Grandes manœuvres dans les coulisses
Ceux qui croyaient encore à la bonne parole apaisante du président colombien Alvaro Uribe ou du Département d’État des États-Unis en sont pour leur frais : derrière l’accord de coopération militaire signé le 30 octobre dernier entre la Colombie et les États-Unis, autorisant l’utilisation par ces derniers de sept bases militaires colombiennes, il y a bel et bien des visées allant au-delà de l’objectif officiellement affiché : la lutte anti-drogue. En effet, pour les États-Unis, cet accord s’inscrit clairement dans le cadre d’une stratégie militaire continentale qui vise à assurer un contrôle sur l’Amérique centrale et du Sud.
Visées non avouées
Plusieurs documents officiels émanant des autorités états-uniennes attestent de ces visées non avouées :
Un rapport élaboré par le Air Mobility Command (AMC) de l’US Air Force, intitulé Global En route Strategy définit, avec une projection jusqu’à 2025, une stratégie destinée à garantir aux États-Unis des corridors aériens et des bases locales leur permettant de déployer mondialement leurs forces militaires.
Dans le chapitre consacré à la stratégie pour l’Amérique du Sud, il est fait directement mention de la base de Palanquero, en Colombie :
« Récemment le Commandement Sud (SouthCom) a commencé à s’intéresser à l’établissement d’un point sur le continent sud-américain qui pourrait être utilisé tant pour les opérations anti-drogue que pour l’exécution d’opérations de mobilité ». Aussi le site de Palanquero, l’une des bases concernées par l’accord signé entre la Colombie et les États-Unis, a-t-il été identifié comme une possible Cooperative Security Location (CSL), terme par lequel les États-Unis nomment leurs bases à l’étranger.
Photo aérienne de la base de Palanquero
Et de citer les avantages stratégiques de Palanquero : « De ce lieu, presque le moitié du continent peut être couvert par un avion C-17 [avion géant pour le transport de troupe et de matériel] sans réapprovisionnement en combustible. Et, dans le cas où le combustible nécessaire serait disponible, le C-17 pourrait couvrir l’ensemble du continent à l’exception du Cap Horn, à l’extrême sud du Chili et de l’Argentine ».
Le document continue : « Inclure l’Amérique du Sud dans la stratégie de route globale poursuit un double objectif : aider à matérialiser notre stratégie d’engagement dans la région et appuyer la mobilité dans la route vers l’Afrique. » Et d’ajouter : « Jusqu’il y a peu, les préoccupations de sécurité en Amérique du Sud se limitaient à la lutte anti-drogue. L’accomplissement de cette mission n’exigeait pas l’utilisation stratégique du transport aérien. » L’érection de la base de Palanquero en Cooperative Security Location serait donc la réponse à cette limitation : « Jusqu’à ce que le Commandement Sud établisse un plan d’engagement plus robuste, la stratégie consistant à faire de Palanquero une CSL devrait être suffisante pour assurer la mobilité aérienne sur le continent sud-américain ».
Opérations de spectre complet
Un second document donne un éclairage supplémentaire sur la stratégie suivie. Il s’agit du Fiscal Year (FY) 2010 Budget Estimates du Department of Air Force des États-Unis. Ces prévisions budgétaires pour 2010, qui datent de mai 2009 et ont été depuis lors approuvées par le Congrès, prévoient un investissement de 46 millions de dollars pour convertir la base de Palanquero en Cooperative Security Location (CSL). Le document justifie de cette manière cet investissement :
La région à la portée des C-17 (sans réapprovisionnement en carburant)
« L’établissement d’une Cooperative Security Location (CSL) à Palanquero permettra un meilleur appui à la stratégie de positionnement de défense globale du Commandement de Combat (COCOM) et montrera notre engagement dans notre relation avec la Colombie. Le développement de cette CSL nous offre une occasion exceptionnelle pour réaliser des opérations de spectre complet dans une sous-région critique de notre hémisphère, dans laquelle la sécurité et la stabilité se trouvent sous la menace constante des soulèvements terroristes financés par le narcotrafic, des gouvernements anti-étatsuniens, de la pauvreté endémique et des fréquents désastres naturels. »
Le document ne précise pas quels sont les « gouvernements anti-étatsuniens », mais on peut imaginer sans peine qu’il s’agit du Venezuela, de l’Équateur, de la Bolivie, du Nicaragua et de Cuba, pays membres de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA). Tous se trouvent à portée de la base de Palanquero.
Intelligence, surveillance, reconnaissance
Le document justifie ensuite le choix du site : « Palanquero est incontestablement le meilleur site pour un investissement destiné à développer les infrastructures en Colombie. (…) Sa situation centrale met à sa portée les divers secteurs d’opération, tandis que son isolement maximise la sécurité opérationnelle (OPSEC) et la protection des forces tout en minimisant le profil militaire des États-Unis. L’intention est d’utiliser au maximum l’infrastructure existante, d’améliorer la capacité des États-Unis de répondre rapidement aux crises et de nous assurer un accès à la région ainsi qu’une présence au moindre coût. Palanquero vient en appui à la mission de mobilité des troupes en offrant un accès au continent sud-américain tout entier à l’exception du Cap Horn, pour autant que le carburant soit disponible. »
Carte de la base de Palanquero
Le document précise encore : « Le développement de cette CSL va renforcer la partenariat stratégique forgé entre les États-Unis et la Colombie et est dans l’intérêt des deux nations. (…) Une présence augmentera également notre capacité à mener des actions d’intelligence, de surveillance et de reconnaissance (ISR), améliorera la portée mondiale de nos actions, appuiera les besoins en logistique, renforcera les partenariats, améliorera la coopération pour la sécurité et augmentera la capacité de guerre expéditive [expeditionary warfare]. »
Difficile après cela de croire encore aux déclarations officielles des gouvernements colombiens et étatsuniens concernant l’innocuité pour la région de la présence militaire des États-Unis dans les bases colombiennes.
Quelques questions surgissent : Hugo Chávez a-t-il raison de dénoncer cette nouvelle intromission des États-Unis dans les affaires latino-américaines? Les États-Unis sont-ils devenus moins impériaux depuis l’accession de Barack Obama à la présidence?
Je vous laisse le soin d’y répondre.
Voir le site de Palanquero sur Google Maps (haute définition) ICI