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Je m'étais promis de ne rien écrire sur ce sujet. C'est râté.
Il y a quelques jours, Mr Zemmour a déclaré sur un plateau de télévision que la plupart des trafiquants de drogue sont noirs ou arabes (cf. également ici). Cela a entraîné une multitude de réactions allant du soutien à la liberté d'expression jusqu'à la dénonciation du racisme le plus grossier.
En présence de telles phrases, la première tentation est d'ignorer la polémique. S'il fallait s'attarder et commenter à chaque fois que quelqu'un lance des propos de ce genre, les journées et les nuits n'y suffiraient pas. Il est rarement opportun de faire écho à ceux qui font de la réflexion du café du commerce, de la bêtise, ou de la provocation leur fonds de commerce.
Pourtant, ce qui donne l'envie de réagir, c'est ce qui se cache en arrière plan, ce sont ces pensées sournoises et dangereuses que l'on sent tapies en embuscade, prêtes à la moindre occasion à se montrer au grand jour et à prendre de l'ampleur.
D'où ces quelques commentaires.
Avec d'autres interlocuteurs et dans un autre lieu qu'une émission populaire destinée à faire du spectaculaire à peu de frais, il ne serait pas forcément indigne de s'interroger sur les statistiques judiciaires afin de rechercher si, à telles catégories d'infractions, correspondent des catégories d'auteurs différenciables.
Encore faudrait-il au préalable s'entendre sur les paramètres utilisables. Car quand on fait état de délinquants "noirs ou arabes", on ne sait s'il s'agit uniquement des étrangers ou, dans le même sac, des français dont les ascendants sont d'origine étrangère.
Quoi qu'il en soit, le point de départ devrait être la réalité. Or, contrairement à ce qu'il a été avancé ici où là, il est un peu réducteur de se contenter de lancer que pour comprendre qui sont les délinquants il suffit de se promener dans les salles d'audience..
Le Ministère de la justice publie régulièrement diverses statistiques dont la lecture apporte parfois d'intéressantes indications.
Dans la fiche "info-stats" de décembre 2009, il est mentionné (page 4) que "86,9 % des condamnés sont français, et 13,1 % de nationalité étrangère (pour certains la nationalité exacte est inconnue).
Il y est également précisé que la part des étrangers-auteurs varie selon les infractions : 11 % en matière de circulation routière (mais 7 % en CEA et 25 % en conduite sans permis), 36 % pour les faux documents, 32 % en matière de travail illégal, et 60 % dans le domaine du transport routier.
Enfin s'agissant de la nationalité, la proportion des auteurs étrangers est de 15 % d'algériens et 15 % de marocains, 7 % de portugais et 7 % de turcs, 6 % de tunisiens, 4 % de zaïrois et 2 % d'italiens.
Déjà on constate que les "noirs", s'il s'agit des africains (seuls des zaïrois sont quantifiés), sont très peu nombreux parmi les délinquants sur le territoire français, et que toutes nationalités confondues les étrangers d'Afrique du nord, qui sont certainement les "arabes" dont il a été fait état, sont moins de 10 %.
En complément de ces premiers indicateurs, il est mentionné plus précisément dans le document "Les condamnations - année 2008", également publié par le Ministère de la justice, que les infractions à la législation sur les stupéfiants représentent 13,5 % de toutes les infractions sanctionnées (page 8).
Un tableau annexe (page 222) nous apprend que, en matière de stupéfiants, et pour l'année 2008, sur 42.649 condamnations 4.019 ont été infligées à des étrangers, dont 972 marocains, 647 algériens, 216 tunisiens, 165 portugais, 154 zaïrois, 136 turcs et 96 italiens.
Cela permet de relativiser l'affirmation, qui apparaît très fausse à la lecture de ces chiffres, selon laquelle les traficants de drogue sont majoritairement "noirs ou arabes", si l'on montre du doigt des populations étrangères.
Mais peut-être s'agit-il de stigmatiser l'origine géographique de délinquants pourtant français, que l'on voudrait identifier par leur couleur de peau ou le lieu de naissance de leurs parents ou grand-parents.
Bien sûr, pour des personnes françaises, il n'existe aucune statistique quand à l'origine familiale. Il est donc impossible de savoir, parmi les français qui violent la législation sur les stupéfiants, combien sont d'une famille d'origine étrangère.
Alors, sur quoi se fonde l'affirmation selon laquelle les personnes arrêtées pour usage ou trafic de stupéfiants sont très majoritairement noires ou arabes ?
C'est peut-être le cas. Mais l'affirmation passerait de la remarque de café du commerce à l'analyse scientifique si elle était un peu plus étayée par des références fiables et indiscutables.
Au-delà, quelle est la part respective des "noirs", et celle des "arabes", sachant que les premiers, au moins en ce qui concerne les étrangers, sont en proportion très faible ?
Or chacun l'aura remarqué. Aucun chiffre, aucune statistique, aucune étude n'a été citée...
Mais cela ne serait de toutes façons que l'arbre qui cache la forêt.
La délinquance est multiforme. Si l'on commence à regarder les couleurs de la peau et l'origine géographique des délinquants, d'accord. A condition que la démarche s'applique à toutes les catégories de délinquants.
Or il existe bien d'autres infractions spécifiques.
Mais les violeurs qui comparaissent en cours d'assises, les hommes qui battent leurs épouses, les conducteurs jeunes ou moins jeunes qui boivent délibérément au restaurant ou en discothèque puis qui tuent au volant de leur voiture, les auteurs de fraudes fiscales, les chefs d'entreprises qui détournent l'argent de la société ou trichent lors de marchés publics pour arranger membres de la famille ou amis, ou qui pratiquent une discrimination ethnique à l'embauche, ou qui bafouent les règles de sécurité au travail et sont responsables d'accidents parfois mortels, qui emploient de la main d'oeuvre étrangère en situation irrégulière pour la maintenir en état de précarité, ne sont pas spécialement noirs ou arabes, bien au contraire.
Pourtant, peu nombreux sont les commentaires qui stigmatisent ces français - de France - qui boivent puis tuent, violent, agressent, trichent, ou discriminent.
Allons maintenant un peu plus loin.
A supposer même que la plupart des trafiquants de drogue soient "noirs ou arabes", encore faudrait-il se demander s'ils le sont surtout à cause de leur origine géographique, ou pour d'autres raisons.
Je m'explique par le biais d'un autre exemple.
On le sait, la plupart des prêtres qui agressent sexuellement des enfants sont membres de l'église catholique. Cela est dû au fait que la doctrine de cette église leur interdit, en principe, toute relation sexuelle, ce qui est biologiquement inhumain et souvent intenable.
Est-on dès lors autorisé à proclamer de façon simpliste et générale : les catholiques sont plus pervers que les juifs ou les musulmans ? Non. La seule remarque qui peut être faite c'est : les prêtres qui n'ont pas le droit d'avoir des relations sexuelles sont plus enclins que les autres à commettre des agressions sexuelles.
Et l'on en revient à notre sujet.
Supposons un instant que les auteurs d'infractions à la législation sur les stupéfiants habitent en forte proportion ce que les sociologues qualifient de "cités-ghettos". La concentration de population, la difficulté pour les forces de l'ordre de contrôler ce qui s'y passe, le niveau socio-économique des habitants, sont des facteurs parmi d'autres favorisant, dans ces lieux, le développement de réseaux de trafiquants.
Dès lors, si ce sont ces facteurs qui expliquent que les trafics apparaissent plus dans ces cités que dans les quartiers chics des villes, et quand bien même pour des raisons économiques les familles d'origine étrangère à revenus modestes y habitent souvent parce qu'elles n'ont pas financièrement accès à des modes de logement plus onéreux, le commentateur est seulement autorisé à dire : les trafiquants de drogue sont plus souvent membre des cités que des centre villes.
Le fait qu'une forte proportion des habitants de ces cités soit "noire ou arabe" n'est plus alors inéluctablement le critère principal qui explique le lien entre cité et trafic de drogue. Un "arabe" des cités n'est pas trafiquant parce qu'il est génétiquement programmé pour cela. Il l'est parce que comme d'autres habitants des cités, y compris des français de longue date, il a évolué dans un milieu déséquilibré et pathogène. Ce qui bien évidemment ne justifie rien.
Faire le lien entre le trafic de drogue et les "noirs ou arabes" devient alors vicieux en ce sens que l'objectif est de mettre en avant un critère péjoratif, l'origine ethnique, en face d'une délinquance spécifique qui ne s'explique pas essentiellement par cela.
C'est exactement cela le racisme ordinaire.
D'où la question finalement essentielle : pourquoi ne met-on en avant que les populations "noires ou arabes" quand il s'agit de commenter la délinquance ? Est-ce un hasard si, à ce sujet, ce sont une fois de plus les mêmes groupes ethniques sur lesquel on veut braquer le projecteur et focaliser au maximum la désapprobation de l'ensemble du groupe social ?
Il est fort probable que derrière un discours sur la seule délinquance l'objectif recherché aille bien au-delà d'une analyse des infractions commises. Les "noirs et les arabes" ont toujours été des cibles de choix quand il s'est agi de diriger la haine vers d'autres. Les récents propos ne sont que la suite d'une longue série, et ne seront probablement pas les derniers de ce genre.
Alors oui, finalement, il faut commenter ces paroles à l'emporte pièce et attirer l'attention sur ce qu'elles risquent d'emporter, même indirectement.
Car aujourd'hui autant qu'hier il nous faut nous méfier de cette peste, que certains se plaisent à répandre, et qui pourrait bien, si nous n'y faisons pas garde, nous ronger jusqu'à l'os.