• "C'EST LIQUIDE ET C'EST NOIR"

    « C’est liquide et c’est noir »

    L’activité de Benghazi semble être rentrée dans une routine révolutionnaire ou patriotique tout comme le front et la politique internationale. Il n’en est rien, ou plus exactement, cette routine est elle-même une rupture conséquente avec l’esprit plus ou moins fort qui avait été celui du début de la révolte.

    Dans le cul la balayette

    Le CNT a récemment fait parler de lui, et pour cause, le temps est maintenant à la diplomatie. Et bien des journalistes en costard, spécialisés en questions internationales, ont pris la place des reporters de guerre mal rasés à Benghazi. Il est intéressant de connaître la sauce de cette nouvelle officine, mais cela prend tout son sens quand on a d’abord fait un tour en cuisine.

    Abdul Fatar Younis est depuis peu un homme occupé. Ancien ministre de la justice de Kadhafi, chef des forces spéciales, il est le plus visible des prétendus chefs de la prétendue armée de la révolution.

    Cela fait une semaine et demi que les gros katiouchas BM-21 avaient déserté le front, amenant comme par magie -une magie récurrente dans cette guerre= branlées et branlées encore pour la révolution sur le front du côté de Brega. Dans le même temps, étaient appelés aux casernes des dizaines de volontaires qui s’étaient fait enregistrer comme pouvant donner un coup de main. Monsieur Younis ayant certainement eu vent de la présence de stocks d’armes lourdes de Kadhafi encore bien pourvus, a ainsi pu monter un plan d’acheminement des munitions basé sur la bonne volonté et le désir de bien des Libyens de s’organiser dans des institutions formelles autant que possible. La rétention des katiouchas lourds et leur utilisation autour du 9 avril ont inauguré la naissance de cette nouvelle armée.

    C’est un grand défaut d’initiative qui a permis l’apparition de cette structure au milieu des combattants, car aucune organisation ne s’était inventée jusque-là pour donner une vraie efficacité à l’armée des gens de Cyrénaïque.

    Combattants auto-organisés. Panier de roquettes de mi-24 montes sur 4X4

    A propos de tentative d’organisation, il convient de relever ici une fois pour toutes la stratégie médiatique orchestrée par l’occident, d’Hillary Clinton aux journaux de gauche français, et qui consiste à faire courir la rumeur de la présence sur le front d’une organisation internationale du terrorisme islamique portant le nom de “Al Quaeda”. Ayant personnellement rencontré les journalistes présents ici et ayant redigé des articles en ce sens, il a été aisé de comprendre comment remplacer le mot “imam” par le mot “mullah”, comment transformer un sympathique prof de techno en nouveau docteur No -les james bond girls étant dans cette oeuvre revêtues de la Burka.

    On peut se demander pourquoi les démocraties occidentales, prêtes à aider le pétrole de Libye dans son désir de démocratie, font courir de tels bruits sur leurs nouveaux alliés -les reportages et articles centrés sur la question ont tous été commandés par les rédactions occidentales, les journalistes présents sur place n’en ont jamais pris l’initiative, se contentant d’obéir aux ordres. Je pense qu’il s’agit en fait simplement d’une peur de la plèbe transformée en arme efficace à qualifier toute tentative d’auto-organisation -ce qui donne à réfléchir sur bien des mouvements décrits par le même nom. Il est important de noter que les gouvernements occidentaux, contrairement à bien des citoyens de gauche des mêmes pays, ont bien compris que le groupe de personnes en armes, combattants les dollards de Kadhafi dans le désert, n’avaient rien à voir avec une armée.

    Le cul entre deux chaises

    Regardons maintenant la guerre elle-même, première à encaisser les conséquences de la diplomatie internationale et de ses errements. Je centre ici mes commentaires sur la guerre en Cyrénaïque, n’ayant pas les éléments pour parler de la guerre à Misrata qui constitue un front au moins aussi large et actif, certainement bien plus.

    Que ce soit la pression de la Chine, de la Russie, de la Turquie ou de l’Allemagne, ou que ce soit la timidité à enjoindre à l’obéissance des pays anciennement colonisés, toutes les raisons ont, semble-t-il, été bonnes pour laisser le Tchad, le Soudan et surtout l’Algérie apporter massivement armes, essence et matériel aux forces de Kadhafi. Et ce, quand ce n’est pas la Turquie qui est chargée de faire respecter cet embargo contre ses propres bateaux. Ce sont des réfugiés libyens qui ont bloqué l’arrivée d’essence depuis le terminal de Gabes en Tunisie, et plus tard sur cette même route, l’arrivée de 4X4.

    La France avait, dans ses premiers raids, bombardé certains de ces ravitaillements, ce qui avait conféré un avantage énorme à la révolution quand elle s’était trouvée confrontée à un armement comparable au sien, mais l’OTAN a cessé ses frappes qui ne se passent pas sur le lieu des combats.

    Le temps énorme donné par cette politique de semi-aide au vieil Etat libyen a permis la réorganisation de son armée telle que nous l’attendions depuis longtemps. Avant-hier, le 10, les troupes de Kadhafi, pourvues de 4X4 flambants neufs, ont effectué un raid à travers le désert et sont rentrées dans la ville d’Ajdebia, tirant sur tout ce qui bouge dans les rues désertées de sa population. Ces troupes ont en cela bénéficié de l’expérience acquise au Tchad et notamment de l’engagement de Touaregs capables de trouver des routes praticables dans le désert. Si l’on veut encore parler de guerre assymétrique, on va en perdre sa géométrie dans ce combat où l’Etat puissant utilise des techniques de guérilla contre le peuple capable de peu d’invention, mais aidé de l’aviation high-tech des gendarmes du monde.

    Devant cet afflux ininterrompu d’armes neuves (véhicules, essence, mercenaires, munitions de tous calibres, optiques), la réponse militaire libyenne est bien faible. Une grande partie des stocks de munitions se trouve dans une vallée perdue des montagnes vertes. Toute sorte de missiles de haute technologie sont entassés là, mais bien peu de ces armements hors de prix -ils vaudraient certainement autant si c’était des caisses de whisky, vu leur âge compris entre 20 et 40 ans- est utilisable en raison du manque d’avion, de canon ou autre lanceur. Les réserves semblent suffisantes pour quelques semaines de guerre.

    D’autre part, au front, les militaires obéissant à Fatar Younis font leur apparition, concentrés autour de la ville d’Ajdebia, ils sont dotés d’optiques puissantes (ce qui est une bonne idée étant donné que la guerre est à près de quarante kilomètres de là), et de nos fameux BM-21. Ces armes, décisives pour la réussite des offensives, sont dédiées à répondre à la nouvelle tactique très agressive des forces de Kadhafi par une attitude très… défensive.

    Et ce, sans compter qu’un truc qui a près de vingt kilomètres de portée serait un peu plus efficace en tir de contre-batterie sur la route que les paniers de roquettes d’hélicos montés sur 4X4 qui sont les seuls à faire cette guerre désormais. Sachant aussi que ces grads sont également très mal adaptés à un assaut de 4X4 rapides à travers le désert.

    Si cette tactique d’utilisation défensive des katiouchas persiste, ce sera une volonté franche d’appuyer le projet de Kadhafi de séparation de la Libye.

    Ce projet, soutenu par la Turquie d’abord, l’union africaine ensuite, consiste à laisser à la Cyrénaïque son indépendance et l’argent du pétrole de Tobrouk, ce qui n’est pas rien, et de laisser à Kadhafi son autorité sur le reste du pays, ainsi que le contrôle du pétrole de Brega, Ras lanuf, et Tripoli. Les conséquences d’un tel accord serait le massacre de la population de Misrata, des purges importantes à Tripoli et dans tout le Djebel Mafoussa, incluant Ziltan.

    Le comité ne peut pas accepter un tel accord sans se faire étriper par la population de Benghazi, mais son langage a déjà changé. En langue diplomatique, “intervention militaire” veut maintenant dire force d’interposition sur la zone du front, et “no fly zone” ou “action de l’OTAN” signifient appui militaire effectif en faveur de la Libye. Le comité refuse de négocier une trêve, mais le simple fait de ne pas le dire clairement, et d’utiliser ce langage diplomatique fait de ce refus un élément de négociation, qui augure peut-être l’ouverture de pourparlers effectifs quand davantage de terminaux pétroliers seront reconquis. Il faut d’ailleurs ajouter que, en privé, il y a effectivement des gens qui pensent que ce traité serait une bonne chose pour la Cyrénaïque (financièrement c’est certain).

    Un jeune étudiant me disait, avec une certaine exagération, “le pétrole, on sait juste que c’est liquide et que c’est noir”. Pour ceux qui ne lorgnent pas sur cette manne, qui signifie le massacre de bien des insurgés, cette matière est devenue haïssable. Loin de pouvoir être utilisée comme arme, elle a sa volonté propre qui se perd dans les hésitations des puissances occidentales et attire les armes de Kadhafi comme un aimant.

    Le spectacle des chefs d’Etat se déroule maintenant loin d’une guerre toujours plus dure dans le désert, à Misrata, et à Tripoli, où des actions coordonnées sont tentées, notamment de nombreux guets-apens contre la police, qui ne sont pas sans rappeler ceux que la France a connus dans ses banlieues.

    Ce qui meut la force des combattants doit être une chose bien difficile à saisir pour les occidentaux de tous poils qui viennent à tour de rôle passer deux semaines dans les hôtels de Benghazi. Quand j’ai demandé à un journaliste très connu ce que c’était, le sang, il m’a répondu, « tout ce que j’en sais, c’est que c’est liquide, et que c’est rouge ».


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