• Il y a quelque chose de pourri dans l’air.

    Il est dix heures du soir.. Les rues sont déjà presque désertes.

    Deux jeunes discutent encore dans une voiture de location, à l’arrêt sur le rond-point, sur la place de la jeunesse du centre-ville de Zarzis lorsque surgissent deux fourgons et deux pick-ups de la police. Ils freinent brutalement tandis qu’une dizaine d’hommes en tenue sombre et cagoulés s’extirpent au pas de charge d’un des fourgons pour se positionner autour de la voiture. Fusils-mitrailleurs braqués sur les occupants, matraques à la main, ils les somment de présenter leurs papiers d’identité. L’ambiance est tendue. Les quelques badauds encore dehors sont comme tétanisés par cette scène d’un autre temps.

    Mardi dernier, un groupe d’élite des forces de sécurité est arrivé à Zarzis pour rétablir l’ordre. Son objectif est, selon les autorités, de lutter contre le trafic de harragas, la consommation de drogue, la circulation de faux-billets, les cambriolages, les menaces à l’arme blanche et les vols de voiture. Depuis, la seule et véritable action d’envergure mené par ce groupe d’élite est d’avoir confisqué les frigos remplis de bières fraîches vendus illégalement sur la plage…

    Ce groupe d’élite d’une trentaine d’hommes s’occupe essentiellement de contrôler tous les véhicules de location qu’il croise. Ces véhicules étant réputés pour servir de navettes dans le trafic de harragas. Pourtant on ne signale plus de départ de Zarzis pour Lampedusa et ce, depuis au moins deux semaines. La scène décrite ci-dessus se répète inlassablement tous les jours et il est difficile de ne pas se sentir terrorisé par une bande de flics en cagoule les armes à la main.

    On est bien loin des déclarations post-révolutionnaires du ministère de l’intérieur souhaitant établir un climat de confiance entre la police et les citoyens. Opérations spectaculaires, démonstrations de force, l’Etat tunisien dévoile son intention de rétablir son autorité plus de quatre mois après le soulèvement populaire de décembre. Et il applique pour cela les bonnes vieilles recettes du maintien de l’ordre. Comme avant.

    Pendant plusieurs semaines, une campagne de presse des plus grossières a fait ainsi quotidiennement état d’une insécurité générale dans le pays. Les tunisiens souhaitaient, parait-il, le retour de la police. Pour le coup, ils ont été servis. La police est revenue aussi soudainement qu’elle avait disparu.

    Communiqué de presse publié par le ministère de l’intérieur jeudi 12 mai et relayé par les principaux médias : « Dans le souci de préserver l’intégrité territoriale nationale et de se prémunir contre tout ce qui pourrait porter atteinte à la sécurité de la patrie, le ministère de l’intérieur appelle tous les citoyens à faire preuve de vigilance et à appuyer les efforts déployés par les forces de la sécurité intérieure, en informant, le plus rapidement possible, l’unité sécuritaire la plus proche, de toute activité suspecte pouvant constituer une menace dangereuse pour la sécurité du pays. »


    Le ministère souligne que « tous les propriétaires d’hôtels ou de logements meublés à louer et tous ceux qui hébergent des étrangers doivent impérativement informer de manière immédiate sur ces personnes. »

    Pendant le régime de Ben Ali, les gérants d’hôtel étaient dans l’obligation de signaler toute arrivée d’étrangers à la police politique. Ils étaient tout comme les taxis des informateurs très précieux du dispositif sécuritaire tunisien.


    Quatre adresses facebook interdites cette semaine par le ministère de l’intérieur pour incitation à la violence. Takriz fait partie du lot. La police politique a été dissoute mais la police est désormais la politique en Tunisie


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  • Tunis: Couvre-feu et contre-feux.

    Se trouver | 09/05/2011 at 20:51

    Mercredi 4 mai, dans l'après-midi, la Tunisie découvre une vidéo explosive postée sur les réseaux sociaux avant que toutes les radios du pays n'en reprennent le contenu.

    Une interview de Fahrat Rajhi, ex-ministre de l'intérieur destitué par le premier ministre Béji Caïd Essebsi à la fin du mois de mars, a véritablement mis le feu aux poudres. Fahrat Rajhi fut notamment responsable de la dissolution du RCD et de la confiscation de ses biens. Cet ancien magistrat détesté par les cadres de son ministère avait échappé de peu au lynchage par ceux-ci lors de sa prise de fonction. A l'origine du limogeage de plusieurs responsables policiers, il fut par la suite jugé trop dérangeant et trop dangereux par la hiérarchie policière et depuis remplacé par Habib Essid.

    Dans cette vidéo, on le voit et l'entend révéler la préparation d'un coup d'état par le général et chef d'état-major des armées Rachid Ammar, pour prendre le pouvoir en cas de victoire électorale des islamistes aux élections du 24 juillet. Il révèle le rôle que sont en train de prendre les Sahéliens (de sahel ou littéralement la côte, région côtière entre Tunis et Sfax comprenant les villes de Sousse, Monastir et Mahdia dont est originaire la majeure partie de la classe politique tunisienne depuis l'indépendance, Habib Bourguiba et Zine Ben Ali en sont les plus notoires représentants) qui ne voudraient pour rien renoncer au pouvoir ou la direction occulte de Kamel Letaiëf, ex-ami intime de l'ex-dictateur, homme d'affaires et magnat du bâtiment, l'accusant de diriger le gouvernement et de désigner les ministres en sous-main. Des propos que Fahrat Rajhi a violemment regretté dès le lendemain, provoquant aussi les réactions attendues et convenues des autorités qui démentaient farouchement ces assertions.

    Cependant, il n'en fallait pas beaucoup plus pour jeter de nouveau sur l'avenue Bourguiba à Tunis plusieurs centaines de personnes, venues là pour appeler au départ du gouvernement de transition. Depuis les marches du théâtre municipal jusqu'aux lignes de barbelés qui protègent le ministère de l'intérieur, l'on pouvait entendre « Echaâb yourid ethaoura min jadid (Le peuple veut une nouvelle révolution) », « pas de peur, pas de terreur, la souveraineté est entre les mains du peuple » ou « Peuple, révolte toi contre les restes de la dictature ». Le rassemblement fut dispersé par la force deux heures plus tard par les BOP (Brigades de l'Ordre Publique, équivalent des CRS).

    Vendredi 6 mai en tout début d'après-midi, un nouveau rassemblement fut organisé encore avenue Bourguiba et cette fois-là les BOP s'illustrèrent encore dans leur registre habituel. Et si, en France, on en est encore à considérer qu'il y ait de bons et de mauvais flics, le fameux et inénarrable duo comique du gentil et du méchant des millions de français qui ont connu le grand spectacle de la garde à vue, à Tunis, il est bien difficile de distinguer chez le flic moyen s'il n'est que pervers ou s'il n'est que pervers et brutal. La seconde forme semble remporter tous les suffrages en ces temps démocratiques chez les BOP. Il est d'ailleurs assez rare de ne pas voir une charge de police s'interrompre pour rebrousser chemin sur une vingtaine de mètres afin d'aider un collègue à finir à coup de pieds et de matraques une personne jetée au sol à l'aide de ses propres cheveux. La plupart du temps, celle-ci est laissée inanimée sans volonté particulière de l'interpeller.

    Tout le reste de cette après-midi, les affrontements continuèrent dans tout le centre de Tunis, les journalistes et photographes furent systématiquement poursuivis, comme jusqu'au siège du quotidien La presse de Tunisie où les BOP rappelèrent cet organe de presse si proche de Ben Ali au souvenir de cette si douce dictature. Si MAM n'eut finalement pas le temps de faire parvenir quelques livraisons de palettes de grenades lacrymogènes, la police n'en est pas pour autant en manque puisque des sociétés américaines ont suppléé à cette absence actuelle de la diplomatie française. Une générosité limitée puisque personne n'a pourtant songé à équiper les BOP de masque à gaz. Ce qui, au vu de leur propre penchant à arroser leur environnement de lacrymogènes, les met dans une situation tout aussi lacrymale que les émeutiers. Bref les tunisois ont éprouvé dans les larmes et les plaies que leur police n'avait pas connu de révolution depuis le « miracle » du 14 janvier. Malgré ce que cet article révèlera un peu plus loin et ci-dessous.

    A signaler que plusieurs commissariats ont été incendiés vendredi soir dans des municipalités du Grand Tunis. A Ben Arous, au Kram et à La goulette entre autres. Ce dernier avait été réinstallé dans de nouveaux locaux suite à l'incendie de l'ancien et dont ce blog avait publié quelques photos il y a moins d'un mois. Le Couvre feu a été décrété hier dans tout le Grand Tunis (Tunis, Ariana, La Manouba, Ben Arous) jusqu'à nouvel ordre, de 21h à 5h du matin, par décision des ministères de l'intérieur et de la défense nationale.

    Ces événements sont à considérer dans une ambiance politique empoisonnée à tous les niveaux par deux éléments non négligeables. La réhabilitation forcée des forces de sécurité et le régime de la rumeur. Deux éléments qui s'intègrent dans un processus politique qui consiste à faire passer un suppositoire à pachyderme dans un trou de souris. L'image est grossière mais certainement moins que cette tentative d'obliger le peuple tunisien à choisir entre liberté ou sécurité. Certains chroniqueurs et éditorialistes n'hésitant pas à plagier un ex-trotskyste et ex-loser présidentiel, Lionel Jospin, en affirmant, comme il l'avait fait en 1997, augurant du climat sinistre et délirant agitant depuis l'ensemble de la classe politique française, que la première des libertés est la sécurité.

    Cela fait déjà plus d'un mois que l'artillerie lourde du gouvernement national de transition, entre autres, bombarde les esprits pour transformer les forces de sécurité de Ben Ali en acteur de la révolution tunisienne. Le point d'orgue dans ces manœuvres dignes de l'intelligence d'artilleurs serbes sur les collines de Sarajevo furent les festivités organisées à Carthage par le président par intérim Foued Mebazaa en présence du ministre de la justice Karoui Chebbi et l'actuel ministre de l'intérieur Habib Essid commémorant le 55ème anniversaire de la création des forces de sécurité le 18 avril.

    Au cours de cette cérémonie pleine de remises de galons et de galoches en tout bien tout honneur, les flics sont quand même des gens virils et même souvent des mecs, des vrais, Le président Mebazaa a honoré la mémoire de ceux « qui ont perdu leurs vies dans l'exercice de leurs nobles fonctions pour protéger les tunisiens et défendre la patrie ». Appelant les forces de sécurité intérieure à « faire preuve de labeur et de vigilance pour préserver les principes du système républicain et le prestige de l'État ».

    Insistant ce jour là sur la nécessité de consolider les acquis de la révolution, défendre la souveraineté de l'État et s'imprégner des principes démocratiques et des droits humains. Saluant au passage les grands sacrifices et la détermination des forces de sécurité intérieure à préserver la souveraineté de la patrie et protéger les instituions de l'état, à rétablir la sécurité et à rassurer les citoyens en faisant respecter la loi et servir l'intérêt public. Pour continuer avec ces déclarations proprement indigestes, le ministre de l'intérieur a ponctué cette cérémonie en rappelant « la pleine appartenance » des forces de sécurité intérieure au peuple tunisien et « leur ferme » volonté de participer à la sauvegarde des acquis de la révolution et à la réalisation de ces objectifs.

    Il a affirmé qu'il ne ménagera aucun effort pour permettre aux cadres et agents de la sécurité intérieure d'accomplir leurs missions dans les meilleurs conditions afin de consolider le rétablissement de la sécurité et la reprise économique du pays. « Notre relation avec le citoyen doit être basée sur la confiance, le respect mutuel, la transparence et la primauté de la loi ». Ces interventions se sont conclues sur une cérémonie en mémoire des deux martyrs des forces de la sécurité intérieure. Le ministre rappelant « L'important rôle de ces agents dans la protection de la révolution ». Une minute de silence a ensuite été observée à leur mémoire.

    A Thala, les familles des martyrs tombés, comme tant d'autres en Tunisie lors des journées de décembre et janvier, attendent toujours des inculpations de moins en moins probable de policiers identifiés comme les assassins.

    Le lendemain de cette odieuse cérémonie, le quotidien Le temps titrait « Les BOP se défendent : Il n'y a pas de sniper dans nos rangs ». Le journal citait là d'obscurs responsables, sans jamais les nommer, qui prétendaient que ces snipers étaient venus de Libye et financés par Kadhafi en personne.

    Le journal n'hésitait pas non plus à se lancer dans de périlleuses analyses. « Maintenant que le président a pris la fuite, il est temps que justice soit faite, surtout pour la perte en vies humaines dans la population. Mais le fait que la police ait toujours été sommée d'exécuter les ordres, comme cela se passe dans n'importe quel autre pays, suffit-il qu'on la juge automatiquement coupable de meurtres de civils, avec préméditation en plus, et sans de surcroît en établir les preuves.

    Le responsable ne serait-il pas surtout celui qui les a donnés? ». Habile, très habile quand on sait qu'aucun ordre écrit n'a été donné pour réprimer. Si on ne peut savoir qui les a donnés ces ordres, c'est donc que ce n'est la faute de personne et surtout pas la faute de ces pauvres petits instruments de la terreur qu'étaient les BOP. Dans le même article on pouvait également lire les déclarations d'un lieutenant de police. Celui-ci y affirmait qu' « On utilisait des bombes lacymogènes et on voyait des gens mourir devant nous, nous en étions choqué nous aussi ». Cet article s'acharnait à faire la scabreuse démonstration que la police n'avait fait qu'exécuter les ordres rappelant en guise de conclusion qu'« on comptait 90 maisons de policiers incendiées, 2 morts par balles et plus de 600 gravement blessés dans le corps de police ». Pauvres biquets...

    Rappelons aussi qu'entre autres à Sidi Bouzid et Kasserine, des familles affirment que les agents des forces de l'ordre ont assassiné de sang froid. Plusieurs d'entre elles disposent de listes nominatives dont elles réclament en vain depuis des mois l'arrestation et le jugement. Ces assassins continuent pourtant à se promener tranquillement sans être inquiétés. Et bien que ces familles organisent régulièrement des manifestations pour pousser les autorités à agir, celles-ci font la sourde oreille. Un tueur notoire est même monté en grade à Sidi Bouzid et on lui a décerné cette promotion à titre de récompense pour « ses mérites pendant la révolution ».

    Dès lors tout est possible et le 20 avril, les agents des forces de l'ordre ont fait grève. Enfin une grève d'un genre particulier. Ceux-ci ont porté un brassard rouge pour protester contre toutes ces accusations qu'ils jugent infondées et qui essaient de leur faire porter le chapeau de la répression. Ces dénégations répétées des forces de police ont même poussé les militaires à faire un communiqué officiel dans lequel ils affirmaient qu'ils n'avaient jamais tiré sur la population. Alors si c'est pas toi et si c'est pas moi, c'est qui ? Personne ? Et c'est ainsi que les forces de l'ordre tentent très grossièrement de se disculper en désignant selon eux les vrais responsables des tueries. Les mystérieuses milices du RCD à la solde de Kadhafi utilisant des munitions israéliennes parce que sa mère était juive. Des choses que l'on entend vraiment trop souvent dans la bouche des tunisiens.

    L'Etat joue sur le pourrissement de la situation et sur l'inquiétude engendrée par cette période de transformation. Les peurs sont comme partout instrumentalisées. Et depuis quasiment deux mois, beaucoup de tunisiens s'en sont aussi donnés à cœur joie dans les tribunes offertes par les journaux et autre rubriques d'opinions comme dans les discussions de café pour fustiger l'inaction des forces de l'ordre face à ce qu'ils dénoncent comme un climat d'insécurité générale. Les vendeurs à la sauvette, les hooligans, les mendiants, les évadés de prison, les sit-in et autres grèves faisant d'office figure d'épouvantail à moineaux. On les accuse de tous les maux et surtout de compromettre la situation du pays. On se plaint d'un manque de sécurité et donc de police.

    Il est vrai que celle-ci avait de bonnes raisons de se faire oublier un moment ou au mieux de se faire un tant soi peu discrète. L'armée suppléant à cette absence temporaire et nécessaire. Vu la place qu'elles ont occupé et le rôle qu'elles ont joué pendant la dictature bourguibio-benalienne, comment pourrait-il en avoir été autrement après une révolte faisant chuter ce qui était un véritable état policier.

    Pourtant vu de Tunis, on assiste depuis plusieurs semaines à un retour progressif et certain de ces forces de sécurité. Comme le soulignait un ami de Gabès, peut-on imaginer un état sans police ? On ne peut répondre fatalement que par la négative à une question aussi implacable. La force d'un État étant à la mesure de sa capacité à exercer sans partage son monopole de la violence. Nous serions tentés d'ajouter une question subsidiaire. Peut-on imaginer une révolution sans État ? La question évidemment feinte car il ne s'agit pas de l'imaginer, il faut pouvoir en élaborer sa possibilité concrète. Une réponse peut-être prétentieuse mais nécessaire s'il l'on ne veut pas voir les éternels schémas historiques se répéter.

    En Tunisie pour l'instant, la révolution prend les mêmes et recommence. Tout comme il n'est pas possible de liquider totalement les deux millions de tunisiens qui faisaient partie du RCD, il semble difficile pour les tunisiens de ne pas pouvoir envisager de se passer de cette police qui fut celle de la dictature et qu'ils voudraient comme par magie voir devenir du jour au lendemain celle de la nouvelle Tunisie « révolutionnaire ».

    Dans un article à paraître bientôt, nous tenterons de dire en quoi et comment le régime de la rumeur comme artefact politique alimente ce processus de restauration de l'autorité de l'État et de réhabilitation de la police. Quels sont les enjeux immédiats d'une révolution sans nul doute possible, inachevée ?


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  • « Ne sois pas conciliant »

    Entretien avec Laouni, un habitant de Redeyef.

    Redeyef, 30 000 habitants perdus dans le bassin minier de Gafsa. En 2008, cette ville a tenu une grève dure de 6 mois. De janvier à avril les manifestations et les émeutes s’enchainent pour protester contre les conditions frauduleuses de recrutement à l’usine de la Compagnie de Phosphates de Gafsa, seule source de travail dans la région. Ici, il faut payer pour travailler… Dès le début de la protestation, 6000 policiers occupent la ville. L’UGTT nationale se désolidarise, désignant les responsables syndicaux de Redeyef de « fauteurs de troubles » indignes du syndicat.

    En avril, une première vague de répression tente d’affaiblir le mouvement, en vain. Les femmes manifestent devant la délégation, réclamant la sortie de ceux qui sont en garde à vue. Puis les manifs, les débrayages, les assemblées reprennent. Jusqu’au 6 juin, jour où les BOP finissent par tirer à balles réelles sur la foule. 4 morts. Les flics pourchassent les habitants jusque dans leurs maisons. La communauté de lutte de Redeyef s’enfuit dans la montagne et s’y cache. Elle en redescend dès le lendemain pour reprendre les manifestations. Dès lors, la police installe des barrages sur les principaux axes de la ville pour empêcher toute propagation et tout relais de la situation par des journalistes. Les mois qui suivront, elle procèdera à l’arrestation des syndicalistes dissidents de l’UGTT et des fortes têtes, repérés tout au long du mouvement par la police politique venue en renfort. 300 arrestations en tout. Certaines personnes recherchées arrivent malgré tout à échapper à la répression en se cachant à Redeyef. Un ami vivra ainsi clandestinement pendant deux ans.

    Beaucoup expliquent cette lutte effrénée par la tradition ouvriériste d’une ville qui s’est construite autour de l’extraction du phosphate. Mais qu’une population entière tienne tête pendant 6 mois ne peut s’expliquer uniquement par la présence d’un syndicat fortement ancré localement. Ce qui se dégage de cette ville, de ses habitants, c’est une force, une volonté incroyable, saisissante. Il semble plutôt que l’engagement syndical, unique forme reconnue, soit venu prendre le relai d’un esprit de lutte bien plus ancien, toujours vivace, et qui déborde largement la sphère de la politique classique. « Une guerre, pas si lointaine, avait trouvé terrain dans ces coins reculés.

    Ces lieux sont en effet connus pour avoir été une place forte pour les réseaux des fellagas de la région qui s’y étaient établis, et qui bien que modestement armés, profitaient des reliefs escarpés et des nombreuses gorges étroites pour mener leur entreprise de harcèlement continu des troupes coloniales, visant les voies ferrées par lesquelles transitait le phosphate extrait des mines. Nombreux autres groupes de bédouins fellagas avaient également pris leurs quartiers autour de Gafsa, Kasserine et Sidi Bouzid, participant activement au mouvement de libération nationale. « (Habib Kaltoum, La Presse de Tunisie) A Redeyef on dit que c’est ici qu’ont eu lieu les prémices de la révolution de janvier… Nous y avons rencontré Laouni. D’origine bédouine, il est infirmier syndiqué à l’UGTT locale depuis des années. Le personnage est indescriptible.

    A une terrasse de café de Redeyef, le 14 avril.

    Nous: Est-ce-que tu peux nous parler de tes origines bédouines et des bédouins dans le bassin minier de Gafsa?

    Laouni : Les origines de presque tous les habitants de Redeyef sont  bédouines. Ce sont des nomades à la campagne qui se déplacent avec leurs troupeaux pour chercher le pâturage. Moi j’ai vécu comme cela pendant quatre ans, je m’en souviens très bien. Autrefois on se déplaçait beaucoup – dernièrement moins. Car lorsque le phosphate a été découvert, les hommes ont commencé à travailler. Ils travaillaient ici et ils repartaient dans le Sahara. On a découvert le phosphate il y a une centaine d’années. Il y a eu des gens qui n’ont pas voulu travailler et ont préféré rester bédouins, mais beaucoup ont travaillé à la mine. Peu après ils ont commencé à construire des maisons, à se sédentariser.

    N: ça me fait penser qu’on dit que les bédouins ont une forte tradition de lutte, non?

    L : Autrefois, près de la frontière avec l’Algérie, mon père et mon grand-père me racontent que les rebelles, les révolutionnaires luttaient contre la colonisation. On les appelait aussi les fellagas, c’est-à-dire les bandits, mais c’était des révolutionnaires. Ils disent les fellagas pour être péjoratifs. On raconte que les rebelles venaient le soir de la montagne pour prendre le dîner, pas tous les jours, mais parfois ils avaient besoin de manger parce que leur nourriture c’était de la sardine et des conserves et tout ça.

    Alors chaque tente, chaque famille préparait un plat de couscous avec de la viande. Les révolutionnaires mangeaient durant la nuit et après ils remontaient dans la montagne pour s’abriter. Pour effacer leurs traces de pas, ils faisaient marcher à leurs trousses les  troupeaux de brebis. Mon grand-père m’a raconté que plusieurs fois les gendarmes français sont venus chez nous. Ils le soupçonnaient parce qu’il avait un grand troupeau, et qu’il pouvait inviter et nourrir les rebelles. Il y a des mouchards partout, ils ne meurent pas les mouchards, ils sont toujours présents. Pour qu’ils ne trouvent pas nos fusils de chasse, les femmes les cachaient sous leur robe. Elles jouaient un rôle primordial pour soutenir les rebelles.

    Elles ne se battaient pas avec les hommes ou alors c’était très rare, en Algérie peut-être.
    La tradition de lutte du bassin minier est connue. La première « opération » était contre les colons, les soldats français, entre Redeyef et Metlaoui, dans les montagnes en 1952 ou 1953 je ne sais plus. La révolution a éclaté en 1952. Il y a un cimetière des martyrs là bas, ce sont tous des bédouins. La grande tribu bédouine qui vit ici à Redeyef c’est  Aouled Sid Habid- les autres sont moins nombreux. Cette tribu est séparée : il y a ceux qui vivent en Algérie et ceux qui vivent en Tunisie, à Redeyef surtout. Vous les trouvez le long de la frontière algérienne. Autrefois il y avait des conflits entre les tribus, à cause de la terre surtout. Et après la révolution de janvier il y a eu de nouveaux conflits à Metlaoui.

    N : C’est quoi ton tatouage sur le bras?

    L : Là il y a le croissant et l’étoile, et là le sabre. C’est-à-dire qu’on défend notre patrie la Tunisie avec le sabre. Quand je l’ai fait, j’avais treize ans, je l’avais vu sur d’autres, et mon grand-père m’a raconté ce que ça signifiait. Mon père l’avait aussi mais il était caché car en tant que signe révolutionnaire il était interdit. Dans la religion musulmane les tatouages sont un péché. Les origines sont berbères. Ici à Redeyef on voit des anciens avec des tatouages sur le visage. Les berbères ici sont musulmans malgré le péché des tatouages. Sinon ils pratiquent l’Islam comme les arabes, ils font la prière. Les tatouages sont faits pour se différencier entre tribus.

    N : Tu nous as dit ce matin que tu avais vu dans un rêve la révolte qui a eu lieu à Redeyef?

    L : Oui j’ai rêvé de ça plusieurs fois.
    J’ai rêvé de notre fuite dans la montagne, et c’est arrivé. J’ai vu les lacrymogènes, les jeunes qui jettent des pierres sur les brigades d’ordre public, je les ai vu tirer à balles réelles sur des gens isolés presque deux ans avant le mouvement. Alors ça veut dire qu’on peut prévoir, mais on ne peut pas éviter ce qui va se passer, le danger, c’est ça le problème.


    J’ai rêvé de mon arrestation avant que ça n’arrive : je voyais les barreaux. Je me suis fait arrêter plusieurs fois. La première fois quand le mouvement de 2008 a commencé, ils nous ont arrêtés quatre jours. Après cette arrestation, les femmes ont protesté devant la délégation, sous la pression, ils nous ont relâchés. Nous avons continué notre mouvement encadré par des syndicalistes. Lors de cette première arrestation, mon fils s’est fait arrêté le même jour. C’est un militant de l’UGET (syndicat étudiant). Vous savez que ce qui a déclenché notre mouvement, c’est le trucage du recrutement pour travailler à la mine, par la mafia du pouvoir et des syndicalistes.

    Alors les jeunes ont protesté. Depuis une centaine d’années ici on vit dans la misère. L’économie de la Tunisie s’articule autour du phosphate, et nous on n’a rien récolté. Seulement la pollution, les maladies, les accidents de travail, parfois mortels, les handicaps. Autrefois dans le bassin minier il y avait 15000 mineurs, ils ont été réduits à 5000, on a un chômage massif en conséquence de la mécanisation. Les pères et les grands-pères sont tous des victimes, ils ont été exploités toute leur vie.  Ils ont  juste touché quelques sous. Vous savez qu’il y a un taux très élevé de cancer à cause de la pollution.

    L’uranium dans le phosphate détruit les dents de tout le monde ici à cause de l’eau.
    Le mouvement a débuté encadré par les syndicalistes locaux. Des manifestations, des rassemblements, des slogans politiques et sociaux. Par exemple : « Travail, Liberté, Dignité ». C’était le mouvement de la dignité. Il y  avait aussi « Le travail est une nécessité pour les voleurs »

    N : Qu’est ce que tu entends par « mouvement de la dignité »?

    L : Le travail est indispensable pour l’individu. Le travail c’est la dignité. Si vous êtes au chômage, vous demandez l’aumône. C’est pourquoi le travail protège la dignité. La dignité est proche de la fierté, bien sûr. On ne peut pas être fier sans dignité.

    N : Et on ne peut pas être digne sans travailler?

    L : On peut bien sûr, mais alors la dignité peut être écrasée. Le pauvre on peut l’écraser. Quelqu’un qui n’a pas de travail, pas à manger, et qui a une famille, pour l’habiller, se nourrir, sans argent, on ne peut rien faire. Dans les villes on ne trouve pas de soutien, et on peut mourir de faim si on ne travaille pas. Ici il y a beaucoup de chômage mais les gens sont solidaires. Si on vit sous les lois d’un dictateur, il n’y a pas de dignité, car il impose ses lois, parfois on n’a même pas le droit de regarder, de lever les yeux, de parler, de réclamer ses droits. Passer devant le poste de police c’est une épreuve. Parfois les jeunes qui passaient devant le poste se faisaient arrêter, frapper, sans raison. La liberté aussi, c’est la dignité. Si on n’est pas libre, on n’a pas de dignité.


    Pendant les manifestations de Redeyef, tous les jeunes, tous les habitants sont sortis. Au bout d’un moment les flics ont voulu mettre fin à tout ça.  Il leur fallait un prétexte pour intervenir. Alors un soir toutes les brigades de police, BOP, police politique, unités avec les chiens sont sortis de la ville. Vers 23h le commissariat était attaqué. C’était ce dont ils avaient besoin pour commencer à arrêter les militants. Cette nuit là, vers 4h du matin, ils ont commencé à perquisitionner les maisons. Ils sont passés par dessus les murs, les toits. Vers 4h30 j’ai entendu un bruit. J’étais avec ma femme dans la chambre à coucher. Ils ont enfoncé la porte de la chambre et ont braqué un revolver sur la tempe de ma femme. « Où est ton fils! » criaient-ils. Je suis sorti dans la cour et j’ai trouvé là une centaine de BOP. Tous alignés, ils étaient comme des machines, comme des robots avec leur armure et leur matraque. Ils sont entrés dans la chambre de mon fils et ils l’ont emmené dans la cour.

    Jusque là il était endormi, il ne comprenait rien à ce qu’il se passait. Je lui ai donné quelques gifles, « Allez réveille-toi » je lui disais, lui ne comprenait rien. Je me suis disputé avec un gars des brigades. Je me suis fais bousculé, il m’a insulté, il a insulté ma mère… Ils ont emmené mon fils pieds nus. J’ai essayé de rassurer mes filles, ma femme. Lorsque je suis sorti, il y avait des centaines de policiers. Devant le local de l’UGTT ils étaient aussi au moins une centaine. Ils ont commencé à agresser deux syndicalistes, alors je suis intervenu, je me suis interposé, ils m’ont agressé aussi. Ils ont commencé à me tirer les cheveux, ils m’ont tiré jusqu’au poste de police, en me frappant à coups de pieds, coups de matraques. Maintenant encore j’ai des douleurs dans la région lombaire. Au commissariat ils m’ont jeté sur le sol. Ils ont continué à me frapper. Ils m’ont sauté dessus à pieds joints, j’ai eu deux côtes cassées. Les deux autres syndicalistes sont arrivés.

    Ils les ont frappés avec le talon de leurs chaussures, sur le visage. Ensuite ils ont voulu nous transférer au poste de police de Gafsa. Au commissariat de Gafsa il y avait du sang partout sur le sol. Quand nous sommes arrivés on nous a fait nous aligner. Un policier a dit « Tout le monde doit s’incliner ». Moi je ne m’inclinerai que quand je serai mort. Alors je me suis fait frapper, on m’a arraché les cheveux, on m’a craché dessus. En fait ce qui m’a torturé c’est pas les coups, c’est pas la peur non plus. Mais quand j’ai vu comment ils ont agressé même les mineurs j’ai pensé à mon fils, et là j’ai eu très peur. Moi je n’étais pas recherché, mais mon fils si. On nous a fait descendre dans le souterrain du commissariat. On nous a répartis dans trois grandes cellules. Il y avait de grands projecteurs braqués sur nous, tout le monde était ébloui. J’étais déjà connu de  la police parce que j’avais participé à beaucoup de manifestations, même avant le mouvement.

    Alors un chef policier est venu me voir. Il m’a dit « Toi, tu dois te déshabiller ». Il a insisté. Après ils m’ont mis dans une cellule. Je n’avais plus que mon caleçon. Le chef de la police est venu, il a commencé à me fixer. Là j’ai eu peur qu’ils torturent mon fils devant moi, qu’ils lui fassent des choses intimes. Ils l’ont fait sortir d’une autre cellule et l’ont fait passer devant moi. Ils l’ont emmené dans  une autre cellule, juste à côté de la mienne. Et là je l’ai entendu crier, et j’ai compris qu’ils commençaient à le torturer. Ils ont fait ça exprès. Plus tard deux policiers sont sortis et m’ont regardé en rigolant. Ils m’ont dit « On a torturé ton  fils, et tu n’as rien fait… »

    Ca c’était terrible. Terrible. Ca m’a beaucoup torturé, pire que si c’était moi. Les coups ça s’efface, pas ça. Vous entendez votre fils crier, vous savez comment on le torture… Ils ont fait le « poulet rôti ». Vous savez ce que c’est le poulet rôti? Ils accrochent les mains aux chevilles comme ça, ils accrochent les pieds et les mains à un bâton, la personne est nue. Ils mettent les deux extrémités du bâton sur une table, et on est comme un poulet rôti sur une broche. Et là ils peuvent commencer à nous torturer. Ils mettent les matraques dans le rectum, toutes ces choses là… c’est terrible. Ce sont des machines. Ils n’ont pas de sentiments. Ils obéissent comme des robots. Ils exécutent les ordres, aveuglément…

    N : Et ces policiers là, ils sont toujours en service, quelque part…

    L : Oui bien sûr! Ils ont juste fait des permutations, ils sont plus à Redeyef ou à Gafsa. C’est tout. La dissolution du corps de la police politique, c’est ridicule ça. C’est du vent. Rien n’a changé. Ceux de Gafsa sont partis à Bizerte, et vice et versa…
    (Long silence…)
    On a été relâché au bout de 4 jours.  Après ça nous avons continué notre mouvement. Nous n’avons pas renoncé. (Il allume une cigarette, boit son café).

    N : Tu penses que rien n’a changé depuis la chute du régime de ben Ali?

    L : Non. On nous dit qu’on va dégager les flics, ceux du RCD, mais on n’a rien vu de tout ça. Jusque là rien n’a changé. Le peuple doit continuer à mettre la pression. On doit s’unir, parce que maintenant c’est une période trés délicate. Les ennemis de la révolution sont toujours là, ils nous guettent. Alors on doit être très vigilants. On doit tous être mobilisés, tous ceux qui ont fait la révolution. Sinon elle va être avortée avant même d’avoir vu le jour.
    Bon je reviens à 2008. On a continué notre protestation, on a continué à manifester, avec les délégués, avec les habitants de Redeyef. Mais l’Etat a sérieusement commencé à se dire qu’il fallait mettre fin à ce mouvement. Ils ont eu peur de la contagion, de la propagation de la révolte au reste de la région, et du pays.

    Digression sur le froid. Il se marre en disant qu’il aime le sirrocco, et qu’il adore voire les gens avoir trop chaud… « Quand le sirrocco souffle, moi, je ris! »
    Il raconte l’incantation des esprits quand il était plus jeune

    Autrefois il y avait des vieux à Redeyef , des voyants. Maintenant ils sont tous décédés. Ils venaient surtout de ma tribu, les Dervichs, qui appartiennent à la grande tribu des  Aouled Sid Habid. Moi je suis un Chraiti. Les Chraiti ont beaucoup de dervichs. Les dervichs font la Hadra, la Transe. Comme pendant l’occupation de la Kasbah, tu te souviens de ceux qui chantaient avec les bougies allumées? Ils chantaient pas en arabe, mais dans une autre langue. Hadra ça veut dire « présence », ça veut dire « vent ».  On commence à chanter, comme les indiens qui font « héhéhéhéhé » (il  rigole). Quelqu’un commence et puis on répète des syllabes, des mots. Par exemple « Allah, allah » ou des choses comme ça. Puis on fait des « sidras », les sidras c’est quand on fait des souffles comme ça avec sa poitrine (il fait de l’hyperventilation en se tapant la poitrine).

    Après une énième pirouette, il nous parle de ses cheveux, qui lui donnent de la force, bien qu’un jour il ait du les couper pour changer de visage.  

    N : Toi aussi tu as dû te cacher ?

    Bien sûr je suis resté un mois dans la montagne, alors je me suis coupé les cheveux et les moustaches, je me suis fait un chapeau, parce que les policiers me recherchaient. Pour me couper les  cheveux j’ai appelé un coiffeur la nuit, j’étais seul à la maison, je lui ai dis  « coupe-moi les cheveux et les moustaches ».


    Une fois les cheveux coupés  il allait partir, je lui dis « attends, tu es le seul qui sait qui je suis… je vais te tuer » (rires). Il m’a regardé comme ça (il fait les yeux apeurés), « je lui dis : combien? » ,  il me dit : « c’est pas la peine ». (rires)


    C’est la nuit que la police nous cherchait alors des fois le jour je rentrais à la maison. Un jour un mouchard est devant ma maison, il veut savoir où j’habite, alors il me dit « s’il-vous-plaît apportez-moi un peu d’eau, il fait chaud », je lui ai dis « désolé je n’habite pas ici », il voulait que j’entre dans la maison, mais moi je suis vieux et rusé comme un renard. (rires) Le fait qu’ils me cherchent, j’ai pris ça comme une aventure, comme un plaisir. Mes amis me disaient « toi Laouni tu aimes la montagne voilà maintenant tu y es ».


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  • Tunisie - Game over !

    par Pierre Piccinin, à Tunis, le 19 février 2011

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                                                                                                                                                                    © Photo Pierre Piccinin

     Photos-illustration-2 0009A Tunis, la "révolution" est bel et bien terminée.

     L'armée et la police quadrillent la ville et l'ordre règne. Les cireurs de chaussures sont à nouveau au travail et le quotidien a repris son cours, sans bruit, sans manifestant, sans plus de portrait de Ben Ali... et avec un "nouveau gouvernement" composé exclusivement de personnalités issues de ce même establishment qui dirige le pays depuis trente ans.

     Les deux seules manifestations du jour n'étaient pas dirigées contre le gouvernement de Mohamed Ghannouchi, qui -rappelons-le- servait le président Ben Ali dans ces mêmes fonctions depuis 1997, mais contre les meurtiers d'un prêtre catholique, hier, et contre l'ambassadeur de France, Boris Boillon, dont les propos malheureux (Rue89) ont suscité un émoi savamment entretenu par le "nouveau" pouvoir, dérivatifs bien opportuns...

    Pour la majorité de la population, c'est donc maintenant l'heure de la désillusion. "La révolution, c'est fini", nous a déclaré le jeune Seif, croisé dans la Médina de Tunis, "game over!".

     

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                                                                                                                        © Photo Pierre Piccinin

    Manifestation devant l'Ambassade de France à Tunis (clichés choisis) :

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                                                                  © Photo Pierre Piccinin


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    © Photo Pierre Piccinin  


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                                                                  © Photo Pierre Piccinin


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    © Photo Pierre Piccinin


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                                                                  © Photo Pierre Piccinin


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    © Photo Pierre Piccinin



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    © Photo Pierre Piccinin

    Lire aussi : Le Maghreb en révolution, Tunisie : « tout changer, pour que tout reste pareil »… et Égypte : vers un scénario « à la tunisienne » ?.

    ATTENTION : cet article est publié de manière temporaire et sera retiré prochainement.(

    © Cet article et les photographies de l'auteur peuvent être librement reproduits, sous condition d'en mentionner la source (http://pierre.piccinin-publications.over-blog.com).


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  • Tunisie. Au secours, les «benalistes» reviennent !

     

    benalistes presse
    On savait que les «bénalistes» n’allaient pas lâcher le morceau facilement. Mais ces derniers croient-ils vraiment pouvoir manipuler les Tunisiens pour créer les conditions de leur retour?
    Ridha Kéfi


    «No pasarán» (Ils ne passeront pas), serions-nous tentés de répondre à ces nostalgiques de la dictature, en empruntant le slogan des partisans de la seconde république espagnole.
    Qui sont d’abord ces «benalistes» qui refusent d’admettre la chute de leur ancien protecteur (et parrain) et l’avènement en gestation (et au forceps) d’une deuxième république tunisienne, libre et démocratique?

    Les «Fedayins de Ben Ali»

    Au premier rang de ces irréductibles du «benalisme», on trouve les anciens membres de la garde personnelle de l’ex-président, ces «Fedayins de Ben Ali», un corps spécial voué à sa protection et à celle des membres de sa famille. Parmi les quelques milliers de membres de cette milice, dirigée par le général Ali Sériati, aujourd’hui en état d’arrestation et poursuivi, ainsi que cinq autres de ses collaborateurs (Mohamed Ali Smaâli, Marwan Bennour, Nacer Cheniti, Mohamed Mongi BelhajChedly, Mohamed Ben Mohsen Dridi), pour «conspiration contre la sûreté de l’Etat et incitation à la violence armée». D’autres membres de cette milice ont déposé les armes et se sont évanouis dans la nature. D’autres enfin continuent de mener des actes violents visant à terroriser la population et à créer une atmosphère de tension permanente, espérant ainsi créer les conditions d’un hypothétique retour du dictateur déchu.

    Les «Rcdistes» récalcitrants

    Les «benalistes» post-Ben Ali ce sont aussi les membres récalcitrants du Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd), qui n’admettent la fin de leur parti, vomi par les Tunisiens et suspendu par le gouvernement de transition. Nombre d’anciens Rcdistes alimentent aujourd’hui les agitations dans certaines villes de l’intérieur. Craignant de perdre les privilèges exorbitants dont ils bénéficiaient sous l’ancien régime et de devoir rendre des comptes de leurs crimes et malversations passés devant une justice enfin indépendante, ils payent de jeunes chômeurs et les poussent à commettre des actes de vandalisme contre des bâtiments publics et des biens privés. On constatera, en passant, que lors de ces attaques orchestrées, des piles de documents administratifs sont souvent détruits. Ce qui traduit une volonté évidente d’effacer les traces de leurs crimes et malversations.

    Les propagandistes recyclés

    Autres «benalistes», encore plus dangereux: les confrères (et consœurs), qui étaient hier encore les propagandistes zélés de Ben Ali et les piliers médiatiques de son régime dictatorial et qui, aujourd’hui, en deux temps trois mouvements, se sont transformés en révolutionnaires de la 25ème heure. On les voit pérorer dans les talk-shows télévisés, étrennant leur nouvelle posture de militant de la liberté retrouvée. Affectionnant le jeu de rôle et le double langage, ils essaient d’occuper la scène, en criant plus fort que les autres, croyant pouvoir ainsi se refaire une virginité politique. Calculateurs et pernicieux, leur stratégie de reprise du pouvoir se décline en deux types de manœuvres ou de manipulations.

    D’abord, ils s’en prennent au gouvernement de transition – aujourd’hui très facile et peu coûteux – et multiplient les attaques contre ses membres, dans une évidente volonté de les déstabiliser et, espèrent-ils, les faire tomber. Ce qui créerait un vide politique et un désordre social qui faciliteraient le retour aux affaires de ces nostalgiques d’un temps révolu.
    La deuxième manœuvre, cousue de fil blanc, consiste à multiplier les entretiens avec les anciens symboles des régimes de Bourguiba (Mohamed Sayah, Tahar Belkhodja, Mustapha Filali…) et de Zine El Abidine Ben Ali (Hedi Baccouche, Habib Ammar, Iyadh Ouerdreni, Mohamed Ghariani, Moncer Rouissi…). Il ne manquerait plus qu'ils nous sortent maintenant les Ben Ali, Trabelsi, Chiboub et les autres.

    Usurpations, récupérations et mensonges

    En mettant ainsi en avant ces anciennes figures du système dictatorial mis en place par le parti Néo-Destour, dans ses deux incarnations historiques: le Parti socialiste destourien (Psd) et Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd), ces anciens propagandistes de Ben Ali cherchent à faire diversion, à noyer la légitimité populaire – incarnée aujourd’hui par la révolution – dans la cacophonie des usurpations et des récupérations.

    Il est vrai que la Tunisie souffre aujourd’hui des conséquences du vide créé par l’ex-dictateur qui, par une politique systématique de musellement des vocations et de nivellement par le bas, n’a laissé émerger aucune formation politique, aucun leader charismatique et aucune autorité intellectuelle ou morale susceptible de peser sur l’opinion publique.

    A ce vide a succédé, après la révolution, un trop plein de prétentions, d’ambitions et de mensonges. Les retournements de vestes, les reconversions et les usurpations de toutes sortes nous valent aujourd’hui des scènes pour le moins cocasses où l’on voit les anciens thuriféraires de Ben Ali et ses propagandistes attirés se transformer en révolutionnaires dont on est censé admettre, après coup et sans aucune preuve, les valeureux sacrifices et les atroces souffrances sous l’ancien régime.

    Reconversions, diversions et opportunisme  

    Parmi les dernières reconversions spectaculaires enregistrées, on citera celle de Ridha Mellouli, hier porte-voix de Ben Ali et pourfendeur déchaîné de ses opposants, qui s’en prend à la tribune de la Chambre des conseillers – où il a été parachuté par le même Ben Ali – au Premier ministre Mohamed Ghannouchi et aux membres de son gouvernement, tournés en dérision et raillés comme des bons-à-rien.

    Quel culot? M. Mellouli prend-t-il les Tunisiens pour des idiots? Croit-il vraiment pouvoir les tromper de nouveau? Ou compte-t-il seulement sur leur amnésie?
    On citera aussi l’exemple de Fatma Karray, journaliste à ‘‘Echourouq’’, révolutionnaire qui n’a pas honte de mettre sa plume aux services des dictateurs, de Saddam Husseïn, son héros de toujours, à Zine El Abidine Ben Ali, qu’elle a longtemps servi avec zèle. Mme Karray, qui se découvre aujourd’hui des élans démocratiques et libéraux, a été l’un des membres actifs du soi-disant Observatoire des élections qui a avalisé l’élection de Ben Ali, en 2004 et 2009, à près de 99% des voix. Est-ce par un retour de conscience, un retournement de veste ou pour faire diversion que Mme Karray a interviewé, cette semaine, le militant d’extrême-gauche Hamma Hammami, l’un des opposants qui ont le plus souffert de la répression de Ben Ali?

    Le feuilleton des reconversions des «benalistes» en révolutionnaires de la 25ème heure ne va pas s’arrêter là. Kapitalis se fera un devoir d’en faire la chronique.  

    Source ici


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  • Allons au-delà de la devise « Ne pas tout dire, ce n’est pas mentir ! » !

    Salah HORCHANI

    On a l’impression, à travers les multiples déclarations de Madame Michèle Alliot-Marie, dans son offensive médiatique tous azimuts, pour sa fébrile défense concernant les variables cachées de son escapade tunisienne, que Madame Alliot-Marie a perdu le sens des réalités et, par suite, qu’elle ne sait plus ou bien qu’elle ne maîtrise plus ce qu’elle dit ; ainsi, par exemple, « elle a eu une parole qui lui a échappé », a noté Valérie Pécresse. MAM a oublié que la Politique ( et surtout la Diplomatie) n’a rien à faire des états d’âme [ en vrac : je suis meurtrie ; quand je suis en vacances, je ne suis plus Ministre des Affaires Étrangères, je suis Michèle Alliot-Marie ; je vais en vacances en Tunisie comme beaucoup de Français ; la prochaine fois, je ne quitterai pas la Dordogne ; j’essaie de vivre le plus normalement possible ; il n’est pas question que je remonte dans un avion privé quelles que soient les circonstances tant que je serai Ministre ; je ne recommencerai pas puisque cela choque ;…]. En un mot, dans sa plaidoirie, elle s’est conduite comme une petite fille prise, en flagrant délit, le doigt dans le pot de confiture.

    Dans ce contexte, il est bon de rappeler que « ce n’est pas le Droit, mais la décence, qui devrait commander que soit maintenue une ligne de démarcation entre l’exercice de hautes responsabilités d’Etat et des relations privées dans la sphère sensible des affaires internationales ».

    Au-delà de l’escapade tunisienne de MAM, le vrai événement que retiendra l’Histoire est la connivence, du moins la complaisance, de la France, pays des Droits de l’Homme, avec un régime dictatorial et ses suppôts, régime qu’elle a soutenu jusqu’à l’agonie. Cette connivence, ou complaisance, a conduit son Diplomate au plus haut niveau à commettre un impair historique en proposant, officiellement, alors que la Tunisie était à feu et à sang, devant les représentants du Peuple français, que la France prête main forte au dit régime dictatorial, et ce en mettant à la disposition des « autorités tunisiennes le "savoir-faire" de la France en matière de maintien de l’ordre » afin de réprimer le soulèvement populaire qui fut le fer de lance de la "Révolution de Jasmin".

    Et Lorsque le Dictateur a pris la fuite, le 14 janvier 2011, le Gouvernement français s’est contenté, timidement, de « prendre acte de la transition constitutionnelle » tout en souhaitant « une solution démocratique et durable à la crise » ; alors qu’à Washington, le Président Barack Obama, a salué, immédiatement et chaleureusement, dans une déclaration officielle, « le courage et la dignité des Tunisiens », déclaration qui nous a rassuré, compte tenu de l’angoisse et de l’incertitude de l’instant, et a réchauffé nos cœurs : deux Diplomaties, deux styles !

    Pour le moment, les divers errements au Quai d’Orsay se sont soldés, simplement, par le rappel de l’Ambassadeur de France à Tunis. Dans ce cadre, l’Histoire retiendra que, le 14 janvier 2011, à quelques heures de la fuite en Arabie Saoudite de l’ex-chef de l’Etat Tunisien, un télégramme de l’Ambassadeur de France annonçait : « Le président tunisien a repris le contrôle de la situation » (sic).

    Pour être complet, il convient de mentionner que ladite connivence (ou complaisance) n’est pas, en réalité, l’apanage de la majorité, mais est partagée par certains ténors de l’opposition. Ainsi Dominique Strauss-Kahn [qui est d’origine tunisienne, via la lignée Fellous (mot arabe signifiant : poussin)], candidat potentiel à la Primaire Socialiste Présidentielle pour 2012 et Président du FMI, a déclaré, le 18/1/2008 : « La Tunisie est un bon exemple à suivre pour beaucoup de pays qui sont émergents » (sic).

    HORCHANI Salah
    Professeur à la Faculté des Sciences de Tunis

    URL de cet article 12727
    http://www.legrandsoir.info/Allons-au-dela-de-la-devise-Ne-pas-tout-dire-ce-n-est-pas-mentir.html
     

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  • La vérité brutale sur la Tunisie : le temps des dictateurs arabes n’est pas révolu



    Robert Fisk

    Traduit par  Courrier international
    Edité par  Fausto Giudice


    Du sang et des larmes, mais pas de démocratie. Un bouleversement sanglant ne présage pas forcément l’avènement d’une démocratie.

    Serait-ce la fin de l’âge des dictateurs dans le monde arabe ? Tous ces cheiks et ces émirs, ces rois (dont un très âgé en Arabie Saoudite et un jeune en Jordanie), ces présidents (là encore, un très âgé en Égypte et un jeune en Syrie) doivent sans aucun doute trembler dans leurs bottes, car les événements de Tunisie n’étaient pas censés se produire. Pas plus que les émeutes provoquées par l’augmentation du prix des denrées alimentaires en Algérie et les manifestations contre la flambée des prix à Amman. Sans parler des dizaines de morts en Tunisie, d’où un despote s’est enfui pour se réfugier à Djeddah, la ville où un homme appelé Idi Amin Dada avait déjà trouvé refuge en son temps.

    Si de tels événements peuvent se produire dans un pays touristique comme la Tunisie, ils peuvent survenir n’importe où. Quand Zine El Abidine Ben Ali était au pouvoir, le pays était loué par l’Occident pour sa “stabilité”. Français, Allemands et Britanniques rendaient hommage au dictateur, cet “ami” de l’Europe civilisée qui tenait les islamistes sous sa poigne.
     


    Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres

     
    Les Tunisiens n’oublieront pas cette petite histoire, même si nous aimerions qu’ils le fassent. Les deux tiers de la population – sept millions sur dix, soit la quasi-totalité des adultes – travaillaient pour la police secrète de Ben Ali, disaient les Arabes. Eux aussi doivent être descendus dans la rue pour protester contre l’homme que les Occidentaux choyaient jusqu’à la semaine dernière. Mais ne nous réjouissons pas trop. Oui, les jeunes Tunisiens ont utilisé Internet pour se rassembler – les Algériens aussi –, et les enfants du baby-boom (les jeunes nés dans les années 1980 et 1990, et qui n’ont pas de perspective d’emploi après l’université) sont dans la rue. Mais le gouvernement d’“unité” doit être formé par Mohamed Ghannouchi, un satrape au service de Ben Ali pendant près de vingt ans, un homme sûr qui veillera à préserver nos intérêts… plutôt que ceux de son peuple.
     
    Car je crains que ce ne soit la même vieille histoire. Oui, nous aimerions bien avoir une démocratie en Tunisie, mais pas trop de démocratie. Vous vous rappelez comment nous voulions que l’Algérie ait une démocratie, au début des années 90 ? 
    Puis, quand il apparut que les islamistes pourraient remporter le second tour des élections, nous avons soutenu le gouvernement appuyé sur l’armée lorsqu’il a suspendu les élections et déclenché une guerre civile qui a fait 150 000 morts
    Non, ce que nous voulons dans le monde arabe, c’est la loi et l’ordre. Même dans l’Égypte corrompue de Hosni Moubarak, c’est ça que nous voulons. Et nous l’obtiendrons.

    La vérité est que le monde arabe est si déglingué, si sclérosé, si corrompu, si humilié et si impitoyable – n’oublions pas que, la semaine dernière encore, Ben Ali qualifiait les manifestants tunisiens de “terroristes” –, et si incapable d’accomplir des progrès sociaux et politiques que les chances sont quasi nulles de voir émerger des démocraties viables dans le chaos qui règne dans le monde arabe.
     
    Le travail des potentats arabes restera ce qu’il a toujours été : “gérer” leurs peuples, les contrôler, garder le couvercle fermé , aimer l’Occident et haïr l’Iran.
    Et de fait, qu’a Hillary Clinton la semaine dernière, alors que la Tunisie brûlait ? Elle racontait aux princes corrompus du Golfe que leur boulot, c’était de soutenir les sanctions contre l’Iran, de se confronter à la République islamique, et de se préparer à une nouvelle frappe contre un État musulman après les deux catastrophes infligées par les USA et le Royaume-Uni à la région.
     
    Le monde musulman – du moins, sa partie qui va de l’Inde à la Méditerranée – est plus qu’un lamentable gâchis. L’Irak a une espèce de gouvernement qui est le satrape de l’Iran, Hamid Karzai n’est pas que le maire de Kaboul, Pakistan est au bord d’une catastrophe interminable et l’Égypte sort à peine d’une nouvelle élection truquée.
     
    Quant au Liban... Eh bien, le pauvre Liban n’a même plus de gouvernement. Le Sud-Soudan – si les élections sont équitables – pourrait représenter une lueur d’espoir, mais ne comptez pas trop là-dessus.
     
    Et pour nous en Occident, le problème est toujours le même. Nous avons le mot “démocratie” à la bouche et nous sommes tous pour des élections équitables – pourvu que les Arabes votent pour ceux que nous voulons.
     
    En Algérie il y a 20 ans, ils ne l’ont pas fait. En "Palestine" ils ne l’ont pas fait. Et au Liban, à cause du fameux Accord de Doha, ils ne l’ont pas fait. Donc nous les sanctionnons, nous les punissons, nous les mettons en garde contre l’Iran, et nous attendons d’eux qu’ils la ferment quand Israël vole encore plus de terre palestinienne pour ses colonies en Cisjordanie.
     
    C’est une cruelle ironie que le vol par la police des fruits d’un ancien étudiant – et son suicide – aient provoqué tout cela, d’autant plus que Ben Ali avait fait une tentative, qui a échoué, de regagner du soutien public en rendant visite au jeune homme mourant à l’hôpital.

    Depuis des années, ce pauvre homme parlait d’une “lente libéralisation” de son pays. Mais tous les dictateurs savent qu’ils courent de gros dangers quand ils libèrent leurs compatriotes de leurs chaînes. Et les Arabes n’ont pas dérogé à la règle. Ben Ali ne s’était pas plus tôt exilé que les journaux arabes qui l’avaient encensé et avaient profité de son argent pendant tant d’années se sont mis à le vilipender. “Mauvaise gestion”, “corruption”, “règne autoritaire”, “manque total de respect des droits de l’homme”, autant de défaillances dont on l’accuse aujourd’hui dans la presse arabe.
     


    Le réveil du monstre, par Mahjoob
    Sur les banderoles : Justice, Liberté, Révolution

     
    Rarement les paroles du poète libanais Khalil Gibran ont été si cruellement justes : "Pauvre pays que celui qui accueille son nouveau maître au son des trompettes et lui dit adieu sous les huées, pour accueillir le nouveau de nouveau avec des trompettes ." Mohamed Ghannouchi, peut-être ?

    Bien sûr, désormais, tout le monde revoit ses prix à la baisse – ou promet de le faire. L’huile et le pain étant des produits de première nécessité pour les masses, leur prix va être abaissé en Tunisie, en Algérie et en Égypte. Mais pourquoi étaient-ils si élevés jusqu’ici ? L’Algérie devrait être aussi riche que l’Arabie Saoudite puisqu’elle possède du pétrole et du gaz. Or elle a l’un des taux de chômage les plus élevés du monde arabe, pas de sécurité sociale, pas de retraites, rien pour son peuple parce que ses généraux ont placé la fortune du pays en Suisse.
     

    Et la brutalité policière. Les chambres de torture vont continuer à fonctionner. Nous allons maintenir nos bonnes relations avec les dictateurs. Nous allons continuer à équiper leurs armées et à leur dire de rechercher la paix avec Israël.  

    Les dictateurs feront ce que voudront les Occidentaux. Ben Ali s’est enfui. Ce qu’il faut désormais, c’est un dictateur plus manœuvrable, “un homme à la fois fort et bienveillant”, comme les agences de presse se plaisent à appeler ces terribles despotes. Non, tout bien considéré, je ne pense pas que le temps des dictateurs arabes soit révolu. Les Occidentaux y veilleront.

     



    Merci à Courrrier international
    Source: http://www.independent.co.uk/opinion/commentators/fisk/the-brutal-truth-about-tunisia-2186287.html
    Date de parution de l'article original: 17/01/2011
    URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=3567


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  • Parler la dictature de Ben Ali



    Myriam Marzouki


    Depuis trois semaines, une effervescence médiatique sans précédent rattrape deux décennies de mutisme, de mensonges et d'ignorance sur la nature du régime tunisien. La révolution de janvier oppose un démenti cinglant à tous les discours de complaisance ou de complicité qu'il est inutile de recenser ici : un wall of shame se construit actuellement sur Facebook pour archiver la succession des déclarations honteuses des responsables français depuis la prise du pouvoir par Ben Ali en 1987.

    Comment expliquer que de si nombreuses voix tunisiennes, depuis près de vingt ans, aient alerté l'opinion publique sans être entendues ? Comment comprendre qu'après tant de rapports de la Ligue tunisienne des droits de l'homme relayés par la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), Amnesty International, Reporters sans frontières, la Tunisie ait continué à passer pour le pays ami vanté par les slogans publicitaires ?

    Ben Ali a d'abord réussi, à l'intérieur du pays, à réduire la parole publique autorisée à un niveau de médiocrité rarement atteint. J'ai vécu, enfant, en Tunisie le "coup d'Etat médical" du 7 novembre 1987 et grandi dans le régime de Ben Ali. Comme tous les proches, conjoints et enfants des militants des droits de l'homme, journalistes et opposants - Sihem Ben Sedrine, Hamma Hammami, Radhia Nasraoui, Taoufik Ben Brik parmi tant d'autres -, j'ai été, plus que le reste de la population tunisienne, et plus tôt qu'elle, peut-être, exaspérée par la prose perverse du régime parce que nous avons été confrontés à l'écart entre le discours public et le prix que ces adversaires du régime ont payé individuellement - grèves de la faim, emprisonnement, harcèlement de tout ordre, procès arbitraires.

    En 1992, après avoir quitté la Tunisie, où j'ai grandi, pour étudier en France, chaque retour a d'abord été le choc du contact avec la langue de la dictature. N'en déplaise à Frédéric Mitterrand, la Tunisie de Ben Ali a bien été la moins équivoque des dictatures, pour qui se donnait la peine d'ouvrir les yeux et de ne pas se boucher les oreilles. De l'arrivée à l'aéroport jusque dans la plus misérable des échoppes, dans les halls d'hôtel clinquants, sur les routes, des affiches de Ben Ali ornées de slogans à la gloire de l'"Artisan du changement" : "Ensemble derrière Ben Ali" ou encore "Ben Ali, on t'aime".

    Dans les taxis, impossible d'éviter l'omniprésente RTCI, Radio Tunis Chaîne Internationale : entre la millième rediffusion d'un tube ringard de pop occidentale - Whitney Houston ou Elton John - et un échange navrant avec un auditeur, le flash info : inlassablement, avant les brèves indigentes de l'actualité internationale, une série de communiqués lus par le "journaliste" porte-voix du régime, du type : "Le président Zine El-Abidine Ben Ali incite en permanence les associations et les organisations nationales à adhérer avec une responsabilité totale et avec efficience à la vie publique et au processus de développement global."

    On n'a pas seulement étouffé un peuple en le privant de tout espace de parole et de contestation mais aussi en produisant une novlangue inédite, hybridation monstrueuse de verbiage technocratique, de lexique pompeux, d'un usage délirant de la majuscule : l'"Ere du Renouveau", la "Voie du Développement ", la "Promotion du Changement" ont noirci des milliers de pages des journaux officiels que plus aucun Tunisien ne se donnait la peine de lire depuis de nombreuses années.

    Il faudrait de toute urgence archiver tous les numéros de La Presse, l'organe de propagande bénaliste où l'on pouvait lire à longueur de pages des prouesses stylistiques telles que : "Les journalistes tunisiens ont salué hautement le souci permanent du président Zine El-Abidine Ben Ali de promouvoir davantage le paysage médiatique tunisien, en cohérence avec la mutation qualitative du secteur de la communication, dans le monde, de manière à servir les ambitions de la société tunisienne, préserver son identité civilisationnelle et accroître davantage le rayonnement de la Tunisie, à l'échelle régionale et internationale, dans le cadre de l'engagement pour la crédibilité, l'objectivité et l'allégeance à la Tunisie."

    Comment a-t-on pu penser si longtemps que les symptômes de la dictature sont uniquement l'assassinat politique en pleine rue ? Le cas tunisien a témoigné avec une forme de génie de la bassesse que la dictature manifeste aussi dans l'instrumentalisation des discours que les opinions et les dirigeants occidentaux veulent entendre.

    C'est ainsi qu'au moment où de plus en plus de voix, tunisiennes et occidentales, commençaient, dans les années 1990, à alerter sur la situation des droits de l'homme, le régime tunisien a inventé une ahurissante propagande en faveur des droits de l'homme, promouvant à tout-va la liberté d'expression dans un pays où presque aucun journal occidental d'information n'était disponible dans le hall d'un aéroport international, où Libération et Le Monde entraient au compte-gouttes, régulièrement interdits pendant plusieurs mois. En revanche, quotidiennement, les Tunisiens se sont vu infliger une prose pathétique, voire comique.

    Alors même que tous les journaux d'opposition étaient peu à peu laminés, alors que le droit d'association était supprimé, qu'aucune manifestation n'a jamais été autorisée, pendant que les opposants politiques étaient harcelés, on pouvait lire dans La Presse en 2010 : "Les journalistes tunisiens célèbrent cette fête dans l'engagement à accomplir le rôle qui leur revient dans la consécration des attributs d'une société moderniste et ouverte fondée sur les principes de liberté, de démocratie, de dialogue, de pluralisme et d'acceptation de l'opinion contraire."

    Cette détermination puise sa force dans la volonté politique du président qui ne cesse d'accorder au secteur de l'information et de la communication une attention particulière et un appui constant et qui oeuvre inlassablement à renforcer davantage le rôle de ce secteur dans l'impulsion du processus démocratique pluraliste, à travers la consécration d'une information libre, pluraliste et objective qui répond aux aspirations et aux intérêts du citoyen et qui interagit avec ses préoccupations et ambitions, sur la base du principe que la responsabilité est le corollaire de la liberté.

    J'ai aussi le souvenir surréaliste d'un Festival du logiciel libre organisé dans le port de plaisance d'une ville touristique : des chaises en plastique, vides, surmontées de bannières blanches avec des slogans, quelques types en bermuda et tongs, avachis derrière un ordinateur, écran éteint, et des touristes en short flânant devant, indifférents.

    La cause des femmes, extraordinaire caution auprès des opinions publiques occidentales, a elle aussi été totalement manipulée par le régime de Ben Ali. Voici ce qu'on pouvait lire par exemple dans La Presse en 2003 : "Ouvrant les travaux du congrès, présidé par Chadlia Boukhchina, présidente de l'Union nationale de la femme tunisienne (UNFT), M. Kamel Haj Sassi, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la culture, de la jeunesse et des loisirs, a souligné l'intérêt dont bénéficie la jeune fille tunisienne depuis le changement et la place stratégique qu'elle occupe dans l'échelle des priorités du projet social du chef de l'Etat, relevant que la jeunesse féminine est une pionnière dans l'action menée par les associations féminines en matière d'encadrement, d'enracinement des valeurs du Changement et de sensibilisation aux défis de la modernité."

    Il n'y a pas jusqu'à la cause environnementale qui n'ait été elle aussi récupérée : alors même que le développement d'un tourisme de masse aux mains de la clique au pouvoir a accéléré une destruction sans précédent du littoral, tous les Tunisiens ont eu l'occasion de se voir gratifier, jusque dans la ville la plus modeste, d'un boulevard de l'Environnement, avenue sinistre, vaguement agrémentée de trois misérables palmiers et de quelques lauriers flétris.

    Cette langue absurde et vide imposée dans les frontières d'un pays cadenassé a été soutenue en écho, à l'extérieur, et tout particulièrement en France, par le discours de nombreux responsables politiques, agences de communication et éditorialistes influents. Les arguties lexicales sur la nature du régime tunisien sont le symptôme criant de l'incapacité et du refus franco-français à distinguer le signifiant du signifié. La Tunisie de Ben Ali a servi sur un plateau doré tous les signes démocratiques que l'Occident voulait voir : des femmes cheveux lâchés, des plages accueillant des touristes autorisées à s'exhiber en monokini, des supermarchés remplis, des entreprises accueillies à bras ouverts, une libéralisation des services, une coopération active en faveur de la lutte contre le terrorisme.

    L'histoire de la relation franco-tunisienne pendant deux décennies est celle d'un aveuglement volontaire, d'une acceptation de tous les signes clinquants d'un toc démocratique. Elle est l'exemple de la complaisance à l'égard du discours de communication, de la capacité des démocraties à rester les yeux figés sur un décor. La fin de la dictature tunisienne est à l'image grotesque de ce qu'on aurait pu qualifier de "dictature d'opérette" si tant d'hommes et de femmes n'avaient pas payé pendant près d'un quart de siècle le prix d'une véritable oppression.

    Un despote gominé fuyant en avion, une régente de Carthage se réfugiant quelques jours dans un hôtel de carton-pâte à Disneyland avec une tonne et demie d'or sous le bras : quand les signes de la fin de l'ancien régime sont devenus à ce point criants, il est devenu impossible à la France, aux médias et aux responsables politiques de conserver ses "éléments de langage" sur la Tunisie.





    Merci à Le Monde
    Source: http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/01/22/parler-la-dictature-de-ben-ali_1469124_3232.html#xtor=EPR-32280229-[NL_Titresdujour]-20110122-[opinions]
    Date de parution de l'article original: 22/01/2011
    URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=3444


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  • La Tunisie, une dictature trop voyante…sur internet ?

    Posté par calebirri le 17 janvier 2011

    En Tunisie, le peuple a eu raison de la dictature en quelques semaines, et ce malgré la violence exercée par le pouvoir en place. Si l'on applaudit officiellement le formidable élan de liberté pour la communauté tunisienne, celui-ci fait déjà peur à beaucoup,  et il ne faut donc pas crier victoire trop vite ; d'autant que ce qui suivra cette révolution populaire n'est pas encore certain d'être meilleur que ce qui la précédait.

    Mais cette révolution n'est pas une victoire pour la démocratie, bien au contraire : car bien qu'elle exprime aujourd'hui l'espoir d'une génération, elle n'est en réalité que le point de référence qui servira demain à contrôler la vague de protestations qui menace nos belles démocraties. Car il ne faut pas croire, la révolte des Tunisiens n'est qu'une dictature parmi d'autres, et n'a pu aboutir que grâce à la “faiblesse” du régime en place, qui par son trop grand appétit n'a pas su revernir à temps les dorures de son illusion démocratique… ce qui n'est pas le cas partout.

    Car il faut savoir qu'en arrivant au pouvoir, la plupart des dirigeants se trouvent confrontés à un système capitaliste tout puissant, qui corrompt peu à peu ses élites quelles qu'elles soient, jusqu'à les rendre complices d'actes délictueux susceptibles de les embarrasser : pour obtenir des contrats créateurs d'emplois ou des subsides internationales, ils doivent s'acquitter de commissions occultes, fermer les yeux sur certaines pratiques, abaisser le coût du travail et la protection sociale, tandis qu'au passage ils empochent également ce qu'on appelle les “rétro-commissions”, ou “pots de vin”. Pris dans cet engrenage, ils se doivent de cacher leurs méfaits aux regards du peuple, et au besoin faire voter des lois protégeant leur personne d'hypothétiques poursuites judiciaires.

    Ces lois, cumulées avec celles imposées par les différents lobbies de la finance ou du commerce, finissent inévitablement par rendre impopulaire le chef de l'Etat, qui se trouve au bout du compte coincé dans ses propres malversations : ayant appauvri son peuple tout en s'étant enrichi personnellement, englué dans des affaires de corruption illégales et uniquement protégé par son statut, il ne peut décemment plus lâcher le pouvoir sans rien risquer. Perdu pour perdu, il commence à vouloir tricher aux élections, s'arroger les pleins pouvoirs ou augmenter la durée de son mandat.

    Dans le cas de la Tunisie, la misère du peuple et le mépris des dirigeants ont fini par se voir, et atteindre un seuil critique au delà duquel un rapport de force est engagé : le gouvernement au pouvoir n'avait alors plus que le choix de partir, ou bien de se résigner au bain de sang. Le pouvoir ayant opté pour la seconde proposition, il ne lui restait plus qu'à gagner la bataille de l'image, et c'est ici qu'il a échoué.

    Car c'était sans compter internet, avec lequel les choses ne sont plus aussi simples qu'autrefois : si les médias traditionnels continuent de reproduire les communiqués officiels, les “journalistes-citoyens” (c'est à dire n'importe qui) peuvent mettre ceux-ci en contradiction avec la réalité par la profusion de leurs témoignages. Il suffit d'un téléphone portable et d'une connexion internet, et les informations se transmettent, se répercutent, se développent.

    C'est d'ailleurs à ce genre d'occasions qu'on comprend mieux l'intérêt que représente internet pour la contestation sociale, et surtout le danger qu'il fait courir aux dirigeants des autres “démocraties” du genre. Prompts à saluer la victoire du peuple une fois l'opinion publique informée, ils n'ont de cesse que de se prémunir en retour contre les dangers que représentent pour eux internet et les réseaux sociaux. Prompts à proposer l'aide sécuritaire au dirigeant démocrate d'hier, ils refusent aujourd'hui l'asile à un dictateur… nous démontrant ainsi leur volatilité, ainsi que leur volonté de ne pas écorner leur image. Prêts à user de la force pour lutter contre la contestation, ils se préparent aussi à l'empêcher de se diffuser, pour qu'on ne la voit ni grandir ni s'organiser.

    Nous sommes donc désormais prévenus : on ne délogera pas les dirigeants corrompus de nos contrées occidentales aussi facilement qu'en Tunisie, et sans doute les mesures “sécuritaires” seront bientôt renforcées. L'appauvrissement généralisé des peuples, face à l'enrichissement scandaleux d'une petite minorité, commence à se voir partout ailleurs, et conduira bientôt à des émeutes violentes susceptibles de déboucher sur des mouvements de plus grande importance. Nos gouvernants le savent, et s'y préparent depuis déjà quelque temps.

    Et il se pourrait qu'en ces occasions, et même si les masques tombent,  la réponse des gouvernants soit à la mesure de leur corruption : plus elle sera grande, plus ils frapperont forts… mais moins cela se verra.

    Caleb Irri

    http://calebirri.unblog.fr


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  • Tunisie : Une fois Ben Ali parti, le bon vieil épouvantail est de retour – Déconstruction d’un morceau d’anthologie de la vulgate israélo-européenne sur “l’islamisme”

    par FG, Basta!, 17/1/2011
    Eugenio García Gascón est un journaliste espagnol, correspondant à Jérusalem du quotidien progressiste Público. Il vient de publier le16 janvier un article intitulé
    “L’empereur était nu” (
    El emperador estaba desnudo) qui est un vrai modèle du genre. En effet, il a réalisé la performance de concentrer en 457 mots les principaux stéréotypes de la pensée unique régnant dans l’Europe laïque et démocratique sur les pays arabo-musulmans et les mouvements populaires de révolte contre les dictatures qui s’y déroulent. En quelque sorte, une application à la Tunisie de ce qu’on pourrait appeler la  “pensée-vargas-llosa”.

    Face à de tels articles, trois réactions sont possibles :
     
    1 – Avaler leur contenu sans broncher
     
    2 – Envoyer un commentaire virulent sur la électronique page du journal
     
    3 – Déconstruire dans un but pédagogique.
    J’ai opté pour la troisième possibilité. Je m’attelle donc à cette tâche quelque peu ingrate mais à mon avis salutaire.
    Je crois en effet que, face aux pays arabo-musulmans comme la Tunisie, on peut caractériser les trois étages des sociétés européennes comme suit :
     
    1 – Le rez-de-chaussée (la masse des citoyens) est dans une ignorance quasi-totale de la réalité vécue par les peuples de ces pays, et totale pour ce qui est de leur histoire et culture, malgré les séjours touristiques effectués par des millions d'Européens, malgré la présence de millions d'originaires de ces pays en Europe ;
     
    2 – Le premier étage (les faiseurs d’opinion) est presque tout aussi ignorant, et prêt en toute bonne foi à reproduire les pires clichés et stéréotypes diffusés par les “spécialistes” autoproclamés et médiatisés ;
     
    3 – Le deuxième étage (les cercles de pouvoir) est beaucoup plus informé, d’autant plus qu’il est mêlé de près à la mise en place et au maintien des dictatures qui écrasent les peuples de l’Orient arabo-musulman et de l’Occident arabo-berbéro-musulman. Il pratique donc en toute mauvaise foi le mensonge, la désinformation et la langue fourchue, caractéristique fondamentale des Visages-Pâles bien connue de tous les spectateurs de westerns.
     
    Ce deuxième étage s’appuie sur le premier étage pour garder le contrôle du rez-de-chaussée. Il faut donc concentrer le tir sur le premier étage pour  ouvrir les yeux des gens du rez-de-chaussée.
    Je vous propose donc une déconstruction paragraphe par paragraphe de l’article de Don Eugenio, traduit par moi.
     
     Vieux fantôme - Nouveau fantôme - Giacomo Cardelli
     
     
    A la gente que conoce Túnez no le ha sorprendido lo ocurrido, aunque otra cosa distinta es pensar que la situación que se ha creado en este país del Magreb sea exportable al resto de Oriente Próximo. Hablar de la primavera tunecina es hermoso, aunque se debe precisar que a día de hoy no existen garantías de que el proceso que ahora se inicia vaya a terminar como acabó en Europa del Este tras la caída del muro de Berlín; es decir, con un contagio democrático.

    Les  gens qui connaissent la Tunisie n’ont pas été surpris par ce qui s’y est passé, bien que ce soit autre chose de penser que la situation qui s’est créée dans ce pays du Maghreb soit exportable au reste du Proche-Orient. Parler de printemps tunisien est bien beau, bien qu’il faille préciser qu’au jour d ‘aujourd’hui, il n’existe pas de garanties que le processus qui commence maintenant va s’achever comme cela s’est passé en Europe de l’Est après la chute du Mur de Berlin : à savoir, par une contagion démocratique.
     
    Déconstruction
    Passons sur la vision géographique de l’auteur, qui place le Maghreb au Proche-Orient. C’est sans doute le double effet du fait que, résidant à Jérusalem depuis 20 ans, il a adopté la carte mentale israélienne, qui fait de Tunis, Hammamet et Djerba des banlieues résidentielles de Tel Aviv et que, d’autre part, il fait sienne la division du monde opérée par l’administration US, CIA en tête, qui place le Maghreb dans la zone “Middle East”.  C’est d’autant plus cocasse que Maghreb signifie…Occident !
    Qui sont les gens qui connaissent la Tunisie ? Sans doute les Israéliens d’origine tunisienne et les spécialistes qui viennent de réaliser une opération militaire, avec l’aide européenne, pour « sauver » 21 touristes israéliens coincés en Tunisie, étant bien entendu que, dès le départ de “notre ami” Ben Ali, la Tunisie a basculé automatiquement dans le “territoire ennemi”. Et c’est bien contre cela que notre auteur nous met en garde : attention à ne pas mélanger un vrai et bon printemps démocratique européen (Berlin, novembre 1989) avec un faux printemps tunisien. Nous voilà avertis d’emblée.
     
    La dictadura de Ben Alí es similar en muchos aspectos a la que se da en otros países de la región. No se permitía la disidencia y una gran parte de la oposición se encontraba exiliada en Francia. La represión de los islamistas era completa. El régimen policial los mantenía apartados de los lugares estratégicos. Había una dictadura que era tolerada por todo el mundo (la Unión Europea tiene con Túnez un acuerdo de asociación, como con Israel), y casi se podría decir que se sustentaba firme en el apoyo expreso o tácito de la mayoría de la población.
    La dictature de Bel Ali est semblable sous beaucoup d’aspects à ce qui existe dans d’autres pays de la région. La dissidence n’y était pas permise et une grande partie de l’opposition était exilée en France. La répression des islamistes était totale. Le régime policier les maintenait à l’écart des endroits stratégiques. Il y avait une dictature tolérée par tout le monde (l’Union européenne a un accord d’association avec la Tunisie, comme avec Israël), et on peut presque dire qu’elle s’appuyait fermement sur le soutien exprès ou tacite de la majorité de la population.
     
    Ici un bel oxymore : une dictature totale appuyée par la majorité de la population. Le mystère reste donc entier : comment une population « appuyant majoritairement » une dictature peut-elle soudain se révolter contre celle-ci ? Patience, vous allez bientôt comprendre.
     
    Al fin y al cabo, la corrupción beneficiaba a una gran parte de la sociedad tunecina. Esto es algo que se sabía, pero nadie ponía el grito en el cielo. Nadie decía que el emperador estaba desnudo, ni dentro ni fuera. La irrupción de la gente en las calles durante el último mes ha sido algo inesperado, como lo fue la caída del muro de Berlín, que no anticiparon ni los grandes expertos en el bloque soviético que había en EEUU. Pero también es verdad que lo de Berlín luego no le extrañó a nadie, como ocurre ahora con Túnez.
     
    Au bout du compte, une grande partie de la société tunisienne bénéficiait de la corruption. C’est quelque chose que l’on savait mais que l’on ne criait pas sur les toits. Personne ne disait que l’empereur était nu, ni à l’intérieur ni au dehors. L’irruption des gens dans la rue durant le mois écoulé a été quelque chose d’inattendu, comme le fut la chute du Mur de Berlin, qui n’avait pas été anticipée par les grands experts du bloc soviétique qu’il  avait aux USA. Mais il est aussi vrai que ce qu’il y avait à Berlin n’a ensuite manqué à personne, comme cela arrive maintenant avec la Tunisie.
     
    Ici, l’auteur fait un étalage complaisant de son ignorance : il n’a apparemment jamais entendu parler ni de la révolte dans le Sud tunisien, dans le bassin minier de Gafsa, au printemps et durant l’été 2008, ni des câbles diplomatiques révélés par WikiLeaks, dans lesquels l’ambassadeur US Robert F. Godec ne mâche passes mots sur la dictature mafieuse de Ben Ali, “que l’on ne peut pas considérer comme notre allié”, écrivait-il. La révolte n’était donc inattendue que pour  ceux qui, comme l’auteur, ne suivaient pas la blogosphère tunisienne et planétaire.
     
    El experimento democrático en Túnez no entraña los grandes riesgos que podría implicar en otros países árabes, principalmente en Egipto, donde la enorme fuerza del fundamentalismo es visible a pesar de la represión. Túnez es un país pequeño, con un alto nivel educativo, prácticamente bilingüe y sin grandes conflictos internacionales. Además, la fuerza real del fundamentalismo es desconocida, aunque si hay elecciones pronto la conoceremos. En Egipto, por el contrario, si zozobra el régimen, el panorama sería mucho más negro, tanto a nivel interno como internacional.
    L’expérience démocratique en Tunisie n’implique pas les grands risques qu’elle pourrait impliquer dans d’autres pays arabes, principalement en Égypte, où l’énorme force du fondamentalisme est visible, malgré la répression. La Tunisie est un petit pays, avec un haut niveau d’éducation, pratiquement bilingue et sans grands conflits internationaux. En outre, la force réelle du fondamentalisme est inconnue, bien que nous pourrons la connaître s’il y a des élections bientôt. En Égypte, en revanche, si le régime s’effondre, le panorama serait beaucoup plus noir, tant sur le plan interne qu’international.
     
    On commence à comprendre où Don Eugenio veut en venir : si vous laissez les peuples arabes exercer la démocratie, ils vont choisir le fondamentalisme, et c’est un véritable danger. Même si dans le cas de la Tunisie, ce danger n’est pas sûr. Le fondamentalisme est associé à l’ignorance et au monolinguisme. Les petits peuples éduqués et “pratiquement bilingues” sont (peut-être) vaccinés contre cette maladie. L’auteur, qui vit à Jérusalem, ne semble avoir jamais entendu parler d’un petit peuple “hautement éduqué” et “pratiquement trilingue” appelé le peuple palestinien qui a fait une expérience démocratique en 2006 et a voté pour les “fondamentalistes” du Hamas.
     
    Il a été sévèrement puni pour ce choix par ceux auquel l’auteur semble s’identifier totalement : l’Occident démocratique et son fer de lance, Israël. Quant à l’inquiétude qu’il essaye de nous communiquer à propos de l’Égypte, elle nous laisse sans voix : c’est celle qui règne à Tel Aviv et à Washington, où l’on a peur de perdre le principal allié dans le monde arabe, la dictature du vieux Moubarak. Si cette dictature s’écroulait, nous prévient l’auteur, ce serait une catastrophe.
     
    Peligro del fundamentalismo
    En Túnez, el contador ahora se pone en marcha desde cero. De lo que se trata es de construir una sociedad democrática en una región que carece de precedentes. Es prematuro juzgar si el futuro dará la razón a quienes apuestan por el establecimiento de instituciones plurales, pero el intento, aunque fracase, habrá merecido la pena.
    Y Europa debe enviar mensajes claros, pero al mismo tiempo debe andar con cuidado para no colaborar con los fundamentalistas y no facilitarles el acceso al poder.
     
    Danger du fondamentalisme
    En Tunisie, le compteur se remet en marche à partir de zéro. Il s’agit de construire une société démocratique dans une région qui manque de précédents. Il est prématuré de juger si l’avenir donnera raison à ceux qui misent sur l’établissement d’institutions plurielles, mais la tentative, même si elle échoue, aura valu la peine.

    Et l’Europe doit envoyer des messages clairs, mais en même temps elle doit avancer avec prudence pour ne pas collaborer avec les fondamentalistes et ne pas faciliter leur accession au pouvoir.
     
    Je me mets à la place du lecteur lambda de Público : mais qui sont donc ces fondamentalistes tunisiens contre lesquels Don Eugenio nous met en garde ? Sans doute les mêmes contre lesquels le bras droit de Netanyahu, Sylvan Shalom, vient de mettre en garde. Ou Mezri Haddad, l’ambassadeur tunisien auprès de l’Unesco, qui a démissionné de son poste quelques heures avant la fuite de Ben Ali.
     
    Interviewé par la chaîne Al Jazeera, ce personnage grotesque a accusé Hamma Hammami, leader du petit Parti communiste des ouvriers de Tunisie, un des rares opposants qui n’a choisi ni l’exil ni la collaboration (à la différence de Mezri Haddad) pendant les 23 ans de dictature, d’être un agent des islamistes. Pour tranquilliser tout ce beau monde, Rachid Ghannouchi, le leader historique du mouvement islamiste Ennahdha, de son exil londonien, a prévenu : il ne se présentera pas à l’élection présidentielle et (les restes de) son parti (pulvérisé par la répression de Ben Ali, avec la bénédiction de tous les démocrates) ne se présentera pas aux élections législatives.
     
    L’Occident démocratique et son fer de lance israélien peuvent donc être rassurés : le spectre qui les hante restera hors jeu. Mais ils doivent rester vigilants : l’hydre islamiste a de nombreuses têtes et ils doivent rester vigilants pour identifier les déguisements “démocratiques” qu’elle va essayer de prendre. Madame Souheyr Belhassen, présidente tunisienne de la Fédération internationale des droits de l’homme, nous a déjà fait part de son inquiétude : la jeunesse révoltée tunisienne est “travaillée” par les mauvaises idées islamistes. La preuve irréfutable : un chanteur de rap a commis une chanson contre la minijupe.
    Ma conclusion : c’est avec de tels articles qu’on alimente les fantasmes des citoyens européens et qu’on prépare l’opinion à tous les mauvais coups venant du “deuxième étage”. Une chose est claire : les peuples arabes et musulmans n’ont droit à la démocratie que si NOUS fixons les règles. Sinon, ils devront continuer à supporter les dictateurs que nous leur imposons. Don Eugenio, honte sur toi !

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  • Maghreb - Tunisie : "tout changer, pour que tout reste pareil"

    L'opinion publique, en Tunisie comme ailleurs, s'est félicitée de la chute de la dictature et nombreux sont ceux qui pensent que les choses ont réellement changé parce que Ben Ali a quitté la présidence.
    Messieurs Ghannouchi, Mebazaa et Abdennadher, les "nouveaux" 
    leaders du pays, ont réellement bien manœuvré : de grands politiciens, qui connaissent bien le caractère du peuple, une excellente équipe, parfaitement soudée et efficace. Et cela fait plus de vingt ans qu'elle dirige la Tunisie...

     

    Ben Ali       Fouad Mebazaâ       Question

    AVANT                  MAINTENANT                APRÈS


    Le 14 janvier dans la soirée, on apprenait le départ du président Ben Ali : après plusieurs semaines d’émeutes, qui avaient pris des allures de révolution, le peuple tunisien renversait le dictateur, contraint de quitter le pays. Zine el Abidine Ben Ali s’est ainsi réfugié en Arabie Saoudite, qui sera donc sa terre d’exil, puisque la France a, semble-t-il, décliné sa demande, lâchant de la sorte son ancien allié sans la moindre vergogne…

    Dans le respect du processus institutionnel tunisien, le premier ministre, Mohamed Ghannouchi, qui exerçait cette fonction aux côtés du président Ben Ali depuis 1999, a assuré l’intérim de la présidence, le temps de proclamer le nouveau président, Fouad Mebazaâ, un des bras droit de Ben Ali, membre de tous ses gouvernements successifs et, selon certains observateurs, son dauphin désigné.

    En effet, après avoir « constaté la vacance de la présidence », le Conseil institutionnel, en vertu de l’article 57 de la Constitution, a établi qu’il revenait au président du Parlement d’assurer la présidence jusqu’aux prochaines élections, qui doivent avoir été organisées endéans un délai de soixante jours au plus. C’est ce qu’à annoncé le président du Conseil, Fethi Abdennadher, lui aussi fidèle de Ben Ali parmi les fidèles…

    Dès l’annonce de la fuite du président Ben Ali, en dépit de l’euphorie qui s’emparait des masses populaires tunisiennes dont la joie éclatait dans les rue de Tunis et dans tout le pays,  une analyse de la situation ne laissait cependant que peu de doutes sur la suite des événements.

    En effet, force était de constater que tous ceux qui venaient de prendre le relai de Ben Ali étaient ses anciens ministres et hauts fonctionnaires, tous ceux qui avaient profité du régime, s’étaient enrichis et possédaient le pays…

    Autrement dit, trois hypothèses, a priori, se dégageaient de cette analyse à chaud :

    1. Le gouvernement par intérim, qui, à peine en fonction, avait proclamé l'état d'urgence et la loi martiale, réprimait toute opposition dans le sang durant la nuit ; et Ben Ali, une fois la crise jugulée, revenait (Mohamed Ghannouchi n’avait-il pas précisé, d’ailleurs, qu’il assurait l’intérim car le président Ben Ali était « temporairement » incapable d’exercer ses fonctions?) ou pas, mais, avec ou sans lui, tout continuait comme avant.

    2. Les insurgés pensaient avoir gagné, la colère retombait (cas d’école d’une révolution mal organisée qui, refroidie dans son élan, avorte et ne peut que rarement être relancée) et, en douceur et sur le long terme, les anciens dirigeants, qui avaient jusqu’alors agi dans l'ombre de Ben Ali, récupéraient le gâteau et confisquaient à nouveau le pouvoir au peuple. Au mieux, on arrêtait quelques familiers et proches de Ben Ali, juste pour faire bonne figure (et tout le monde en Europe et ailleurs n’y verrait que du feu ; d’autant plus que la Tunisie quittera rapidement l’actualité et retournera à son triste sort, tandis que les charters de touristes recommenceront à affluer vers Djerba).

    3. Les insurgés réalisaient qu'ils étaient en train de se faire manipuler par ce tour de passe-passe et poursuivaient le mouvement jusqu'au renversement complet de la dictature et l'arrestation ou la fuite de tous ceux qui l'avaient soutenue. Probablement, alors, la démocratie et les changements socio-économiques avaient leur chance d’aboutir.

    Certes, face à la ténacité et au courage avec lequel le peuple tunisien avait jusqu’alors conduit sa révolution, il n'était pas impossible qu'il surprît encore.

    Qui, en effet, aurait parié sur l'avenir de cette révolution ? Or, elle avait la peau dure. Et, tandis que les gouvernements européens pouvaient aller cacher leur honte pour leur attentisme et leur mutisme scandaleux (espéraient-ils l’essoufflement du mouvement et la fin des troubles, pour à nouveau dormir tranquillement ?), les Tunisiens, quoi qu’il en fût de la suite des événements, avaient déjà offert au monde une extraordinaire leçon de démocratie.

    C’est dès lors le lendemain qu’il fallait attendre, pour savoir ce qu’il en serait de la Tunisie et de sa révolution...

    Mais le réveil est difficile : les rues de Tunis et des grandes villes sont désormais désertes ; l’armée patrouille ; Ben Ali parti, tout le monde est gentiment rentré chez soi ; la révolution a vécu.

    Les chefs de l’armée, en concertation avec les leaders du gouvernement, ont négocié le départ du président Ben Ali, qui a ainsi servi de fusible (avait-il encore vraiment le choix ?), et sa « fuite », d’exutoire à la révolte. Mais ce sont bien tous les anciens de « la bande à Ben Ali » qui demeurent aux commandes et continuent de contrôler tous les rouages du pays et le processus qui mènera aux élections d’un « nouveau » parlement et à la désignation du « nouveau » président.

    Le tour de passe-passe magistralement exécuté par les dirigeants tunisiens (et peut-être, déjà, avec la complicité de certains Etats européens), est parvenu à calmer la rue, dont les meneurs, mal organisés et désormais dépouillés des forces vives de la révolte, n’ont plus les moyens de faire aboutir le processus révolutionnaire et d'instaurer leur propre gouvernement provisoire pour organiser des élections libres et effectivement transformer le régime.

    La victoire de cette révolution au Maghreb aurait également pu être un motif d’espoir pour le peuple d’Algérie, toujours en lutte contre la junte corrompue qui le dirige. Hélas, l’échec tunisien n’augure rien de positif pour les Algériens.

    Bref, les anciens ministres de Ben Ali ont eu très chaud, depuis quelques semaines. Aussi ont-ils eux-mêmes choisi de tout réorganiser, de tout changer,  pour que tout reste pareil. 

    La « priorité absolue » du gouvernement d’intérim est désormais le rétablissement de l'ordre public. C’est pourquoi, depuis hier soir, le couvre-feu a été proclamé en Tunisie, sous le prétexte que des « pillards » profitent de la situation de chaos, « pillards » surgis de nulle part, « pillards » que l’on n’avait pas encore vu agir, alors que des émeutes violentes ébranlent pourtant le pays depuis des semaines, « pillards » parmi lesquels d’aucuns croient bien avoir reconnu des agents des forces spéciales de « l’ancien » régime.

    Les élites « benalistes » sont bel et bien en train de reprendre le contrôle de la situation, dans le calme et avec la bénédiction du peuple qui craint les « pillards » et appelle l'armée à rétablir l'ordre.

    La France a pris « acte de la transition constitutionnelle ». L'Union européenne s’est dite satisfaite par ce dénouement, qui devrait aboutir à « une solution démocratique durable ». Les Etats-Unis ont exprimé leur respect pour « le courage et la dignité du peuple tunisien ». Le secrétaire général de l'ONU, enfin, s’est réjoui de ce « règlement démocratique et pacifique de la crise ».

    Tout le monde est maintenant rassuré : tout va pouvoir continuer comme avant, en Tunisie.

    Pierre PICCININ


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  • Comme vous le savez Ben Ali a quitté le pouvoir et la Tunisie.

    Malte et l’Italie ont démenti que son avion se dirige chez eux.

    Par contre un avion avec une partie de sa famille a atterri à l’aéroport du Bourget à 19h30.

    Cela laisse penser que le dictateur tunisien pourrait être accueilli en France.

     

    Ben Ali a de nombreux amis au pouvoir en France qui ont essayé de le défendre contre l’évidence de ses exactions.

     

    Une fois de plus, la politique étrangère française a brillé par sa bienveillance envers un dictateur.


    Milton ici

     

    ** Aux dernières nouvelles, Ben Ali se serait refugié à Jeddah, en Arabie saoudite.

    En, revanche,pas de trace de la «Révolution de jasmin» sur le site internet de la présidence tunisienne, où la photo de Ben Ali continue de s'afficher en page d'accueil. La dernière mise à jour date du 3 janvier.


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  • Que l'étincelle tunisienne embrase tout le monde arabe !

    Vendredi 14 janvier 2011

    Plus de quatre semaines de révoltes populaires, l’armée tire à balles réelles dans la foule, des morts par dizaines, couvre feu, disparition et exécution des syndicalistes, blogueurs arrêtés etc. etc. Ces événements ne se déroulent ni à Cuba, ni au Venezuela, ni en Bolivie, ni en Chine et ni en Iran mais en...Tunisie ! Les pays européens, la France de Sarkozy en tête, prompts d’habitude à s’immiscer dans les affaires iraniennes ou ivoiriennes par exemple, se sont, cette fois contentés de quelques communiqués après des semaines de silence complice : « la Tunisie est confrontée à des problèmes économiques et sociaux. Seul le dialogue permettra aux Tunisiens de les surmonter » disait platement un communiqué du ministère français des Affaires étrangères.

    Quel contraste entre la violence de la propagande menée contre l’Iran au printemps 2009 lors des élections présidentielles et la platitude des déclarations officielles à propos de la révolte du peuple tunisien. Il suffisait à l’époque de lire les titres des journaux et de regarder les images diffusées en boucle par les télévisions américaines et européennes pour se rendre compte de la haine que voue l’impérialisme à la République islamique d’Iran. La révolte du peuple tunisien, elle, ne mérite que mépris et silence. Car « La Tunisie est un pays ami, nous sommes extrêmement vigilants sur ce qui se passe là-bas et fortement préoccupés (...) En même temps, la France n’a pas à s’ingérer dans les affaires de la Tunisie » déclarait Luc Chatel sur Radio Classique et i-Télé .

    Tout en invoquant cyniquement le droit de non ingérence dans les affaires des autres pays, le gouvernement français, par le biais de sa ministre des Affaires étrangère Michèle Alliot-Marie, va même jusqu’à proposer aux régimes Tunisien et algérien sa collaboration en matière de sécurité et du maintien de l’ordre : « Nous proposons que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce type. C’est la raison pour laquelle nous proposons aux deux pays [Algérie et Tunisie, ndlr], dans le cadre de nos coopérations, d’agir en ce sens pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l’assurance de la sécurité » (1). C’est que la France est l’un des premiers investisseurs étrangers en Tunisie. Elle occupe même la première place quant au nombre d’entreprises installées dans ce pays (1200 entreprises). On peut citer pêle-mêle Lacoste, Valeo, Sagem, Danone, Sanofi-Aventis, Fram, Accor, Club med, BNP-Paribas, Société générale, Groupe Caisse d’épargne etc.etc.(2)

    Il faut donc, vaille que vaille, sauver Ben Ali et sa dictature. Mais la bourgeoisie française craint par dessus tout la victoire du peuple tunisien et l’installation au Maghreb d’une véritable démocratie qui donnera l’exemple à tous les peuples du monde arabe dirigé aujourd’hui par des régimes anachroniques soutenus, financés et armés par l’impérialisme américain et son caniche européen.

    Les bourgeoisies occidentales qui se targuent sans cesse de vouloir répandre la démocratie à travers le monde, ne font dans la réalité que soutenir, directement ou indirectement, des dictatures et empêchent de ce fait toute progression sur le chemin de la démocratie et du progrès social. Toute l’histoire de l’impérialisme n’est que soutien aux régimes les plus féroces quand ils ne sont pas installés directement par lui. Il serait difficile et fastidieux de vouloir établir une liste exhaustive de ces dictatures tellement elles sont nombreuses. Citons tout de même les plus connues et les plus terribles : Augusto Pinochet au Chili, Videla en Argentine, Samoza au Nicaragua, Soeharto en l’Indonésie, Marcos aux Philippines, Musharraf au Pakistan, le Shah Reza Pahlavi en Iran, Hosni Moubarak en Egypte, Omar et Ali Bongo au Gabon etc. etc. Le soutien indéfectible des bourgeoisies occidentales aux régimes les plus sanglants est une constante de l’histoire du capitalisme.

    Le soulèvement du peuple tunisien aujourd’hui, son courage et sa détermination à affronter l’un des régimes les plus répressifs, montre la voie à suivre à tous les opprimés non seulement du Maghreb mais de tout le monde arabe !

    Les masses populaires arabes ont trop souffert de cette complicité objective de leurs propres bourgeoisies corrompues jusqu’à la moelle épinière et de la bourgeoisie occidentale qui les maintient dans la dépendance et la misère. Le monde arabe est aujourd’hui une véritable bombe qui peut exploser à n’importe quel moment.

    Longtemps exploitées, marginalisées, humiliées, les masses populaires arabes relèvent lentement la tête et essayent de sortir de cette longue nuit dans laquelle elles ont été plongées.

    Travailleurs, progressistes et démocrates européens, il est de notre devoir de soutenir le peuple tunisien dans sa lutte contre un régime d’un autre âge. Sa victoire là-bas dans cette région du monde arabe c’est également la notre ici en Europe.

    Mohamed Belaali

    (1) http://www.rue89.com/2011/01/12/lin...

    (2) http://www.ambassadefrance-tn.org/f...

    © LE GRAND SOIR - Diffusion non-commerciale autorisée et même encouragée.
    Merci de mentionner les sources.
    Publié le 14 janvier 2011

    Source Palestine solidarité


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