« Ils osent tout ! C’est même à ça qu’on les reconnaît ! » disait Fernand Naudin, incarné par Lino Ventura dans « Les Tontons flingueurs ». Seulement, ici, il s’agit des médias. Ils ne ratent pas une occasion, en effet, de diffuser leur « théorie promotionnelle de l’information », chaque fois qu’ils le peuvent. Car ils savent que la masse des citoyens à laquelle ils s’adressent, est bien trop démunie pour en percevoir les erreurs. <o:p></o:p>
Cette fois, c’est tout Paris qui en profite. La Maison de Radio France est en travaux jusqu’en 2013. Un sarcophage d’échafaudage recouvre sa tour centrale, et comme c’est devenu l’usage, des tentures le dissimulent. Tantôt elles reproduisent en photo l’immeuble caché, tantôt elles accueillent de gigantesques publicités. Radio France a choisi de faire sa propre publicité. C’est son droit. Mais de quelle manière ? On peut lire à la ronde en énormes caractères ce slogan ahurissant : « C’est bien la première fois que nous avons quelque chose à vous cacher ».<o:p></o:p>
Sans doute doit-on percevoir de l’humour dans l’image incongrue qui associe par surprise la nécessaire dissimulation des bâtiments pour cause de travaux de rénovation et la franchise coutumière dont Radio France prétend s’être fait une règle. Mais cette assimilation abusive est un pur amalgame qui ne parvient pas à atténuer l’énormité proférée. <o:p></o:p><o:p></o:p>
Se trouve diffusée, en effet, avec l’argent du contribuable, une des grandes illusions de l’univers médiatique : l’illusion de l’exhaustivité de l’information. Elle repose sur deux croyances. L’une dérive des performances prodigieuses des médias électroniques qui se jouent du temps et de l’espace. Au moment même où un événement se produit, l’information peut être aujourd’hui diffusée de n’importe quel bout du monde à toute la planète. La puissance technologique des médias est telle qu’on en viendrait à croire à « la maison de verre transparente planétaire » où aucune information n’échapperait désormais à personne.<o:p></o:p><o:p></o:p>
C’est être le jouet d’une seconde croyance, selon laquelle tout émetteur livrerait l’information dont il dispose dans son intégralité. La réalité est tout autre. « La relation d’information » obéit à un principe fondamental intangible que les prodigieuses performances médiatiques ne pourront jamais modifier : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire. Chacun en fait l’expérience chaque jour. Il n’est pas question de donner à son adversaire des verges pour se faire battre. Il en résulte que le secret, cette information stratégique dissimulée qui garantit les défenses de chacun, voire sa survie, est jalousement gardé. On peut même parler de « l’illusion de l’iceberg » qui dissimule lui aussi plus qu’il ne montre.<o:p></o:p>
La contrainte de l’exiguïté du temps de diffusion disponible<o:p></o:p><o:p></o:p>
Ainsi, que Radio France ose dire que « c’est bien la première fois qu’(elle a) quelque chose à cacher (à ses auditeurs) », est d’abord une erreur parce qu’il lui est impossible de prétendre à l’exhaustivité de l’information. Mais l’erreur devient un leurre dès lors qu’il s’agit de l’inculquer pour gagner en crédit. Comme tout le monde, Radio France est obligée chaque jour de dissimuler plus qu’elle ne peut révéler. Quand bien même elle n’obéirait pas au principe fondamental de « la relation d’information » - ce qui est déjà impossible - , la contrainte de l’exiguïté du temps et de l’espace de diffusion disponible la forcerait à faire un tri draconien parmi les dizaines de milliers d’informations qui circulent chaque jour, et donc à cacher plus qu’à révéler.<o:p></o:p><o:p></o:p>
Pour ne prendre qu’un exemple récent : est-ce qu’une quelconque station de Radio France ou de France Télévision a appris à ses auditeurs que le Président de la République avait décerné la Légion d’honneur, en mai dernier, au héros de « l’affaire des Irlandais de Vincennes », qui a été aussi une des victimes des « écoutes téléphoniques de l’Élysée », le Lieutenant-Colonel Jean-Michel Beau ? Est-ce que cet événement rarissime ne méritait pas d’être porté à la connaissance des citoyens pour qu’ils apprennent – une fois n’est pas coutume – qu’une conscience avait osé s’élever contre les turpitudes du pouvoir présidentiel depuis 1982, avait souffert pendant 26 ans de ses calomnies, mais avait fini par gagner en justice dans « l’ affaire des écoutes téléphoniques de l’Élysée » en septembre 2008, et que la République, en la personne de son Président, avait tenu à saluer son héroïsme pour l’offrir en modèle à ses concitoyens par la remise de la Légion d’honneur ?<o:p></o:p> <o:p></o:p>
On voudrait être démenti. Mais sauf erreur, ni Radio France ni France Télévision n’en ont parlé. Sans doute ont-ils jugé que ça n’en valait pas la peine, qu’elles avaient d’autres informations plus importantes à diffuser. Elles ont donc fait un choix obéissant au principe fondamental de l’information. Mais, ce faisant, les informations qu’elles ont élues, ont impliqué en retour que d’autres soient exclues et donc cachées, compte tenu de la contrainte de l’exiguïté du temps disponible de diffusion. Le slogan de Radio France est donc bien un leurre dont même l’usage avec humour n’atténue pas la perversité.