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LIBERTÉ D'EXPRESSION OU LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS : LE FAUX DÉBAT BOLIVIEN

Liberté d'expression ou lutte contre les discriminations: le faux débat bolivien

Paru le Samedi 27 Novembre 2010 Ici
 

   BERNARD PERRIN, LA PAZ    

Solidarité La Bolivie a adopté en octobre une Loi contre le racisme et toute forme de discrimination. La pénalisation formelle de pratiques profondément ancrées dans le quotidien de la société est une révolution en soi dans un pays peuplé en majorité d'Indiens, historiquement discriminés jusqu'à l'arrivée au pouvoir d'Evo Morales en janvier 2006. Les médias de communication privés ont pourtant lancé une campagne très agressive de dénigrement d'une loi considérée comme un «bâillon», devenue symbole de la censure des médias. En un mois et demi, ceux-ci ont récolté plus de 700 000 signatures «en défense de la liberté d'expression, colonne vertébrale de la démocratie et d'un véritable Etat de droit». Ils espèrent pouvoir modifier la loi au moyen d'une initiative législative citoyenne.

La société bolivienne s'est donc une nouvelle fois polarisée, le gouvernement du premier président indigène d'Amérique du Sud s'affrontant aux élites et à une partie de la classe moyenne. L'objet du litige? Deux articles de la nouvelle loi, et principalement l'article 16, qui prévoit qu'un média «qui autorise et publie des idées racistes et discriminatoires soit passible de sanctions économiques et de suspension de la licence».

Le débat sur la supposée «censure préliminaire», qu'introduirait cet article en violation du droit international, est parvenu à éclipser celui de fond sur le racisme, sur la discrimination face à la couleur de la peau, l'habillement ou la consonance du nom. Mais il a relancé celui du rôle de la presse. «Il est presque comique d'entendre les journalistes admettre qu'il faut lutter contre le racisme, mais ajouter ensuite que leur liberté d'expression ne peut pas être limitée par une pénalisation des expressions racistes.

Depuis quand la presse est-elle au-dessus des lois? Les journalistes qui réclament une totale impunité n'ont-ils pas au contraire une plus grande responsabilité à assumer?», synthétise Rafael Puente, ancien préfet du département de Cochabamba. Pour Antonio Peredo, ancien sénateur du Mouvement vers le socialisme (MAS), «la liberté d'expression reconnue par la Constitution garantit à une personne de pouvoir s'exprimer librement. Mais on peut ensuite la poursuivre pour son expression. Il n'y a donc pas de censure préliminaire des médias, mais une responsabilité ultérieure.»

Le débat a finalement fait émerger le profond malaise des médias privés boliviens, dominés par des entrepreneurs poursuivant des intérêts personnels, économiques ou politiques. Les exemples ne manquent pas dans l'histoire récente de la Bolivie. En octobre 2003, alors que l'armée tire sur la foule de El Alto et de La Paz, et que le président néolibéral Gonzalo Sanchez de Lozada prend la fuite pour s'exiler aux Etats-Unis, plusieurs canaux de télévision, dont Unitel, interrompent leur programmation pour passer des films d'Hollywood. Pour Andrés Gomez, directeur de la Radio Erbol, «ce jour-là, ces médias ont tué la liberté d'expression et le droit à l'information qu'ils prétendent ressusciter aujourd'hui».

L'humiliation de paysans dénudés sur la place principale de la capitale Sucre en mai 2008 ou le massacre de paysans dans une embuscade, dans le département de Pando en septembre de la même année, furent largement décrits comme des «affrontements» entre des hordes à la solde d'Evo Morales et les héroïques défenseurs de la démocratie. Les principaux journaux boliviens ont construit une réalité à partir de présupposés idéologiques et raciaux. L'exemple le plus frappant fut certainement celui du journaliste radio Jorge Melgar, qui, lors de la tentative de déstabilisation du pouvoir central dans les départements de l'est de la Bolivie en septembre 2008, appela sur les ondes à assassiner «l'Indien de merde», allusion direct au président.

Un fait qui aujourd'hui ne resterait pas impuni. «La nouvelle loi contre le racisme est une sorte d'acte de justice pour cinq cents ans d'ignominie à l'égard des peuples autochtones, des indiens», explique Rafael Puente. Mais, s'appuyant sur l'article 5, l'ancien préfet souligne que le nouveau texte «interdit aussi l'autre discrimination, depuis le bas, de l'Indien à l'égard des Blancs, et qu'elle inclut toutes les formes imaginables de discrimination», notamment à l'égard des femmes, mais aussi en fonction de l'idéologie ou de la filiation politique.

Au final, le vrai débat bolivien est donc bien celui de l'acceptation de l'égalité. «Les classes sociales sont basées sur une classification raciste depuis la colonisation espagnole. Cela est même perçu comme quelque chose de naturel, rappelle le journaliste Rafael Bautista. Même si cela nous fait mal à l'âme, il faut reconnaître que l'ensemble de la société a trop longtemps accepté l'idée qu'il y avait des êtres inférieurs.»

Et Hugo Moldiz, rédacteur en chef de l'hebdomadaire progressiste La Epoca, de renchérir: «Ce n'est pas un hasard si la couleur de la peau a joué un rôle déterminant dans la constitution des classes sociales en Bolivie. Et ce n'est pas un accident de l'histoire si la pauvreté s'exprime avec un visage indigène, afrobolivien ou féminin.»

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