir assassiné son mari avec la complicité de son amant.

    Botul Jr. - que décidément rien ne discrédite - va saisir l'occasion de ce fait divers pour travailler l’opinion française au corps, n’épargnant aucun effort pour transformer la meurtrière en victime et jeter l’opprobe sur le régime de Téhéran. Certains veulent sauver les phoques ou les pandas, d’autres : les femmes iraniennes ; c’est dire combien ces bêtes en voie de disparition sont naturellement incapables d’engager la moindre lutte par elles-mêmes. Heureusement, le sixième arrondissement de Paris - lieu par excellence où le degré d’intelligence réelle est inversement proportionnel au prix du mètre carré - ne les oublie pas.


    Pour preuve, cet extrait ci-dessous d’un article publié dans Libération daté du 12 septembre :

    Pour sauver Sakineh, plusieurs centaines de personnes se sont retrouvées cet après-midi place de la République à Paris. Des anonymes, et quelques personnalités comme Jane Birkin ou Bernard-Henri Lévy, Fadela Amara, Corinne Lepage ou Nicole Guedj et Arielle Dombasle. Cette manifestation était organisée par Ni putes ni soumises et la Règle du Jeu, la revue de Lévy à l'initiative avec Libération, Elle et la Reppublica, d'une pétition pour sauver cette veuve iranienne de la lapidation.

    Sous un portrait de Sakineh Mohammadi Ashtiani dressé sur la statue de la République, plusieurs des lettres qui lui ont été adressées par Ségolène Royal, Valéry Giscard d'Estaing, Isabelle Huppert ou Carla Bruni Sarkozy ont été lues. Toutes dénonçant l'injustice qui est faite à cette femme accusée d'adultère et du meurtre de son mari, devenue malgré elle le symbole du sort fait aux femmes d'Iran.

    S'exprimant «en tant que ministre, citoyenne et femme musulmane», Fadela Amara a affirmé qu'il fallait «résister pour Sakineh mais aussi pour les Sakineh qui vivent dans nos banlieues».

    La répartition des tâches est parfaite. Botul Jr., quand il ne s'entarte pas tout seul avec ses affabulations, répète à longueur d’articles : “il faut détruire Téhéran”. Fadela Amara, quant à elle, s’emploie à rendre acceptable la kärchérisation des quartiers populaires : et quel moyen plus frappant pour y parvenir que ce parallèle aussi stupide qu’obscène entre Sakineh et les femmes de banlieues?

    En décrivant les hommes (non blancs) des quartiers populaires comme des monstres de barbarie - islamiste, bien sûr - Amara participe aux représentations haineuses des petits néo-conservateurs hexagonaux qui dépeignent les hommes musulmans comme la cinquième colonne. La vie de Sakineh ainsi que celle des femmes - iraniennes, françaises ou laponnes - n’est, en définitive, qu’un prétexte pour ces humanistes à la petite semaine.


    Pour d’autres encore - les “artistes”, notamment - l’engagement en faveur de l’Iranienne s’apparente à une opération de com’ - à moindre coût. En s’érigeant porte-paroles des femmes (iraniennes), ils gagnent dans l’espace médiatique une large visibilité et un supplément d’âme. Le résultat est souvent cocasse, comme en témoigne notamment la lettre de Bernard Lavilliers :

    Sakineh,

    Omar Khayyâm, poète persan du 11ème siècle, écrivait ceci :

    « Un peu de pain un peu d’eau fraiche

    L’ombre d’un arbre et tes yeux

    Aucun sultan n’est plus heureux que moi

    Aucun mendiant n’est plus triste. »

    Amour courtois avant la lettre, respect de la femme au 11ème siècle, aujourd’hui qu’est ce qu’il vous prend les intégristes perses de lapider ce que vous avez sublimé ?

    Avez-vous à ce point peur des femmes ?

    Quand vous maltraitez une femme, c’est toutes les femmes que vous lapidez, vos mères aussi.


    On espère que les “intégristes perses” ont bien compris la leçon de Bernard.


    On espère aussi que Bernard apostrophera avec le même dédain les “intégristes américains” qui s’apprêtent à exécuter dans l’état de Virginie, Teresa Lewis, une femme de 41 ans, condamnée à mort pour les mêmes motifs que Sakineh.


    Assurément, d’ici le jeudi 23 septembre - date prévue pour l’exécution de l’Américaine - Botul Jr., Fadela Amara, Jane Birkin, Corinne Lepage, Ségolène Royal, Valéry Giscard d'Estaing, Isabelle Huppert, Carla Bruni Sarkozy, Nicole Guedj, Arielle Dombasle, François-Henri Pinault, etc. (liste d’humanistes désintéressés non exhaustive) devraient rédiger une tribune dans les colonnes du quotidien humaniste désintéressé Libération, générer une pétition ainsi que plusieurs courriers, tout en organisant des rassemblements médiatisés devant l’ambassade américaine. Il reste 48 heures à ces humanistes désintéressés pour prouver la sincérité de leur engagement et accessoirement empêcher la mise à mort de cette Américaine que son avocat a décrite comme “présentant un état mental qui devrait appeler à la clémence”.


    Source ici


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    Aux pertes subies par les Etats-Unis en Irak et Afghanistan il faut ajouter d’autres dont le Département d’état préfère ne pas parler.

    C’est à ces morts que le journaliste Juan Gelman qualifie de silencieuses qu’il consacre un article paru dans le journal argentin Página 12 et que nous reprenons dans notre commentaire d’aujourd’hui.

    Elles ont lieu dans la solitude et dans le secret parmi les effectifs étasuniens qui combattent ou ont combattu dans les guerres que Bush a lancées et que Barack Obama poursuit. Juin a été le mois le plus cruel: 32 soldats se sont suicidés, un nombre supérieur à celui de n’importe quel mois de la guerre du Vietnam. Onze étaient démobilisés et sept autres étaient en service en Irak ou en Afghanistan. Ce sont des chiffres officiels fournies par le site (www.defense.gov, le 15- juillet dernier. En 2009 245 soldats se sont suicidés et tout semble indiquer que le chiffre sera supérieur cette année: 145 se sont suicidés durant le premier semestre et 1713 ont fait des tentatives de suicide sans succès. Le taux est plus élevé que celui qui correspond à la population civile des Etats-Unis.

    Le 25 février, Tim Embree, un militaire a comparu comme témoin devant la Commission des Questions relatives aux Vétérans de la Chambre des Représentants. Il a parlé au nom des 180 000 adhérents de l’association Vétérans étasuniens d’Irak et d’Afghanistan, des pays où il a été envoyé combattre à deux reprises. Il a signalé : « L’année dernière un plus grand nombre de soldats se sont suicidés que ceux qui sont tombés au combat. La majorité d’entre nous, nous connaissons un camarade qui l’a fait de retour chez lui. Et ces chiffres n’incluent pas ceux qui se suicident au terme de leur service: ils sont en dehors du système et leurs morts sont ignorées la plupart du temps » (//iava.org, 15-7-10). Ils ne sont peut être pas considérés comme des êtres humains, mais à peine comme du matériel jetable.

    Tim Embree a rappelé les chiffres publiés par l’hebdomadaire Army Times, qui diffuse des informations de l’armée, ainsi que des offres de carrière dans l’institution : « 18 vétérans se suicident chaque jour et la moyenne mensuelle est de 950 tentatives de suicide parmi ceux qui reçoivent un traitement quelconque du département fédéral correspondant (www.armytimes.com, 26-4-10)”. Il s’agit de vétérans de toutes les guerres que les Etats Unis ont déclenchées à l’étranger. Ils souffrent pour la plupart de PTSD. Avant on parlait de névrose de guerre ou fatigue de combat ou chocs ou encore d’autres. Le PTSD les réunit tous.

    La publication mensuelle Archives of General Psychiatry a rendu publique les résultats d’une recherche indépendante réalisée sur 18 300 soldats qui ont été examinés trois mois et un an après avoir été envoyés en Irak : 20 à 30% souffrait de PTSD et une dépression profonde accablait 16 %.(//archpsyc.amaassn.org, juin 2010). Cela permet de mieux comprendre la difficulté des vétérans à réintégrer la vie civile, leur violence au sein des familles, l’échec des mariages, le recours aux drogues et les suicides. Fin 2009, selon des chiffres du Département des Vétérans du gouvernement plus de 537 000 des 2, 04 millions qui ont servi en Irak et en Afghanistan ont demandé un suivi médical.(www.ptsd.va.gov, février 2010).

    La difficulté s’aggrave car ils rentrent dans un pays où le taux de chômage ne cesse d’augmenter. Un sondage de l’IAVA montre que 14, 7% des vétérans n’ont pas d’emplois, 5% de plus que la moyenne nationale. (//iava.org, 2-4-10). Cette situation augmente le nombre de ceux qui ont perdu leurs logements. Un rapport de la National coalition for the Homeless indique que 33 % vit dans la rue et qu’un million et demi court le risque de se retrouver sans abri à cause de la pauvreté et du manque d’appui officiel. (www.nchv.org, septiembre 2009). Les vétérans handicapés physiques n’y sont pas inclus.

    Kevin et George Lucey, parents d’un soldat qui s’est suicidé, ont raconté l’une des histoires que les chiffres cachent. Le 22 juin 2004, leur fils Jeff, âgé de 23 ans, s’est pendu dans le grenier de la maison(www.democracynow.org, 9-8-10). Il était caporal du corps des marines, il était rentré d’Irak en juillet 2003. La mère a raconté qu’un mois après l’invasion il envoyait des lettres à sa fiancée dans lesquelles il parlait des “choses immorales” qu’il était en train de faire.

    Une fois au foyer, Jeff a commencé à lâcher des phrases incohérentes sur Nasiriya, la ville au sud est de Bagdad où a eu lieu la première grande bataille des envahisseurs contre l’armée régulière iraquienne. Un jour il a accueilli sa soeur Amy les larmes aux yeux et il lui a dit qu’il était un assassin. Avant de se suicider, il a laissé sur son lit les plaques de deux soldats iraquiens qu’il avait tués bien qu’ils n’étaient pas armés. Jeff avait l’habitude de les regarder fréquemment.

    Les psychiatres et les psychologues militaires manquent de connaissances pour affronter ces maladies. Mark Russel, commandant de la Marine, spécialiste en maladies mentales, a découvert que 90% du personnel qui remplit ces fonctions n’ont pas la formation nécessaire pour soigner le PTSD. Ils se limitent à prescrire des drogues comme le Paxil, le Prozac et le Neurontin qui accentuent voire même produisent les symptômes, et à renvoyer les soldats à leurs unités. (www.usatoday, 17-1-07).

    Le Président Obama a déclaré à une réunion de vétérans handicapés à Atlanta que son gouvernement est en train de faire le maximum d’efforts pour prévenir le suicide et d’autres conséquences du PTSD. Pour le père de Jeff, ce n’est que de l’hypocrisie pure.

    Source : RHC


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  • L’Iran et Israël : Des sujets qui font perdre la raison (Dissident Voice)

    Judith BELLO

    The Atlantic a mis en ligne un article troublant cette semaine : "Le point de non retour" de Jeffrey Goldberg. Goldberg dit que, puisqu’on est certain qu’Israël va attaquer l’Iran au printemps prochain, nous devrions prendre l’initiative et le faire nous-mêmes. Il y a eu quelques réponses intéressantes à cet article, y compris une de Leveretts et Gareth Porter. Ces personnes expriment, à mon sens, une opinion de professionnels pragmatiques et bien informés de ce qui se passe sur le terrain. Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’elles disent mais j’approuve totalement la nouvelle perspective pragmatique et fonctionnelle qu’elles adoptent.

    La machine de propagande en faveur d’une "guerre avec l’Iran" s’accélère. D’abord il y a eu les déclarations grandiloquentes accusant son gouvernement de terrorisme, de barbarie, de financer le terrorisme, de se mêler des affaires de ses voisins, de limiter la liberté de la presse entre autres pratiques non démocratiques. Tout ceci est l’écume qui flotte sur la supposition/insinuation qu’ils auront très bientôt une arme nucléaire qui représentera une menace internationale intolérable. Puis il a les commentaires biaisés. Il y a 50 commentaires après chaque article et chaque post, pleins de démonstrations, d’explications et d’analyses à base d’éléments mensongers, de menaces et de contre menaces, d’insinuations et d’exagérations dramatiques bref un mélange explosif d’information et de désinformation. Il est finalement extrêmement difficile de prédire si on attaquera l’Iran justement parce que le sujet soulève tant d’émotion incontrôlée et fait perdre toute raison à ceux qui l’abordent.

    Après avoir lu l’article, j’ai ressenti moi aussi le besoin d’ajouter quelques mots à la discussion en cours sur un point de l’analyse de the Atlantic qui n’a pas encore été relevé. Sur la même page du web, mélangé à un des premiers paragraphes d’un article, il y a une vidéo d’un interview de Christopher Hitchens par Jeffrey Goldberg qui est une manifestation éhontée d’hystérie. Par une sorte d’ironie, la vidéo de 6 minutes commence par 25 secondes d’une chanson de Bob Dylan, "les portes du paradis" ("Quand on parle de guerre et de paix, où est la vérité...."). pendant les premières 15 secondes la caméra filme la bibliothèque de la pièce (le bureau d’Hitchens peut-être ?), puis les distinctions honorifiques et les photos d’une époque plus heureuse de la vie d’Hitchens qui est actuellement soigné pour le cancer et semble très malade. Tout cela donne l’impression d’avoir à faire à un intellectuel qui est tout à la fois dans le coup et sage, et bien entendu très cultivé et qui souffre depuis longtemps. Quand il parle, le ton d’Hitchens est hésitant et plein d’émotion ; il regarde souvent par terre et s’agite un peu avant de parler.

    Goldberg nous dit que Hitchens a une connaissance profonde de "l’Holocauste" et de la "nature éternelle et protéiforme" de l’antisémitisme. L’antisémitisme éternel ? C’est une affirmation d’importance, une affirmation cynique. Dans un monde où le racisme et la cupidité ont plongé dans la misère et réduits à l’impuissance une multitude d’êtres humains à la peau plus foncée qui sont nés sur des terres riches de ressources que d’autres races mieux armées convoitent et qui manquent de tout ce qui est nécessaire à la vie, par exemple d’eau, nous sommes invités à concentrer notre attention sur l’inhumanité de l’homme envers l’homme sous la forme d’un sectarisme "éternel" à l’encontre d’un groupe religieux, composé en grande partie de blancs bien nourris et à la réussite indéniable, qui ont en plus le droit de chasser les habitants originels de la "Terre Promise" et qui ont reçu un soutien inconditionnel pour y établir leur patrie en menant une violente politique raciale d’apartheid contre leurs voisins.

    Comme on lui demande ce qu’il ferait s’il était (Benyamin) Netanyahu, Hitchens parle avec respect du rôle que joue le leader des USA pour la promotion des Droits de l’Homme dans le monde, pas seulement parce que nous avons écrit des traités, mais parce que nous avons convaincu d’autres pays de les signer. Il mentionne spécifiquement les Conventions de Genève, les Nations Unis et la Convention des Droits de l’Homme. Apparemment il n’a pas remarqué que les USA ont constamment piétiné ces conventions et que cela fait pas mal de temps qu’ils ne cessent de brutaliser, d’abuser et de saboter l’ONU. Et apparemment il tient pour acquis que vous non plus vous ne l’avez pas remarqué et il continue de développer son argumentation. L’Iran, dit-il a signé toutes sortes de traités et donné toutes sortes de garanties comme quoi ils n’avaient pas l’intention de se doter de l’arme atomique. Et "s’il s’avère" qu’ils l’ont bel et bien fabriquée, cela signifie "qu’il n’y a pas de droit international". Et si nous nous rendons compte que nous avons laissé cela se produire, alors "nous serons restés inactifs pendant que (le droit) était violé avec le plus grand mépris".

    Voilà un raisonnement curieux et le manque de logique devient plus évident avec chaque nouvel argument. Si quelqu’un viole le droit international, dit-il, alors il n’y a plus de droit, parce que si nous permettons cette violation -encore non attestée- de se produire, alors nous somme responsables de cette violation et c’est important [parce que... nous sommes le droit ?]. A l’opposé, un autre pays s’est placé de lui-même au dessus des lois, a refusé de signer les principaux traités sur les Droits Humains, a rejeté le WMD (Word Mouvement for Democracy) et la coopération avec d’autres pays, a fabriqué la bombe atomique, a persisté dans une politique de nettoyage ethnique et a déclaré ouvertement qu’il avait le droit d’attaquer ses voisins au nom de la "défense" préventive. Mais notre complicité volontaire à ce projet n’érode pas le droit. Bien plus notre tolérance à ces abus n’est pas un problème et, pour en revenir à l’introduction, pourrait même ne pas suffire à nous faire pardonner notre préjugé "éternel et protéiforme" contre la population de ce pays et tous ceux qui partage leur [religion ? race ?]

    Hitchens poursuit avec quelques fortes paroles concernant "l’obligation", pour ceux qui sont menacés ou susceptibles de l’être "d’éradiquer" le régime qui est la cause du problème. Puis il ajoute : "Ne me regardez pas comme ça, ne regardez pas comme ça le peuple juif". Apparemment il ne se rend pas compte que ses déclarations assez menaçantes puissent faire peur. De plus il prétend parler non pas seulement en son nom propre, ni même au nom de l’état d’Israël, mais au nom du peuple juif tout entier. C’est déjà pénible de vivre dans un pays qui a un gouvernement dont vous désapprouvez la politique et d’entendre ce gouvernement "parler en votre nom"mais le peuple juif en plus n’a aucun moyen de se protéger contre la petite nation agressive qui insiste pour parler en son nom. Quant à Hitchens il était invité à parler [pour Israël] donc je suppose qu’on ne peut pas lui reprocher de l’avoir fait. Il termine son propos d’un ton défensif, en disant que ne rien faire c’est faire quelque chose. L’inaction est une action, une action coupable. On reçoit ce qu’on mérite. Je suppose qu’on pourrait faire cette remarque au coeur d’une crise très grave, mais en l’occurrence c’est un peu exagéré.

    Goldberg lui fait maintenant remarquer que l’Iran ne manquera pas (comme je l’ai fait moi-même plus haut) de souligner qu’Israël a développé un arsenal d’armes nucléaires en dehors des traités internationaux c’est à dire en dehors de la loi. Hitchens baisse la tête puis la relève et dit avec défiance qu’il regrette la prolifération d’armes nucléaires dans le monde MAIS "il y a une grande différence entre un pays qui possède la bombe atomique pour maintenir un certain ’équilibre de la terreur’ et un autre qui veut renverser l’ordre existant." Il fait référence à un régime, (le régime iranien, devons-nous comprendre) qui "est une dictature messianique qui écrase ses propres citoyens et menace les territoires de ses voisins". Si cela n’est pas l’histoire de la paille et de la poutre, je ne sais pas ce que c’est ! Il est exact que la théocratie iranienne est contestable et davantage ces derniers temps, du fait qu’elle s’est trouvée de plus en plus réduite à la défensive par ceux qui veulent "maintenir... l’équilibre de la terreur", mais celui qui soutient un pays fondé sur le nettoyage ethnique qui a attaqué préventivement et à plusieurs reprises ses voisins depuis sa création et qui occupe de ce fait des terres appartenant à ses voisins d’une superficie presque égale à son propre territoire, n’est pas vraiment en position de critiquer les autres.

    Mais regardons les choses en face. Ce dont il s’agit vraiment c’est qu’il faut "préserver l’équilibre de la terreur". Mais ce dont nous parlons en réalité c’est d’un "équilibre", non, d’un "déséquilibre" du "pouvoir" qui nous maintenons par la "terreur". Voilà de quoi il s’agit. Mais Hitchens est vraiment, si je peux me permettre de le dire, paranoïaque en ce qui concerne Israël et le peuple juif qui, dans son esprit, ne font qu’un. Quand on lui demande si les ogives d’Israël sont destinées à "empêcher un autre holocauste", il répond que peut-être si Israël n’avait jamais existé ce serait différent, mais que, puisque Israël existe, la "civilisation" doit défendre Israël contre "l’impensable". Il ajoute que s’il faut désigner parmi les pays clients des USA celui qui a le plus mauvais record en matière de corruption et de violations des droits humains, il faut nommer le Pakistan. Cette remarque est inexacte et malveillante mais révélatrice. Le Pakistan, comme Israël, a été créé par la Grande Bretagne alors qu’elle se défaisait de son empire. Comme Israël, ce territoire a été donné en cadeau à une petite élite, comme une sorte de pot-de-vin pour assurer sa loyauté post-coloniale et cette création a été imposée aux foules de gens qui habitent maintenant ce pays et à ceux qui ont été forcés de partir. Et 60 ans plus tard les problèmes engendrés par cette politique désastreuse n’ont toujours pas trouvé de solution.

    J’ai consacré plus qu’assez de temps à cette analyse. Jeffrey Goldberg, Christopher Hitchens et the Atlantic devraient avoir honte de cet interview. Je suppose qu’on pourrait simplement le considérer comme de la propagande mais l’approche si puérile et l’attitude si peu agréable avec lesquelles Hitchens présente une réalité si déformée reflètent tristement la pathétique médiocrité de l’information à laquelle est soumis le peuple américain. Il est vraiment temps que les médias (et notre Président) écoutent les experts indépendants et expérimentés de politique extérieure qui ont la pratique de la diplomatie. Pour pratiquer la diplomatie on doit être disposé à parler aux autres. Le pragmatisme dans les relations internationales ne signifie pas s’incliner devant les plus méchants du globe, ni les plus méritants, ni ceux qui ont le plus souffert. Cela signifie travailler avec les autres pour trouver des solutions raisonnables aux vrais problèmes dont tous les hommes souffrent.

    Judith Bello

    Judith Bello a commencé à militer contre la guerre au Vietnam avec le Mouvement de la Paix à la fin des années 60. Depuis, elle continue à militer pour la paix avec un intérêt particulier pour les droits civils et les problèmes des femmes (elle n’ose plus dire ’féminisme’) à travers son expérience de parent unique ; Elle a eu une carrière technique puis y a renoncé pour se consacrer à l’écriture, selon le désir de son coeur. On peut visiter son site web.

    Pour consulter l’original :
    http://dissidentvoice.org/2010/08/h...

    traduction:D. Muselet

    URL de cet article
    http://www.legrandsoir.info/L-Iran-et-Israel-Des-sujets-qui-font-perdre-la-raison-Dissident-Voice.html

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