• CONFRONTER LA PEUR ... ET RECONNAÎTRE CE QU'IMPLIQUE LA LUTTE

    Confronter la peur...

    ...Et reconnaitre ce qu’implique la lutte

    Ce texte nous intéresse parce que l’auteur/se nous fait part à sa manière de sa perception individuelle de la peur. Et la peur, chez beaucoup d’anarchistes pratiquant l’action directe à travers le vieux monde, est un sujet tabou, parfois raillé par ceux qui se vivent en combattant, en apôtres-guerriers d’un anarchisme pur et cristallin. Chacun a sa façon d’envisager la peur, de l’affronter, de la contourner, de l’éviter, la subvertir ou tout simplement d’en parler. Cette pluralité de perception est le résultat de la pluralité des individus, malgré que certaines personnalités autoritaires s’obstinent à le nier.

    Le danger de cette pluralité est la fuite en avant vers l’uniformisation, par peur de l’inégalité ou par peur de la différence, parfois peut-être, par volonté d’imposer sa perception aux autres . Ce texte est extrait de Fire to the Prisons, journal américain sous-titré « an insurrectionary anarchist quarterly » et rebaptisé depuis son numéro 6, « an insurrectionary quarterly ». Autant dire que cette publication a étonnamment baissée en qualité depuis, pas parce que le mot « anarchiste » s’est envolée de la couverture, mais parce que l’anarchisme s’est envolé du contenu en laissant sa place à cette nouvelle sorte de nihilisme de posture en expansion. Cependant quelques textes intéressants subsistent malgré tout, dont celui-ci dont nous proposons la lecture à tous les compagnons, comme amorce de débat qui, espérons-le, ne s’arrêtera pas à ces quelques pages.

    La peur est la plus grande barrière entre nos désirs propres et nos capacités à les manifester physiquement. J’entend les sirènes presque tout les jours. Je suis constamment distrait par les images qui illuminent la métropole qui m’entoure et des pensées violentes me gagnent, je ressens des sentiments violents. Je projette la destruction de chaque vitrine des grands magasins que je croise ; le désir de laisser un peu de mon animosité à leur encontre. Je veux cracher à la face de chaque fils de pute en costard qui inonde les rues en se précipitant pour rentrer dans leurs confortables demeures entre 17h et 19h30. Je veux tabasser chaque flic qui fait son travail. Je veux réaliser ma colère, la matérialiser. Je veux communiquer mon amour et ma haine, physiquement. La seule raison qui nous en empêche est la peur des conséquences établies par l’État. La peur est ce qui fait une lutte ; c’est une bataille entre la peur et le désir. Un désir qui vous pousse dans la direction de l’agir, et c’est cette peur qui transforme ce besoin d’agir en la lutte.

    La lutte est une force qui agit sans souci des conséquences possibles et reconnues. La peur est la stabilité d’une société de médiation. La peur est quelque chose d’exigé pour soutenir la paix sociale et la normalité dans un monde régulé. L’effet et la signification d’une lutte se mesure à notre capacité à confronter nos propres craintes, en tant qu’individus, et avec l’intention de décupler l’intensité de la confrontation que l’on oppose à ce contre quoi nous luttons.

    Les exhibitions politiques de dissentiment comme les piquets de grève préavisés ou les manifestations sont les occasions les plus spécifiques qui me viennent à l’esprit pour tester ma peur, notamment en tant que membre désigné d’une minorité active. J’attends ces événements, comme beaucoup de mes semblables, avec l’intention unique d’être une force pour l’intrépidité et la subversion du quotidien. J’étais, ai été et je serais probablement toujours une personne incroyablement inquiète et anxieuse à propos de la façon d’accroitre cette force, ou des conséquences possibles de l’aiguisement de la menace que peuvent représenter ces événements.

    Et comme tout ennemi de l’État, je serais toujours aussi effrayé par la perspective pour moi comme pour mes proches d’aller en prison. Le matin de chaque nouveau jour où je sais que je pourrais enfreindre la loi -particulièrement lorsque je m’apprête à le faire dans des espaces contrôlés et policés comme les manifs ou les lieux contestataires reconnus par l’État- sont des matins horribles. J’arrête pas de pisser, je suis incapable de me concentrer, visualisant chaque possibilité d’arrestation et d’incarcération qui me guette. Mes mains tremblent jusqu’au moment planifié, jusqu’à ce que la première vitre soit brisée ou que le premier container ou kiosque de presse soit jeté au milieu de la rue ou cramé, je me demande, « agirai-je par crainte ou agirai-je par désir ? Rentrerai-je à nouveau dans la réalité malheureuse une fois que ce moment sera dissout, dans la dépossession, la haine de soi et le regret ? »

    La conversation à travers le monde avec des membres de la minorité particulièrement active qui vise à étendre une frustration identifiée envers la vie quotidienne (organisant des émeutes, écrivant de la propagande, conduisant des sabotages, s’engageant en opposition active contre l’ordre), après quelque temps, et lorsque la prise de risque est essentielle pour le renforcement des luttes, m’a montré que beaucoup commencent à ressentir un sentiment subtil mais cohérent de paranoïa.

    A se demander si une voiture nous suit, pourquoi des gens que vous n’avez pas vu pendant quelque temps ou que vous venez de rencontrer sont si intéressés par certains aspects de votre vie, pourquoi votre téléphone portable fait des bips étranges, se demandant même plus ou moins pourquoi vous n’êtes pas en prison, et qui à l’intention de vous y mettre, quand et comment. Les peines de vingt années de prison pour conspiration [Ndt. Équivalent de l’association subversive] et les preuves dites accablantes contre des compagnons, qui ne vous auraient jamais semblées crédibles, peuvent rendre l’apathie plus attirante que la lutte.

    Certains de vos amis ne comprennent pas votre anxiété. Ils vous demandent où vous étiez ou ce que vous avez fait et se sentent offensés lorsque vous ne partagez pas confortablement. Bien sûr, la plupart des attaques formelles contre l’ordre actuel sont revendiquées ou écrites de façon à orienter les réactions, mais les gens aiment vraiment les anecdotes de guerre et les faits d’armes. Aussi amusant que cela puisse être (pare que ca l’est), parfois notre anxiété nous rends muets (littéralement), parfois on peut se sentir isolé et aliénés des autres par méfiance.

    C’est ce que veut l’état : plus d’isolement, plus d’aliénation, plus de méfiance dans plus de milieux. C’est la lutte collective qui permet de surmonter individuellement la crainte. il est important de reconnaître que bien que l’insurrection n’est pas une chose dans laquelle on peut se spécialiser, mais une récréation, un arrêt du temps, un voyage de vacance permanent tout frais payé qui se matérialise par des ruptures avec la réalité sociale qui nous est rendue obligatoire ; il est important de prêter attention aux circonstances. Les trafiquants de drogue, cambrioleurs, et autres criminels professionnels du genre veulent garder des aspects de leur vies secrets, que leurs amis ou familles en soient offensés ou non.

    Cela leurs sert à se protéger eux-mêmes et leurs proches, et à conserver leurs modes de vie. Les insurgés visent l’attaque. Bien que les attaques contre la police, les outils de contrôle, les lieux de travail, etc. sont des attaques que la plupart des gens peuvent subtilement soutenir, la plupart des gens n’agissent pas pour autant. Il y a une minorité active qui ne cherche pas à former une avant-garde ou un programme social, mais à produire un modèle d’attaque pour la libération du quotidien. Mais une chose pareille, qui est si vulnérable à la croissance, est quelque chose que l’État souhaite empêcher et briser. Il est d’autant plus malheureux de trop s’exposer alors que nos intérêts sont si marginaux et faibles, et que la résistance est limitée. La force dans la lutte peut venir de la conscience et de l’embrassement de cette connaissance.

    Mais à quel point tout cela peut se rapprocher de nous ? Lorsque des gens avec qui vous partagez tant d’affinités font la une des journaux.

    Lorsque vous vous voyez passer au journal télévise, alors que la police affirme rechercher activement les responsables de tel ou tel « crime ».

    La peur est quelque chose que nous devons confronter intérieurement et extérieurement, individuellement et collectivement.

    La conséquence imposée par la loi est quelque chose qui doit être évité à tout prix (nous ne sommes pas des martyrs), mais quelque chose qui doit être compris comme une partie de ce qu’implique l’appartenance à une minorité active connue pour son inimitié avec l’État.

    Le visage de la peur est la police, ceux en uniforme et ceux sans, nous observant de ses hélicoptères, de ses voitures et de ses caméras de surveillance. C’est là que le risque se trouve ; c’est ce que je méprise. La satisfaction de mes désirs provient de l’embrassement par d’autres des sentiments que je ressens passionnément, des sales gueules de la police lorsque nous détruisons temporairement une acceptation de leur pouvoir, les cris perçants de liberté que l’on peut entendre dans ce moment où le risque est dépassé. Mais pour que ce moment se réalise, je dois prendre une décision. Pour que ce moment se réalise, nous devons prendre une décision.

    « Avons-nous peur ? Bien sûr nous avons peur ; mais nous avons toujours eu peur. Mais d’une façon qui, même s’il ne s’agit que d’une seconde ; nous permette d’effrayer ceux qui nous apeurent. »
    Yokei Talones.

    La confrontation de mes peurs a toujours été dure, mais confronter la peur c’est lutter, et lutter n’est pas une chose facile, sinon ce ne serait pas une lutte. Quand nous défions la peur, nous perdons le contrôle. La domination qui nous gouvernent doit n’être que matérielle, parce que la seule façon pour elle d’exister au-delà du physique, provient de notre acceptation de son existence. La conversation que j’essaye d’avoir ici est quelque chose qui nous traverse tous.

    Je sais que la bataille devient plus dure quand nous apprenons de nouvelles arrestations et d’absurdes sentences. Je sais que la bataille devient plus dure quand nous entendons parler de nouvelles affaires de balances, de nouvelles technologies de surveillance, de nouveaux budgets pour la police ou de nouvelles lois contre nous. Mais les quelques excuses ne sont que des excuses parce que si nous devons déclarer la guerre contre ce monde tel que nous le connaissons, nous devons accepter les implications de toute guerre. Cela implique la conscience qu’il faudra peut être un jour évoluer à travers toutes sortes de privations (comme la taule) et qu’il ne faudra jamais pour autant accepter une sortie facile.

    Bien sûr nous devrons être malins, d’autant plus que les capacités de répression par le maintien de l’ordre conventionnel sont si bien connues, mais nous devons désherber le flic dans nos têtes qui cherche à ravitailler nos inquiétudes et notre anxiété ; qui fait trembler nos mains alors même que rien ne se passe.


    Confronting Fear ...and recognizing the implications of being in struggle, Extrait traduit de l’anglais de Fire to the prisons N°6, An Insurrectionary Quarterly, Eté 2009, New Jersey, USA.
    Traduction et intro trouvées dans Guerre au Paradis N°1.

    Ici aussi


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