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MORT DE BEN LADEN : DANS LES MEDIAS LE DOUTE EST INTERDIT

 

 

Mort de Ben Laden: dans les médias le doute est interdit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hallucination. Ils voient des conspirationnistes partout et des conspirations nulle part. A l’annonce de la mort de Ben Laden, ils relativisent les zones d’ombre et caricaturent les sceptiques. Diagnostic d’un mal insidieux qui atteint particulièrement journalistes et experts en benladenologie. 

« Théorie du complot, conspirationnisme, adeptes du complot, négationnistes » : quiconque usant de son droit au doute se verra aussitôt taxé du qualificatif péjoratif de « complotiste ». Depuis l’annonce de la mort de Ben Laden, nombreux sont les journalistes et autres spécialistes de l’islamisme à mettre en garde le citoyen contre toute forme de scepticisme à l’endroit de la version officielle.

Etrange époque : depuis les années 70 et l’essor du journalisme d’investigation, il était légitime -sinon nécessaire- de remettre en question tout récit gouvernemental au sujet d’un évènement politique de grande ampleur. Sans ce réflexe, des affaires aussi différentes que celles du Watergate, du Rainbow Warrior ou de la BCCI n’auraient jamais pu émerger. Mais depuis le 11 septembre 2001, l’exercice de l’esprit critique est désormais assimilé à une nouvelle pathologie : le « conspirationnisme », sorte de tumeur maligne consistant à se poser des questions sur la crédibilité d’une déclaration officielle. A la suite des attentats du World Trade Center et du Pentagone, cette sémantique de diabolisation a notamment été introduite en France par Guillaume Dasquié à l’occasion d’un duel à distance et caricatural –de part et d’autre- avec son adversaire Thierry Meyssan.

Cette technique d’intimidation a porté ses fruits : désormais, dans les rédactions, le moindre journaliste émettant à voix haute des doutes sur tel attentat ou telle capture d’un criminel se verra rapidement taxé de « théoricien du complot » par un collègue ricaneur et généralement ignorant de la complexité de l’affaire en question. Cette réaction, à la fois hautaine et sarcastique, était récurrente hier sur les antennes audiovisuelles, notamment les chaînes info.

Ainsi, sur France 24, le journaliste Sylvain Attal, commentateur régulier tout au long des heures suivant l’annonce du décès de Ben Laden, n’a cessé, à l’instar de certains collègues sur les chaînes concurrentes, de soupirer en évoquant, à propos des zones d’ombre, ces « inévitables théories du complot » qui ne vont pas manquer de surgir. L’homme est coutumier du sujet puisque son débat sur le 11-Septembre, organisé en 2008 sans respecter d’ailleurs les règles du débat contradictoire et de l’impartialité de l’animateur, avait provoqué une crise interne : à la suite d’un appel –révélé par le Canard enchaîné- de Nicolas Sarkozy qui avait sermonné le Pdg Alain de Pouzilhac pour avoir laissé passer l’émission, le directeur de la rédaction, Grégoire Deniau, a été licencié.

Depuis hier, les questions légitimes relatives à l’élimination de Ben Laden, notamment sur la cause de son immersion précipitée en mer d’Oman et sur l’identification du corps, sont promptement relativisées. La plupart des commentateurs, comme sur I Télé, ont expliqué la disparition brutale du corps par un seul motif : la crainte des Etats-Unis de voir se constituer un lieu de pèlerinage sur sa tombe.

Toute autre hypothèse, comme la volonté d’éliminer directement le leader terroriste afin qu’un procès ne puisse pas se tenir ou que son corps ne soit pas identifié par des parties indépendantes, n’est pas évoquée sinon pour donner un exemple de réflexe dit « complotiste ». Au lieu de rechercher –en les argumentant- les motifs potentiels des Etats-Unis dans cette évacuation soudaine, on disserte et l’on spécule sur les états d’âme des « conspirationnistes » comme l’a fait hier, par exemple, le Nouvel Obs avec Bruno Fay, auteur d’un livre uniquement consacré à ce thème.

Quand de brillants intellectuels, comme Noam Chomsky et Michel Collon, considèrent pourtant que le 11-Septembre n’a pas vraiment d’importance, ils consentent de facto, en entérinant la version officielle par leur indifférence, au triomphe du mensonge d’Etat à propos de cet évènement. La même désinvolture parcourt le champ de l’islamologie.

Interrogé aujourd’hui par Oumma au sujet de la responsabilité du 11-Septembre, le chercheur Dominique Thomas est catégorique : « Si l’on se réfère aux documents diffusés par la vitrine médiatique d’al-Qaida, al-Sahab, depuis plusieurs années, ils montrent qu’al-Qaïda a organisé et planifié ces attaques. Les documents sur les prisonniers de Guantanamo, rendus publics par Wikileaks et dont font partie plusieurs responsables de ces attaques, montrent et confirment la complexité des réseaux et des connexions qui ont servi à mener cette opération.

Ces documents battent d’ailleurs en brèche la version des complotistes qui ne croient pas en une implication d’al-Qaïda, à moins de penser que toute l’organisation ait pu être infiltrée. Cet élément ne ressort dans aucun des dossiers de Wikileaks (câbles diplomatiques et Guantanamo Files) »

A nouveau, les citoyens s’interrogeant sur l’étendue et les complicités du réseau d’Al Qaida sont qualifiés par le terme simpliste et réducteur de « complotiste ». Le spécialiste omet de préciser qu’une controverse subsiste sur la nature exacte de al-Sahab, « vitrine médiatique d’al-Qaida », notamment depuis qu’un expert en informatique, Neal Krawetz, avait démontré en 2007 que le logo d’al-Sahab avait été rajouté en même temps que celui d’IntelCenter, organisation proche du Pentagone qui avait prétendu avoir découvert –sans le retoucher- le film produit par les terroristes.

De plus, déployer l’argument quelque peu sommaire selon lequel les « complotistes » ont tort de douter car les documents Wikileaks ne révèleraient rien dans leur sens peut prêter à sourire. Enfin, sur la question de l’infiltration de réseau d’Al Qaida, il est de notoriété publique que la plupart des services secrets –notamment américains, français, allemands, égyptiens, marocains- ont, au moins, tenté de le pénétrer. Seule la question de l’instrumentalisation peut encore se poser. Comme l’avait rapporté le premier hebdomadaire indien en février 2000, même le Mossad avait tenté –en vain- de recruter une dizaine d’Afghans pour infiltrer le groupe d’Oussama Ben Laden.

Au vu de l’argumentation parfois confuse des défenseurs de la version officielle, les « complotistes » sont assurés de pouvoir continuer à douter et, pour les plus audacieux, élaborer des hypothèses à partir des multiples faits qui contredisent le discours gouvernemental. En 2009, j’avais interrogé pour la Télé Libre le partisan le plus zélé du récit de l’Administration Bush : Jean-Charles Brisard. A ma question portant sur les preuves de l’implication d’Al Qaida dans les attentats, sa réponse s’est avérée fort laborieuse pour un expert du sujet.

Présenté comme un « spécialiste du terrorisme » par I Télé, Jean-Charles Brisard a d’ailleurs provoqué aujourd’hui une vive altercation sur l’antenne avec Tariq Ramadan, dénoncé comme étant « proche du camp des conspirationnistes ». L’islamologue suisse lui a rétorqué qu’il était dans une « volonté de clarification ». L’ancien ministre socialiste Paul Quilès, présent sur le plateau, est alors intervenu pour fustiger le regret de Tariq Ramadan à propos de l’impossibilité entérinée d’un procès de Ben Laden.

Malgré les injonctions ou les sarcasmes, le droit au doute doit être assumé, formulé, revendiqué. Si l’époque est visiblement propice à l’acceptation de toute narration gouvernementale, des bastions de résistance à l’intoxication politico-médiatique sont possibles, notamment sur Internet. Et, parfois, même sur les chaînes info, une dissonance peut surgir : ainsi en va-t-il des témoins interrogés par hasard et en direct pour commenter tel ou tel évènement. Hier, Al Jazeera English a donné la parole à un résident de la ville d’Abbottabad.

Provoquant l’embarras perceptible du journaliste qui l’interviewait, l’homme a affirmé qu’il ne croyait pas du tout en la domiciliation passée de Ben Laden dans le secteur, insistant sur la présence militaire environnante et les contrôles d’identité incontournables pour l’accès au territoire. Malgré la relativisation du journaliste quant aux « suspicions » du voisinage, le badaud a réitéré son incrédulité sur une quelconque présence d’Oussama Ben Laden. C’est alors qu’est survenu un incident plutôt rare lors d’un direct : à 3’12, alors qu’il insistait sur son scepticisme, la retransmission semble interrompue avant de reprendre aussitôt, donnant l’impression d’une coupure de montage.

L’interview prend alors fin. Une erreur technique, probablement, même si l’ « adepte du complot » le plus excessif voudra sans doute y voir autre chose : la censure maladroite d’un régisseur d’Al Jazeera English voulant mettre fin à un propos véridique qui irait à l’encontre du discours sur le « puissant réseau d’Al Qaida ». Une propagande menée –entre autres- par les Etats-Unis et le Qatar dont l’émir est le propriétaire de la chaîne.

Au-delà de cet incident, un test pour jauger de la neutralité journalistique est aisément réalisable. A l’instar de ce témoin crucial, vivant sur le terrain, comptez dans les prochains jours le nombre d’intervenants qui, sur les antennes françaises, remettront en cause la nouvelle légende d’un Ben Laden dissimulé durant six ans aux yeux de tous. L’inéquité du traitement médiatique est déjà patente.

Hicham Hamza

Source : Alter Info

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