• Sous l’aile protectrice du porte-avions USS George H.W. Bush
    Sarkozy et Cameron préparent le débarquement en Libye




    Manlio Dinucci

    Traduit par  Fausto Giudice

    Au terme du sommet du G8 de Deauville, Sarkozy a annoncé qu’il se rendrait à Benghazi avec le Premier ministre britannique Cameron, vu que “nous avons les mêmes idées”. Une essentiellement : “Aucune médiation n’est possible avec Kadhafi ”. Obama a exprimé la même idée : “Nous ne mollirons pas tant que le peuple libyen ne sera pas protégé et l’ombre de la tyrannie disparue”. Bref, ils s’apprêtent à occuper la Libye.

    Et tandis que le G8 demande à Tripoli “la cessation immédiate de l’usage de la force”, l’OTAN intensifie ses incursions aériennes qui, en moins de huit semaines, ont dépassé les 8 500. Elles partent pour la plupart des bases du sud de l’Italie, approvisionnées par les autres. Pise est continuellement survolée par des C-130J et d’autres avions cargos qui, depuis l’aéroport militaire acheminent vers les bases méridionales les bombes et les missiles de la base US de Camp Darby (préfigurant ainsi l’entrée en fonction de la plaque tournante aérienne nationale, par laquelle transiteront tous les militaires et tous les matériels destinés aux les théâtres d’opération). L’entrée en action d’ hélicoptères français Tigre, probablement flanqués d’Apache britanniques, confirme que les attaques aériennes préparent le débarquement.

     

    Fait encore plus significatif : l’arrivée en Méditerranée d’un imposant groupe naval d’attaque, guidé par porte-avions nucléaire le plus puissant et moderne de la classe Nimitz, baptisé USS George H.W. Bush, en l’honneur du président qui mena en 1991 dans le Golfe la première guerre de l’après-guerre froide (on en est aujourd’hui à la cinquième). De 333 mètres de long et 40 de large,  il transporte 6 000 hommes, 56 avions (qui peuvent décoller à 20 secondes d’intervalle) et 15 hélicoptères, et il est doté des systèmes les plus sophistiqués de guerre électronique. C’est donc une grande base militaire mobile. Et en même temps une centrale nucléaire mobile : il a deux réacteurs à eau pressurisée PWR A4W/A1G, dont la vapeur actionne les turbines des quatre hélices. Une centrale nucléaire qui, alors qu’elle a à son bord des réacteurs plus dangereux que ceux de Fukushima, entrera dans la baie de Naples et dans d’autres ports.

    Le porte-avions George H.W. Bush est flanqué d’un groupe de combat naval formé des destroyers contre-torpilleurs et lance-missiles USS Truxtun et USS Mitscher, des croiseurs lance-missiles USS Gettysburg et USS Anzio et de huit escadrilles aériennes. Ce groupe va renforcer la VIème Flotte dont le commandement est à Naples, rejoignant d’autres unités, parmi lesquelles les sous-marins nucléaires Providence, Florida et Scranton. La VIème Flotte est aussi renforcée par l’un des plus puissants groupes d’attaque amphibie, conduit par l’USS Bataan, qui à lui seul peut débarquer 2 000 Marines, doté d’hélicoptères et d’avions à décollage vertical, d’artillerie et de tanks. Ce navire est flanqué de deux autres navires d’attaque amphibie, l’USS Mesa Verde et le l’USS Whidbey Island, qui a effectué du 13 au 18 mai une visite à Tarante, dans les Pouilles. Il a à son bord quatre énormes véhicules hovercraft de débarquement qui, avec un rayon d’action de 300 miles, peuvent transporter rapidement jusque sur la côte 200 hommes à la fois, sans que le navire soit en vue depuis la côte. Tout est prêt, donc, pour le débarquement “humanitaire” en Libye. Aux Européens l’honneur de débarquer les premiers, sous l’aile protectrice du porte-avions Bush.





    Merci à Tlaxcala
    Source: http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20110528/manip2pg/09/manip2pz/303960/
    Date de parution de l'article original: 28/05/2011
    URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=4900


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  • Washington "reste engagé à protéger la population libyenne et estime que Kadhafi doit quitter le pouvoir et la Libye"

    Nouveaux bombardements sur la population de Tripoli "pour protéger les civils".

    lundi 23 mai 2011

    Au moins trois personnes ont été tuées et 150 blessées dans de violents raids de l’Otan sur Tripoli mardi à l’aube, selon le gouvernement libyen, tandis que Washington a appelé la veille le colonel Kadhafi à prendre le chemin de l’exil.

    Le porte-parole du gouvernement libyen, Moussa Ibrahim, a ajouté que l’Otan avait mené "entre 12 et 18 raids contre une caserne de la garde populaire", des unités de volontaires qui épaulent l’armée. La majorité des victimes sont des civils habitant à proximité, selon lui. Selon un journaliste sur place, les raids qui ont commencé vers 1 heure du matin, et ont duré plus d’une demi-heure. Ils ont visé le secteur de Bab Al-Aziziya, résidence du colonel Mouammar Kadhafi.

    Par ailleurs, Paris et Londres ont annoncé l’envoi d’hélicoptères pour des frappes au sol "plus précises", dans le cadre des opérations de la coalition internationale. Jusqu’à présent, seuls des avions -avec ou sans pilotes- ont mené les attaques de la coalition, mais ils ne parviennent plus à viser de nombreux chars ou troupes, car trop proches de populations civiles.

    "Kadhafi doit quitter la Libye"

    Côté diplomatique, les Etats-Unis ont profité de la venue surprise, lundi, dans la "capitale" de la rébellion Benghazi, du sous-secrétaire d’Etat chargé des affaires du Proche-Orient, Jeffrey Feltman, pour exhorter Mouammar Kadhafi à quitter son pays. Washington "reste engagé à protéger la population libyenne et estime que Kadhafi doit quitter le pouvoir et la Libye", a affirmé le département d’Etat.

    La visite de Jeffrey Feltman, plus haut dignitaire américain à se rendre à Benghazi depuis le début du soulèvement il y a plus de trois mois, constitue "un signal de plus du soutien américain au CNT (le Conseil national de transition), un interlocuteur crédible et légitime", a-t-il ajouté. Les Etats-Unis ont été en pointe -avec la France et la Grande-Bretagne- de la coalition intervenue en Libye le 19 mars sur mandat de l’ONU "pour mettre fin à la répression sanglante de la révolte".

    Du côté de l’Union européenne, les ministres des Affaires étrangères des 27 ont étendu à un membre de l’entourage du colonel Kadhafi, ainsi qu’à une compagnie aérienne libyenne, les mesures -gels des avoirs et interdictions de visa- déjà prises contre des membres du régime. L’UE a élevé le CNT au rang d’"interlocuteur politique clé représentant les aspirations du peuple libyen", ce qui rapproche Bruxelles d’une reconnaissance en bonne et due forme.

    "Il n’y a ni eau ni nourriture"

    Les rebelles se sont targués lundi d’avoir progressé de 20 km plus à l’ouest d’Ajdabiya, et sont désormais à mi-chemin entre Ajdabiya et Brega. Au Sud, dans le désert, les rebelles contrôlent Jallo (400 km environ au sud de Benghazi), a indiqué lundi un combattant rebelle. À l’ouest, dans les montagnes du djebel Nefoussa, près de la frontière tunisienne, "la situation est terrible", a-t-il raconté. "Il n’y a ni eau ni nourriture. Nous ne pouvons pas les aider et cela dure depuis 47 jours".

    Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a demandé 38 millions d’euros supplémentaires pour financer ses opérations en Libye où les "perspectives restent désastreuses", selon l’ONG.

    teleSUR/AFP/rp-FC Source ici Source ici


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  • Sur la frontière de l’ouest : Nalut. (suite).

    Sur la route de Nalut, on peut apercevoir trois transports de troupes BMP-1 et deux chars T-62 intacts, immobiles. Ils sont comme les ultimes traces d’un temps à la fois si proche et déjà si lointain où les troupes militaires loyalistes maitrisaient encore la région frontalière de Nalut, avant que celle-ci ne soit reprise par les rebelles. Ces engins ont été abandonné là par leurs équipages sans combattre. Les insurgés avaient alors surpris les soldats loyalistes lors d’un bivouac et avaient ensuite préféré dépouiller ces monstres de métal de leurs munitions, de leur essence plutôt que de s’embarrasser de ces gouffres à carburant.

    Ces blindés russes ont été conçus dans les années 60 dans la perspective d’un affrontement militaire conventionnel entre les forces de l’OTAN et celles du Pacte de Varsovie. Des blindés fait pour se battre en bataillons, en brigades, en divisions dans les grandes plaines qui courent entre l’Allemagne et la Pologne. Ironie de l’Histoire, ce sont aujourd’hui ces mêmes forces aériennes de l’OTAN qui les traquent sans relâche. De toute façon, pour mener une guerre dans les montagnes du djebel, inutile de compter sur ces débris historiques. L’heure est à la guerre de partisans. Une guerre d’embuscade et d’attaques éclairs. Tripoli l’a finalement compris et depuis ses milices opèrent avec les mêmes pick-ups que ceux des insurgés, des pièces d’artillerie en plus.

    On franchit encore deux check-points rebelles avant d’atteindre Nalut qui semble être comme une ville construite depuis le ciel. On passe devant un bâtiment, en partie incendié, anciennement occupé par les renseignements militaires du régime de Khadafi. Depuis que Nalut s’est insurgé, celui-ci abrite le siège du conseil militaire. Une dizaine de pick-ups ainsi qu’une trentaine de combattants attendent là de savoir où ils seront affectés pour la nuit.

    On signale depuis peu des mouvements de milices sur la route qui vient de la plaine de Tiji à Nalut. La ville immense et basse se déploie sur les crêtes du djebel, domine de tous côtés. Au nord, la plaine où sont positionnées les milices de Khadafi. Au sud, le plateau qui file jusqu’à l’horizon et va s’échouer très loin d’ici dans les dunes du Sahara. A l’est, la route pour Wazan-Dehiba et à l’ouest, la route du Djebel Nefussah. Une route qui lie Nalut à Jadu, puis Zenten et Yefren  assiégée par les milices.

    La ville est fantomatique. Tous les commerces sont fermés et les quelques habitants croisés ici et là ne semblent pas s’attarder trop longtemps dans les rues vides. Halte à Radio Free Nalut situé dans le centre-ville. Ses locaux étaient anciennement ceux de la radio locale, voisine de palier avec la police politique. Ils émettent sur la FM jusqu’à 80 km et en streaming sur le net. Deux flashs d’informations par jour. A 13H et à 18H. Ils sont trois à s’occuper des programmes de la radio. Celle-ci est un relais très important pour la population du djebel. D’après les animateurs, tous dans la région l’écoute. On peut difficilement en douter.

    Un peu plus loin, on va remplir le réservoir d’essence dans une « station ». Quatre citernes ont été posées là. On remplit un jerrycan d’une vingtaine de litres pour le transvaser dans le 4×4. Et l’on repart. Plus personne ne semble se soucier de payer. A Nalut, l’argent n’existe plus. Le communisme de guerre. La terreur en moins. Une fraternité qui n’a nul besoin de s’acheter ou de se vendre. Une fraternité où tout est partagé. Visite au média center installé dans un luxueux bâtiment dédié avant l’insurrection à la promotion des nouvelles technologies et qui fait office aujourd’hui de centre de communication insurgé.

    Une demi-douzaine d’ordinateurs permettent à qui veut de balancer les dernières infos, les dernières vidéos sur facebook ou sur twitter. On skype avec les camarades libyens en Tunisie ou ailleurs pour aviser des nouvelles, coordonner l’aide et prendre rendez-vous un jour, ailleurs, quelquepart. Ceux qui sont en charge de ce média center sans journalistes veillent à ce que personne ne manque de rien. On mange tous ensemble dans un grand plat unique les pâtes qu’ils ont préparées. Des serviettes en tissu vert sont distribuées à chacun pour s’essuyer après le repas : voilà à quoi servent désormais les drapeaux verts de Khadafi. Pendant le repas, on regarde un écran plasma géant diffuser en boucle les programmes de Libya Horra, la chaîne de télé libre de Benghazi.

    Tout en exhibant une pétoire italienne de 1915, un des responsables du centre se demande pourquoi l’OTAN ne leur donne pas des armes. Un autre lui répond qu’on ne donne pas des armes à ceux qu’on veut dévaliser ensuite. La porte d’entrée monumentale s’ouvre. Quelques hommes s’engouffrent à l’intérieur. On entend au loin les premiers bombardements tomber sur Nalut.

    Départ pour l’hôpital en 4×4. A peine partis nous stoppons immédiatement. Un grad vient de tomber à deux cent mètres environ. On descend du véhicule pour rejoindre une terrasse attenante au média center d’où nous pouvons observer le panache de fumée et de poussière s’échapper d’un pâté de maison en béton nu. On presse le pas ou plutôt l’allure pour rejoindre la seule zone prétendument safe de Nalut. L’hôpital. Il se trouve à deux, trois kilomètres de là. Les bombardements continuent à un rythme régulier. L’hôpital de Nalut est un des plus grands de Libye après ceux de Tripoli et de Benghazi. Un hôpital construit dans les années 70 dans le cadre de la coopération entre la Libye de Kadhafi et l’union soviétique.

    D’ailleurs, tout dans les bâtiments rappelle cette architecture soviétique si particulière. Paradoxalement, la journée est calme pour le personnel hospitalier. Et bien que les bombardements continueront jusqu’à notre départ de Nalut, aucun blessé ne sera à déplorer. Il faut rappeler que si Nalut comptait presque 90000 habitants, il n’en resterait que trois mille aujourd’hui.

    On peut-être surpris de découvrir là, dans cet hôpital, un personnel médical entièrement composé d’Egyptiens, de Coréens, d’Ukrainiens, de Bulgares, de Philippins, d’Indiens, de Pakistanais, de Soudanais et de Bengalis. Comme dans tous les établissements hospitaliers libyens, la majeure partie du personnel médical était composée d’étrangers.

    On peut se souvenir de l’affaire des infirmières bulgares et du médecin palestinien. Aujourd’hui, ils sont environ une quarantaine à être rester à Nalut. Cela fait pourtant trois mois qu’ils ne sont plus payés mais peu leur importe car l’exil serait pour eux une bien pire catastrophe. Avec l’assurance de devenir pendant un temps incertain des réfugiés en Tunisie. Ils sont donc restés aux côtés de ceux avec qui ils vivent là depuis plusieurs années. Le sens de leur présence est dans leur amitié indéfectible, sans faille avec les Libyens. On pourrait dire qu’ils sont là à défaut de ne pas avoir su partir. D’autres l’ont fait, eux pas, ils le pouvaient, ils ne le voulaient pas.

    Les insurgés pourvoient aux besoins en produits alimentaires de l’hôpital. Les fournitures médicales sont acheminées depuis la Tunisie par les organisations d’entraide et de solidarité libyennes et tunisiennes mais aussi grâce à la présence de médecins de l’International Medical Corps. Trois d’entre eux sont d’ailleurs là pour faire immédiatement le relais avec leurs confrères restés à Dehiba. Ils communiquent par téléphone satellitaire pour permettre d’évacuer au plus vite, vers la frontière, les blessés les plus graves. L’un est palestinien, les deux autres sont tunisiens. Une partie du personnel vit en famille dans les chambres situées dans le sous-sol de l’hôpital. Les plus téméraires continuent, quand ils ne travaillent pas, à vivre dans leurs logements de fonction situés dans le périmètre de l’hôpital. Des bâtiments réputés pour être plus exposés aux bombardements. Difficile à dire.

    Tandis que les grads tombent toujours sur la ville, un blessé par balle arrive aux urgences. Des combats ont eu lieu en contrebas de Nalut. Les insurgés ont aussi perdu un des leurs. Le blessé a reçu une balle de 7,62mm, une balle de kalashnikov dans l’aine. Il s’en sortira. Transféré aux soins intensifs, il rejoint inconscient dans la même chambre deux miliciens de Kadhafi eux-aussi blessés par balles et depuis prisonniers au lit. Un jeune insurgé à bout de nerf veille sur cette chambre explosive la kalashnikov à la main. Il viendra nous rejoindre pour griller une cigarette dans une immense salle où des médecins coréens tuent le temps dans une partie endiablée de ping-pong à quatre. On entend au loin toujours résonner les explosions. Dans un coin de la salle, à proximité d’une sortie, trois cercueils en bois vides sont empilés les uns sur les autres.

    Au matin la plupart se retrouve dans les cuisines. Des Soudanais préparent le repas du midi tout en servant un délicieux café parfumé à la cardamone. Nous y retrouvons les médecins de l’International Medical Corps qui s’apprêtent à partir livrer du matériel médical pour Zenten. On se sépare chaleureusement. On s’échange adresses et téléphones. On prend une photo ou deux pour se souvenir de rencontres que l’on pourra de toutes les façons pas oublier. Nalut est une insurrection. L’insurrection est.


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  • Sur la frontière de l’ouest : Vers Nalut.

    Le poste-frontière de Dehiba est au djebel Nefussah ce que le port est à Misrata. Un lien vital. Dans le strict sens du terme.

    Alors que de sinistres experts en géopolitique glosaient encore, il y a quelques jours, à propos d’une hypothétique partition du pays, entre l’Est insurgé et l’Ouest soi-disant loyaliste, le djebel Nefussah, tout comme Misrata, résiste toujours. Cette résistance contredit en tout point les pronostics imbéciles de ces stratèges de plateau télé et prouve une fois encore que ce qui se joue, c’est ce qui se vit sur le terrain loin du spectacle. Dans le djebel Nefussah, loin des débats médiatiques convenus et polis, les insurgés préparent et organisent la contre-offensive en vue de faire tomber le régime.

    Pour cela, les insurgés doivent conserver à tout prix le poste-frontière de Dehiba-Wazan pour ne pas étouffer de nouveau sous l’étau des milices de Khadafi.

    Depuis plus d’une semaine, il est devenu beaucoup plus difficile d’accéder au poste-frontière tunisien de Dehiba. En effet, l’armée tunisienne a renforcé ses positions le long de la frontière et sur la route qui y mène depuis Tataouine. La garde nationale est toujours sur les check-points entre cette dernière et Remada. A la sortie de cette ville de garnison et en direction de Dehiba, on trouve, en contrebas sur la gauche, un oasis derrière lequel a été installé un camp d’accueil pour les réfugiés libyens. Ils sont environ 1200 à attendre là, sous des tentes fournies par le HCR, de trouver d’autres solutions d’hébergement. Tout de suite après la terminaison végétale de l’oasis, nous trouvons sur la route de Dehiba un autre genre de végétaux. Le kaki.

    Il faut stopper à un check-point de la police militaire tunisienne qui fouille intégralement tous les véhicules dans les deux sens de la circulation et vérifie les identités de leurs occupants. Les fouilles sont aussi minutieuses que les vérifications. Les militaires cherchent principalement des armes et du matériel sensible que voudraient faire passer les insurgés en Libye. Pour arriver jusqu’à Dehiba, il faudra encore franchir plusieurs autres check-points pour répéter les mêmes opérations et répondre aux mêmes questions stupides. Il est toujours difficile de se figurer le phénomène de la neuro-transmission chez un militaire. Surtout lorsqu’il ausculte votre passeport depuis deux bonnes minutes et ce, sous toutes les coutures, pour finir par vous demander : de quelle nationalité êtes-vous?

    Le village de Dehiba est à un peu plus de 130 kilomètres de Tataouine et compte un peu moins de 4000 habitants. Il n’a pas beaucoup changé depuis dix jours. Un petit rond-point interrompt la route principale et fait office de centre-ville. Là, les changeurs attendent leurs clients libyens. Ces habitants de dehiba se sont toujours livrés au change sauvage mais depuis l’insurrection du 17 février, ils profitent comme jamais de l’instabilité du dinar libyen. Son cours s’est divisé par deux en trois mois.

    Les changeurs sont vifs, alertes, scrutant les plaques minéralogiques des véhicules et lorsque ceux-ci sont identifiés comme libyens, ils se plantent quasi sur la route tout en agitant frénétiquement dans leurs mains leurs liasses de dinars tunisiens. Surplombant le « centre-ville » de Dehiba, le café de Tunis rappelle, malgré les apparences, que nous sommes pourtant et toujours en Tunisie. Car quasiment tous les véhicules garés en vrac ici et là sont libyens et les nombreux groupes d’hommes qui conversent de ci, de là, sont composés pour la plupart de libyens. Dehiba vit au rythme de ce qui se passe dans le pays voisin et jamais Tunis n’a semblé aussi loin que de Dehiba.

    Le poste-frontière n’est plus qu’à quelques kilomètres et l’on peut voir des deux côtés de la route des casemates de fortune récemment faites par les militaires tunisiens qui bivouaquent à proximité de celles-ci. Depuis quelques jours la frontière est régulièrement survolée à des fins de surveillance par des chasseurs F5 de l’armée de l’air tunisienne et des hélicoptères Gazelle. Un dispositif militaire renforcé pour dissuader toute nouvelle incursion des milices de Khadafi en territoire tunisien.

    Celles-ci avaient effectivement franchi plusieurs fois la frontière ces dernières semaines lors d’offensives sur le poste-frontière occupé par les insurgés. Des dizaines de missiles grads s’étaient alors écrasés sur la Tunisie suscitant la colère des autorités gouvernementales. Disons plutôt dans un langage plus diplomatique : de vives protestations.

    Deux derniers check-points et l’on arrive sous la halle des douanes tunisiennes. Il y a là aussi beaucoup moins de cohue qu’il y a quelques temps. Les véhicules venant de Libye sont moins nombreux aussi. Ce qui laisse paradoxalement présager d’une situation plus stable pour les insurgés. On enregistrait ici parfois jusqu’à plus de 4000 libyens par jour venant se réfugier en Tunisie. Un afflux provoqué par une peur panique de voir le poste de Dehiba-Wazan tomber aux mains des milices et fermer la frontière pour enfermer le djebel Nefussah.

    Il faut tout de même une bonne heure avant de pouvoir s’acquitter des formalités douanières et sortir du territoire tunisien. Situation absurde et cocasse où l’on tient absolument à vous faire sortir officiellement d’un pays pour en rejoindre un autre qui n’existe plus en tant que tel. La Libye n’est plus un pays, plus une nation et surtout elle n’est plus un état. Jusqu’à preuve du contraire, c’est une insurrection. Nos passeports conserveront à jamais une sortie du territoire tunisien pour nulle part. C’est ce que chaque état considère comme un néant à conjurer, une guerre civile à éteindre.

    Arrivés dans ce «nulle part», nous trouvons un petit bureau perdu sous l’ombre d’un parasol à apéritif derrière lequel sont assis, serrés, des insurgés qui, amusés par la situation, nous demande qui  nous sommes et quelle est la raison de notre visite. Pas de tampon d’entrée, pas de formalités, pas de doute on est en territoire libéré.

    Un petit musée s’est improvisé là, rassemblant des vestiges de grads et d’autres roquettes tombées sur le poste ainsi que deux casques de tankistes ennemis. Un énorme Toyota 4×4 Santa Fe blanc arrive à vive allure soulevant un nuage de poussière dans son sillage. Il n’y a plus de plaques d’immatriculation ni à l’avant ni à l’arrière. Elles ont été remplacées par des énormes autocollants ornés du drapeau des insurgés libyens. La voiture stoppe en glissant sur les gravillons. L’homme qui en descend est notre contact de Nalout, Ali. Allure d’un gangsta américain. Carrure puissante qui ferait penser à celle d’un videur de boîte de nuit parisienne si nous n’étions pas en Libye. Béret militaire trop petit enfoncé sur son large crane rasé, petites lunettes de vue fumées, barbichette. Il porte sur ses mains énormes deux chevalières. L’une à l’effigie d’une tête de mort, sur l’autre est gravé en relief Mettalica.

    Départ pour Nalut, ville rebelle de 25000 habitants à une cinquantaine de kilomètres de la frontière. Ali est un fan de Metallica et Dire Straits et pendant que nous traversons Wazan désertée par ses habitants, nous écoutons Ali nous parler des derniers combats autour de Nalut tout en écoutant les enceintes cracher Brother in arms.

    Peu après Wazan, la route grimpe sur le haut du djebel. Nous roulons pendant quelques dizaines de kilomètres sur une route serpentant entre les collines du plateau pour faire subitement halte à proximité d’une épave de 4×4 Mazda et d’un pick-up Toyota sur lequel est montée une arme anti-aérienne dissimulée sous une bâche.

    Trois insurgés sont à bord. Ce sont des amis d’Ali. Ils nous invitent à visiter un des multiples postes d’observation que les insurgés ont installé sur le bord des falaises du djebel Nefussah.

    Le point de vue est saisissant et permet enfin de comprendre la configuration si particulière du front ouest.


    Leur poste d’observation est une ancienne maison de bergers dans laquelle six hommes vivent jour et nuit.

    Ils viennent de recevoir un télémètre neuf qui leur permet depuis d’observer plus finement et plus loin les milices de Khadafi stationnées dans le village de Ghezaya dans la plaine.

    La vue sur la plaine court sur plus de quatre-vingt kilomètres et permet de tout voir, de déceler le moindre mouvement de troupes ennemies dans un paysage semi-désertique. Les abris sont rares. L’absence de relief rend toute dissimulation impossible. Les milices de Khadafi sont là à une dizaine de kilomètres. Leurs campements et tous leurs déplacements sont même visibles à l’oeil nu.

    Les insurgés sont en contact permanent les uns avec les autres. Le conseil militaire de Nalut coordonne toutes les opérations dans la région entre la frontière et les alentours de Nalut. Des colonnes sont stationnées aux points les plus stratégiques. Notamment, comme on peut l’observer sur la photo suivante, sur les montagnes à gauche.

    Celles-ci séparent la plaine devant nous, de Wazan. Une piste mène de Ghezaya à Wazan et emprunte un corridor à travers ces montagnes. Une piste que les insurgés ont enseveli en dynamitant la montagne il y a une dizaine de jours. Ils ont finit le boulot au bulldozer afin d’en interdire définitivement l’accès aux milices. Le seul moyen pour elles de contourner cet obstacle et d’attaquer le poste-frontière est d’emprunter le territoire tunisien. Une chose devenue impossible avec le récent déploiement massif de troupes militaires tunisiennes.

    Les milices sont donc, pour le moment, bloquées sur cette plaine. Elles bombardent de rage les crêtes occupées par les insurgés pour leur rappeler aussi qu’ils n’ont pas les moyens de le faire. L’artillerie est un des gros points faibles des insurgés dans le Djebel. Ils n’ont pu récupérer jusqu’ici que quelque obsolètes mortiers russes de 81mm abandonnés par les troupes militaires libyennes il y a plusieurs semaines. Désormais les munitions sont épuisées.

    Ici comme à Misrata ou sur le front est en général, on ne peut compter que sur la débrouille pour s’équiper en « matériel lourd ». Et encore, on ne parle que de récupération chez l’ennemi ou dans le peu de stocks militaires qui ont pu être pillés. Nous en verrons d’ailleurs une bonne illustration, quelques heures plus tard, en admirant sur le pont arrière d’un pick-up une structure métallique supportant une tourelle de blindé russe BMP-1 équipé d’un canon de 73mm.

    Deux jeunes insurgés arrivent au poste un peu plus tard à pied pour prendre la relève. Kalash en bandoullière, le sac au dos avec dedans quelques vêtements de rechange et un peu de nourriture pour les prochains jours de garde au poste d’observation.

    On continue à observer l’ennemi. Les talkies-walkies crachent régulièrement des informations sur les déplacements adverses. On blague, on se vanne et tous rigolent à travers les ondes de leurs appareils. Et pourtant, quelques minutes auparavant, on nous montrait méthodiquement, presque céremonieusement tous les impacts de grads autour du poste, exhibant aussi à cette occasion les vestiges de ces missiles qui pour certains ne se sont écrasés qu’à une dizaine de mètres de leur poste.

    Ils nous font aussi le récit des atrocités commises par les milices à Ghezaya en bas devant nous sur la plaine. Un village essentiellement peuplé de familles berbères, amazigh. Des familles proches liées par le sang, par la terre à Nalut, à ces insurgés. Les femmes et les hommes ont été séparés lorsque les milices ont occupé le village. Les femmes violées et dont on ne sait ce qu’elles sont devenues, les hommes disparus et dont on se doute malheureusement de ce qu’ils ont pu devenir. Liquidés très probablement.

    C’est aussi certainement ce lien extrêmement ténu entre la vie et la mort, presque sans latitude, sans marge possible, qui donne à ces hommes tant de force. La mort rôde mais de leur rire jaillit une joie de vivre inextinguible, irréductible. Une force pure et rare.

    On entend soudainement un avion passer quelque part, très haut, mais aucun d’entre nous n’arrive à le réperer. NATO, clament les insurgés en riant encore. Pourquoi ? Parce que pour eux cela signifie un petit moment de vengeance. La peur change de camp avec caprice mais il semblerait que ces deniers temps, celle-ci ait élu domicile chez les miliciens. Le télémètre de fabrication suisse est redoutable. Son optique nous permet en effet de voir, comme s’ils n’étaient qu’à quelques dizaines de mètres, les miliciens de Khadafi fuir leurs véhicules pour s’engouffrer au plus vite dans les maisons de Ghezaya. Probablement morts de trouille. Sachant ce qu’ils ont fait là-bas, qui pourrait les plaindre ? Personne sans doute.

    On se quitte après l’obligatoire séance photo où tout le monde pose les mains faisant le V d’une victoire que l’on ne peut que souhaiter. On regarde encore une fois cette plaine immense qui mène jusqu’à la mer, jusqu’à Tripoli. La liberté est parfois au bout du fusil. La liberté se gagne aussi les armes à la main. De toutes les manières, les insurgés n’ont pas le choix, on ne choisit pas entre la liberté et la mort. S’ils veulent vivre, ils devront aller arracher cette liberté au delà de la plaine. Jusqu’à Tripoli. Un fusil à la main.


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  • Kadhafi n’osera pas.

    Depuis deux jours, les journalistes ont fui en masse, effrayés par les rumeurs de gaz de combat. En effet, des soldats de Kadhafi auraient été observés portant des masques à gaz du côté de Zlitan, petite ville à l’ouest de Misratah. Cette nouvelle, des moins sûres, n’a pas été relayée, toutefois, prudence est mère de sûreté et les rats ont quitté le navire avec précipitation. Certains m’ont même demandé de ne pas ébruiter leur fuite pour ne pas créer un mouvement de panique (pour pas que des niouls leur piquent leurs places dans le bateau). Je ne leur en veux pas, après tout, la Libye c’est pas vraiment leur affaire.

    « Kadhafi n’osera pas ! » disaient certains, c’est vrai qu’après les mortiers à sous munitions et les bombes incendiaires, il va prendre des gants. Heureusement depuis, l’essentiel de son artillerie observe le silence, sans doute le résultat des bombardements de l’OTAN.

    Les rebelles aussi observent le silence. Depuis six jours les groupes sont bloqués sur leurs positions par décision de l’OTAN, à al Giran, en particulier, personne n’est autorisé à se rendre au-delà du chantier de la nouvelle voie ferrée. Des combats sporadiques et des tirs d’artillerie ont lieu de temps en temps. Mais de plusieurs positions les kadhafistes semblent se retirer, du moins momentanément, en particulier à Taumina avant-hier et à al Giran aujourd’hui.

    Les troupes ennemies semblent vivre des heures difficiles. Leurs déplacements en groupe à l’intérieur du pays sont devenus dangereux du fait des bombes de l’OTAN, ils perdent sur tous les terrains, et leurs ressources diminuent. On dit par exemple que le litre d’essence en zone occupée se négocie à 5 dinars ce qui est deux fois plus cher qu’en France et 25 fois plus que dans la zone libre.

    En centre-ville les ateliers tournent à plein régime, bombes artisanales, grenades, bombes anti-tank, voitures blindées, lance-roquettes, on fabrique tout ce que la guerre réclame et on fabrique en masse. Des modèles typiques s’imposent désormais, et on en voit apparaitre de nouveaux pour des usages très spécifiques.

    Sur le front, guerre de position oblige, l’usage de l’artillerie se généralise, en particulier celui du mortier. On ne voit plus l’ennemi, on le devine au travers d’une paire de jumelles, dans une voiture au loin, une trainée de poussière.

    Rompant la monotonie habituelle, Kadhafi a envoyé hier soir sur le port deux hélicoptères. Les engins auraient largué des mines terrestres sur la zone de Kasser Hamed. Ils sont repartis sans encombre. Radio NATO qui suivait les événements en direct, s’est contentée de quelques commentaires du genre :  « si c’est un hélico alors vous pouvez le descendre, c’est pas à nous. ». L’OTAN a semble-t-il décidé de se concentrer sur son côté média, tendance rires et chansons.

    Les magasins sont de nouveaux pleins à l’exception de produits très spécifiques comme les fournitures pour bébé ou les cigarettes qui font tellement défaut aux combattants. Heureusement le marché noir est là pour palier à ce genre de carences.


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  • Misrata. Mes copains, ma maison sous les bombes.

    Les kadafistes sont hors de Misratah et désormais s’abat toutes les nuits, de dix heures du soir á huit heures du matin, une pluie de roquettes et d’obus sur les quartiers résidentiels de la ville. Les combats se déroulent maintenant sur un terrain plus dégagé,  à priori moins favorable aux insurgés, mais ces derniers progressent petit á petit en bons professionnels.

    Témoignage :

    « On est jeudi et demain tous les magasins seront fermés. Du coup, tout est bondé de monde, la troisième couronne de la ville (boulevard périphérique) est paralysée par les check points qui vérifient toutes les bagnoles. Il y a plein de magasins ouverts, dans tous les quartiers, bouffe, vêtements, supermarchés parfois, tout ce que tu veux. Je suis avec un pote qui a endormi une ambulance genre superclasse á l’hostipal principal, et même en poussant á fond sur les sirènes, on galère á mort dans les bouchons.

    Après ne t-y trompes pas ; ne crois pas que les bombardements ont cessé. Ça tombe encore pas mal sur la ville, même en pleine journée, mais voilà demain c’est vendredi et on restera à la maison ; alors plutôt que de se faire aplatir demain á la maison,  allons crever en faisant les courses. Bientôt, si Dieu le veut ,nous ferons taire ces putains de BM14 et plus tard peut -être on s’occupera aussi des Katiouchas, à moins que l’OTAN ne le fasse á notre place. Si il ne le fait pas, nous le ferons, c’est facile à faire, nous l’avons déjà fait.

    On était pas loin de les faire taire, ce matin, les BM14 avec les copains de la Katiba noire -rebâtissée Katiba Albouz depuis la mort il y a quelques jours de son très charismatique leader Mohamed Albouz. On entendait le typique “ssssshhhhhhrrrrrrrreeeeeeoua” que font les roquettes en sortant des tubes. Ça nous fait bien chier cette petite musique, mais c’est fini les assauts la fleur au fusil, comme des Kékés, á la “de toute façon Allah est avec nous”. Les gars sont au travail depuis 7 heures et là y a des types qui rampent dans l’herbe avec des flingues et des VHF (radio de faible portée) et qui s’approchent tout en douceur des positions ennemies. Nous, á l’arrière, on joue aux cons, on prend nos caisses á la Mad Max, blindées avec des canons de 23mm (antiaérien à balles explosives) et on part toutes les 5 minutes vider quelques chargeurs.

    L’ennemi croit qu’on se contente de cette merdouille, il réplique au sans recul (petit canon de faible portée) et au mortier, et même sans observateur, à cette distance, il met immanquablement dans le tas, ou alors c’est un coup de bol, mais on ne décarrera pas pour autant, ici il n’ y a que des vrais mecs.

    Après y a un vieux paysan, qui ressemble á rien, et qui s’amène des lignes ennemies avec un pick-up Peugeot plein de fourrage pour ces moutons. Les potes sont un peu sur le cul, ils font moins les fiers. Le vieux gars nous dit vite fait où sont ces fils de pute qu’on leur fasse la peau.

    Les gars sont sur place, ils se sont bien approchés ; chez nous, trois équipes partent reconnaitre les alentours. De retour ça discute ferme. On va y aller en douceur, et leur envoyer quelques bombes voir ce qu’ils en disent. Peut-être que cela les fera fuir ?

    De l’arrière, une caisse avec deux mortiers de 60 et tout ce qui faut a vite rappliqué. On les met en place, on règle les charges sur les bombes avec des tables de tir trouvées sur internet. Aujourd’hui on commence avec 2 charges par bombe. Un mec qui a un GPS avec compas oriente les mortiers. On consulte les cartes sur autocad pour l’inclinaison (dans d’autres groupes on utilise google maps), et on commence à balancer gentiment au compte goute. A côté dans une caisse piquée aux kadafistes et dûment repeinte en noir (couleur de la Katiba) d’autres gars écoutent, sur une cibie, le rapport des observateurs. On refait les réglages et on remet ça. Quand on sera dessus, on bombardera pour de vrai et ils vont comprendre leur douleur.

    Mais on ne restera pas, parce que le petit frère de Mohamed qui a repris avec 3 autres gars le commandement du frangin, fait dégager tout le monde. Il n’y a pas besoin d’être vingt pour servir un mortier et on fait vraiment une cible trop voyante. On va un peu plus loin préparer du thé et continuer à  blaguer et à raconter des histoires á l’abris des obus et des bombes de mortiers.

    Le soir venu, on va sur le toit avec un autre copain, et on écoute un énorme canon au loin qui balance la purée. Apparement la batterie tire quelque part au sud, ça nous passe au-dessus de la tête et ça va s’écraser plus au Nord en faisant d’énormes éclairs blancs. A chaque coup les vitres s’ébranlent et font un bruit terrible. A chaque fois qu’ils utilisent ce canon, c’est le même ménage, les familles déboulent des quartiers visés et viennent se planquer au sous-sol du media center. Avec tous les cris des gamins, impossible de dormir. En fait les femmes vivent ça 24H sur 24, mais nous une nuit, on en a déjà soupé. Alors avec Ibrahim qui est maintenant au lycée, on reste un peu au frais, et on en profite pour faire des maths. Tu comptes les écarts entre les sons et la lumière, t’as la vitesse du son, voilà c’est pas compliqué, un rapide calcul et le résultat apparait: les obus sont tirés de plus de 5km en face et tombent à plus de 3 km en arrière. Il en tombe un toutes les minutes et dix secondes approximativement, et ça va continuer comme ça jusqu’á bien 7 ou 8 heures du matin, pour peut-être reprendre vers les 10-11 heures.

    Là on a du mal à se réveiller , mais c’est pas grave tout le monde attend le feu vert de l’OTAN pour continuer. On progressait partout, mais si l’OTAN te dit: « va pas plus loin, je bombarde » ; tu bouges pas ! Y a un type á l’hosto qui en parlerait mieux que moi. Sur le front on s’ennuie ferme. Les groupes de combat sont innombrables. Ceux qui combattent depuis le début lâchent pas l’affaire tandis que des nouveaux venus entrent dans la danse. Rien qu’á Al Giran , ils combattent de concert les Katibas : Anhabaka (nom de lieux), Shahid (martyr), Swerli 1 et 2 (en hommage á Ramadan Swerli héros de Misratah), Zamoura (famille de combattants), Aljourf et Magaspa. La moitié des groupes de combat de la ville sont présent sur ce théâtre d’opération et ils ont les nerfs, parce que tout á l’heure, un tank a tiré et a tué trois ados qui gardaient des moutons. Beaucoup les connaissaient personnellement, tous se sont passés le mot.

    Cette attente sera funeste aux gars parce que l’OTAN n’a pas vraiment bougé, mais l’ennemi a repris l’offensive. Sauf dans la katiba Albouz où tout arrêt des hostilités est irrecevable. L’OTAN fera quand même taire le canon et pas mal de katiouchas sauf ceux qui arrosent le port et qui tueront encore des réfugiés africains et quelques civils libyens.

    Les combats ont repris, et á Buroweia, près de Al Giran un vieux exhibe fièrement un Dragonov (fusil de tireur d’élite russe) pris á l’ennemi la nuit précédente dans une opération spéciale. Ils sont partis en petit groupe vers 3 heures du mat, sans faire de bruit. Ils ont tué deux ennemis, ont fait un prisonnier, un nigérien surpris dans son sommeil, et ont mis la main sur pas mal de matos, 2 caisses, 5 FN (fusil d’assaut de fabrication belge), 2 Dragonov et pleins de munitions pour les alimenter. Quand je raconte ça à mon pote de la katiba Albouz, il est jaloux, « moi aussi j’aimerais bien avoir un fusil comme ça. Il faut que je m’en trouve un. »

    Le vieux il n’en a pas l’air mais c’est un vrai dur. Lui n’a pas peur de la vengeance des kadafistes .

    « Prends ma photo, montre là á tout le monde. Je m’appelle Omar al Wakchi et personne ne me tuera. »


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  • L’attaque aérienne de l’OTAN contre la Libye a tué à Misrata des combattants « rebelles »

    Par Patrick O’Connor ici
    3 mai 2011

    Une frappe aérienne de l’OTAN aurait tué mercredi soir 12 combattants anti Kadhafi et sévèrement blessés trois autres dans la ville portuaire contestée de Misrata. L’incident impliquant des « tirs de leur propre camp » – le deuxième du genre depuis le 19 mars, début de la campagne de bombardement – souligne une fois de plus le caractère fallacieux des différents communiqués publiés par Washington et Bruxelles affirmant que leurs raids aériens de « précision » visent à protéger le peuple libyen.

    En réalité, les puissances impérialistes alliées sont engagées dans une campagne de « changement de régime » de plus en plus irresponsable et impliquant à présent des tentatives d’assassinat contre Kadhafi et un bombardement ciblé de l’infrastructure publique qui entraînera inévitablement davantage de victimes civiles.

    L’OTAN a publié un communiqué qui n’a ni confirmé ni infirmé l’incident mais qui a cyniquement fait état d’un « profond regret pour toute perte de vie humaine. » En citant des médecins locaux de Misrata et un des survivants, le journal The Guardian a rapporté que le bombardement avait eu lieu aux environs de 17 heures près du port de Misrata. Une unité formée de 15 membres « rebelles » s’était rassemblée près d’une usine de sel dans trois « wagons de combat improvisés » sur chacun desquels était peinte, conformément aux instructions de l’OTAN, une marque d’identification spéciale. Malgré ceci, c’est après que les hommes eurent fini de prendre le thé en compagnie d’une équipe d’ambulanciers qu’une bombe de l’OTAN les a frappés.

    Douze hommes, âgés de 20 à 40 ans, ont été immédiatement tués.

    D’autres ont été transportés à l’hôpital.

    L’un des hommes, Ahmed Swesi âgé de 20 ans, a perdu quatre doigts et a eu un bras et une jambe fracassés. Il a aussi été touché par des éclats d’obus à l’estomac et au visage.

    Le « conseil de transition » de Misrata, qui est allié à la direction de l’opposition basée à Benghazi, a tenté de dissimuler l’incident. Les tireurs anti-Kadhafi n'ont pas laissé les journalistes s’approcher du site du bombardement. Cette réaction soulève la question de savoir s’il y a eu d’autres frappes aériennes impliquant des victimes civiles et que les soi-disant rebelles ont étouffées pour éviter d’embarrasser leurs partenaires de l’OTAN.

    Khalifa al-Zwawi – un juge qui préside le soi-disant conseil de transition à Misrata – a dit que c'était la fautes des victimes. Il a insisté en disant que les coordonnées de l’emplacement où les combattants auraient dû se trouver avaient été fournies à l’OTAN et que les hommes avaient dû « s'éloigner des limites qu’on leur avait données. » Ces remarques soulignent le mépris que la direction des « rebelles » témoigne à l’égard de ses propres partisans.

    Le Conseil national de transition (CNT) à Benghazi est composé de ministres du régime de Kadhafi qui ont récemment fait défection, de forces islamistes, dont des terroristes liés à Al Qaïda, et nombre d’agents de longue date de la CIA. Il fonctionne comme une force par procuration oeuvrant pour les Etats-Unis et les puissances impérialistes européennes qui cherchent à renverser Kadhafi afin de mettre en place un gouvernement fantoche dans le but de promouvoir leurs intérêts géopolitiques et commerciaux.

    Gene Cretz, l’ambassadeur américain en Libye, a dit mercredi que l’équipe diplomatique américaine envoyée à Benghazi avait conclu que le CNT était « un groupe sérieux » et « un organe politique qui mérite notre soutien. » Cretz n’a pas tenté d’expliquer les critères en fonction desquels cette évaluation avait été faite. Il a toutefois fait peu d’effort pour dissimuler le rôle joué par les dirigeants du CNT en tant que laquais pro américains, disant qu’ils « continuent de dire des choses justes » et qu’ils « s’adressent à la communauté internationale de manière très sophistiquée. »

    L’ambassadeur a aussi expliqué que le gouvernement Obama se demandait encore s'il allait accorder ou non la reconnaissance diplomatique au CNT comme l’ont fait la France et l’Italie mais a souligné que le fait de ne pas l’avoir déjà fait « ne nous a pas empêché de faire tout notre possible pour soutenir le CNT. »

    L’OTAN se prépare à dépêcher une « personne diplomatique à contacter » auprès du gouvernement autoproclamé de Benghazi. Un porte-parole de l’OTAN a dit que la décision « améliorerait et mettrait en valeur les contacts politiques » à travers « des échanges politiques informels » avec le CNT. En réalité, la décision fait suite au déploiement à Benghazi de « conseillers » militaires britanniques et français et souligne le statut de mandataire de la direction « rebelle ».

    La France et la Grande-Bretagne poursuivent leurs préparatifs pour le déploiement de forces au sol. Le ministre britannique de la Défense, Liam Fox, a dit mercredi que des troupes pourraient être déployées à la frontière entre le Tunisie et la Libye sous le prétexte de protéger des civils en fuite. L’on évalue à 30.000 le nombre de personnes qui ont franchi la frontière pour échapper aux combats. Fox a dit, en s’adressant à un comité restreint parlementaire de la défense, que des forces britanniques pourraient être nécessaires pour mettre en place des « zones de sécurité » pour protéger des réfugiés contre des attaques des forces de Kadhafi. 

    Il n’y a aucun élément de preuve que ces forces sont en fait en train d’attaquer des civils. Il y a eu des affrontements continus entre des combattants pro et anti-Kadhafi à la frontière occidentale de la Libye. Des combattants « rebelles » ont été chassés hier d'un avant-poste clé à la frontière près de la ville libyenne de Wazen. Le Wall Street Journal a décrit la perte du carrefour comme « coupant la seule voie d’accès pavée des rebelles au monde extérieur. » Le gouvernement britannique est sans aucun doute préoccupé par les implications militaires de cet avantage du régime Kadhafi – toute force terrestre étrangère déployée dans cette zone serait sans aucun doute instruite de mener le combat pour reconquérir le terrain perdu.

    Dans son témoignage devant le comité parlementaire, Liam Fox a souligné que la guerre continuerait indéfiniment. Il a admis que le bombardement pourrait se poursuivre pendant des mois. « Il est essentiel que la communauté internationale donne un signal clair au régime libyen que notre détermination n’est pas limitée dans le temps, » a-t-il déclaré en ajoutant que « nous ne serons pas limités par des livres sterling, des shillings et des pence. »

    Les puissances américaine et européennes sont engagées dans des efforts de plus en plus désespérés pour maintenir le prétexte « humanitaire » de leur attaque contre la Libye.

    Hier, au cours d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU à New York, l’envoyée de l’ONU, Susan Rice, aurait accusé le régime Kadhafi de fournir du Viagra à ses forces dans le cadre d’une campagne systématique de violence sexuelle. Aucune preuve de nature à conforter ces allégations n’a été apportée. Un porte-parole de Human Rights Watch [organisation de défense des droits de l’Homme] – qui s’est vantée de soutenir la campagne de bombardement de l’OTAN – a reconnu avoir enquêté sur les accusations et n’avoir trouvé que « quelques actes crédibles de violence sexuelle ou de viol mais qu'il n'existe pas à ce stade de preuve suggérant qu’ils sont de nature systématique ou qu’ils font partie d’une politique officielle. »

    (Article original paru le 29 avril 2011)


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  • Ulysse, épuisé par la guerre de Troie, mais assoiffé du désir de retrouver sa douce Pénélope, embarque et entame dans la précipitation un long et périlleux périple. Sa dulcinée lui est apparue en rêve...majestueuse...son corps élancée, couleur d'ébène, était paré d'or...des diamants atournaient de manière exquise ses cheveux et son cou...ses pieds baignait dans un parfum enivrant aux senteurs étranges...

    On est en l'an onze du vingt et unième siècle. « l'aube de l'odyssée » s'annonce tumultueuse. Déjouant le courroux de Poséidon, notre héros loue les services d'Harmattan*, un vent violent et poussiéreux venant des pays des francs. Un souffle dévastateur pousse le nef vers le sud...vers les rivages de la terre natale...Ulysse n'a qu'une idée en tête :  pourfendre tous ces prétendants frustes qui s'agglutinent autour de sa Pénélope adorée.

    L'histoire est un éternel recommencement...ou du moins c'est ce que prétendent tous ces bonimenteurs qui de tout temps ne font qu'enrober le destin cruel des uns et les desseins malsains des autres dans de belles histoires d'amour et d'héroïsme...

    C'est ainsi que l'oncle Sam, travesti en africain, endossant l'accoutrement du fabuleux Ulysse se dirige non vers Ithaque mais vers la Libye. Il faut dire que la noire Afrique, parée de tous ses atours lui a tourné la tête. C'est en Tripolitaine que réside le prétendant le plus coriace, un certain Kadhafi, un indigène rustre et à moitié fou parait-il. Ce dernier, excommunié par ses cousins de la Mecque, jette son dévolu sur la reine noire qu'il comble de présents. Séduite, elle est sur le point de lui céder  son cœur et  le sceptre de son royaume...

    C'est là que s'interrompt cette belle histoire d'amour faute de fabulistes ...
                                                                                
                                                                                                       
    « Odyssey Dawn »...admirons l'expressivité de ce nom de code soigneusement choisi par Obama et le Pentagone pour désigner la guerre que mènent les États Unis et leurs alliés contre la Libye. Toutefois, la polysémie qu'induit cette expression laisse perplexe. Serait-ce tout simplement un fantasme du président étasunien s'identifiant à Ulysse partant à la reconquête de sa terre natale...l'Afrique? Ou alors cela signifie-t-il une virevolte dans la vision que l'empire se fait du monde?


    On est loin des propos  tenus par Donald Rumsfeld, insultant «la vieille Europe». Le «Nouveau Monde», en intégrant l'antiquité, tient peut-être à souligner son enracinement au sein d'un Occident héritier d'une même histoire et nourri par les mêmes mythes. Plonger dans la mythologie païenne de la Grèce antique permet par ailleurs de dépasser le clivage Islam/Chrétienté si cher à Bush et aux évangélistes sionistes. La démonisation de l'islam servant d'alibi à une stratégie de la recolonisation et de la «démocratisation» forcée du monde arabe a été abandonnée parce que trop coûteuse

    Il ne s'agit plus aujourd'hui d'imposer au reste du monde  l’American Way of Life. La nouvelle stratégie tend à effacer ce qui reste de la bipolarité Est/Ouest et à élargir le club des nantis en tendant la main à des pays comme la Russie par exemple. Les pays développés oublieront leurs anciennes rivalités et formeront un seul front pour lutter contre le terrorisme, la piraterie et les mouvements migratoires; ils s'organiseront pour garantir leur approvisionnement en énergie en assurant ensemble la surveillance des voies maritimes. Le Tiers-monde, sera laissé à lui même ( du moins en apparence) tant qu'il fournira à bon marché toutes sortes de matières premières. Des interventions militaires ponctuelles seront nécessaires à chaque fois qu'une source d'énergie est menacée par les autochtones ou que des velleités d'organisation d'un ensemble de pays sous-développés remettent en cause l'hégémonie impérialiste.

    Cette nouvelle stratégie qui ne s'intéresse qu'à la sécurisation et à l'approvisionnement des pays du centre, s'interdit d'intervenir dans des pays de la périphérie pour  modifier de l'intérieur leur mode de vie ou leur organisation politique. Dans ce contexte, L'évocation de l'Odyssée avec tout ce que cela implique comme présupposés idéologiques nous renvoie au mythe de la modernité héritière directe de la civilisation grecque. Obama semble tout comme les chantres de la modernité triomphante du 19ème siècle vouloir légitimer la domination de son pays en s'appropriant l'héritage hellène et en se présentant comme le légitime défenseur de  «La civilisation» face à «la barbarie». Cependant, il ne s'agit plus comme au bon vieux temps d'aller civiliser tous ces sauvages  mais de les contenir chez eux, de les affaiblir en les divisant et de les délester de ce qu'ils possèdent.

    Depuis la disparition du Pacte de Varsovie, l'OTAN n'arrête pas de se redéfinir. Cette organisation tend aujourd'hui à intégrer des puissances autres qu'occidentales. Son rôle consistera alors à intervenir contre toute sorte de menaces "terroristes" visant l'un ou l'ensemble des alliés. Théoriquement sa mission se limite à accomplir des opérations de défense mutuelle, mais après le sommet de l'alliance de 1999, on a  étendu son champ d’action  en y ajoutant les « missions humanitaires », concept assez flou et  flexible rendant possible des actions offensives. Washington entend cependant exercer un leadership sur les autres puissances dans la conduite des opérations.

    A la différence de la Tunisie et de l'Egypte, ce qui se passe en Libye actuellement ressemble plus à une guerre civile qu'à un soulèvement populaire contre un dictateur. Nous assistons en réalité à la résurgence d'un vieil antagonisme opposant la Cyrénaïque à la Tripolitaine et au Fezzan. C'est sur cette rivalité régionale et tribale que sont venues se greffer les manifestations de Benghazi. Elles ont vite dégénéré en conflit armé. Mais bien que touchant plusieurs villes, à aucun moment l’insurrection ne s’est étendue à l’ensemble du pays.

    Les rebelles restent minoritaires et ne disposent que de vingt pour cent du territoire national alors que la majorité des grandes tribus du pays restent fidèles au régime en place. Si une solution négociée n'est pas trouvée sous peu, il semble qu'on s’achemine vers une guerre fratricide et sanglante, appelée à durer. Les grands médias occidentaux ainsi que certains médias du Golfe caricaturent à outrance ce conflit en diabolisant le chef d'état libyen et son armée et en dépeignant les insurgés comme s'ils étaient des héros épiques. Les évènements qui ont lieu en Libye sont le début d'une sale guerre faite de sang et de souffrances et non les épisodes d'une série télévisée opposant David à Goliath.

    En vérité, des manifestations populaires  qui dégénèrent comme par magie en insurrection armée ne peuvent que laisser planer le doute quant à leur spontanéité. En effet et contrairement à ce que prétend la propagande occidentale et ce que suggère le romantisme révolutionnaire d’opérette de Bernard Henry Lévy**, la révolte de la Cyrénaïque n’a rien de spontanée. Le soulèvement populaire de Benghazi a vite été récupéré par le Conseil national de transition composé essentiellement de ministres dissidents . On sait maintenant que la Dgse, le MI6 et la CIA ne sont pas étrangers à ce coup d'état qui s'est transformé en guerre civile. Depuis octobre 2010 , les Français se sont appuyés sur les renseignements et les contacts de Massoud El-Mesmari, ancien chef du protocole et confident de Kadhafi pour mettre au point un plan permettant la déstabilisation de la Libye.

    Il ne s'agit pas ici de défendre le guide de la Jamahiria. La mégalomanie de Kadhafi, les abus commis par ses fils et la répression des opposants sont des faits avérés. Toutefois,  pour de multiples raisons... tribales, régionales et politiques, le leader libyen continue à être perçu en tant que chef spirituel par une grande partie des libyens . Sans l'intervention des services de renseignement occidentaux un tel conflit aurait pu être évité. Sarkozy ayant commis la bourde de soutenir Ben Ali face à un vrai soulèvement populaire, le voila qu'il en commet une deuxième en dressant une partie de la population libyenne contre une autre.

    Mais est-ce vraiment une bourde ou un coup monté qui vise à déstabiliser le pays? L'occident qui en réalité poursuit d'autres desseins, prend parti en faveur des insurgés sous couvert d' intervention humanitaire. La vérité est que les  bombardements de l'OTAN, au lieu de protéger la population civile ne font qu'augmenter le nombre de morts et de blessés alors que la guerre civile continue à battre son plein. Les seuls avantages apportés par cette intervention atlantiste sont la destruction systématique de l'infrastructure et la contamination des terres par de l'uranium appauvri.

    Ce qui intrigue dans cette affaire c'est l'attitude pleine d'ambiguïté du Conseil national de transition libyen. A-t-on idée d'accepter ou de choisir comme intercesseur auprès de Sarkozy, un sioniste notoire de l'envergure de Bernard Henry Lévy?! Faut-il être aveugle pour appeler à son secours la coalition atlantiste alors que l'exemple de l'Irak et de l'Afghanistant  crève  les yeux?! Le dernier des imbéciles se garderait d'appeler à l'aide un pyromane pour éteindre un début d'incendie!  L'armada qui se déploie face aux cotes libyennes n'est certainement pas là pour les beaux yeux des civils libyens, loin s'en faut.

    Si l'Occident s'évertue à présenter Kadhafi sous l'aspect d'une caricature grotesque c'est pour le rabaisser et camoufler ainsi le rôle central que joue le leader libyen et les efforts qu'il déploie  dans le cadre de l'Union Africaine et dans le rapprochement Sud-Sud avec la tenue du sommet Amérique du Sud / Afrique (ASA) qui a réuni 61 pays des deux continents. La guerre déclenchée contre la Libye n'est que le début d'une croisade atlantiste contre toute velléité d'organisation et de coopération Sud-Sud. Il s'agit pour les puissances impérialistes d'éradiquer au plus vite un mal qui risque de se propager. Ce sont là les vraies raisons de l'agression atlantiste contre la Jamahiria.

    Le gel  des fonds libyens qu'on peut sans exagération assimiler à un vol à main armée aura un impact particulièrement désastreux en Afrique. En effet, la Libyan Arab African Investment Company a effectué des investissements dans plus de 25 pays, dont 22 en Afrique sub-saharienne, en programmant de les augmenter dans les cinq prochaines années, surtout dans les secteurs minier, manufacturier, touristique et dans celui des télécommunications.

    Les investissements libyens ont été décisifs dans la réalisation du premier satellite de télécommunications de la Rascom (Regional African Satellite Communications Organization) qui, mis en orbite en août 2010, permet aux pays africains de commencer à se rendre indépendants des réseaux satellitaires étasuniens et européens, en réalisant ainsi une économie annuelle de centaines de millions de dollars. Mais ce qui affole encore plus l'empire ce sont les investissements libyens dans la réalisation des trois organismes financiers lancés par l’Union africaine : la Banque africaine d’investissement, dont le siège est à Tripoli ; le Fond monétaire africain, basé à Yaoundé (Cameroun) ; la Banque centrale africaine, installée à Abuja (Nigeria).

    Le développement de ces organismes devait permettre aux pays africains d’échapper au contrôle de la Banque mondiale et du Fond monétaire international, tous deux instruments de domination néo-coloniale.
    Lors du deuxième Sommet ASA, Hugo Chavez rappellera la nécessité de construire un monde multipolaire alors que Le dirigeant libyen critiquera fortement le Conseil de Sécurité de l’ONU et  ira même jusqu'à proposer la création d’un OTAN des pays du Sud.

    Cette arrogance qui va au-delà des mots a fini par être prise au sérieux. Si les pays du sud continuent sur cette voie, cela risque de mettre à mal la nouvelle stratégie de l'empire. Les puissances occidentales, très affaiblies par des années de guerres, n’ont plus la force d’imposer un nouvel ordre régional en recourant à l'occupation territoriale. Elles préfèrent  instaurer le chaos à distance et procéder à la somalisation du monde arabe et de certains pays africains. On est loin du chaos créateur de Condoleezza Rice, il s'agit aujourd'hui du chaos tout court, du chaos pour le chaos.

    On commence par démanteler les nations susceptibles d'entraver la gestion néo-libérale de la planète en dressant les uns contre les autres,  des islamistes et des libéraux, des tribus, des régions...Il suffit ensuite de les maintenir dans un état de guerre larvaire qui perdure. C'est cet état de décomposition qui permettra aux multinationales de faire main basse sur des richesses libres d'accès.
    Après le démantèlement de la Libye qui ne manquera pas de déstabiliser la Tunisie et l'Egypte, il semble que c'est au tour des civils syriens de bénéficier de la sollicitude de l'OTAN. Un vrai coup de maître qui du coup coupera l'herbe sous les pieds de Hezbollah et isolera l'Iran...en attendant mieux.

    Pendant cette longue épopée qui peut concerner tout aussi bien des pays africains comme le Nigéria par exemple, les États Unis auront le beau rôle car leur participation se limitera exclusivement à des interventions aériennes. Quant aux interventions au sol, elles seront sous-traitées par des pays comme la France, le Royaume Uni ou l'Arabie Saoudite. Malheureusement, les pays d'Europe occidentale ne semblent pas se rendre compte de leur proximité. L’effet dévastateur de cette stratégie suicidaire  risque de les entraîner dans un tourbillon de violence aux conséquences inattendues.

    Ceux qui ont vu Hillary Clinton  déambuler place Attahrir, mêlée aux jeune egyptiens, le sourire aux lèvres, ne peuvent qu'admirer l'art de la funambule qui parvient à se maintenir en équilibre bien que balayée par des vents contraires. Mais les mots du sage Zbigniew Brzeziński l'ont vite remise d'aplomb. Confiante, elle sourit de plus belle, buvant les paroles du maître :

    «Il ne fait absolument aucun doute à mes yeux qu’un Moyen-Orient plus démocratique sera moins favorable à la politique à laquelle nous sommes restés fidèles»

    Cette Odyssée truquée qui n'est qu'à son aube sonnera peut-être le crépuscule de l'humanité. Athéna, lassée, nous a sans doute abandonnés...

    Fethi GHARBI


    *Harmattan : nom de code de l'opération militaire française dirigée contre la Libye.
    L'harmattan est un vent (alizé) chaud, sec et poussiéreux d'Afrique de l'Ouest qui souffle vers le sud en provenance du Sahara dans le golfe de Guinée en hiver, entre la fin novembre et le milieu du mois de mars. Chargé de poussières et de sables, il peut obscurcir l'atmosphère durant plusieurs jours et favoriser les épidémies de méningite dans les pays sahéliens...(wikipedia)

    **« Le sang des insurgés de Benghazi coulera sur le drapeaux français, car c’est lui, le drapeau tricolore, qui est suspendu à la façade du bâtiment qui abrite le Conseil National de Transition, sur la Corniche de Bengahzi. » dixit BHL.
    Pauvre BHL, il doit s'imaginer dans la peau de Paul Bremer, entrant chaque matin dans sa résidence générale à Tripoli au son de la Marseillaise.



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    Les bombardements des Etats-Unis et de l’OTAN en Libye font de plus en plus de morts (WSWS)

    Barry GREY
    Le nombre de morts résultant des frappes aériennes étasuniennes, françaises et anglaises continue d’augmenter et promet de s’accroître notablement car les puissances impérialistes ont décidé d’intensifier leurs attaques sur des cibles militaires comme civiles.

    Le lendemain du jour où les Etats-Unis ont déployé des drones Predator armés de missiles Hellfire et où l’OTAN a averti les civils de "s’éloigner des troupes et des installations de l’armée de Kadhafi", la télévision d’état libyenne rapportait que neuf personnes avaient été tuées pendant la nuit lors d’une attaque aérienne de l’OTAN sur Sirte, la ville natale du leader libyen Muammar Kadhafi. Le communiqué de al-Jamahiriya disait qu’une partie des personnes tuées travaillaient au service des eaux de l’état.

    Ce communiqué succédait à un autre qui jeudi faisait état de sept civils tués et 18 blessés dans un raid aérien sur le faubourg de Khellat al-Ferjan au sud-ouest de Tripoli mercredi soir, et à un autre encore qui annonçait la mort de quatre civils dans le bombardement des avions de l’OTAN sur la ville de Bir al-Ghanam, à environ 30 miles au sud-ouest de la capitale libyenne.

    Le déploiement des drones américains armés de missiles fait suite à l’annonce de la France, l’Angleterre et l’Italie selon laquelle ces trois anciennes puissances coloniales d’Afrique du Nord allaient envoyer des "conseillers" militaires pour aider les soi-disant forces rebelles basées à Benghazi et dirigées par le Conseil National de Transition. Il fait suite aussi à la lettre ouverte du président américain Obama, du premier ministre Cameron et du président français Sarkozy déclarant que la guerre en Libye continuerait jusqu’à ce que Kadhafi quitte le pouvoir.

    Le Secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, a annoncé qu’Obama avait autorisé l’utilisation des drones meurtriers jeudi, et affirmé que leur capacité à frapper des cibles avec "précision" permettrait aux forces des Etats-Unis et de l’OTAN de détruire l’armée et l’artillerie de Kadhafi situées dans des secteurs urbains très peuplés comme la ville orientale de Misrata, terrain d’une lutte sans merci, sans que les civils ne souffrent trop.

    Sans le moindre débat public ni même un débat formel au Congrès, l’escalade a été déclenchée le jour même. Les Predator ont été envoyés mais le mauvais temps a empêché les drones de tirer leurs missiles. Le Wall street Journal a annoncé vendredi qu’il y aurait en permanence deux drones équipés de missiles Hellfire dans le ciel libyen.

    Washington ne fait même pas semblant de s’intéresser à ce que les citoyens pensent de tout cela. Le New York Times a publié vendredi les résultats d’un sondage réalisé par le New York Times et CBS News qui montre que 45% des gens désapprouvent la manière dont Obama gère l’intervention militaire et 39% l’approuvent. Un autre sondage de CBS réalisé en mars indiquait 50% de soutien et 29% d’opposition.

    Le carnage dont sont responsables les drones américains en Afghanistan, Pakistan, Irak et Yémen a été accentué vendredi par une nouvelle attaque dans le Waziristan, une région du nord du Pakistan en bordure de l’Afghanistan, qui a fait 25 morts dont au moins sept femmes et enfants. Le gouvernement pakistanais a recensé des centaines de morts - en majorité des civils- causées par les attaques de drones sur les régions limitrophes au cours des dernières années.

    L’escalade de mort et de destruction que les Etats-Unis et ses alliés infligent à la Libye fait voler en éclat les mensonges utilisés pour justifier le lancement de la guerre il y a cinq semaines. Une intervention qui fut présentée -et autorisée- par le Conseil de Sécurité de l’ONU comme une action humanitaire de courte durée pour établir une zone d’exclusion aérienne et protéger les civils, se révèle être en fait une guerre coloniale cynique dont le but est de renverser le gouvernement en place pour le remplacer par des agents et des collaborateurs au service des Américains et des Européens.

    En dépit des dénégations de Washington, Londres et Paris, les préparatifs pour l’envoie de troupes au sol sont bien avancés. Une des raisons qui explique que cela ne soit pas encore fait est l’existence de sérieuses dissensions entre les puissances en guerre qui résultent de la lutte intestine qui se mène sur le partage du butin dans la Libye d’après Kadhafi. Le pays est une exportateur majeur de pétrole et possède les plus larges réserves de pétrole de toute l’Afrique.

    La France, qui a été le pouvoir le plus agressivement en faveur de la guerre et qui est le seul des principaux acteurs à avoir à ce jour reconnu le Conseil National de Transition, a essayé depuis le début de prendre la tête de la campagne militaire. Mais les Etats-Unis et la Grande Bretagne ont utilisé l’OTAN pour l’en empêcher.

    Vendredi, le ministre français des affaires étrangères a déclaré que l’Union Européenne avait toujours l’intention d’envoyer des forces au sol pour -officiellement- apporter de l’aide humanitaire à Misrata. Elle attend l’aval de l’ONU selon un porte parole français.

    Cependant selon le Financial Times de vendredi "un officiel du ministère anglais de la défense affirmait au contraire qu’il était impossible que l’Union Européenne envoie des forces au sol en Libye pour mette en place un corridor humanitaire vers Misrata."

    La logique des événements ainsi que les tensions internes pousse les pouvoirs en guerre à intensifier la violence militaire et à envoyer finalement des troupes au sol. Cinq semaines de bombardements intensifs ont affaibli les troupes de Kadhafi mais n’ont pas réussi à renverser le régime en grande partie à cause du manque de soutien populaire aux soi-disant rebelles et à leur incompétence militaire.

    Dans une allocution aux troupes stationnées à Bagdad, l’amiral Mike Mullen, le président des états-majors conjoints, a dit que les frappes américaines et européennes avaient privé Kadhafi "de 30 à 40% de ses forces au sol" ce qui impliquerait l’élimination de milliers de soldats. Cependant il a reconnu que "la coalition" avait fait peu de progrès et a ajouté qu’ "elle se dirigeait vers une impasse."

    Des officiels américains des réseaux de politique intérieure et étrangère de plus en plus mécontents de la politique de l’administration d’Obama veulent une accélération décisive des opérations militaires. John McCain, le Républicain le plus influent du Comité du Service des Armes du Sénat, s’est rendu à Benghazi vendredi pour faire pression en faveur d’une action militaire plus agressive.

    McCain a appelé la collection d’anciens officiels de Kadhafi, qui furent longtemps les cartes maîtresses de la CIA et des services secrets européens et qui sont aujourd’hui à la tête du Conseil National de Transition, ses "héros", il a appelé à l’intensification des bombardements des forces pro-Kadhafi et il a pressé Washington de reconnaître le Conseil National de Transition comme le seul gouvernement légitime de Libye.

    A une conférence de presse à Benghazi, McCain a dit que la nation devait fournir au Conseil "toute l’assistance nécessaire" y compris "de l’aide pour le contrôle et le commandement, des renseignements sur le champ de bataille, de l’entraînement et des armes." Il a aussi pressé l’administration Obama de donner aux soi-disant rebelles une partie des milliards de dollars des avoirs libyens saisis.

    Vendredi le Wall Street Journal, sous le titre "La coalition de l’ambivalence" se faisait l’écho de la position de McCain en dénonçant ce qu’il appelait "la tiédeur de la campagne de bombardements destinée à arrêter les forces de Muammar Kadhafi au nom de la protection des civils." Le journal recommandait à Washington et à l’OTAN de renoncer à faire semblant de mener une guerre limitée et "humanitaire" et d’intensifier la violence pour éliminer rapidement le régime de Kadhafi.

    Anthony Cordesman du think tank très influent de Washington, le Centre d’Etudes Stratégiques et Internationales, a révélé, avec la brutalité d’une personne assoiffée de sang, les motivations véritables qui se cachent derrière les belles paroles humanitaires. Voilà ce qu’il écrit le 20 avril :

    "Le vrai problème est que la farce est encore utilisée à la place de la force... Il n’y a aucun besoin de nouvelles résolutions de l’ONU, la France, l’Angleterre, les Etats-Unis et les autres membres de la coalition qui veulent vraiment aider le peuple libyen n’ont qu’à utiliser le caractère vague de la résolution actuelle pour atteindre le but recherché.

    "La France, l’Angleterre, les Etats-Unis et les autres membres de la coalition doivent modifier leur tactique pour que les bombardements atteignent et détruisent l’armée et les forces de sécurité de Kadhafi dans leurs bases et dans leurs mouvements sur le terrain -avant qu’elles n’atteignent les forces rebelles. Il faut prendre pour cibles Kadhafi, les nombreux membres de sa famille et ses principaux alliés qui se sont tous rendus coupables d’attaques contre des civils libyens même s’ils se trouvent au milieu des civils. Il faut les obliger à choisir entre l’exil et la mort et les bombardements doivent être assez violents pour qu’ils comprennent qu’ils doivent se décider rapidement.

    "Ce genre d’opération ne peut pas être "chirurgicale" -si "chirurgical" signifie qu’il faut éviter de faire couler le sang que le patient meure ou pas. Il faut parfois faire des choix difficiles et même cruels...."

    Mais étant donné la nature même de telles entreprises impérialistes, il faudra inévitablement faire d’autres "choix cruels" pour réprimer dans le sang la résistance populaire à la domination néocoloniale.

    Barry Grey

    Pour consulter l’original : http://www.wsws.org/articles/2011/a...

    Traduction : D. Muselet

    URL de cet article 13494
    http://www.legrandsoir.info/Les-bombardements-des-Etats-Unis-et-de-l-OTAN-en-Libye-font-de-plus-en-plus-de-morts-WSWS.html

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  • La grande diversion libyenne

    par Immanuel Wallerstein *

     

    Le conflit qui se déroule depuis un mois en Libye (guerre civile et action militaire conduite par les Etats-Unis contre Kadhafi) ne relève en rien ni d’une intervention humanitaire ni de l’approvisionnement immédiat de la planète en pétrole. Il s’agit d’une énorme diversion, d’une diversion délibérée par rapport à la lutte politique majeure en cours dans le monde arabe. Il existe en effet une chose sur laquelle Kadhafi et les dirigeants occidentaux de tous bords sont en accord total : ils veulent tous ralentir, canaliser, coopter et limiter la deuxième révolte arabe et l’empêcher de changer les réalités politiques fondamentales du monde arabe et son rôle dans la géopolitique du système-monde.

    Pour bien prendre la mesure de ceci, il faut retracer ce qui s’est passé dans la séquence chronologique. Même si la grogne politique dans les différents pays arabes est une constante depuis longtemps, comme le sont les tentatives de différentes forces extérieures pour soutenir tel ou tel élément au sein de tel ou tel Etat, le suicide de Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010 a ouvert un processus très différent.

    De mon point de vue, c’est la continuation de l’esprit de la révolution mondiale de 1968. Au cours des derniers mois dans le monde arabe, comme en 1968, c’est la jeunesse qui a eu le courage et la volonté de déclencher la protestation contre les autorités instituées. Leurs motivations ont été multiples : l’arbitraire, la cruauté et la corruption des personnes au pouvoir, l’aggravation de leur propre situation économique, et par-dessus tout, leur insistance sur leur droit moral et politique à jouer un rôle majeur dans la définition de leur destin politique et culturel. Ils ont également protesté contre la structure même du système-monde et contre les voies par lesquelles leurs dirigeants ont été soumis aux pressions de forces extérieures.

    Ces jeunes gens n’étaient pas organisés, du moins pas au départ. Et ils n’étaient pas toujours totalement au courant du monde politique. Mais ils ont fait preuve de courage. Et, comme en 1968, leur action fut contagieuse. Très vite, dans quasiment tous les pays arabes, et indépendamment de la politique étrangère de chacun des pays, ils ont menacé l’ordre établi. Quand ils montrèrent leur force en Egypte, qui demeure le pays clé du monde arabe, tout le monde commença à les prendre au sérieux. Il existe deux manières de prendre une révolte comme celle-ci au sérieux : soit s’y rallier pour tenter de la contrôler ; soit prendre des mesures énergiques pour l’étouffer. Ces deux options ont été tentées.

    Trois groupes s’y sont ralliés, comme la bien souligné Samir Amin dans son analyse de la situation égyptienne : la gauche traditionnelle revivifiée, la classe moyenne instruite et les islamistes. La force et les caractéristiques de ces groupes ont varié selon les pays arabes. Amin voyait la gauche et la classe moyenne (dans la mesure où ils étaient des nationalistes, pas des néolibéraux mondialisés) comme des éléments positifs et les islamistes, derniers à prendre le train en marche, comme les éléments négatifs. Enfin, il faut prendre en compte l’armée, bastion traditionnel de l’ordre, qui s’est tardivement jointe à la révolte égyptienne, précisément afin d’en limiter les effets.

    Aussi, quand il commença, le soulèvement en Libye fut une conséquence directe du succès des révoltes dans les deux pays voisins, la Tunisie et l’Egypte. Kadhafi est un dirigeant particulièrement impitoyable qui a fait des déclarations épouvantables sur ce qu’il réservait aux traîtres. Si, très vite, des voix s’élevèrent vigoureusement en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis en faveur d’une intervention militaire, ce n’était pas parce que Kadhafi était un anti-impérialiste gênant. Il vendait bien volontiers son pétrole à l’Occident et se vantait de sont aide à l’Italie pour endiguer la marée de l’immigration clandestine. Il proposait, en outre, des accords juteux aux entreprises occidentales.

    Le camp interventionniste comptait deux composantes : ceux qui ne peuvent résister à une intervention militaire de l’Occident quelle qu’elle soit et ceux qui ont défendu la cause d’une intervention humanitaire. Tous se heurtèrent, aux Etats-Unis, à la très forte opposition des forces militaires qui considérait cette guerre en Libye comme ingagnable et comme faisant peser un énorme fardeau militaire sur le pays. Ce groupe des militaires paraissait en passe de l’emporter quand soudain la résolution de la Ligue arabe changea le rapport de force.

    Comment cela a-t-il pu se produire ? Le gouvernement saoudien a travaillé d’arrache-pied et avec efficacité pour faire passer une résolution appuyant la création d’une zone d’exclusion aérienne (no-fly zone). Pour obtenir l’unanimité parmi les pays arabes, les Saoudiens firent deux concessions : leur demande ne portait que sur la zone d’exclusion aérienne et, d’autre part, une deuxième résolution qui s’opposait à l’intrusion de forces terrestres occidentales fut adoptée.

    Qu’est-ce qui poussa les Saoudiens à promouvoir tout ceci ? Est-ce que quelqu’un aux Etats-Unis téléphona en Arabie saoudite pour en faire la demande ? Je crois que ce fut plutôt l’inverse. Il s’agit d’un exemple où les Saoudiens ont cherché à modifier la politique étrangère américaine plutôt que le contraire. Et ils y sont parvenus. C’est ce qui changea le rapport de force.

    Ce que les Saoudiens voulaient et ce qu’ils ont obtenu, c’est une grande diversion par rapport à ce qu’ils considéraient comme le plus urgent et ce qu’ils étaient en train de faire : la répression de la révolte arabe, surtout en ce qu’elle affectait en premier lieu l’Arabie saoudite elle-même, les pays du Golfe ensuite, le reste du monde arabe enfin.

    Comme en 1968, ce type de révolte antiautoritaire crée des divisions curieuses dans les pays touchés et débouche sur des alliances inattendues. Les appels à des interventions humanitaires sont particulièrement clivants. Mon problème avec les interventions humanitaires, c’est que je ne suis jamais sûr qu’elles soient humanitaires. Leurs défenseurs rappellent toujours les cas où de telles interventions n’eurent pas lieu, comme au Rwanda. Mais ils ne regardent jamais les cas où de telles interventions eurent lieu. Oui, en effet, à relativement court terme, elles peuvent prévenir ce qui aurait autrement tourné au massacre de populations. Mais à long terme, y parviennent-elles vraiment ? Pour empêcher à court terme Saddam Hussein de commettre ses massacres, les Etats-Unis envahirent l’Irak. Est-ce qu’il en a découlé moins de massacres sur dix ans ? On peut s’interroger.

    Les avocats des interventions humanitaires semblent recourir à un critère quantitatif. Quand un gouvernement tue dix manifestants, c’est « normal » tout en méritant peut-être une critique verbale. Quand il en tue 10 000, c’est criminel et cela appelle une intervention humanitaire. Combien de personnes doivent être tuées avant que le normal devienne criminel ? Cent, mille ?

    Aujourd’hui, les puissances occidentales se sont lancées en Libye dans une guerre à l’issue incertaine. Probablement deviendra-t-elle un bourbier. Est-elle parvenue à distraire l’attention du monde par rapport à la révolte arabe en cours ? Peut-être. Nous ne le savons pas encore. Réussira-t-elle à chasser Kadhafi ? Peut-être. Nous le ne le savons pas encore. Si Kadhafi s’en va, qu’est-ce qui lui succèdera ? Même les porte-paroles étasuniens s’inquiètent de l’éventualité de son remplacement soit par ses vieux copains soit par Al Qaïda, soit par les deux.

    L’action militaire étatsunienne en Libye est une erreur, même du petit bout de la lorgnette des Etats-Unis et même du point de vue humanitaire. Elle n’est pas prête de se terminer. Barack Obama a expliqué son action d’une façon très compliquée et très subtile. Ce qu’il a dit, en substance, c’est que si le président des Etats-Unis, dans sa grande prudence, juge une intervention dans l’intérêt des Etats-Unis et du monde, il peut la faire et devrait la faire. Je n’ai guère de doute qu’il a dû connaître bien des tourments avant de prendre sa décision. Mais ce n’est pas encore assez. Il s’agit d’une proposition terrible, inquiétante et, en dernière analyse, vouée à l’échec.

    Dans le même temps, le plus grand espoir qu’on puisse avoir, c’est que la deuxième révolte arabe reparte de plus belle, ce qui sera maintenant peut-être assez difficile, et fasse trembler d’abord les Saoudiens.

    * Immanuel Wallerstein. Sociologue au Centre Fernand Braudel à l’Université de Birmigham, chercheur au département de sociologie de l’université de Yale.


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  • L’Axe du Mal colonialiste prépare l’invasion de la Libye (Answer)

    Le décor est désormais planté pour une invasion impérialiste de la Libye. La Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis ont décidé de renverser le gouvernement Libyen.

    Frustrés par l’échec de la campagne de bombardements de l’OTAN qui n’a pas donné la victoire aux rebelles anti-Kadhafi, les puissances principales de l’OTAN se préparent à une escalade dans la guerre. Elles espèrent que la menace d’une escalade convaincra Kadhafi et ses amis de quitter le pouvoir tout comme la menace d’une invasion en juin 1999 avait convaincu Milosevic de capituler et permettre aux forces de l’OTAN d’occuper le Kosovo. Une autre alternative sera de procéder à une invasion militaire du pays.

    « … il est impossible d’imaginer l’avenir de la Libye avec Kadhafi au pouvoir, » ont écrit Barack Obama, Nicolas Sarkozy et David Cameron dans un article commun publié simultanément dans le New York Times et plusieurs journaux européens le 15 avril.

    Dans cette dernière déclaration publique, le prétexte invoqué initialement de « protéger les civils » dans la guerre civile Libyenne (Résolution 1973 adoptée au Conseil de Sécurité de l’ONU le 17 mars avec l’abstention de la Russie, la Chine, l’Allemagne, le Brésil et l’Inde) a été substituée par l’intention de remplacer le gouvernement Libyen par un nouveau régime docile dans le pays qui détient les plus grandes réserves de pétrole du continent africain.

    «  Aucun accord politique qui maintiendrait en place le dictateur n’est viable. L’Occident et ses partenaires doivent se préparer à exercer une pression politique, économique et militaire jusqu’à son départ, » déclare le New York Times dans un éditorial du 15 avril.

    Ne vous laissez pas berner par la motivation antidictateur affichée par le New York Times. Lorsque la CIA et les services de renseignement britanniques ont renversé le gouvernement démocratiquement élu du Dr. Mohammad Mossadegh et l’ont remplacé par la dictature du Chah, le New York Times a écrit dans son éditorial : « les pays sous-développés riches en ressources ont désormais reçu une leçon sur le lourd prix qu’aura à payer celui qui oserait s’aventurer dans le nationalisme fanatique.  »

    Mossadegh avait mérité l’étiquette de « fanatique » parce qu’il avait osé nationaliser la compagnie pétrolière Anglo-Iranian Oil Company (alias British Petroleum) et consacrer ses revenus à sortir le pays de sa misère profonde.

    Toutes les victimes des invasions impérialistes et « changements de régime » ont fait l’objet d’une diabolisation en bonne et due forme. De l’Iran en 1953, le Guatemala en 1954, le Congo en 1961, la Grenade en 1983, le Panama en 1989, la Yougoslavie en 1999, l’Afghanistan en 2001 et l’Irak en 2003, le processus de diabolisation des dirigeants est un préalable à l’agression. Les motivations des envahisseurs sont pures et nobles. Les bombes larguées sont intelligentes. Elles ne tuent que les méchants et les ennemis de la liberté.

    En ce moment, les politiciens corrompus des deux côtés de l’échiquier à Washington, depuis les Républicains du Tea Party jusqu’à la plupart des Démocrates, font taire leurs divergences et joignent leurs voix dans la condamnation du démon tandis que les troupes se préparent, que les avions décollent et que les missiles de croisière s’abattent sur leurs cibles. Ce sont des patriotes fidèles à l’Empire et savent qu’ils peuvent rapidement perdre leur emploi privilégié et choyé de « représentants du peuple » s’ils s’aventuraient à défier la machine de guerre et son appareil de propagande médiatique. Car eux aussi pourraient se voir diaboliser s’ils franchissaient la ligne.

    Le peuple des Etats-Unis ne veut pas de cette guerre. Il veut la fin des guerres en Afghanistan et en Irak – deux autres guerres au service de l’Empire. Il n’est pas dupe des mensonges du gouvernement qui affirme que le pays n’a plus d’argent pour payer des enseignants, des infirmières et autres travailleurs du secteur public et qui dans le même temps mène une politique impérialiste à l’étranger au profit des plus grandes banques et compagnies pétrolières et pour qui il n’y a plus de problème de trésorerie lorsqu’il s’agit d’envahir et d’occuper un pays où vivent d’autres travailleurs.

    Brian Becker

    Coordinateur national de la coalition ANSWER

    http://www.answercoalition.org/nati...

    Traduction "Le journal le Monde titrera-t-il un jour "Nous sommes tous des salauds" ?" par VD pour le Grand Soir avec probablement les fautes et coquilles habituelles.

    URL de cet article 13452
    http://www.legrandsoir.info/L-Axe-du-Mal-colonialiste-prepare-l-invasion-de-la-Libye-Answer.html

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  • La guerre en Libye et l’approfondissement du conflit entre les impérialistes (WSWS)

    Alex Lantier and David North, WSWS, 16 April 2011
    dessin : Latuff, 2007

    La déclaration conjointe que le président des Etats-Unis Barack Obama, le président français Nicolas Sarkozy et le premier ministre anglais David Cameron ont faite jeudi sur la Libye n’a pas comme seule conséquence l’escalade de la guerre. Elle accroît aussi, à l’intérieur de l’Europe, les divisions politiques qui forment l’arrière-plan de l’opération néo-coloniale en Afrique du Nord. Il y a beaucoup de battage médiatique autour de cette entreprise "humanitaire" mais on ne semble pas accorder beaucoup d’attention, du moins ouvertement, à la dispute qui s’envenime de plus en plus entre la France, les Etats Unis et l’Angleterre d’une part et l’Allemagne de l’autre.

    Cette déclaration conjointe est tout à fait remarquable en ceci qu’elle n’a pas été faite par l’Union Européenne (UE) ni même par l’alliance militaire de l’OTAN. Elle est apparue au contraire en français et en anglais, sous la signature du président français Sarkozy, du premier ministre anglais Cameron et du président des Etats Unis Obama. La déclaration n’incluait pas la signature de la chancelière allemande Angela Merkel dont le gouvernement s’était abstenu auparavant de voter la résolution de l’ONU autorisant la première attaque de la Libye.

    Et pourtant cette déclaration élargit énormément les objectifs des puissances qui participent à cette guerre : on passe de la défense des civils à la détermination de changer le régime libyen. Sous le titre "Le bombardement continuera jusqu’au départ de Kadhafi" la déclaration publiée simultanément dans le Washington Post, the Times of London, Le Figaro, the International Herald Tribune, et al-Hayat, affirme que : "il est impossible d’imaginer l’avenir de la Libye avec [le colonel Muammar] Kadhafi au pouvoir." Toute autre solution du conflit serait selon elle une "trahison" et est donc exclue.

    La division entre l’Allemagne et la France est très significative parce que les deux pays ont joué le rôle historique de leader dans la mise en place des structures de l’Europe après la seconde guerre mondiale et sont les deux économies les plus importantes de la zone euro, la monnaie européenne actuelle.

    Malgré la surprise exprimée par de nombreux observateurs concernant l’abstention du gouvernement allemand dans le vote du mois dernier, ce vote découlait logiquement des différences qui s’étaient précédemment manifestées quand l’Allemagne s’est opposée aux efforts de Sarkozy pour construire une Union de la Méditerranée (UM) dominée par les français. Sarkozy avait proposé de créer cette institution pour la première fois pendant sa compagne électorale de 2007.

    Berlin a critiqué la proposition qu’il considérait comme une initiative personnelle extérieure au contexte européen et conçue pour servir uniquement les intérêts de la France. Dans le projet initial, l’UM ne devait concerner que les pays qui se trouvaient en bordure de la Méditerranée -excluant l’Allemagne, l’Angleterre et les pays scandinaves. Elle aurait procuré à la France des avantages financiers ainsi q’une tribune propice aux affaires avec ses anciennes colonies, la Tunisie, l’Algérie et le la Maroc mais aussi avec des partenaires clés de l’Allemagne dans les Balkans et en Turquie.

    Sarkozy estimait que la nouvelle union stimulerait l’influence stratégique de la France tout en générant d’immense profits aux dépens des travailleurs vivant sur les côtes européennes et arabes de la Méditerranée. Dans le contexte de l’augmentation du déficit commercial entre la France et l’Allemagne, les économistes et les politiciens français espéraient que le projet de l’UM aiderait Paris à développer sa politique de délocalisation et de collaboration industrielle avec les pays de la Méditerranée dont les salaires sont bas et à améliorer sa compétitivité par rapport aux entreprises allemandes.

    Les dirigeants de l’Europe du nord se sont opposés au plan de Sarkozy parce, selon la banque suisse Neue Zürcher Zeitung, "il voulait jeter des millions d’argent frais au sud, au-delà de la mer." Merkel a persuadé Sarkozy d’accepter tous les pays de l’UE dans son projet d’UM en mars 2008.

    Dans l’édition de mars de "Politiques méditerranéennes" Tobias Schumacher de l’institut universitaire de Lisbonne analyse les objections de l’Allemagne :

    " Selon Merkel, la création d’une UM qui n’inclurait que des pays riverains de la Méditerranée aurait la potentiel de déclencher des forces de gravité à l’intérieur de l’UE qui pourraient provoquer sa fragmentation et éventuellement sa désintégration. Elle a rappelé à Sarkozy et à tous les autres gouvernements de l’Europe qu’il n’était pas envisageable d’utiliser des fonds de l’UE à des fins exclusivement nationales. Parfaitement consciente que ses paroles pouvait inquiéter les gouvernements d’autres états de l’Union Européenne, elle n’a pas raté une occasion de marteler son message avec l’objectif d’unifier les conceptions des uns et des autres et de faire comprendre à d’autres pays prêts eux aussi à mettre leur veto que l’Allemagne était déterminée à s’opposer à toute proposition basée sur l’exclusion d’états membres de l’UE.
    Il est clair que cette stratégie avait pour but de peindre Merkel comme quelqu’un qui oeuvrait au "bien commun" c’est à dire à la cohésion nécessaire à l’UE et à la nécessaire identification entre l’Europe et l’UE. Mais cette stratégie avait aussi le but non avoué d’empêcher la France de devenir primus inter pares (premier entre les pairs) dans le domaine de la politique étrangère pour que le statut d’acteur principal de l’Allemagne dans l’UE ne soit affaibli et pour empêcher la recrudescence des ambitions colonialistes françaises."

    Il est intéressant de noter que Kadhafi lui aussi s’était ouvertement opposé au projet d’UM de Sarkozy. Il avait dit que l’initiative était une "insulte" qui "nous prenait pour des idiots" et il avait conseillé aux puissances européennes de "passer par le Caire et Addis-Abeba" les sièges respectifs de la Ligue Arabe et de l’Union Africaine.

    Kadhafi sans doute conscient des intérêts en jeu et des dangers de ce projet, a finalement renoncé à acheter les avions de combats Rafales pour des centaines de milliards de dollars. Ce qui a achevé d’exaspérer le gouvernement français qui voulait à tous prix vendre ces avions.

    Après la crise des sub-primes aux Etats Unis, les déséquilibres financiers à l’intérieur de l’Europe ont provoqué la crise des dettes de l’état qui a commencée en Grèce en 2009. La tension est montée avec la lutte entre les puissances européennes pour sauver leur économie et renflouer leurs banques respectives. Après une réunion en mai dernier au cours de laquelle Sarkozy aurait menacé de sortir la France de l’euro si l’Allemagne refusait de contribuer à un fonds de garantie, le président de la Banque Centrale Européenne, Jean-Claude Trichet, a dit que l’Europe affrontait "la situation la plus difficile depuis la seconde guerre mondiale."

    Bien que la France ait dû accepter avec regret le renversement du régime tunisien de Ben Ali en janvier, l’agitation qui s’en est suivie en Egypte et dans tout le Moyen Orient a fourni à Sarkozy le prétexte qu’il cherchait. Il a profité du soulèvement en Libye pour promouvoir en Afrique du Nord les mêmes intérêts que ceux que l’Allemagne l’avait auparavant empêchés de favoriser. Le 10 mars, Sarkozy a été le premier chef d’état à reconnaître le Conseil de Transition basé à Benghazi comme gouvernement libyen avant de faire pression pour obtenir une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU lui permettant de déclarer la guerre à Kadhafi.

    En avançant ses pions, Sarkozy savait qu’il pouvait compter sur la solidarité des pseudos partis de gauche, comme le parti socialiste, le NPA et les Verts, pour sanctifier une guerre impérialiste en la baptisant du nom d’opération humanitaire pour la protection des civils. Avec leur mélange habituel de bêtise et de rouerie, ces partis ont fait ce qu’on attendait d’eux, prouvant par là qu’ils sont des rouages fiables de la machine de propagande impérialiste.

    On a du mal à croire, cependant, que les gouvernements occidentaux aient pu être complètement inconscients des implications historiques plus larges de leurs actions. L’Angleterre a encouragé les ambitions de Sarkozy afin de briser les liens entre la France et l’Allemagne et saper l’influence politique de Berlin. Washington, en acceptant que la France attaque la Libye, espère que la France ne s’opposera pas à de futures opérations militaires américaines. Le front commun de ce que l’ancien secrétaire à la défense, Rumsfeld, appelait "la vieille Europe" a éclaté. Cependant il n’est pas certain qu’Obama ait saisi toutes les implications de son soutien au plan de Sarkozy.

    En participant à une guerre à laquelle Berlin s’est opposé ouvertement, Washington a renié la politique qu’il a menée pendant dix ans et dont le but était de maintenir l’unité politique et militaire de l’Europe de l’ouest. Cela exacerbe les tensions entre les pays européens sur un continent déjà perturbé par des conflits sur les politiques économiques. Comme cela est arrivé dans le passé, l’Allemagne -par crainte que ses adversaires historiques ne l’emportent sur elle ou ne l’isolent - va chercher d’autres moyens de protéger ses intérêts. Une fois de plus, Washington a déclenché des événements qui auront des conséquences désastreuses.

    La guerre en Libye n’est qu’une pièce sur l’échiquier impérialiste mondial. Cependant les va-t-en guerre ne jouent pas avec des pièces de bois mais avec les vies de millions de Libyens et de citoyens du monde. Etant donné l’ampleur de son impact sur la stabilité géopolitique de l’ordre capitaliste mondial, cette guerre prépare le terrain à des conflits beaucoup plus importants et dévastateurs.

    Alex Lantier et David North

    Pour consulter l’original : http://www.wsws.org/articles/2011/a...

    Traduction : D. Muselet

    URL de cet article 13439
    http://www.legrandsoir.info/La-guerre-en-Libye-et-l-approfondissement-du-conflit-entre-les-imperialistes-WSWS.html

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  • Misrata : « Maintenant… »

     

    Misrata, vendredi 15 Avril,

    A l’heure ou nous vous écrivons, 23h59, la zone du port est pilonnée, après une journée de bombardements intensifs. Canarder la ville en continu, un jour de prière, c’est sans doute la fameuse « surprise » pour Misrata que Saif Kadhafi avait annoncé la veille, sur la chaîne nationale.

    Les snipers du Tamina Building n’ont toujours pas quitté leur position. Coupés de leur base de ravitaillement et encerclés par les insurgés, ils tentent d’échapper à la rédition en cherchant une voie de sortie. En soutien, les forces kadhafistes ont essayé plusieurs fois de reprendre la rue. Jeudi, ils ont encore tenté, à l’aide d’un tank et d’un tracto-pelle suivis d’un transport de troupe blindé, de défaire un barrage monté quelques jours plus tôt pour isoler les snipers.

    Ils ont été repoussés une nouvelle fois par les rebelles. Depuis l’une de leurs positions arrières plus en retrait sur Tripoli Street, les loyalistes pilonnent aussi la zone au mortier avec des Cluster Bombs (obus a sous-munitions particulièrement assassins) : un sifflement, dix secondes et six bombes se dispersent dans une zone de quarante mètres. Les shebab les craignent désormais plus que les tirs de RPG ou de fusils d’assault, dont les munitions commencent à manquer aux snipers. Pour s’en protéger, ils laissent ouvertes les portes des bâtiments et ont troué des murs pour pouvoir s’y engouffrer le plus vite possible.

    Comme ceux du Tamina Building, la plupart des tireurs  kadhafistes aux alentours sont encerclés, parfois seuls, sans eau, ni nourriture depuis une semaine, avec les cadavres de leurs collègues qui pourrissent dans les appartements d’à-cotés. Isolés dans différents immeubles, les mercenaires traversent parfois les rues à découvert pour rejoindre d’autres positions. Ceux qui tenaient les rues et tiraient tout azimut depuis quatre semaines sont désormais retranchés, sur la défensive, et ne font feu que lorsqu’ils y sont acculés.

    En plusieurs endroits les shebabs ont installé des enceintes amplifiées avec lesquelles ils harcèlent les snipers et les enjoignent a se rendre. Les réponses sont parfois sans ambiguités : « je vous nique, je nique ta mère, ta soeur, Kadhafi est Kadhafi, on va vous buter jusqu’au dernier ». Sur le toit d’un autre immeuble, flotte un drapeau blanc. Le sérieux d’une rédition ne peut être évalué que d’une seule manière : déposer les armes et sortir du bâtiment. Ici, les combats  urbains sentent la fin. Après des semaines de guérilla urbaine, l’expérience et la détermination ont renversé le rapport de forces dans la bataille du centre-ville.

    Mais au port, qui reste le point stratégique, les bombardements des loyalistes se sont intensifiés depuis deux jours. La zone est à la fois le seul accès à la ville et les poumons de la cité : complexe industriel, centrale électrique, dépôts de pétrole, etc. Hier matin, une pluie de bombes de deux longues heures s’abattait sur le quartier d’habitation bordant le port. Vingt-trois personnes y sont mortes. Au même moment, au moins quatre tanks et une trentaine de voitures des forces kadhafistes ont tenté une percée sur la route principale de la zone commerciale qui relie le port Qasr Hamad à la Highway. Après plusieurs salves des tanks, inefficaces contre des contenairs remplis de terre qui barrent la voie, les shebab (appuyés tardivement par l’OTAN) ont réussi a détruire quatre tanks et à s’emparer de quelques véhicules, en perdant un combattant.

    A Misrata, les habitants sont amers quand il est question de l’OTAN. Face aux bombardements, l’appui aérien ne signifie pas grand chose de concret. Ils en espèrent plus mais sont aussi très clairs quant à un éventuel débarquement terrestre, même déguisé en intervention humanitaire. Tous sont d’accord : « cette guerre est la nôtre, maintenant, il nous faut des armes ».

     


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  • « C’est liquide et c’est noir »

    L’activité de Benghazi semble être rentrée dans une routine révolutionnaire ou patriotique tout comme le front et la politique internationale. Il n’en est rien, ou plus exactement, cette routine est elle-même une rupture conséquente avec l’esprit plus ou moins fort qui avait été celui du début de la révolte.

    Dans le cul la balayette

    Le CNT a récemment fait parler de lui, et pour cause, le temps est maintenant à la diplomatie. Et bien des journalistes en costard, spécialisés en questions internationales, ont pris la place des reporters de guerre mal rasés à Benghazi. Il est intéressant de connaître la sauce de cette nouvelle officine, mais cela prend tout son sens quand on a d’abord fait un tour en cuisine.

    Abdul Fatar Younis est depuis peu un homme occupé. Ancien ministre de la justice de Kadhafi, chef des forces spéciales, il est le plus visible des prétendus chefs de la prétendue armée de la révolution.

    Cela fait une semaine et demi que les gros katiouchas BM-21 avaient déserté le front, amenant comme par magie -une magie récurrente dans cette guerre= branlées et branlées encore pour la révolution sur le front du côté de Brega. Dans le même temps, étaient appelés aux casernes des dizaines de volontaires qui s’étaient fait enregistrer comme pouvant donner un coup de main. Monsieur Younis ayant certainement eu vent de la présence de stocks d’armes lourdes de Kadhafi encore bien pourvus, a ainsi pu monter un plan d’acheminement des munitions basé sur la bonne volonté et le désir de bien des Libyens de s’organiser dans des institutions formelles autant que possible. La rétention des katiouchas lourds et leur utilisation autour du 9 avril ont inauguré la naissance de cette nouvelle armée.

    C’est un grand défaut d’initiative qui a permis l’apparition de cette structure au milieu des combattants, car aucune organisation ne s’était inventée jusque-là pour donner une vraie efficacité à l’armée des gens de Cyrénaïque.

    Combattants auto-organisés. Panier de roquettes de mi-24 montes sur 4X4

    A propos de tentative d’organisation, il convient de relever ici une fois pour toutes la stratégie médiatique orchestrée par l’occident, d’Hillary Clinton aux journaux de gauche français, et qui consiste à faire courir la rumeur de la présence sur le front d’une organisation internationale du terrorisme islamique portant le nom de “Al Quaeda”. Ayant personnellement rencontré les journalistes présents ici et ayant redigé des articles en ce sens, il a été aisé de comprendre comment remplacer le mot “imam” par le mot “mullah”, comment transformer un sympathique prof de techno en nouveau docteur No -les james bond girls étant dans cette oeuvre revêtues de la Burka.

    On peut se demander pourquoi les démocraties occidentales, prêtes à aider le pétrole de Libye dans son désir de démocratie, font courir de tels bruits sur leurs nouveaux alliés -les reportages et articles centrés sur la question ont tous été commandés par les rédactions occidentales, les journalistes présents sur place n’en ont jamais pris l’initiative, se contentant d’obéir aux ordres. Je pense qu’il s’agit en fait simplement d’une peur de la plèbe transformée en arme efficace à qualifier toute tentative d’auto-organisation -ce qui donne à réfléchir sur bien des mouvements décrits par le même nom. Il est important de noter que les gouvernements occidentaux, contrairement à bien des citoyens de gauche des mêmes pays, ont bien compris que le groupe de personnes en armes, combattants les dollards de Kadhafi dans le désert, n’avaient rien à voir avec une armée.

    Le cul entre deux chaises

    Regardons maintenant la guerre elle-même, première à encaisser les conséquences de la diplomatie internationale et de ses errements. Je centre ici mes commentaires sur la guerre en Cyrénaïque, n’ayant pas les éléments pour parler de la guerre à Misrata qui constitue un front au moins aussi large et actif, certainement bien plus.

    Que ce soit la pression de la Chine, de la Russie, de la Turquie ou de l’Allemagne, ou que ce soit la timidité à enjoindre à l’obéissance des pays anciennement colonisés, toutes les raisons ont, semble-t-il, été bonnes pour laisser le Tchad, le Soudan et surtout l’Algérie apporter massivement armes, essence et matériel aux forces de Kadhafi. Et ce, quand ce n’est pas la Turquie qui est chargée de faire respecter cet embargo contre ses propres bateaux. Ce sont des réfugiés libyens qui ont bloqué l’arrivée d’essence depuis le terminal de Gabes en Tunisie, et plus tard sur cette même route, l’arrivée de 4X4.

    La France avait, dans ses premiers raids, bombardé certains de ces ravitaillements, ce qui avait conféré un avantage énorme à la révolution quand elle s’était trouvée confrontée à un armement comparable au sien, mais l’OTAN a cessé ses frappes qui ne se passent pas sur le lieu des combats.

    Le temps énorme donné par cette politique de semi-aide au vieil Etat libyen a permis la réorganisation de son armée telle que nous l’attendions depuis longtemps. Avant-hier, le 10, les troupes de Kadhafi, pourvues de 4X4 flambants neufs, ont effectué un raid à travers le désert et sont rentrées dans la ville d’Ajdebia, tirant sur tout ce qui bouge dans les rues désertées de sa population. Ces troupes ont en cela bénéficié de l’expérience acquise au Tchad et notamment de l’engagement de Touaregs capables de trouver des routes praticables dans le désert. Si l’on veut encore parler de guerre assymétrique, on va en perdre sa géométrie dans ce combat où l’Etat puissant utilise des techniques de guérilla contre le peuple capable de peu d’invention, mais aidé de l’aviation high-tech des gendarmes du monde.

    Devant cet afflux ininterrompu d’armes neuves (véhicules, essence, mercenaires, munitions de tous calibres, optiques), la réponse militaire libyenne est bien faible. Une grande partie des stocks de munitions se trouve dans une vallée perdue des montagnes vertes. Toute sorte de missiles de haute technologie sont entassés là, mais bien peu de ces armements hors de prix -ils vaudraient certainement autant si c’était des caisses de whisky, vu leur âge compris entre 20 et 40 ans- est utilisable en raison du manque d’avion, de canon ou autre lanceur. Les réserves semblent suffisantes pour quelques semaines de guerre.

    D’autre part, au front, les militaires obéissant à Fatar Younis font leur apparition, concentrés autour de la ville d’Ajdebia, ils sont dotés d’optiques puissantes (ce qui est une bonne idée étant donné que la guerre est à près de quarante kilomètres de là), et de nos fameux BM-21. Ces armes, décisives pour la réussite des offensives, sont dédiées à répondre à la nouvelle tactique très agressive des forces de Kadhafi par une attitude très… défensive.

    Et ce, sans compter qu’un truc qui a près de vingt kilomètres de portée serait un peu plus efficace en tir de contre-batterie sur la route que les paniers de roquettes d’hélicos montés sur 4X4 qui sont les seuls à faire cette guerre désormais. Sachant aussi que ces grads sont également très mal adaptés à un assaut de 4X4 rapides à travers le désert.

    Si cette tactique d’utilisation défensive des katiouchas persiste, ce sera une volonté franche d’appuyer le projet de Kadhafi de séparation de la Libye.

    Ce projet, soutenu par la Turquie d’abord, l’union africaine ensuite, consiste à laisser à la Cyrénaïque son indépendance et l’argent du pétrole de Tobrouk, ce qui n’est pas rien, et de laisser à Kadhafi son autorité sur le reste du pays, ainsi que le contrôle du pétrole de Brega, Ras lanuf, et Tripoli. Les conséquences d’un tel accord serait le massacre de la population de Misrata, des purges importantes à Tripoli et dans tout le Djebel Mafoussa, incluant Ziltan.

    Le comité ne peut pas accepter un tel accord sans se faire étriper par la population de Benghazi, mais son langage a déjà changé. En langue diplomatique, “intervention militaire” veut maintenant dire force d’interposition sur la zone du front, et “no fly zone” ou “action de l’OTAN” signifient appui militaire effectif en faveur de la Libye. Le comité refuse de négocier une trêve, mais le simple fait de ne pas le dire clairement, et d’utiliser ce langage diplomatique fait de ce refus un élément de négociation, qui augure peut-être l’ouverture de pourparlers effectifs quand davantage de terminaux pétroliers seront reconquis. Il faut d’ailleurs ajouter que, en privé, il y a effectivement des gens qui pensent que ce traité serait une bonne chose pour la Cyrénaïque (financièrement c’est certain).

    Un jeune étudiant me disait, avec une certaine exagération, “le pétrole, on sait juste que c’est liquide et que c’est noir”. Pour ceux qui ne lorgnent pas sur cette manne, qui signifie le massacre de bien des insurgés, cette matière est devenue haïssable. Loin de pouvoir être utilisée comme arme, elle a sa volonté propre qui se perd dans les hésitations des puissances occidentales et attire les armes de Kadhafi comme un aimant.

    Le spectacle des chefs d’Etat se déroule maintenant loin d’une guerre toujours plus dure dans le désert, à Misrata, et à Tripoli, où des actions coordonnées sont tentées, notamment de nombreux guets-apens contre la police, qui ne sont pas sans rappeler ceux que la France a connus dans ses banlieues.

    Ce qui meut la force des combattants doit être une chose bien difficile à saisir pour les occidentaux de tous poils qui viennent à tour de rôle passer deux semaines dans les hôtels de Benghazi. Quand j’ai demandé à un journaliste très connu ce que c’était, le sang, il m’a répondu, « tout ce que j’en sais, c’est que c’est liquide, et que c’est rouge ».


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  • La tenue des combats le long de Tripoli Street

    Techniques insurrectionnelles.

    Aujourd’hui, mardi 12 avril, les shebabs ont lancé une offensive contre le Tamina Building, à Misrata, après un mois de combats autour de Tripoli street. Petit à petit, les insurgés reprennent le contrôle du centre-ville. RPG ou cocktails Molotov contre tanks et blindés, acharnement et arrassement quotidien face aux immeubles tenus par les snipers, cloisonnement et strangulation des positions kadhafistes. Pour endiguer les conneries déblatérées par certains journalistes fraichement débarqués – à l’image de france 24 ou de l’AFP – il est important de rappeler que les forces loyalistes encerclent la ville depuis six semaines bloquant tout accès par la terre, mais que les troupes n’ont réussi qu’une percée en son sein, la prise de Tripoli street, artère reliant l’axe Tripoli-Benghazi au centre de Misrata. Position qu’ils sont en passe de perdre.

    Tout le reste de la ville est tenu par les rebelles, la centrale électrique, l’usine de désallinisation d’ou partent les camions d’approvisionnement en eau, le port et les entrepots. Certes, elle vit sur ses réserves, mais Misrata vit. Elle a l’odeur de la poudre, celle d’une ville qui résiste. Le son des bombes rythme les nuits, mais les cris des insurgés emplissent les ruelles. C’est une guerre assymétrique qui s’installe, mais une chose est sure, dans tous les quartiers et dans toutes les têtes, on ne veut pas de troupes étrangères ici, on veut des armes. Il ne sont pas misérables les shebabs, ils sont fiers, ils ont cette force invincible car la mort ne leur fait plus peur, 42 années leur rappellent le sens de leurs combats, ils libèreront Misrata ou ils mourront là..

    Au début du soulèvement de Misrata, les partisans de la révolution se retrouvaient sur une place du centre-ville, désormais déserte. Elle est devenue inhabitable du fait de sa proximité avec le début de Tripoli Street, où les mercenaires tiennent leur principale position dans le Tamina Building. Il y a un mois, une colonne de sept cent hommes a tenté de prendre Misrata. La contre-attaque de la population a circonscrit l’occupation à ce boulevard. Depuis, le ravage des tanks et l’efficacité des snipers ont transformé la colonne vertébrale de la ville en un décor apocalyptique. Le vingt-et-un mars, cinq mille personnes marchaient désarmées sur ce boulevard pour récupérer leurs morts. Ce jour-là, les tirs sur la foule ont tué quarante personnes et blessé environ deux cent cinquante autres. Cette marche, ce geste fou, était une tentative encore naïve de briser le dispositif militaire déployé. Une poignée de tanks et de tireurs embusqués arrivent encore – contre tous ses habitants – à faire de cette partie du centre-ville une position de force.

    Ici, l’urbanisme, qui semble assumer un héritage à la fois haussmanien et postmoderne, révèle toute son efficace. La largeur de l’artère se prête plus facilement au mouvement des blindés qu’à son barricadage par les insurgés. Elle offre une gigantesque ligne droite pour les tanks, depuis les positions d’appui en retrait hors de la ville jusqu’aux zones de combat de l’hypercentre. Des deux côtés de la route se dessine l’agencement propre à tous les centres villes métropolitains. Des espaces nus et dégagés, surplombés par des façades en grande partie vitrées. Peu de recoins, peu d’angles morts, la progression se fait à découvert. Les cadavres de ceux qui ont prétendu traverser les larges places pour accéder aux pieds de certains building, rappellent cruellement que tout y est fait pour que rien ne se passe.

    Mais, de ce grand boulevard qui traverse la ville, les loyalistes ne tirent pas que des avantages. Si cette voie stratégique réunissait jusque-là les conditions matérielles pour le déploiement de la force et l’organisation militaire face à l’inexpérience et la confusion des insurgés, les Kaddhafistes commencent visiblement à en éprouver les limites. Les possibilités de circulation qu’il offre signifient aussi une exposition au harcèlement quotidien des shebabs. Maintenant que tout ce qui devait l’être y est détruit et que le nombre de snipers est réduit de moitié, le boulevard constitue un front limité et agit plutôt comme une barrière pour les forces loyalistes. La démolition des alentours gêne plus leur progression que celle des insurgés, et l’utilisation des blindés et de l’artillerie lourde est désormais délicate avec les ruelles qui l’enserrent. Les forces kadhafistes ont tout intérêt a assurer leur position de verrou aux portes de la ville et à renouveler les offensives sur la zone du port comme les jours précédents.

    Aux alentours, le déroulement des combats a transformé l’espace en gruyère où le moindre recoin appartient a l’un ou l’autre camp, dans une telle proximité où parfois seulement un bâtiment, voire un mur, séparent les combattants. Certains snipers changent encore de position sur le boulevard, à la faveur de la nuit ou de la présence d’un tank, autant pour se protéger que pour surprendre et mettre en difficulté les shebabs. Ces derniers évaluent donc les changements de positions de l’ennemi aux nouveaux tirs qu’ils essuient. Après avoir détruit ou endommagé tous les bâtiments stratégiques de cette artère, les mercenaires essaient d’ajuster leurs tirs en fonction de ce qu’ils comprennent des déplacements et des différentes positions adverses dans la zone.

    Ici, la connaissance du terrain et l’utilisation qu’en font les shebab, mettent en échec la supériorité militaire de l’ennemi. Mise au service des déplacements ou des offensives, l’architecture est subvertie. Les anciennes halles, en parties démolies, sont utilisées pour se déplacer a couvert. Elles sont constituées d’un dédale de couloirs – où s’alignent magasins divers et accès aux étages d’habitation – qui correspondent entre eux et traversent des blocs entiers d’immeubles. Leur disposition forme comme un labyrinthe dans lequel aucun ennemi n’oserait s’aventurer.

    Le détournement de l’espace prend aussi la forme de nouveaux aménagements. L’ancienne distinction entre intérieur et extérieur, entre lieux publics/privés, n’a plus lieu d’être. Chaque immeuble devient un potentiel point de contrôle à couvert de Tripoli street. Le garage du voisin est désormais l’endroit où l’on mange ensemble, où l’on prépare le thé autant que les armes. Dans un autre, plus en retrait, un petit hôpital de fortune est aménagé. Trois lits, des étagères remplies de médicaments de premiers soins et des ambulanciers y permettent de soigner les shebabs blessés. Le palier de tel escalier devient la chambre où l’on dort à dix quand on ne tient pas la position de tir dans l’appartement d’à-côté. Les fenêtres et autres ouvertures d’origine sont masquées ou obstruées, à l’inverse on perce des trous dans les murs pour observer à la jumelle ou fabriquer des meurtrières pour passer le canon des armes.

    On détruit aussi des cloisons pour circuler à couvert entre des cours ou d’une habitation à une autre. Parfois, la survie d’un groupe de shebab ou la capture de certains snipers a moins été une histoire d’armement qu’une inspiration architecturale : il aura fallu supprimer à la bombone de gaz les premiers étages de certains immeubles, autant pour protéger ses arrières d’une incursion de nuit que pour assiéger une position ennemie. Ainsi, les forces pro-kadhafistes n’ont pas un contrôle panoptique de la zone, bien que les snipers soient postés sur les plus hauts buildings. Les deux camps sont sans cesse aux aguets du moindre mouvement; acquérir une intelligence du déplacement nécessite une attention permanente. Il faut saisir rapidement quels sont les passages à découvert, quels sont ceux qui sont, pour un temps, exposés. Comment se mouvoir ? De quel côté de la rue avancer, quelle trajectoire emprunter au sol pour rester à couvert dans l’alignement d’un immeuble ? Savoir quand il est bon de courir ou au contraire d’avancer a pas de loup, sans geste brusque, seul ou en groupe.

    Les shebabs, d’abord cantonnés à retenir les incursions dans les rues alentours, parviennent désormais à mettre les forces loyalistes en difficulté sur Tripoli street même. En plusieurs endroits, ces derniers jours, des containers ou des poids lourds chargés de sable et de rochers ont pu être disposés en travers du boulevard. Les conducteurs prennent de l’élan dans une rue perpendiculaire et, au dernier moment, sautent du véhicule juste avant d’être a découvert. Des combattants tiennent position en embuscade aux alentours, cocktail molotov, fusil ou RPG en mains. Quand un tank s’approche pour percer la barricade, des draps et des couvertures, répandues au sol et imbibés d’essence, s’emmêlent dans ses chenilles. Les cocktails molotov suffisent alors pour enflammer l’engin. Les premiers tirs de RPG sont concentrés sur les axes des chenilles de façon a l’immobiliser

    Malgré son organisation, sa puissance de feu supérieure et sa capacité de recrutement, l’armée kadhafiste souffre d’une autre faiblesse. Même si elle compte nombre de partisans, elle est aussi composée de mercenaires étrangers, attirés par l’appât du gain, ou de types – parfois très jeunes – enrôlés de force. Le nom d’armée loyaliste est par moment assez usurpé : une partie de ces troupes n’a d’affection intime ni pour le pouvoir, ni pour cette guerre. Ce qui se ressent par moment dans leur faible capacité d’initiative une fois coupés de leur commandement, ou dans leur rémission lors de moments critiques.

    A l’inverse, la plupart des insurgés se battent dans le quartier où ils ont grandi, au coté d’un frère, d’un voisin ou d’un ami d’enfance. Même quand beaucoup disent se battre pour une idée de la « Liberté » parfois assez évasive, le prix payé dès les premiers jours du soulèvement a inscrit un caractère irréversible à la détermination avec laquelle beaucoup se jettent dans cette guerre. Beaucoup d’habitants ont fuit les zones à proximite de Tripoli street. De ceux qui sont restés, tous ne sont pas armés, ni ne participent aux affrontements, mais toute présence ici est déjà un geste face à la tentative d’occupation du centre-ville de Misrata. On y vit autant pour soutenir les combats que pour refuser la défaite que constituerait le fait de reconnaitre son quartier inhabitable. Le « Nous ne négocierons pas le sang de nos martyrs » a plus de sens dans la bouche de n’importe quel habitant de Misrata que dans celle du nouveau gouvernement.

    Mais la force des insurgés ne se réduit ni à une somme de familiarités, ni à leur foi – qualités trop souvent annihilées par l’isolement et l’inexpérience. Un lieu à Misrata sert de coordination entre les différentes zones de combats. Jour et nuit, des hommes vivent dans ce QG à l’allure d’un campement fait de contenairs. Dans l’un d’eux, une cuisine de base a été installée. En riant, on nous en parle comme du « restaurant ». Dans un autre, quelques matelas défoncés, on y boit le thé, on discute des nouvelles, on regarde Al-Jazeera. C’est la « salle des opérations » qui, la nuit se convertit en chambre à coucher. Dès le premier regard, cet endroit est assez éloigné de l’idée que l’on pourrait se faire d’un centre militaire.

    Celui que l’on désigne grossièrement comme le chef se présente lui-meme comme « le cheikh d’une grande famille », celle des insurgés. C’est l’ âge et l’expérience qui confèrent, à lui où a d’autres, une autorite en matière de stratégie. A première vue, une hiérarchie détermine les rapports mais l’amitié semble être en mesure de neutraliser l’amour de la chefferie. Le soir, les discussions sont sans cesse entrecoupées de nouvelles arrivées. Les hommes reviennent des différentes zones de combat de la ville. Pour pallier l’absence de moyens de communications, des déplacements réguliers entre les postes de combats et ce lieu servent à informer des nouvelles de la journée, penser de nouvelles attaques, prévenir des besoins. Les vivres et l’armement ne sont pas laissés au hasard. En partant de là, des hommes se préoccupent de les acquérir, les acheminer et les distribuer aux differentes positions.

    Dans la nuit de samedi a dimanche, la planification d’une opération coordonnée pour couper Tripoli street a permi d’isoler le Tamina Building de ses arrières et de mettre hors d’état de nuire deux tanks, un bus et deux voitures de mercenaires venus en appui. Ce mardi soir, les derniers tireurs embusqués dans l’immeuble encerclé tentaient d’être neutralisés. Sur le toit, le drapeau de la « Libye libre » a déjà remplacé l’étendard vert qui y flottait depuis un mois.

    Le fameux Tamina Building.


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  • Benghazi s’est levée, et ses martyrs sont tombés.

    Benghazi nadad, metou fia shuadad.

    Benghazi s’est levée,  et ses martyrs sont tombés.



    maison incendiée à Benjawad

    Cette guerre ressemble à une pièce de théatre qui inlassablement et quotidiennement, se rejouerait. Seul le décor change, de Brega à Benjawad, de Benjawad à Brega, invariablement; quoi que chaque fois un peu plus abîmé. 

    L’Etat provisoire ne s’adresse désormais plus qu’aux troupeaux de journalistes qui, ne sachant pas trop quoi faire de leurs journées, s’occupent à s’agglutiner, de conférences de presse en conférence de presse. Tout paraît normal. On voudrait que tout soit comme avant, pourtant tout est différent.

    Le coeur de Benghazi compte toujours autant de ces officines du nouvel Etat. Organisations de jeunesse ou de travailleurs, toujours plus boulimiques de symboles, de drapeaux, de bureau-avec-des-noms-sur-la-porte. Mais les gardes armés, si chiants et si fiers hier encore, se font maintenant rares, las de traîner leurs sabres devant des occidentaux blasés.

    Le véritable Etat de la nouvelle Libye n’est pas et n’a jamais été le Comité National de Transition. Il semble d’ailleurs que sa seule activité extra-médiatique aura été de récupérer de l’argent du pétrole afin de remplir on ne sait quelle caisse. Il n’est très certainement que le prétexte d’un appareil de presse qui construit pêle-mêle le pathétique, les images, le discours et le rythme de ce spectacle qu’est l’éthique révolutionnaire en Libye.

    S’il y avait quelque chose comme un « Etat », il se situerait bien plus dans les bureaux d’Al Jazeera. Si l’on veut des nouvelles de la guerre ou si l’on veut savoir ce que c’est que cette manif’, il faut allumer la télé.

    Non, ici personne n’obéit à personne. Certes les flics réapparaissent mais la moitié sont des gamins ou des types qui ont récupéré des uniformes. Ils ne sont pas organisés ensemble et encore moins sous la tutelle du CNT.

    L’armée organisée c’est la plus répondue des rumeurs. (Egalée peut-être par celle du soulèvement de Syrte, aussi mythique que récurrente.)

    Le front est d’ailleurs redevenu un club très sélect‘. Dans cette bataille qui s’éternise de Brega à Benjawad, il n’y a rien à faire d’intéressant pour qui n’est pas dans une équipe d’artillerie, ou ne veut pas mourir en martyr. La guerre se spécialise mais parler de « specialistes » du côté des insurgés, c’est beaucoup dire. Les militaires professionnels, organisés et furtifs qu’un brouillard de généraux et de colonels pretend commander et que de nombreux journalistes prétendent avoir vus est une farce de moins en moins drôle.

    Il y a bien des militaires formés et bien equipés en avant des lignes des shebabs, mais ce sont les soldats de Kadhafi, et c’est sur nous qu’ils tirent.  A vrai dire, ce fantôme évadé d’un mauvais clip pour le recrutement des marines sert surtout à tenter de bloquer les journalistes au dernier check-point, ce qui n’a que très peu d’effet. Il suffit d’un rien pour le passer et tous le font.

    Quand dans un précédent article nous décrivions la constitution d’un « avant » et d’un « arrière« , il faut comprendre cela au niveau de la forme de vie. Ce sont tous des civils, ce qui différencie ceux qui vont sur le front c’est un certain intérêt pour les combats et par conséquent un rapport assez démystifié à l’affrontement brute. Il y a bien évidemment quelques personnes qui après être allées au front une fois retournent en ville pour s’auréoler de leurs faits d’armes assez maigres, mais c’est plutôt rare.

    La question tribale se pose ou ne se posera que dans les villes de Sabba et de Syrte. De ce que l’on nous dit, partout ailleurs, c’est comme ici: l’insurrection c’est une somme d’individus collectés et rassemblés sur le front. Ils s’organisent en groupes de trois ou quatre véhicules au plus et assurent eux-même leur logistique de l’arrière au front, bien aidés par les types qui individuellement remplissent leur pick-up de nourriture et d’eau pour les amener en premiere ligne.

    On part sur le front ensemble parce qu’on est potes de boulot ou de la même famille ou du même club de plongée sous-marine maisIls partent ensemble sur le front soit parcequ’ils sont de la même famille, du même boulot ou du même club de plongée sous-marine mais il n’y a vraiment rien qui ressemble à une composition « clanique » tout comme il n’y a aucune distinction formelle entre militaire et civile. Dans les rues de Benghazi, il est impossible de distinguer les « combattants » du reste de la population.

    Les chefs en herbe et la curiosité des citoyens de Benghazi ont abandonnés le front aux seuls personnes qui croyaient suffisament en ce qu’ils faisaient.

    Les rôles se dissolvent et les rapports entre les gens deviennent des rapports véritablement partisans. Même les photographes de guerre venus jouer dans ce bac à sable géant sont pris dedans et vivent puissament la camaraderie des shebabs. Le rapport aux occidentaux sur le front est devenu très clair. Autant, les shebabs considèrent quasiment comme des camarades ceux qui mangent avec eux, les accompagnent dans leur voiture sur le front, etc. Autant ils sont capables de la plus grande froideur à l’encontre de ceux qui semblent être de simples curieux envoyés là comme ils auraient été envoyés couvrir le salon de l’agriculture.

    Comme lors de l’occupation de Ras Lanouf que nous avions décrite, la guerre est de plus en plus assumée comme l’état normal des choses. L’armée est plus petite que jamais, mais bien organisée, l’artillerie se positionne sur les crêtes, le rechargement est rapide et réalisé par tous, et de nouvelles armes font leur apparition.

    Eh oui, même l’artillerie lourde se bricole: grad commandés par des interrupteurs de maison, mortiers faits de tubes récupérés, et cerise sur le gateau, paniers à roquettes d’hélicoptère Mi-24 montés sur des pick-up capables d’envoyer une trentaine de roquettes de 57mm en un rien de temps à l’aide d’une commande de tir improvisée.

    La solidarité internationnale, on ne l’a pas vu sur le front. Il n’y a que les pick-up des habitants de Benghazi, de Brega, ou de Tobrouk qui ramènent les trucs qu’ils ont achetés avec leurs petits sous.

    A Benghazi également la normalité a une odeur de souffre. Toutsles commerces sont ouverts, à l’exception des banques, pourtant d’une grande importance symbolique. Le marchand de cuir qui, il y a une semaine encore vendait des ceintures et réparait des chaussures de gamins, vend désormais en une après-midi, cinq ou six holster, trois ou quatre bretelles pour kalach, un gilet pare-balles et … une ceinture rose pour ado branché.

    Dans un quartier chaud, les mêmes types qui deux semaines auparavant étaient prêts à te planter pour un appareil photo t’offrent désormais trois heures de boulot juste parce que tu va à la guerre pour prendre… des photos.

    En retrouvant, il y a deux jours, des jeunes du front d’Ajdabia, ils m’emmènent jusqu’à un tank où, avec deux tambours, ils dansent en improvisant des chants qui se répondent, repris par certains, décriés par d’autres, s’interrompent, reprennent… Depuis, tous les soirs de tels groupes se forment avec des personnes et des danses differentes.

    Aujourd’hui un bateau turque qui amenait de l’aide alimentaire a été refoulé après quinze minutes à quai. Les libyens insistent sur le fait qu’ils n’ont pas besoin de nourriture mais d’armes et de soutien militaire. Ici, les gens sont de plus en plus nombreux à  dire clairement que si elle ne bombarde pas les troupes de Kadhafi, c’est un choix que fait la coalition.

    Alors qu’elle a nettoyé chirurgicalement tous les véhicules loyalistes de Benghazi à Brega et au vu de la précision avec laquelle les tanks ennemis ont été décapités de leurs tourelles on peut effectivement penser qu’elle a intentionnellement décidé d’arrêter là. Certains n’ont aucun doute à ce sujet, la France doit sûrement vouloir rester fidèle à sa vieille habitude qui consiste à mettre en place une armée formée par ses soins. L’hélicoptère français qui à quitter le port de Benghazi ne peut que confirmer cette lourde impression.

    Les « dérapages » de la coalition sont finalement plutôt insignifiant. S’il s’agit de buter des gens, les rebelles et les kadhafistes font cela très bien. En dernière instance, il suffit de priver les uns de soutien pendant quelques jours, -ce qui vient de se produire- pour que la guerre devienne suffisament sale et que cela fournisse une Libye bien docile.

    Ce serait une erreur que de se focaliser sur les trois bombes que l’Otan a largué dans le tas (même si elles ont fait plus de morts que trois jours d’affrontements). Ce que ne manqueront certainement pas de faire des journalistes à la con l’histoire de se sentir un peu « critiques ». Ce que les gens du front craignent c’est que la stratégie de l’Otan soit de laisser pourrir la situation. Certes, les francais et les américains pourraient se permettre de négocier jusqu’à la couleur de la cravate du chef du CNT, mais c’est tellement plus facile de se servir soi-même une fois que tout le monde s’est entre-tué.

    Lorsque le front était parvenu jusqu’à Harawa, dix tanks dégommés auraient permis de contourner gentiment Syrte (ici, personne n’est assez con pour aller se foutre là bas) et alors Kadhafi n’aurait plus eu qu’à aller garer ses miches au Vénézuela.

    (Note de l’éditeur: Au vu des jugements géopolitiques quelque peu Olé Olé à la fin de ce texte, nous avons demandé à son auteur s’il ne versait pas trop dans l’impression de comptoir. Ce à quoi il nous a laconiquement répondu:

    « Ouais les considérations internationnales sont un peu osées,

    mais je vois pas d’autres explications, sauf si les avions manquent de fuel du fait de la révolution en libye ou des grèves de l’automne en France.« )


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  • Misrata: rencontre avec un primeur et un armurier

    Misratah est une ville dont l’activité économique repose essentiellement sur le commerce et l’industrie. C’est une ville plutôt riche, sans rôle politique particulier et qui est restée très attachée aux traditions. Elle n’intervient pas directement dans l’exploitation ou la vente du pétrole. La force de Misratah provient de son complexe sidérurgique (le plus grand d’Afrique du Nord) et de son activité commerciale ; c’est le plus grand port du pays. Un port ouvert sur un marché intérieur florissant, boosté par l’argent du pétrole.

    La ville s’est soulevée plusieurs jours après Benghazi en réaction à la répression lors des manifestations. Notons qu’alors que la ville a toujours profité des largesses du régime dans son développement économique, aux premières loges de la révolte on également participé ceux qui avaient abondamment profité du système comme des commerçants qui importaient pour le compte de Kadhafi des produits à bas coût provenant du monde entier, comme les fameux 4×4 chinois de la révolution. Désormais, ce sont ces mêmes marchands qui paient les éboueurs, fournissent les téléphones satellitaires et des accès internet plus nombreux et plus performants qu’à Benghazi !

    Celui qui vient à Misratah éprouvera certainement l’impression d’assister à un spectacle familier, pour l’avoir déjà abondamment suivi à la télévision ou dans la presse écrite : une ville désarmée, assiégée par une armée puissante, pilonnée par l’artillerie et paralysée par les snipers. Dans ce théâtre rémanent, ou chaque élement retrouve sa place, l’OTAN remplace les nations unies et se trouve incapable de faire taire l’artillerie. D’autres acteurs, comme ces snipers serbes, dont Kadhafi s’est assuré le concours, conservent jalousement leur place. Sniper alley s’apelle Tripoli street. Le tunnel sous l’aéroport s’étend désormais sur la mer et permet d’acheminer de Malte et de Benghazi tout ce que la situation réclame, sous les yeux fermés de l’OTAN. A Misratah, comme dans l’Est, la guerre s’éternise et on attend la chute de Kadhafi qui parait chaque jour de moins en moins probable. 

    A Misratah, on dort mal. Celui qui parvient à trouver le sommeil dans les maisons surpeuplées de cousins et d’amis ou dans les écoles aménagées à la va-vite, sera probablement reveillé dès 3 heures du matin, par les tirs de mortiers et de chars, lancés  au petit bonheur la chance, à travers la ville entière. Dans les camps de refugiés la situation est incomparablement plus dramatique. Celui qui parvient à s’endormir le ventre vide sera réveillé par le froid ou la pluie. Certaines nuits les explosions et les échanges de coup de feu sont incessants. Près du front Est, une telle activité ferait fuir n’importe qui vers une zone plus sûre, surtout quand une mosquée se met à scander en dehors des heures de prière qu’Allah est grand. Seulement ici il n’existe pas d’endroit plus sûr. Et du reste, lorsqu’un ami me dit que ces échos proviennent des combats de Tripoli street, je me sens totalement rassuré.

    Dans certains quartiers, si on mange bien et si on y est en securité, c’est que chaque jour des libyens ou des étrangers font preuve d’ingéniosité et de courage. Voici deux exemples de cet esprit de Misratah; je les ai volontairement choisis chez des non-combattants. Car ici pas d’avant ou d’arrière. Les risques, les souffrances, le travail, tout est partagé.

    L’expert en armes.

    Le premier exemple est l’expert en armes. Je l’ai rencontré dans une fabrique de véhicules blindés. C’est un vieux, un peu déluré, ancient militaire qui fait désormais office de chef armurier. A ma demande, il me conduit dans leur fabrique de bombes. C’est une vieille maison, probablement d’un siècle ou deux, delabrée ici et là, située très à l’écart de la ville. Personne n’y vit et les explosifs sont répartis autant que possible dans différentes pièces. A l’origine je devais visiter une autre fabrique, mais cette dernière se trouve désormais en terrain occupé par les forces ennemies. Dans celle-là, quatre hommes déjà sont morts du fait d’explosions accidentelles. Le vieil homme me présente ses matières premières : des caisses d’écroux, des munitions de char ou de mortier. Dans l’atelier il prend une canette ouverte par le haut, y introduit trois colliers d’écroux, puis étale un explosif civil de fabrication turc. Il referme le dispositif avec un marteau et introduit en force une mèche avec un détonnateur civil. Voilà, en cinq minutes une grenade prête à l’emploi.

    Il prend ensuite une grosse bombonne d’air, et m’explique qu’une fois remplie de boulons et d’explosifs, on peut y placer un détonnateur électrique et en faire une mine efficace. Devant son ouvrage il me confie comme une fierté personnelle, que sa tête est mise à prix et que si je veux devenir riche il me suffit de le tuer ou de le livrer à Kadhafi. Sur ces entrefaites nous nous rendons dans une place isolée au milieu des dunes. Là, encore plus à l’écart de la ville, sont entassées des charges diverses: bombes de mortier percutées non explosées, explosifs de marine, obus encore intacts. La plupart est parait-il enterré. Les gens de la ville viennent y déposer leurs   munitions dont ils n’ont pas l’emploi ou les choses que l’on prend pour tel (comme des filtres à air de chars ou leurs cartouches de rechargement). Plusieurs munitions ont été ouvertes pour en extraire l’explosif, mais la plupart sont intactes. Nous raccompagnerons notre expert à la fabrique où son savoir-faire est mis à profit.

    armurier frabriquant des grenades
     
    Armurier frabriquant des grenades

    Le primeur égyptien

    Le second exemple est un primeur égyptien, l’épicier, le petit bourgeois par excellence, voué à une vie de labeur et de stabilité. Chaque jour vers 6 heures du matin, le bonhomme prend son petit utilitaire et fonce en direction des champs, bravant les tirs des snipers. Trente minutes plus tard, il arrive dans la ferme d’un gars qu’il connait. Les légumes ne sont plus arrosés et la plupart sont morts ou rachitiques, mais sur le nombre on en trouve toujours de quoi remplir le camion. De toute façon on traîne pas, ça doit etre plié en une heure. Aujourd’hui, on fait dans la carotte ou dans les aubergines. Les deux secteurs phare de cette récolte à haut risque sont Dafnia à l’ouest -en direction de zlitan- et Taumina à l’est -en direction de Tawarga.

    De ces deux localités Taumina est la plus dangereuse, mais dans l’une comme dans l’autre direction, les forces de Kadhafi peuvent tirer sur le véhicule ou les arrêter. Cela est arrivé plusieurs fois déjà à notre valeureux primeur, car les forces loyalistes ne tiennent aucun barrage permanent sur la route. Depuis plusieurs semaines déjà ils ont abandonné leurs voitures militaires et les ont remplacées par des véhicules civils semblables à ceux de la révolution. Tirant au sort une voiture parmi d’autres, ils barrent la route à l’improviste. Jusqu’ici le marchand de légumes s’en est sorti en affirmant venir livrer les milices pro Kadhafi, mais on imagine bien le malaise qu’il doit ressentir lors de ces contrôles ou toute erreur peut le perdre. Ces légumes à haute valeur ajoutée, il les vend au prix ordinaire à ceux qui ont les moyens, et pour rien à ceux qui ne peuvent pas payer. Seul le prix des pommes de terre, des tomates et des oignons a sensiblement augmenté.

    Ces légumes sont apportés depuis Tripoli par les marchands sensés livrer zlitan. Ils sont donc achetés plus cher qu’à l’accoutumée et vendus en conséquence. Le kilo de patates est par exemple passé de 75 centimes à 1.25 dinards. Le renouvellement des légumes est moins bon qu’en temps normal mais les magasins encore ouverts sont bien approvisionnés et on n’y fait pas la queue. Le gars fait aussi des livraisons à domicile à Tripoli street chez ceux qui ne peuvent pas sortir de chez eux.

    magasin du primeur guerrier
     
    Magasin du primeur guerrier

    Peu de temps après je trouve dans une clinique, un jeune homme blessé par un sniper dans une ferme pendant une récolte à Sict -près de Taumina. La balle a pénétré dans sa poitrine gauche juste sous son bras, à quelques centimètres de son coeur. Voici deux exemples édifiants de ce que représente la vie à Misratah. J’aurais pu vous parler de ces médecins qui attendent à deux pas des zones de combat les combattants bléssés pour leur prodiguer des soins parfois vitaux, des techniciens, qui chaque jour, vont dans les zones à risque réparer les lignes à haute tension endommagées par les bombardements de la veille, ou bien d’un copain expert en communication qui tente de rétablir le réseau libiana avarié sur Tripoli street. Et encore, ce ne sont là que quelques cas pris au hasard parmi toute une population engagée corps et âme dans cette guerre.

    Misratah n’est pas que la garante de l’unité de la libye, elle est un acteur essentiel de sa construction. Si Benghazi est l’avenir intellectuel du pays, Misratah est son avenir économique. Sa destruction remettrait en cause le développement de toute la libye ainsi que son indépendance commerciale. Ce que l’on peut craindre aujourd’hui c’est bien moins sa perte, assez peu probable étant donnée la densité et la détermination de sa population, que sa lente et irrémédiable destruction, comme ce fut le cas de Sarajevo, autrefois si importante et désormais relayée au second plan.


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  • Libye : l’ « aide humanitaire » des bataillons de l’UE se prépare

    Après avoir refusé de participer à la guerre en Libye, le gouvernement allemand se ravise : l’Allemagne, a annoncé le ministre des affaires étrangères Westerwelle, est prête à envoyer des troupes pour « fournir de l’aide humanitaire aux civils libyens ».

    (JPG)

    Insurgés libyens sur les lieux d’un bombardement "humanitaro-militariste" de l’OTAN contre une colonne de pro-kadhafistes

    Elles feront partie de l’opération « Eufor Libya » (Force de l’Union européenne en Libye), que l’UE s’apprête à lancer. L’objectif officiel est de « soutenir les agences humanitaires dans leurs activités ». Les groupes de combat de l’Ue s’en occuperont, en habits de « coopérants ».

    Ce sont des groupes militaires de la dimension d’un bataillon, chacun de 1.500 soldats, hautement entraînés pour être projetés avec un préavis de 15 jours dans des « zones de crise lointaines, comme celles des failing states (Etats en faillite) ». Les groupes de bataille, employés généralement « mais non exclusivement » sur mandat de l’ONU, conduisent des « opérations de combat dans un environnement extrêmement hostile (désert, jungle, etc.) ». Leur mission est de « préparer le terrain à de plus grandes forces de peacekeeping »

    Le quartier général de l’opération « Eufor Libya », dont dépendent les groupes de bataille de l’Ue, est localisé à Rome, sur l’aéroport « Francesco Baracca » de Centocelle. Commandé par le contre-amiral Claudio Gaudiosi de l’état-major italien. Il fait partie du Commandement opérationnel du sommet inter forces (Coi), qui planifie et dirige les opérations militaires à l’étranger, ainsi que les manœuvres interforces et multinationales dans le cadre de l’OTAN.

    Le « mérite » de la constitution de la Coi, par la loi n. 25 du 18 février 1977, revient au premier gouvernement Prodi (centre-gauche NdT) qui lança la restructuration des sommets des forces armées, en augmentant les pouvoirs du chef d’état-major concernant les opérations militaires à l’étranger. Juste à temps pour la guerre contre la Yougoslavie et les suivantes en Afghanistan, Irak et Libye, auxquelles ont participé les forces militaires italiennes. Le Coi a maintenant une ultérieure satisfaction : l’attribution au contre-amiral Gaudiosi du commandement des groupes de bataille de l’Ue pour l’opération « Eufor Libya ».

    Etant donné que les USA ne sont pas disponibles pour envoyer de troupes en Libye, entrent en jeu les groupes de la bataille de l’Ue, pour lesquels se prépare le premier véritable test sur le terrain. Tandis que les plus grandes puissances européennes, mais pas l’Allemagne, participent individuellement à l’opération « Protecteur unifié » sous le commandement de l’OTAN (c’est-à-dire étasunien), en attaquant depuis le ciel et la mer les forces gouvernementales libyennes afin d’ouvrir la voie aux rebelles, l’Union européenne en tant que telle s’apprête à débarquer des troupes militaires en Libye.

    Formellement pour fournir de l’aide humanitaire aux civils, en réalité pour soutenir les rebelles et préparer le terrain à des forces plus grandes de « peacekeeping » sous drapeau européen, OTAN ou autre. Leur premier objectif sera d’occuper les zones clé de l’industrie énergétique libyenne, formellement pour les protéger des forces de Kadhafi ou pour garantir un cessez-le-feu, en réalité pour couper Tripoli de sa source fondamentale de revenus.

    Deux scénarios se dessinent ainsi : ou une Libye « balkanisée », divisée en deux ou plusieurs états ethnico-tribaux, avec les plus grosses réserves énergétiques aux mains d’un gouvernement ami disposé à toute concession, ou une situation de type irako-afghan, avec le renversement de Kadhafi et son remplacement par un administrateur des intérêts coloniaux des Etats-Unis et de l’Europe unie.


    12 avril 2011 - Il Manifesto - Vous pouvez consulter cet article à :
    http://www.ilmanifesto.it/area-abbo...
    Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio


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  • Misrata des lieux.

    Alors que les journalistes occidentaux ont fuit Misrata, nos amis, qui sont encore dans la ville, nous envoient le fruit de leurs recherches et constatations de ces derniers jours.
    Ce texte est découpé en 3 parties distinctes. L’une, à fin de contextualisation, rappelle quelques informations générales sur la Libye. La seconde revient sur le soulèvement du 20 février à Misrata. Enfin la dernière (et plus longue) partie, dresse un état des lieux de la situation actuelle dans la ville. Il y est décrit le positionnement des forces en présence, puis la manière dont les insurgés s’organisent.

    1. Considérations générales sur la Libye.

    Le texte qui suit tente un bref état des lieux du pays, du point de vue économique, historique, social. Il est largement limité par notre manque de connaissance du pays. Pourtant, ces quelques considérations permettent de saisir les événements dans une vision moins étroite que ce qui a été écrit jusque-là.

    La Libye n’est pas un pays pauvre. Les richesses du pétrôle irradient toute l’économie, des secteurs issus de cette industrie à ceux qui lui sont indirectement liés. Les cadres, les ingénieurs, les enseignants contribuent largement à l’insurrection. Le travail ouvrier (bâtiment, soudure, menuiserie, etc.) est principalement effectué par la population issue de l’immigration africaine. La vie libyenne fonctionne sur le modèle de la métropole occidentale. Dans l’ensemble, les libyens ne vivent pas de leurs propres productions et dépendent des échanges commerciaux.

    La quasi totalité de ce qui est consommé relève des importations. Celles-ci ont cessé depuis le début de la guerre. Certaines ressources (médicaments, nourriture…) transitent encore par la frontière égyptienne mais elles se font au compte-goutte et au gré des initiatives personnelles. L’ensemble du pays vit actuellement sur ses stocks et il est difficile de savoir combien de temps ils pourront encore subvenir aux besoins.

    Comme nous l’a rappelé un vieil homme, cette révolution n’a pas commencé parce que les libyens avaient faim. Selon lui, le peuple s’est soulevé pour la dignité, l’honneur. Les Libyens avaient beau être riches et bien éduqués, ils avaient l’impression de vivre comme du bétail, à savoir ne faire que « manger et pisser ». Maintenant que la guerre a bouleversé certains aspects du quotidien, il est difficile de comprendre ce qu’un retour à la normal impliquerait. Ils ont déjà gagné l’honneur et la liberté dans le processus même de la guerre.

    Les quarante-deux ans du régime Kadhafi ont empêché le développement d’une culture de la politique classique : absence de partis politiques, inexistence de lieux de sociabilite classiques tels que des associations, nulle émergence d’idéologie particulière. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles on entend peu de discours sur la démocratie, à l’inverse des mouvements en Egypte ou en Tunisie. Etant donné qu’il n’y a pas l’ancrage d’une force d’opposition, même clandestine, aucun leader ne bénéficie d’un engouement particulier de la part des révolutionnaires.

    De la même manière, nous ne distinguons pas de hiérarchie formelle qui centraliserait l’organisation de cette guerre. Pour autant, nous commençons à entendre le nom d’Abdel Fattah Younes Al-Abidi, ancien ministre de l’interieur du régime de Tripoli nommé, ces derniers jours, chef d’Etat major des troupes rebelles. Pour le moment, son rôle semble limité au plan logistique militaire. Même si la presse occidentale l’annonce comme le nouveau leader, il est loin de faire l’unanimité parmi les shebab. Les seules figures auxquelles se rattache le sentiment national et patriotique sont des symboles de résistance passée comme celle d’Omar Al-Moktar.

    Aujourd’hui, « les libyens libres sont tous des Omar Al-Moktar ». Ce dernier, cheikh des mudjahidins de l’époque, a combattu les Italiens de 1911 a 1931, retranché dans les montagnes de l’est, s’attaquant aux chars avec des moyens de fortune, construisant des pièges et imaginant d’autres mauvais coups de génie. « La victoire ou la mort, ne jamais se rendre » tel était son mot d’ordre, qui retentit encore aujourd’hui.

    En ce qui concerne le système tribal, il s’agit surtout d’un mythe que Kadhafi a beaucoup utilisé pour asseoir une gestion du pays par la division et, par conséquent, favoriser la sienne, les kadhafa. Les tribus ont une realité historique mais aujourd’hui elles n’ont plus d’influence dans les rapports de force. Dans les grandes villes, par exemple, plus personne ne semble se référer à une tribu d’appartenance. Dans cette guerre, l’Islam agit comme le seul lien communautaire infaillible, là où le vide spirituel qui accompagne l’occidentalisation pourrait atomiser les partisans de la révolution.

    Vivre dans la bonne voie ou mourir pour une bonne raison. Qu’il s’agisse précisement de la guerre en cours ou de la vie ordinaire, nos amis libyens insistent : « une cible, un chemin ». La force que donne ici la foi est déterminante dans la tenue du conflit. Quand le bateau acheminant des munitions, de la nourriture et des médicaments pour Misrata a été menacé, par un appel anonyme, d’être attaqué, le doute ne marquait aucun visage. Au son des prières et des chants, le bateau a pénétré dans le port.

    2. Les débuts du soulèvement à Misrata.

    Le 17 fevrier, alors que la katiba de Benghazi tombe aux mains des insurgés, une petite foule de partisans khadafistes parcoure encore tranquillement les rues de Misrata, munie de mégaphones, agitant des drapeaux verts et des portraits du « Guide ». Ils s’efforcent de manifester un semblant de normalité quand, partout dans l’est, les positions du pouvoir sentent déjà le brûlé. Mais, le 19 fevrier, cinq cents étudiants de Misrata sortent dans les rues pour protester contre les tirs sur la foule qui ont eu lieu à Benghasi. La manifestion est attaquée dès le matin, à main nue ou à coups de gourdins par des kadhafistes. Dans l’après-midi, les esprits s’echauffent, l’armée se déploie et tire au 14.5 sur la foule.

    Il y a un mort du côté des manifestants. Le lendemain, environ vingt mille personnes envahissent le cimetière pour enterrer le jeune garçon. Une fois la cérémonie terminée, la foule marche sur le centre-ville, avec des batons en guise d’armes et attaque systématiquement tous les symboles du régime. C’est le ravage des quelques « lenjen toria », sortes de bureaux du parti « révolutionnaire » kadhafiste, et comme un peu partout en Libye, le départ précipité vers Tripoli d’une large frange des militaires – ce qui fournit, aux insurgés, leurs premières et seules armes.

    Il faut savoir que Misrata était considérée comme une ville commerciale, très calme et exempte d’agitation politique, à l’inverse de Benghazi, lieu de résistance où les forces khadafistes étaient armées en conséquence. Ici, on connaissait même très peu les potentielles caches d’armes. Ce n’est qu’il y a deux semaines, quand des explosions se faisaient encore entendre six heures après le bombardement de l’aéroport par la coalition, que les gens ont compris où elles se trouvaient concentrées.

    Dès les premiers jours, le chef local des forces spéciales de Kadhafi, promet à la population qu’il ne donnera pas l’ordre de tirer sur la foule. Il est arrêté et emmené à Tripoli avec sept autres personnes. La Katiba et ses stocks de munitions restent aux mains du pouvoir. Si le problème de l’armement des insurgés se fait encore sentir aujourd’hui dans la guerre asymétrique qui se livre ici, ce n’est rien au regard des premières offensives loyalistes pour reprendre la ville.

    La population était alors quasiment désarmée. Leurs principaux moyens de lutter contre les premiers tanks qui entraient en ville étaient largement improvisés. A plusieurs, ils couraient sur les blindés, armés de cocktails molotov et de gélatines – grenades artisanales traditionellement utilisées pour la pêche, dont la puissance varie en fonction de la taille de la boîte de conserve qui conditionne l’explosif. A ce moment-là, la victoire est une affaire de détermination et d’ingéniosité face aux colonnes constituées principalement de mercenaires étrangers, fortement armés mais désavantagés par leur méconnaissance du terrain.

    Le plan militaire qui se déploie ici n’est pas autre chose que la fortune de Kadhafi qui achète sa vengeance. Depuis le départ, les milices sont composées de mercenaires étrangers. L’arrivage massif de ces « soldats », en provenance de divers pays, est permanent, soit parce qu’il est organisé par Kadhafi, soit parce que c’est le nouveau plan thune des tueurs professionnels : des bureaux de recrutement au Tchad et au Mali, cet appel satellite intercépté d’un sniper serbe invitant ses potes au pays à le rejoindre ici. Pour aligner des civils dans un viseur, la rémunération peut aller jusqu’à 10 000 dinars par jour.

    On parle aussi des quartiers pauvres ou des villes défavorisées du sud dans lesquelles les pro-Kadhafi recrutent des libyens, qui, au cours des premières semaines, ont grossi les effectifs des milices ou servent, maintenant, à manifester devant des caméras en agitant le drapeau vert. Les sommes d’argent et les promesses d’emplois hauts placés que le clan Kadhafi est capable de proposer créent une méfiance diffuse, égale à la peur des espions. Même s’il nous est difficile de saisir toutes les tensions, cette méfiance ne semble pas produire une ambiance délétère, ni nuire aux liens entre les révolutionnaires.

    Le troisième jour, la plupart des gens avaient déjà déserté leurs postes de travail. Une sorte de démobilisation générale s’est installée parce que l’Etat comme instance de gestion avait déjà disparu ou, en tout cas, il n’était plus question de le reconnaître. Des assemblées se sont formées sur la place centrale de Misrata, là où convergeait la foule. S’y est posée immédiatement la nécessite de s’organiser pour la nourriture, l’eau, l’électricite, l’argent, autant que pour combattre.

    Ceux qui poussaient à la création de « conseils » pour coordonner les initiatives venaient pour une bonne partie du milieu judiciaire (avocats, juges…). Ce sont eux qui ont poussé les banques à réouvrir quelques jours la première semaine pour que soit distribué l’argent. Suite à la creation de ces conseils locaux, il y a eu la volonte d’une coordination à l’échelle nationale, ce qui deviendra le Conseil National de Transition. Cette instance est donc aussi composée de délégués des conseils locaux. Par exemple, il y a deux personnes de Misrata présentes au CNT de Benghasi.

    Depuis la première semaine, sur les plans politiques et existentiels, la ville est acquise à la révolution. Il faut la bêtise d’un adepte de la propagande télévisée d’Etat ou la distance d’un journaliste occidental pour se perdre encore en conjectures et croire que quelque chose puisse encore ici tourner politiquement en faveur de Kadhafi. On ne voit pas bien en quoi consisterait maintenant pour le pouvoir le fait de « reprendre Misrata », sauf à en éradiquer purement et simplement la population.

    3. Notes sur la stratégie de siège de Misrata – cartographies.

    La disposition des forces ennemies, sur trois secteurs importants, encercle Misrata et en empêche l’accés par voie terrestre. De ces trois points et de l’occupation de Tripoli Street, des incursions sont régulièrement effectuées ou tentées plus en avant dans la ville. La strategie des forces kadhafistes consiste en une politique de la terreur : pénétrer dans certains quartiers pour les piller, enlever des habitants ou les tuer. Elle prend aussi la forme de bombardements, de tirs tactiques ou de prises de positions pour priver la population de ses ressources : la nourriture, l’électricite, le pétrole, l’argent, le matériel médical, les moyens de communication.

     
    vue large de Misrata
     
    legende misrata vue large

    A l’Ouest.

    Depuis Zlitan, le long de la route côtière, des pièces d’artillerie lourde, des tanks et des BMB (blindés de transports de troupes) sont retranchés dans une zone forestière à une dizaine de kilomètres de Misrata. Les mouvements depuis cette zone sont à découvert. Ils tentent régulièrement des percées dans la ville afin de se réfugier dans les immeubles pour pouvoir tenir une position à l’abri des tirs de la coalition. Jusque-là, les shebabs ont toujours reussi à les faire reculer.

    Au sud.

    Les forces kadhafistes sont concentrées depuis Tamina jusqu’aux abords de la base militaire de l’aviation, bombardée deux fois par l’OTAN. Depuis cette position, les troupes de mercenaires s’assurent le contrôle des accès sud de la ville (intersections des portes sud et de la Highway) et procèdent à des incursions. Au croisement de la Highway et de Benghazi street, les blindés enfoncent les facades des magasins et des cafés pour se mettre hors de vue dans les bâtiments lors des passages des avions de la coalition. Leurs mouvements sur la Highway coupent la ville de toute la zone qui s’étend au-delà, concentrant la plupart des fermes de la region, et donc la majeure partie de la (faible) production agricole locale. Les forces loyalistes se sont particulièrement attachées à couper l’alimentation en électricité des exploitations et à en rendre l’accès depuis la ville particulièrement suicidaire.

    A l’est.

    La zone qui s’étend du sud-est de Misrata jusqu’au port Quasr Hamad essuie continuellement des tirs d’artilleries, des pillages ou des tentatives d’attaques sur les entrepôts de stockages. Ce port de commerce est une immense zone industrielle devenue le noeud stratégique local dans le déroulement des hostilités puisqu’elle sert encore de grenier à la ville. L’attaque du vendredi 2 avril par un tank et un groupe de voiturse, mise en échec par l’intervention largement médiatisée de la coalition, y visait des entrepôts de sucre et de farine. Les premiers ont complètement cramé.

    Cette opération faisait suite à de multiples tentatives au cours des semaines précédentes, toujours plus ou moins limitées par les contre-attaques des shebabs. Dans cette zone se trouvent également la dernière centrale électrique encore fonctionelle de Misrata, ainsi que les réserves de pétrôle, encore conséquentes, qui servent autant à la circulation des shebabs qu’à produire l’électricité de la ville. La seconde centrale – située à Karsas au nord-ouest – a été détruite, il y a trois semaines, privant la moitié de la ville non seulement d’électricité mais aussi d’eau puisque le pompage direct des nappes phréatiques en depend. D’autres points du circuit électrique sont aussi régulièrement touchés comme les boitiers électriques des quartiers.

    Le centre-ville.

    Il y a un peu plus de deux semaines, les forces loyalistes ont reussi une incursion dans le centre de la ville. L’operation rassemblait sept cent hommes, une quarantaine de tanks et autres engins d’artillerie. Les shebabs ont été tenus en échec. Depuis, l’occupation de Tripoli Street par les forces kadhafistes paralyse la colonne vertébrale du centre-ville marchand. Les snipers ont pris position sur les plus hauts buildings. Huit blindés ont été positionnés entre le principal hôpital de la ville et les abords d’un gros supermarché et du marché à légumes qui pouvaient, il y a peu encore, pourvoir en nourriture. Les ansciens locaux de la radio et ceux de la télévision locale, en retrait de la rue principale, sont endommagés et l’accès y est difficile. Leurs locaux ont été déménagés dans des endroits plus protégés et inconnus des forces kadhafistes.

     
    Centre de Misrata

    S’organiser à Misrata

    Pour désigner les combattants, les journaux occidentaux parlaient des « shebabs » (littéralement, « les gars »). Or, ici, tous s’appellent « shebab ». Il y a ceux qui affrontent physiquement, avec ou sans armes, l’ennemi, et ceux qui s’attèlent, sous plusieurs autres formes, plus ou moins chaotiques, à rendre cette guerre habitable et victorieuse. Se nourrir, circuler, communiquer, se soigner, se défendre sont devenus des pratiques offensives.

    A Misrata, plus particulièrement qu’ailleurs, la guerre n’a pas pris la forme d’un front rangé contre l’ennemi et un d’un arrière mobilisé dans une économie de guerre performante et organisée par une instance centralisée. A Misrata, dès le 20 fevrier, les habitants sont sortis dans la rue, ont deserté leur travail et ont cherché à remplir le vide que laissé par l’attaque des administrations du régime de Kadhafi. Des rassemblements se sont improvisés, des appels à s’organiser se sont succédés. Ces élans spontanés ont eu lieu dans chaque ville libyenne qui s’est soulevée. Très vite est venue l’idée d’un conseil national auquel participeraient deux membres de chaque ville.

    Celui-ci est posté à Benghazi, ville de l’est, premier endroit à prendre les armes contre le régime, le 17 février. Pour le moment, cette instance sert aux pourparlers diplomatiques avec l’occident et participe à coordonner, nationalement, une meilleure répartition des moyens. Localement, la seule instance qui influe sur le cours de la guerre est le conseil local. Le rôle de coordination matérielle (organiser la distribution de la farine, du fuel, chercher à répondre aux besoins des hôpitaux, etc.) que cette instance endosse intervient seulement quand les besoins ne peuvent pas être résolus directement par les habitants, soit pour une question d’échelle (les hopitaux), soit parce que ceux-la ont dû quitter leurs quartiers. Par exemple, ici, les familles ont en grande partie quitté les zones adjacentes à Tripoli Street depuis le début de son occupation par les forces loyalistes, il y a deux semaines.

    Le ravitaillement des shebabs qui y tiennent position passe alors par la coordination du conseil local : ses membres s’assurent que des familles préparent de la nourriture et que des munitions soient disponibles. Pourtant, à Misrata, le conseil local est loin d’incarner l’autorité en matière de décisions et d’initiatives. Il ne peut pas prétendre remplir la béance ouverte par la déstitution de l’ancien régime. D’abord, il n’y a pas l’assise d’une opposition politique qui pourrait se poser comme leader de la révolution. Ensuite, le conseil local est spontanément limité par la détermination et les savoir-faires des uns et des autres.

    La majeure partie de la population a cessé d’aller travailler et, dès le 21 mars, il n’y avait plus d’activité économique dans Misrata. Les habitants se sont rendus disponibles à la révolution en revétant de nouveaux rôles qu’ils se sont eux-même attribués. Le maître de conférence qui s’attèle a gérer le point internet de la ville, l’ancien militaire qui devient capitaine de bateau, l’étudiant en médecine qui part combattre, les bandes de gamins du quartier qui tiennent des check-points toute la nuit, le propriétaire d’une pelleteuse qui passe dans les rues pour former des barricades de sable. En ce qui concerne les tâches plus amples, l’organisation repose sur l’initiative commune d’habitants d’un même coin. Pour les déchets, par exemple, ils s’organisent entre eux pour les rassembler, les incinérer à ciel ouvert ou bien s’en servir comme combustibles pour se défendre.

    Très rapidement aussi, ils ont compris que certains lieux devaient continuer à fonctionner pour répondre aux besoins créés par cette guerre. La panique ne semble jamais avoir emporé les foules dans la destruction et le pillage de ce qui pouvait servir à tenir dans la durée. Certains lieux stratégiques n’ont donc jamais cessé leur activité, comme les dépôts de stocks issus de l’importation et ceux contenant le fuel pour en permettre la distribution. Les centrales électriques en font aussi partie. En leur sein, le travail ne fonctionne plus comme à l’ordinaire. A défaut d’autres moyens de communication, on se tient au courant des coupures d’électricite par des messages diffusés au cours des émissions de radios locales. Les techniciens, plus ou moins improvisés, se rendent sur place, en prenant parfois beaucoup de risques, constatent les dégats des compteurs attaqués ou des lignes sectionnées et font savoir aux habitants, toujours par la radio, le temps nécessaire aux réparations.

    Les banques ont d’abord été forcées d’ouvrir trois jours par semaine pour distribuer l’argent. Les forces kadhafistes se sont alors postées devant. L’argent n’est donc plus une nécessité pour acquerir les produits : ceux qui en ont encore paient, et les autres allongent des ardoises qui n’ont plus vraiment de sens, aucune activité n’étant plus remunerée par un salaire. Très vite, les magasins ont été réouverts pour rendre accessibles les produits vitaux. Certains possèdent des petits potagers et ont encore quelques bêtes à se mettre sous la dent. D’autres risquent leur vie en traversant des grandes artères pour acheminer de la viande et des légumes depuis les fermes du sud de Misrata, afin de les redistribuer en centre ville. C’est ainsi qu’on peut voir aux abords de certaines rues des foules faisant la queue devant une camionette de légumes.

    Les camps de réfugiés sont la face obscure de cette organisation. Ils sont plusieurs milliers à s’être rassemblés dans la zone portuaire de Qasr Ahmad. Ils répètent que cette guerre n’est pas la leur. Leur passivité dans le conflit les réduit à subir les pires conditions, sans pouvoir faire autre chose qu’attendre la nourriture, les médicaments, le bateau qui les sortira de Lybie. L’arrivée prochaine d’organisations humanitaires trouvera-là un misérable chaos dans lequel elle saura s’engouffrer, tandis qu’ailleurs, elle mettra sûrement fin a l’ingéniosité des habitants.

    Il n’y a pas de centralisation de l’information mais plusieurs outils pour la faire circuler. Il y a la radio qui informe localement et nationalement mais aussi l’imam du quartier qui informe du besoin de telle ou telle famille et est en mesure de trouver telle ou telle personne pour y repondre. Ces derniers outils ne fonctionnent pas seulement pour repondre à des besoins, c’est aussi un moyen de s’adresser aux ennemis. Par exemple, l’ « avertissement aux mercenaires » (cf. article ‘Nouvelles de Misrata, ville assiegée’) tourne en arabe, en francais et en anglais a la radio.

    On nous raconte aussi qu’il y a une semaine, des habitants s’étaient adressés à des snipers logés dans un immeuble via le minaret de la mosque. Le message adressé était à peu pres celui-ci : « Si vous vous vous rendez et deposez les armes de vous-même, vous ne serez pas faits prisonniers, si vous acceptez, tirez trois coups ». Au deuxieme coup de feu tiré en l’air, les gens sont sortis dans la rue pensant avoir remporté la reddition des snipers, mais le troisième coup et les suivants furent pour la foule.

    Les rues et les batiments sont aussi occupés d’une nouvelle manière. A chaque intersection, un check-point a été installé. Ce sont des barrages pour contrôler l’accès dans les quartiers et pour multiplier les remparts à une possible incursion des forces kadhafistes. On peut y être contrôlé sommairement, avec ouverture de coffre et vérification des cartes de rebelles. Ces cartes ont été editées par le CNT et distribuées aux shebabs. Elle porte la date du fameux 17 fevrier et on peut y lire toutes sortes de fonctions improvisées.

    Par exemple, un jeune étudiant en médecine se retrouvera docteur. La circulation permanente des voitures aux check-point permet la transmission d’informations sur la sécurité de telle ou telle zone. Certains barrages sont faits de brics et de brocs, d’autres sont devenus de véritables lieux de vie. Pour s’abriter, des tentes sont montées sur les trottoirs ou bien ce sont des contenaires ramenés du port commercial qui sont posés sur la route, autant pour réduire les voies que pour y mettre de quoi cuisiner, quelques matelas et une télévision branchée sur Al-Jazeera.

    A certains check-points, il y a des details qui révèlent le plaisir que les shebabs prennent à les installer, les penser, les ameliorer. Le nombre des équipes varie, c’est aussi bien des vieux que des jeunes, en general peu armés. Les équipes se relaient par tranches horaires et elles se forment à partir des habitants des rues à proximité. Il ne semble pas y avoir de coordination formelle entre les differents check-points.

    Pourtant, le même genre de matériel se trouve partout et, toute la journée, on voit des types qui transportent du sable, remplissent des sacs avec ou le répartissent en tas sur les routes. Quant aux batiments, beaucoup ont été requisitionnés et reconvertis selon les moyens et les besoins : un local de radio, trop proche de Tripoli Street, s’est improvisé dans un préfabriqué branché à une grosse antenne et couvre toute la Libye, une école s’est transformée en centre de communication internet, un magasin est devenu un dépôt de nourriture.


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  • Libye, la guerre secrète de la Cia

    Manlio DINUCCI

    « Alors que le président Obama a réaffirmé qu’aucune force terrestre américaine (étasunienne) ne participe à la campagne de Libye, des groupes d’agents de la Cia opèrent en Libye depuis plusieurs semaines » : révélations hier du New York Times. Les agents, dont le nombre est inconnu, sont ceux qui « avaient déjà travaillé à la centrale de l’agence d’espionnage à Tripoli » et d’autres arrivés plus récemment. Kadhafi avait autorisé la CIA et d’autres agences étasuniennes, en 2003, à opérer en Libye pour contrôler qu’il avait bien renoncé à son programme nucléaire militaire et transférer hors du pays des instruments et projets pour la bombe. Ces agences mêmes ont ensuite « renoué leurs liens avec les informateurs libyens », quand « il y a plusieurs semaines, le président Obama a secrètement autorisé la Cia à fournir des armes et autres formes de soutien au rebelles libyens ».

    Les groupes de la Cia -qui opèrent en Libye dans le cadre d’une « force ombre » dont font partie des agents britanniques et autres, véritables « troupes terrestres ombre », en contradiction avec la Résolution 1973- ont deux tâches. Avant tout, « contacter les rebelles pour comprendre qui sont leurs leaders et groupes d’appartenance ». L’amiral James Stavridis, qui commande les forces étasuniennes et OTAN en Europe, a déclaré, dans une audition au Sénat, que des indices existent d’une présence Al Qaeda parmi les forces anti-Kadhafi. Il convient donc de fournir armes et entraînement aux groupes fiables, c’est-à-dire utiles aux intérêts des Etats-Unis et de leurs principaux alliés (France et Grande-Bretagne), à l’exclusion de ceux qui n’offrent pas de garanties suffisantes. La France s’est déjà déclarée disponible à fournir des armes et, pour l’entraînement, des forces spéciales britanniques sont déjà en Libye.

    En même temps, les agents étasuniens et alliés ont la mission de fournir aux pilotes des bombardiers les coordonnées de objectifs à frapper, surtout dans les zones urbaines, qui sont signalés avec des pointeurs laser portables. Les données transmises par les agents sont alors intégrées à celles recueillies par les avions espions de divers types (Global Hawk, U-2, Jstars, Rc-135) qui depuis des semaines, avant les attaques aériennes et navales, ont survolé en continu la Libye pour repérer les objectifs. Particulièrement important le rôle des Global Hawk, les avions télécommandés qui décollent de Sigonella (Sicile), dont les informations sont transmises au centre de commandement. Celui-ci envoie les données à un avion Awacs, venant de Trapani (Sicile), qui les transmet aux pilotes des bombardiers. Prêts à partir aussi les Predator, les drones utilisés en Afghanistan et au Pakistan, armés de missiles.

    L’enquête du New York Times montre ainsi que les préparatifs de guerre avaient commencé bien avant l’explosion du conflit intérieur et avant l’attaque USA/OTAN, et que les opérations guerrières ne sont pas seulement ce qui apparaît aujourd’hui à nos yeux. On ne sait pas si l’Italie aussi (et la France, NDT) fait partie de la force ombre qui opère en Libye. Mais le président Obama, en exprimant au président Napolitano et au premier ministre Berlusconi sa profonde appréciation pour « l’appui résolu aux opérations de la coalition en Libye », reconnaît la « compétence » de l’Italie dans la région. Indubitable compétence, acquise depuis que les troupes italiennes, il y a un siècle, en 1911, débarquèrent à Tripoli.

    Edition de vendredi 1er avril 2011 de il manifesto

    http://www.ilmanifesto.it/Quotidian...

    Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

    URL de cet article 13289
    http://www.legrandsoir.info/Libye-la-guerre-secrete-de-la-Cia.html

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