Voir aussi :
[APP] Mémorial des morts aux frontières de l’Europe
“La liberté de circulation s’impose comme une évidence”
Ceuta, tombeau du rêve européen
Ceux qui voudraient en savoir plus pourront se référer au texte de Claire Rodier, Instaurer la liberté d’aller et venir, repris dans l’anthologie sur Gisti intitulée Liberté de circulation : un droit, quelles politiques ?.
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La lutte contre l’immigration est aussi un marché lucratif
Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette évolution, nous avons posé quelques questions à Claire Rodier.
Claire Rodier : Il faut en revenir à la signature de la Convention de Schengen en 1990, qui vise à faciliter la circulation à l’intérieur de l’espace composé des pays signataires, et qui, en contrepartie, permet de renforcer les contrôles aux frontières extérieures.
Le principe de Schengen sera repris à l’échelle de tous les pays de l’Union européenne à partir de 1999 : l’UE est un vaste espace sans frontières intérieures où les citoyens européens (pas les autres) peuvent circuler librement mais dont, pour assurer la sécurité, il faut verrouiller et surveiller les frontières.
D’où l’installation progressive de l’idée d’un envahisseur dont il faut se protéger : il est migrant, terroriste (à partir du 11 septembre) et, de plus en plus, faux demandeur d’asile.
Toutes les lois européennes adoptées à partir des années 2000 en matière d’immigration et d’asile -c’est à partir de cette date qu’on a “communautarisé ces politiques“, qui sont devenues des politiques communes de l’UE – sont fondées sur cette lutte contre l’ennemi extérieur… qui est parfois aussi l’ennemi intérieur, cf par exemple le traitement de la question des Roms en Italie et en France.
Claire Rodier : Je pense que le processus va d’autant plus s’intensifier que c’est un marché lucratif, indépendamment de l’efficacité des techniques déployées. Il n’est qu’à voir par exemple l’augmentation spectaculaire du budget de l’agence Frontex depuis sa création. Ce processus répond donc à des intérêts qui dépassent largement la question migratoire.
Quant à l’externalisation/délocalisation des contrôles, qui mettent à distance leur matérialité (par exemple quand ce sont les fonctionnaires mauritaniens ou ukrainiens qui empêchent les migrants de se rendre en Europe), elle s’inscrit dans le cadre du rapport de force entre les pays européens et ceux qui acceptent de collaborer à leur politique migratoire, rapport de nature différente selon les cas.
On est ainsi dans le registre post-colonial avec le Maghreb et l’Afrique de l’ouest, qui n’ont guère de marge de manoeuvre pour résister à la pression (à l’exception, pour l’instant, du Mali), du chantage avec les pays de l’ex bloc soviétique à qui l’on tend la carotte de l’adhésion à l’UE pour obtenir qu’ils jouent les garde-frontières, du donnant-donnant avec la Libye… C’est donc plutôt dans l’analyse géopolitique du rapport entre l’UE et ses voisins qu’il faut chercher à lire les orientations futures de sa politique migratoire.
La liberté de circulation ! Pour qui prend le temps de peser tous les éléments du débat, la liberté de circulation s’impose comme une évidence. En 2009, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) a ainsi enfoncé le clou, en proposant, démonstrations chiffrées à l’appui, de réformer les politiques en matière de migration en vue de « lever les barrières » pour ouvrir les voies d’entrée aux migrants.
Finalement, les seuls qui restent en retrait de cette prise de conscience de la nécessité de fluidifier les frontières, qui prennent le contre-pied de ces recommandations de bon sens, ce sont les gouvernants des pays industrialisés. Depuis qu’elle a « communautarisé » sa politique d’immigration, l’Europe en a progressivement restreint le champ à une approche sécuritaire.
L’agence Frontex, qui double les frontières physiques de l’Union européenne d’une frontière virtuelle surveillée par des radars, des hélicoptères et des patrouilles maritimes destinés à repousser les migrants, est le symbole de cette évolution à contre-courant. Figés dans leurs réflexes défensifs, obsédés par la préservation de leur souveraineté, ceux qui définissent aujourd’hui les politiques migratoires brandissent pour les justifier la menace de l’invasion qu’entraînerait un monde sans frontières.
Pourtant, instaurer la liberté de circulation n’implique pas de supprimer les frontières. Celles-ci existent, leur disparition n’est pas à l’ordre du jour, et elles ont leur fonction dans l’organisation du monde. Mais cette fonction n’est pas forcément d’être un obstacle, une barrière : ce n’est pas parce qu’ils ont des frontières que les États sont contraints de les fermer. Au contraire : ce qui n’est pas réaliste, c’est une politique d’immigration fondée sur la fermeture des frontières.