• Honduras : L’ère du Loup

    Bilan de la présidence de Porfirio Lobo

    jeudi 10 juin 2010, par Primitivi

    Depuis que Porfirio Lobo assure la plus haute charge de l’État du Honduras les exactions, les tortures, les assassinats, et les violations des plus élémentaires des droits n’ont pas cessé, au contraire. Par contre les exécutants en ont appris avec le temps et ces actions sont devenues plus discrètes, laissant moins de traces pour d’éventuelles action en justice [1].

    Mais ces délits ne pourraient être conduits sans l’aval et la complicité des institutions judiciaires. C’est cette mise au pas d’un pays que décrit Giorgio Trucchi en interviewant Bertha Oliva, coordinatrice nationale du Comité des Parents de Détenus Disparus au Honduras.

    La démocrature du Honduras : L’ère du Loup

    Plus de 700 violations des droits de l’homme - incluant douze assassinats - c’est le résultat des observations réalisées du 30 janvier au 28 mai 2010 par le COFADEH. Plus de 9 000 violations et 544 "incidents" contre des défenseurs des droits de l’homme enregistrées depuis le coup d’État.

    En manquant de quelques semaines [2] la commémoration du premier anniversaire du coup d’État sanglant, Sirel a discuté avec Bertha Oliva, coordinatrice nationale du Comité des Parents de Détenus Faits disparus au Honduras (COFADEH), pour faire le point sur la situation.

    Quel est le bilan des droits de l’homme au Honduras après quatre mois du gouvernement Lobo ? Ce que nous avons réussi à compiler pendant ces quatre mois du gouvernement de Porfirio Lobo est un peu terrifiant. C’est encore une preuve qu’au Honduras des violations sélectives et systématiques des droits de l’homme continuent d’être faites, elles obéissent à une politique fine et silencieuse de l’État, et par conséquent dangereuse et inquiétante.

    Au niveau international, le président Porfirio Lobo essaie de présenter l’image d’un pays différent, d’un pays en voie de normalisation et de réconciliation... La communauté internationale, la coopération et les gouvernements du monde doivent comprendre qu’au Honduras les hommes politiques ne font jamais ce qu’ils disent publiquement. Il y a une hypocrisie totale, et quand ils annoncent qu’un gouvernement plus humain s’est installé, qui permet une réconciliation et respect les droits de l’homme, les faits montrent bien que ce sont des mensonges.

    Les détentions illégales, les poursuites, les tortures et les assassinats continuent. Ils continuent de violer les lois tous les jours. Au Honduras les forces économiques et politiques continuent de s’imposer, à travers des institutions publiques qui sont supposée se charger d’appliquer la justice.

    Y a-t-il eu un changement de stratégie répressive dans le pays à la suite du coup d’État ? Avant le coup il y avait une répression, mais elle l’était surtout par abus d’autorité. Maintenant la majorité des violations des droits de l’homme sont faites pour des raisons politiques et les oppresseurs ont accordé leurs instruments et leurs méthodes.

    Pour les organisations des droits de l’homme, il est actuellement plus difficile de travailler dans un climat de violence. La stratégie s’est affinée et diversifiée, et les oppresseurs sont plus attentifs à ne pas laisser de traces.

    C’est une politique systématique de la part de l’État, accompagnée par une campagne médiatique des plus cynique et agressive menée par les médias corporatifs qui tendent à disloquer tout type de travail ou d’expérience structurante et sociale.

    Nous le voyons ces jours-ci avec la fermeture de la radio communautaire de Zacate Grande, de la persécution des leaders ruraux, des représailles judiciaires et patronales contre les syndicalistes de l’Université Autonome du Honduras (UNAH) et du licenciement des juges et des magistrats qui se sont opposés au coup.

    Cela fait des semaines que ces derniers sont en grève de la faim et il n’y a aucune intention (de la part de l’État) de résoudre le conflit. Ils créent des crises déguisées en actions légales, imposent le droit avec les concepts utilisés pendant le coup militaire

    Il y a aussi des signes très inquiétants. Est-ce que les menaces et les attaques dont les directeurs du STIBYS ont souffert et la campagne pour discréditer la direction de la Résistance font partie de cette stratégie ? Le COFADEH s’inquiète beaucoup de ce qui est arrivé durant les derniers jours. Il y a des signes clairs comme les menaces contre Carlos H. Reyes [3], l’assaut contre le siège du STIBYS à San Pedro Sula et la campagne de discrédit contre les dirigeants du Front National de Résistance Populaire (FNRP) font partie de la même stratégie répressive.

    Une stratégie qui veut nous faire taire, nous dominer, en nous laissant sans le droit de nous organiser et de protester contre ce qui arrive dans ce pays. Jusqu’à présent le Ministère public n’a absolument rien dit sur ces faits.

    Le secrétaire général de l’OEA, José Miguel Insulza, a assujetti le retour du Honduras au sein de l’OEA au retour de l’ex-président Manuel Zelaya avec l’assurance “d’une tranquillité absolue”. Qu’est-ce que vous pensez de cette proposition ? Il a le droit de la faire, mais il n’a pas de droit de manipuler des mensonges. Ce gouvernement continue de mentir à la communauté internationale et se propose de compenser le processus d’unité et d’organisation qui a surgi après le coup [4].

    On ne peut pas négocier le retour du président Zelaya en échange de sa sécurité, et nous croyons que ce n’est pas juste considérer le retour du Honduras dans les instances internationales alors qu’il n’y a aucun signe de vraie vie commune en démocratie, de respect des droits de l’homme et d’application correcte de la justice.

    Nous avons plus de 700 violations des droits de l’homme depuis que Porfirio Lobo est arrivé au pouvoir en janvier dernier. Il faut maintenir l’isolement du Honduras jusqu’à ce que les forces répressives réfléchissent, donnent un signe clair de repentir et acceptent de répondre pour les délits qu’elles ont commis.

    Nous allons continuer de dénoncer et de travailler, même si nous savons qu’à tout moment ils peuvent essayer nous faire taire.

    Ici personne ne se réconcilie avec personne. Au contraire, ceux qui ont le contrôle du pouvoir et des armes, ceux qui ont assailli les institutions de l’État, continuent avec leur stratégie du crime et peut leur importe ce que dit la communauté internationale.

    Quel sorte d’anniversaire va être le 28 juin prochain ? Cela va être une rencontre que le monde va avoir avec le peuple hondurien. Il n’y a pas de raison de pleurer, au contraire, nous allons nous embrasser et célébrer cela, parce que nous nous sommes rendus compte qu’il y a des millions de personnes sur la planète qui ont exprimé leur solidarité, et qui ont souffert quand ils ont senti que le Honduras était toujours attaqué.

    A cette date nous allons installer la Commission de Vérité Alternative. Cela va être un bon message pour chercher la mémoire, pour récupérer l’histoire. Pour dire aux peuples du monde, au gouvernement du Honduras qui a préféré être la continuation du coup, qui continue de violer les droits de son peuple, que cette affaire n’a pas été une succession constitutionnelle, mais un coup d’État militaire.

    Le 28 juin il faudra le vivre avec joie, en pensant qu’il y a douze mois le peuple s’est éveillé et continue de le démontrer dans les rues.

    par Giorgio Trucchi


    Source : Rel Uita "La democradura en Honduras : La era del Lobo"
    Traduction : Primitivi

    Notes

    [1] Le cas de Roberto Micheletti est actuellement étudié par le Tribunal Pénal International, mais Micheletti a pu décrocher un mandat de député à vie - charge non prévue dans la Constitution hondurienne - qui lui offre l’immunité parlementaire jusqu’à la fin de ses jours.

    [1] Le cas de Roberto Micheletti est actuellement étudié par le Tribunal Pénal International, mais Micheletti a pu décrocher un mandat de député à vie - charge non prévue dans la Constitution hondurienne - qui lui offre l’immunité parlementaire jusqu’à la fin de ses jours.

    [2] Le coup d’État fut lancé le 28 juin 2009 par Romeo Vásquez Velásquez (chef des états-major des forces armées) et Roberto Micheletti (président de la chambre des députés), l’un kidnappant le président Manuel Zelaya dans la nuit et l’autre se faisant porter au pouvoir suite à une soit-disant "succession constitutionnelle" décidée unilatéralement par le Parlement et la Cour Suprême. Le Honduras tombait alors sous le joug d’un nouveau "type" de dictature. Celle où l’on fait semblant d’utiliser l’appareil démocratique pour mieux imposer un diktat oligarchique soutenu par l’armée et des centre de pouvoirs extérieurs -autres gouvernements ou multinationales-.

    [3] Carlos Reyes, leader du Front National de Résistance Populaire hondurien.

    [4] le mouvement de résistance populaire, du jamais vu dans ce pays


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  • Historien Israélien dissident, désormais expatrié en Grande-Bretagne, Ilan Pappé se distingue par ses analyses claires et lucides des ressorts internes du conflit. En un récent article publié dans le Herald Scotland, il explique le lavage de cerveau auquel est soumis tout citoyen israélien. Et éclaire les motivations biaisées et fallacieuses sous-tendant l’attaque de la flottille.

    "Ce qui guide la politique d’Israël" - Un texte d’Ilan Pappé

    Traduction d’un article publié dans le Herald Scotland, le 6 juin 2010.

    jeudi 10 juin 2010, par Benjamin

     

    Historien israélien dissident, aujourd’hui professeur d’histoire à l’Université d’Exeter et directeur du Centre européen d’études sur la Palestine, Ilan Pappé a longtemps vécu en Israël, donnant de la voix contre le sionisme. Lassé de vivre dans un environnement « hostile », d’être traité « comme un pestiféré » [1], il s’est finalement exilé en Grande-Bretagne en 2007.

    Celui qui dénonce sans relâche la réécriture historique pratiquée par Israël, l’endoctrinement de sa population, le processus de colonisation et le massacre des Palestiniens à l’œuvre depuis plus de 60 ans [2] explique dans l’article traduit ci-dessous (la version originale, publiée le 6 juin, est ICI) les ressorts psychologiques qui ont poussé l’état sioniste à attaquer la flottille de Gaza il y a une dizaine de jours. Et explique pourquoi les "solutions" mises en avant par la communauté internationale ne sont absolument pas adaptées à la réalité du conflit.

    Ce qui guide la politique d’Israël

    L’aspect le plus déroutant de l’affaire de la flottille de Gaza a très certainement été la défense indignée et moralisatrice du gouvernement et du peuple israélien.

    Les modalités de cette réponse sont peu relayées par la presse britannique, mais il s’agit aussi bien de communications officielles, célébrant l’héroïsme des commandos ayant pris d’assaut le navire, que de manifestations d’écoliers en soutien inconditionnel au gouvernement et contre une prétendue nouvelle vague d’antisémitisme.

    En tant que natif d’Israël, passé avec enthousiasme par tout son processus de socialisation et d’endoctrinement pendant un quart de siècle, je ne connais que trop bien cette réaction. Comprendre l’origine de cette attitude furieusement protectrice est une clé essentielle pour appréhender correctement l’obstacle principal à la paix en Israël et en Palestine. On ne peut mieux définir cette barrière que comme la perception officielle et populaire qu’ont les juifs Israéliens de la réalité politique et culturelle qui les entoure.

    Un certain nombre de facteurs expliquent ce phénomène, mais trois d’entre eux sont particulièrement remarquables, et interconnectés. Ils forment l’infrastructure mentale individuelle sur laquelle la vie en Israël de tout juif sioniste est basée, et dont il est presque impossible de s’écarter – ce dont, personnellement, je n’ai que trop fait l’expérience.

    La première hypothèse, et la plus importante, est la suivante : ce qui était historiquement la Palestine est d’après un irréfutable droit sacré la propriété politique, culturelle et religieuse du peuple juif représenté par le mouvement sioniste, puis plus tard par l’état d’Israël.

    La plupart des Israéliens, les hommes politiques comme les citoyens, comprennent que ce droit ne peut être pleinement appliqué. Mais bien que les gouvernements successifs aient été assez pragmatiques pour accepter la nécessité d’entamer des négociations de paix et celle d’une sorte de compromis territorial, ce rêve n’a pas été abandonné. Et - ce qui est encore plus important - la conception et la représentation de toute politique réaliste est ainsi considérée comme un acte de générosité internationale ultime et sans précédent.

    Toutes les insatisfactions palestiniennes ou - dans le cas qui nous intéresse - internationales, exprimées devant les propositions mises en avant par Israël depuis 1948, ont donc été considérées comme insultantes et ingrates face à la politique accommodante et éclairée de la "seule démocratie du Moyen-Orient". Maintenant, imaginez que ce mécontentement se traduise par une lutte réelle et parfois violente, et vous commencez à comprendre les mécanismes de cette fureur vertueuse. Lorsque nous étions écoliers, pendant le service militaire et plus tard en tant que citoyens israéliens adultes, la seule explication donnée aux réactions arabes ou palestiniennes était que notre comportement civilisé s’opposait à la barbarie et aux antagonismes de la pire espèce.

    Selon le discours dominant, il y aurait deux forces malveillantes à l’œuvre contre Israël. La première consisterait en l’ancien et habituel mouvement antisémite du monde au sens large, un virus infectieux touchant soi-disant tous ceux qui entrent en contact avec les Juifs. Selon ce discours, les Juifs modernes et civilisés ont été rejetés par les Palestiniens simplement parce qu’ils étaient juifs, et non par exemple parce qu’ils ont volé leur terre et leur eau jusqu’en 1948, expulsé la moitié de la population Palestinienne en 1948, imposé une occupation violente de la Cisjordanie et, dernièrement, un siège inhumain de la bande de Gaza. Cela explique également pourquoi l’action militaire est considérée comme la seule réaction possible : une fois les Palestiniens vus comme cherchant inéluctablement à détruire Israël, suivant en cela une pulsion atavique, la seule manière possible d’y faire face repose sur la force militaire.

    La seconde force est également un phénomène qui, selon eux, n’a rien de neuf : une civilisation islamique chercherait à détruire les Juifs en tant que foi et nation. Le courant dominant chez les orientalistes israéliens, appuyés par de nouveaux universitaires conservateurs aux États-Unis, a contribué à définir cette phobie comme étant une vérité scientifique. Ces peurs, pour être immuables, doivent évidemment constamment être nourries et manipulées.

    De là découle la seconde caractéristique permettant une meilleure compréhension de la société juive israélienne : Israël est dans une position de déni. Même en 2010, avec tous les moyens de communication et d’information alternatifs et internationaux, la plupart des Juifs israéliens sont toujours alimentés quotidiennement par des médias qui leur cachent la réalité de l’occupation, de la stagnation ou de la discrimination.

    C’est notamment valable en ce qui concerne le nettoyage ethnique commis par Israël en 1948, qui a transformé la moitié de la population palestinienne en réfugiés, a détruit la moitié de ses villes et villages, et a vu les Israéliens s’arroger 80 % de son pays. Il est douloureusement clair que, même avant que les murs et clôtures de l’apartheid n’aient été construits autour des territoires occupés, l’Israélien moyen n’était pas au courant. Et qu’il ne s’intéressait pas aux 40 années de violations systématiques des droits civils et humains de millions de personnes, réalisées sous le contrôle direct et indirect de son État.

    Les Israéliens n’ont pas non plus eu accès à des compte-rendus honnêtes sur la souffrance des habitants de la bande de Gaza pendant les quatre dernières années. Et, sur le même schéma, les informations distillées sur la flottille correspondent à l’image d’un État attaqué par les forces combinées de l’antisémitisme séculaire et du nouvel islamisme judéocide fanatique, forces débarquant pour détruire Israël. (Après tout, pourquoi auraient-ils envoyé l’élite des meilleurs commandos du monde pour faire face à des militants des droits de l’homme sans défense ?)

    Quand j’étais jeune historien en Israël dans les années 1980, c’est d’abord ce déni qui a attiré mon attention. En tant que chercheur débutant, j’avais décidé d’étudier les événements de 1948, et ce que j’ai alors trouvé dans les archives m’a permis de mettre un pied hors du sionisme. Doutant de l’explication officielle du gouvernement à propos de son agression du Liban en 1982 et de son comportement pendant la première Intifada en 1987, j’ai commencé à réaliser l’ampleur de la manipulation. Je ne pouvais plus souscrire à une idéologie déshumanisant les Palestiniens autochtones et favorisant des politiques de dépossession et de destruction.

    Le prix de ma dissidence intellectuelle a fini par tomber : la condamnation et l’excommunication. En 2007, j’ai quitté Israël et mon travail à l’Université d’Haïfa pour un poste d’enseignant au Royaume-Uni, où les points de vue qui seraient au mieux considérés en Israël comme de la folie, au pire comme une trahison pure et simple, sont partagés par presque toutes les personnes honorables du pays, qu’elles aient ou non une connexion directe à Israël et à la Palestine.

    Ce chapitre de ma vie - trop compliqué à décrire ici - constitue la base de mon prochain livre, Out Of the Frame, qui sera publié cet automne. Brièvement, il s’agit de l’évolution d’un sioniste israélien tout ce qu’il y a de plus banal et ordinaire, évolution menée grâce à la découverte de sources d’information alternatives, à des relations étroites avec plusieurs Palestiniens et à des études post-universitaires à l’étranger, en Grande-Bretagne.

    Ma quête d’une véritable histoire des événements au Moyen-Orient m’a obligé à démilitariser mon esprit. Même aujourd’hui, en 2010, Israël reste, à bien des égards, un État prussien colonisateur. C’est-à-dire un État combinant, à tous les niveaux de la vie, des politiques colonialistes et un haut niveau de militarisation. il s’agit là de la troisième caractéristique de l’État juif, à appréhender pour comprendre la réaction israélienne. Elle se manifeste par la domination de l’armée sur l’ensemble de la vie politique, culturelle et économique d’Israël. Le ministre de la Défense, Ehud Barak, a ainsi été le commandant de Benjamin Netanyahu, le Premier ministre, dans une unité militaire semblable à celle qui a agressé la flottille. Un contexte qui explique grandement la réponse sioniste de l’État à ce qu’eux et tous les officiers de commando ont perçu comme l’ennemi le plus redoutable et le plus dangereux qui soit.

    Il faut probablement être né en Israël, comme je le suis, et être passé par tout le processus de socialisation et d’éducation - y compris le service militaire – , pour saisir la puissance de cette mentalité militariste et ses conséquences désastreuses. Et il faut un tel passé pour saisir pourquoi les fondements de l’approche de la communauté internationale au Moyen-Orient sont totalement et désastreusement inadaptés à la situation.

    La réaction internationale se base sur l’hypothèse que des concessions palestiniennes croissantes et un dialogue continu avec l’élite politique israélienne pourraient faire émerger une nouvelle réalité sur le terrain. Selon le discours officiel en Occident, une solution très raisonnable et réalisable - la solution des deux États - est à portée de la main pour peu que toutes les parties fournissent un ultime effort. Un tel optimisme est malheureusement erroné.

    La seule version de cette solution [des deux États] qui soit acceptable pour Israël ne saurait l’être pour l’Autorité palestinienne apprivoisée à Ramallah, non plus que pour le Hamas péremptoire à Gaza. Comprendre : l’offre d’emprisonner les Palestiniens dans des enclaves apatrides pour peu qu’ils mettent fin à leur lutte. Ainsi, avant même de discuter d’une solution alternative - un État démocratique commun, ce que je soutiens moi-même - ou d’explorer l’idée plus plausible de l’établissement de deux États, il faut transformer en profondeur la mentalité officielle et populaire en Israël. Cette mentalité est le principal obstacle à une réconciliation pacifique dans le terrain morcelé d’Israël et de la Palestine.

    Comment peut-on la faire évoluer ? C’est là le plus grand défi que doivent relever les militants en Palestine et en Israël, les Palestiniens et leurs partisans à l’étranger, et toute personne dans le monde se souciant de la paix au Moyen-Orient. Ce qu’il faut, en premier lieu, c’est la reconnaissance que l’analyse présentée ici est valable et acceptable. Alors seulement, on pourra commencer à faire des conjectures.

    Il est présomptueux de s’attendre à ce que les gens revisitent une histoire de plus de 60 ans afin de mieux comprendre pourquoi l’agenda international actuel concernant Israël et la Palestine repose sur des bases erronées et préjudiciables. Mais on peut certainement s’attendre à ce que les politiciens, les décideurs géopolitiques et les journalistes réévaluent ce qui a été appelé par euphémisme le "processus de paix " depuis 1948. Il faut également leur rappeler ce qui s’est réellement passé.

    Depuis 1948, les Palestiniens luttent contre le nettoyage ethnique de la Palestine. Cette année-là, ils ont perdu 80% de leur patrie et la moitié d’entre eux ont été expulsés. En 1967, ils ont perdu les 20% restants. Ils ont été fragmentés géographiquement, et traumatisés comme personne ne l’a été au cours de la seconde moitié du 20e siècle. Et n’eut été la fermeté de leur mouvement national, cette fragmentation eut pu permettre à Israël de faire main basse sur l’ensemble de la Palestine historique, poussant les Palestiniens vers l’oubli.

    Transformer un état d’esprit est un long processus d’éducation et de conscientisation. Contre toute attente, certains groupes alternatifs au sein d’Israël avancent sur cette longue et sinueuse route vers le salut. En attendant, il faut mettre un terme à ces politiques israéliennes qui sont symbolisées par le blocus de Gaza. Elles ne cesseront pas plus à cause des faibles condamnations internationales que nous avons entendues la semaine dernière qu’en raison du mouvement à l’intérieur d’Israël, trop faible pour provoquer un changement dans un avenir proche. Et le danger ne réside pas seulement dans la destruction continue des Palestiniens, mais aussi dans la constante surenchère israélienne qui pourrait conduire à une guerre régionale, avec des conséquences désastreuses pour la stabilité de l’ensemble du monde.

    Par le passé, le monde libre a fait face à ce type de situations explosives en prenant des mesures fermes, comme les sanctions contre l’Afrique du Sud et la Serbie. Seules des pressions sérieuses et durables des gouvernements occidentaux sur Israël feront là-bas passer ce message que le chantage militaire et la politique d’oppression ne peuvent être moralement et politiquement acceptables pour le monde auquel Israël veut appartenir.

    La continuité dans la diplomatie des négociations et des "pourparlers de paix" permet aux Israéliens de poursuivre sans cesse la même stratégie ; et plus cela perdure, plus il sera difficile de réparer les dégâts. Le moment est venu de s’unir avec les mondes arabe et musulman, en offrant à Israël une possibilité de rentrer dans la norme et de se faire accepter, en contrepartie d’un abandon inconditionnel des idéologies et pratiques passées.

    Le retrait de l’armée de la vie des Palestiniens opprimés en Cisjordanie, la levée du blocus de Gaza et l’abolition de la législation raciste et discriminatoire contre les Palestiniens en Israël seraient de premier pas fort bienvenus vers la paix.

    Il est également essentiel de discuter sérieusement et sans préjugés ethniques d’un retour des réfugiés palestiniens, selon des modalités respectant leur droit fondamental au rapatriement et les chances de réconciliation en Israël et en Palestine. Toute politique allant dans ce sens doit être approuvée, accueillie et mise en œuvre par la communauté internationale et les populations vivant entre le Jourdain et la mer Méditerranée.

    Alors, les seules flottilles qui se rendront à Gaza seront celles des touristes et des pèlerins.


    Pour compléter cet article, tu pourras te pencher sur l’un des entretiens réalisés avec Michel Warschawski, en janvier 2009 (« Israël est désormais une société néo-conservatrice »), puis en février 2010 (« Il s’agit "de punir les Palestiniens du seul fait qu’ils continuent à exister" »).

    Notes

    [1] Ainsi qu’il l’explique dans un entretien donné à Il Manifesto, où il revient sur les raisons de son départ. Le Grand Soir a traduit cet entretien : à consulter ICI.

     

     

    [2] Ilan Pappé revient sur l’épuration ethnique pratiquée depuis 1948 dans cet entretien.


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  • La confiscation du pouvoir politique

    Selon la célèbre formule attribuée à Abraham Lincoln « la démocratie c’est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ». Cette maxime pose une double exigence : le gouvernement doit être organiquement associé au peuple d’une part et il doit œuvrer dans le sens de l’intérêt général d’autre part.

    Dans aucun pays capitaliste, il n’existe de démocratie au sens plein du terme. Le pouvoir est invariablement détenu et transmis au sein d’un groupe particulier. Toute une partie de la population se trouve exclue des appareils de pouvoir au bénéfice d’une classe privilégiée qui s’arroge un monopole de savoir, d’éducation, et de la sorte de direction politique et économique.

    Il y a un transfert de la souveraineté de la majorité à une minorité qui défend ses intérêts spécifiques.

    Dans l’idéal démocratique tel que perçu par Spinoza, l’individu transfert à la société « toute la puissance qui lui appartient de façon à ce qu’elle soit seule à avoir une souveraineté de commandement ». Cet Etat est démocratique en ce sens que chacun concède son pouvoir décisionnel non à un autre individu, ou à groupe déterminé, mais à la société dont il constitue une composante.

    Le système représentatif, dans sa forme actuelle, favorise a contrario la confiscation du pouvoir par une classe qui assure sa reproduction en même temps que la domination du capital sur le travail. Pour Noam Chomsky, « la démocratie requiert une classe d’élite pour s’occuper de la prise de décisions et fabriquer l’assentiment de l’ensemble de la population envers des politiques qui sont supposées dépasser ce qu’elle est capable de développer et de décider par elle-même ».

    Le suffrage universel ne représente pas l’acte citoyen par excellence mais sa parfaite négation ; dans l’urne, l’électeur se dessaisit de son pouvoir politique jusqu’à la prochaine échéance électorale. Qu’il vote ou qu’il s’abstienne, le système prétend avoir donné à chacun l’occasion d’exprimer sa volonté. Paradoxalement, le vote n’est pas le moment de l’irruption dans l’arène politique de la société entière mais celui de sa dépossession.

    Ce qu’on nomme démocratie devrait être nommé en toute rigueur, pour reprendre l’analyse d’Alain Badiou, de capitalo-parlementarisme. Le capitalo-parlementarisme n’est pas un espace de conflictualité, entre mouvements hégémoniques et mouvements contre-hégémoniques, mais un lieu qui institue l’ordre bourgeois et gère l’existant. C’est certes un système multipartiste mais à caractère uniclassiste. La qualification de « démocratie » pour un tel système n’est qu’une mystification aliénante.

    Les citoyens n’ont pas dans les faits la même faculté d’agir réellement en politique, ce que confirme la répartition sociale inique du parlement français.

    Désarmé matériellement culturellement, le prolétariat n’a pas la possibilité d’accéder aux leviers du pouvoir. Déjà Aristote était conscient de l’intérêt de maintenir le peuple à l’écart des affaires publiques : « Il est aussi dans l’intérêt d’un tyran de garder son peuple pauvre, pour qu’il ne puisse pas se protéger par les armes, et qu’il soit si occupé à ses tâches quotidiennes qu’il n’ait pas le temps pour la rébellion ».

    Selon une étude récente de l’observatoire des inégalités, employés et ouvriers représentent la moitié de la population active, mais à peine 6 % des députés. De plus, ces élus d’extraction sociale ouvrière ou employée n’exercent plus leur profession d’origine depuis de longues années. A l’inverse, les cadres et professions intellectuelles supérieures représentent 59 % de l’ensemble. Avec les professions libérales, ils forment les trois quarts des députés.

    Les dynasties politiques sont l’expression la plus manifeste de ce phénomène de reproduction des élites. Les lignées politiques révèlent majestueusement les vices du système électoral, la compétence réelle ne constituant pas une exigence pour être élu. En pratique, le système intronise les plus habiles en communication-manipulation, pourvus des fonds nécessaires pour se faire valoir. A ce jeu, les héritiers, tout imprégnés de la culture du pouvoir, ont la faculté de compter sur les ressources et les relais sociaux de leurs parents.

    Il y a des dynasties politiques aux Etats-Unis comme en Europe, en Afrique comme en Asie ; au niveau national comme au niveau local. Ce phénomène concerne autant le Gabon de Bongo, l’Inde de Gandhi, que la Belgique où les mandats politiques se lèguent de père en fils. Aux Etats-Unis, les aristocraties électives sont légion : Roosevelt, Kennedy, Bush, Clinton,…

    Le ferment de l’ambition politicienne est l’alliance entre les milieux politiques, économiques et financiers. Il y a en effet une corrélation étroite entre la puissance financière et le pouvoir politique, l’une alimentant l’autre.

    L’institution parlementaire est la forme de gouvernement la plus aboutie pour assurer l’hégémonie de la bourgeoisie et priver le peuple de sa prétendue souveraineté. Karl Marx considérait l’Etat comme le résumé officiel de l’antagonisme de classes, comme un instrument d’oppression visant à assurer la domination d’une classe sociale sur une autre dans un mode de production donné. Le système électoral ne sert qu’à sélectionner parmi les membres de la classe dominante lesquels exerceront les fonctions dirigeantes. Dans tous les cas de figure et quelles que soient les résultats des élections, c’est la bourgeoisie en tant que classe qui triomphe.

    On ne peut réduire la démocratie à un procédé et confondre ainsi moyen et fin. Pour réaliser la démocratie, il ne faut pas seulement que les décisions soient prises en accord avec la majorité mais qu’elles soient prises pour la majorité. La démocratie ne peut trouver son accomplissement que dans une société où les hommes, librement associés, autodéterminent leurs finalités et exercent activement leur souveraineté, sans s’en faire dépouiller par d’insidieux dispositifs politiques.

    Emrah KAYNAK Ici


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  • ROLLING STONES, LA FRENCH CONNECTION

    Sur France FRANCE 5 LOGO ce soir Jeudi 10 Juin à 20h35

     

    Ce film raconte l'enregistrement de l'album culte "Exile on Main Street" sorti en 1972. Il retrace la fabrication de ce qui reste l'un des meilleurs albums de l'histoire du rock, des studios Olympic à Londres à leur exil français sur la côte d'Azur, plus précisément à Villefranche-sur-Mer où Keith Richards avait loué la sulfureuse villa Nellcote.


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  • La mort d'un adolescent mexicain suscite la colère

    La famille du jeune Sergio Adrian Hernan se recueille devant son 
cercueil.

    Photo: AFP/Jesus Alcazar

    La famille du jeune Sergio Adrian Hernan se recueille devant son cercueil.

    Les autorités mexicaines ont vivement condamné, mercredi, l'utilisation « disproportionnée » de la force par un garde-frontière américain qui s'est soldée par la mort d'un adolescent mexicain de 14 ans à Ciudad Juarez, dans le nord du Mexique.

    Des dizaines de Mexicains ont de leur côté exprimé leur colère contre les États-Unis lors des funérailles du jeune Sergio Adrian Hernandez.

    Selon le ministère des Affaires étrangères mexicain, l'officier a ouvert le feu depuis le poste texan d'El Paso sur un groupe de jeunes qui lançaient des pierres à partir d'un pont qui relie les deux nations. Le président Felipe Calderon a demandé aux États-Unis d'ouvrir une enquête.

    Le département d'État américain a de son côté affirmé par communiqué que les agents américains avaient réagi à un « groupe de présumés immigrants illégaux venant du Mexique ».

    Les agents auraient été assaillis avec des pierres par des personnes au nombre déterminé. Pendant l'assaut, un agent a utilisé son arme, tuant l'un des suspects. Nous regrettons qu'il y ait eu perte de vie.

    — Le département d'État américain

    Des agents mexicains ont cité des témoins qui ont affirmé avoir vu les gardes-frontières américains poursuivre les jeunes à vélo en direction du Mexique. Des témoins ont par ailleurs affirmé que deux agents avaient ouvert le feu. Selon le bureau du procureur général de Ciudad Juarez, le groupe de jeunes jouait lorsqu'il est entré en territoire américain par inadvertance, avant de repartir à la course vers le Mexique après avoir été surpris par les agents américains.

    Le maire de Ciudad Juarez, José Reyez, a quant à lui réclamé la divulgation des vidéos de surveillance placés en permanence le long de la frontière.

    Le père du jeune abattu, Jesus Hernandez, a appelé le gouvernement mexicain « à ne pas baisser son pantalon devant les autorités américaines » et a dit souhaiter que « justice soit faite ». Il assure que son fils était seulement venu manger avec un de ses frères et n'avait nullement l'intention d'entrer illégalement aux États-Unis.

    Les autorités américaines ont ouvert une enquête, et le garde-frontière a été suspendu.

    Le décès de cet adolescent est survenu une semaine après celui d'un autre Mexicain, battu à mort par des agents de la patrouille frontalière de San Diego, dans le sud-ouest des États-Unis, à quelques mètres de la ville mexicaine de Tijuana.

    Le ministère mexicain des Affaires étrangères a déploré l'augmentation du nombre de Mexicains tués ou blessés dans des incidents impliquant l'utilisation de la force par les autorités américaines. Il y a eu 5 cas en 2008, 12 en 2009 et 17 en moins de six mois cette année.

    Radio-Canada.ca avec Agence France Presse ici


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