• MONSIEUR L'HUISSIER VOUS M'EMMERDEZ

     

    Dans une lettre, le journaliste d’investigation Denis Robert s’étonne des méthodes très spéciales d’un huissier. Il en a pourtant vus passer des avis d’huissiers, notre ami spécialiste de l’affaire Clearstream.

     

    Cher Monsieur l’huissier,

    Depuis quelques années (mars 2001), j’ai une certaine habitude des avis d’huissiers. J’en ai reçus par lettres recommandées. Par facteurs. Factrices. Par avion. Par fax. Par temps nuageux, pluie, neige, soleil. J’en ai fait monter par des ascenseurs en panne, par temps de pluie sur terrain gras. J’ai offert du café à certains d’entre eux. A d’autres, j’ai évoqué les problèmes familiaux de leurs femmes, enfants, arthroses, cancers (à force de plus de 300 huissiers sur Metz, on finit par se connaître). J’en ai connu des huissiers. Des jeunes, des vieux (« restez à la porte, je descends »). Des sympas, des chieurs, des emmerdés (« j’ai lu vos livres et franchement ça m’emmerde de faire ce boulot avec vous »). Mais là, bon comment dire ? Votre lettre (courrier postal, normal) m’énerve. Ce ton que vous employez. Comminatoire. Genre, si vous ne vous pointez pas, on envoie la police…

    Je vous lis :

    « Monsieur,

    Je vous remercie de bien vouloir passer de TOUTE URGENCE (caractères gras et majuscules, on se demande pourquoi). Et en tous cas DANS LES TROIS JOURS (idem avec en sus les majuscules et minuscules en gras) à réception de la missive, en mon étude 6 rue du Lancieu à METZ CEDEX, muni(e) d’une pièce d’identité (caractère gras) pour y retirer une pièce personnelle vous concernant. »

    Vous me précisez ensuite (toujours caractères gras) qu’aucun renseignement ne pourra m’être communiqué téléphoniquement.

    Puis, pour faciliter mon passage, vous m’indiquez vos horaires :

    « Du lundi au jeudi de 8h à 9 h et de 17h à 18h et le vendredi de 8h à 9h et de 16h à 17h et le « samedi : fermé » (vous avez bien de la chance en tant qu’huissier d’être fermé le samedi et de ne pas travailler la nuit.) »

    Vous chutez de la manière suivante :

    « Dans l’attente de votre visite, veuillez agréer Monsieur mes meilleurs salutations ».

    Puis vous signez.

    En précisant en bas de lettre que la « TVA à payer à l’encaissement » est notifiée « APE 741A, etc… ».

    Cher Monsieur l’huissier, je découvre votre lettre sur mon bureau à mon retour. Le délai a malheureusement expiré. Je ne pourrai donc pas être en votre cabinet avant la semaine prochaine. Je crois que je ne me déplacerai pas. J’en suis même assez sûr. Qu’est-ce qui m’y oblige ? Rien.

    J’ai reçu cette semaine trois visites de vos confrères. L’un d’eux m’a annoncé ma condamnation au TGI de Bordeaux pour un montant d’un euro. L’autre, ma convocation en décembre prochain au TGI de Paris sur plainte de Monsieur de Villepin. Le troisième m’annonce qu’il reste un reliquat à la facture du 13 courant (mon éditeur a oublié la date de paiement, écrivez-lui).

    Eux se sont déplacés pour exécuter leur besogne. J’allais dire pour faire leur besoin.

    Bref, comme dirait Chirac « Votre missive m’en touche une, l’autre ne bouge pas ».

    Je vous demande donc cher Monsieur l’huissier de bien vouloir vous déplacer jusque chez moi afin de me porter votre si important courrier (vous avez mon adresse je crois). Mon temps étant compté (moins que le vôtre je suppose), le plus simple serait que vous veniez à des horaires à ma convenance. Je serai à mon domicile lundi 22 juin. Je n’y serai pas mardi. Mais je serai de retour mercredi, jeudi ou vendredi. J’emmène mon fils à l’école entre 8h15 et 8h45. Le reste du temps, j’écris. Je travaille plutôt la nuit et je me lève tard. Vous me dérangerez mais ce n’est pas trop grave.

    J’ai l’habitude.

    Bien à vous.

    Denis Robert.


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