États de non-droit
Après l’assassinat ciblé d’Oussama Ben Laden, célébré à son de trompe, des juristes critiquent sévèrement les exécutions extra-judiciaires des armées occidentales.
Des exécutions hors du cadre légal relèvent de l’État de non-droit et sont en contradiction avec les droits humains fondamentaux, affirme Kai Ambos, professeur de droit international, dans une déclaration récente. Et cela, même quand la victime est un terroriste. Selon lui les exécutions hors du cadre légal sont lourdes de conséquences pour les États qui les pratiquent.
Ce n’est pas seulement parce que la Chancelière et son Ministre des Affaires étrangères ont explicitement approuvé la mise à mort de ben Laden que le gouvernement fédéral est la cible de cette critique.
Berlin considère, ainsi que le Ministre de la Défense l’a déjà souligné l’an dernier, que des assassinats ciblés en l’absence de toute procédure judiciaire sont admissibles dans certains cas. En outre Berlin accepte sans la moindre protestation l’exécution extra-légale de citoyens allemands au Pakistan. En définitive, des soldats allemands sont eux aussi impliqués dans des assassinats ciblés: puisqu’ils participent aux commandos exécutifs états-uniens. Des conseillers ont depuis quelque temps mis en garde le gouvernement fédéral: en participant à la « guerre contre le terrorisme », on frôle «les limites de l’État de droit ». Une formulation diplomatique pour « être dans l’illégalité. »
Du gibier pour militaires
Comme l’a récemment déclaré Kai Ambos, juge et professeur de droit à l’Université de Göttingen, rien ne peut justifier l’assassinat ciblé de Ben Laden. Même les terroristes ont droit à un procès régulier ; s’ils sont reconnus coupables, ils seront condamnés, et aux USA ils peuvent l’être à la peine capitale. Mais, souligne Ambos, « être mis à mort sans procès » est une « exécution hors du cadre légal », pour laquelle «des États de non-droit sont cités devant des commissions pour les droits humains»1. L’Occident doit se demander s’il «entend dénier à ses ennemis terroristes tout droit humain et même le droit de vivre, faisant d’eux un gibier pour militaires». Ambos considère que c’est indiscutable. Et si l’Occident dénie à ses ennemis même les droits humains fondamentaux, il se place pratiquement « sur leur terrain.» Les conséquences pour la vie dans les pays occidentaux en seraient incalculables.
« Opération réussie »
La critique d’Ambos concerne à plusieurs titres le gouvernement fédéral. D’abord parce que la Chancelière et son Ministre des Affaires étrangères ont approuvé d’une seule voix la mise à mort de ben Laden. Angela Merkel a déclaré qu’elle avait « exprimé au Président Barack Obama son respect et le nôtre pour ce succès et cette opération commando réussie.» L’annonce de l’exécution était « tout simplement une excellente nouvelle »2. Plus précisément interrogée, Merkel déclara qu’elle était « très satisfaite ». Le Ministre des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, a déclaré que l’annonce de la mort de Ben Laden était « une bonne nouvelle pour tous les hommes de ce monde qui aiment la paix et la liberté. »3. Personne au gouvernement fédéral n’a exprimé de scrupules analogues à ceux qu’Ambos a exposés et fondés.
Une évolution qui se poursuit
De fait le gouvernement fédéral a adopté au plus tard en 2010 une position juridique favorable à l’autorisation d’assassinats ciblés dans certaines circonstances. Quelques années auparavant cette façon de voir aurait paru pour le moins hautement problématique aux conseillers juridiques de Berlin. L’an dernier le Ministère de la Défense déclarait à ce propos « avoir évolué sur bien des points.» En particulier au sujet de l’interdiction de tuer des rebelles en-dehors de situations de combat. Une note du Ministère de la Défense laisse entendre que les soldats de la Bundeswehr auraient le droit « de s’attaquer de façon ciblée à des combattants ennemis, même en-dehors de situations d’hostilités effectives, ce qui peut inclure le recours à la violence létale». 4 Ce décret légitimerait l’assassinat ciblé de ben Laden.
Aucune contradiction
S’y ajoute la non-intervention du gouvernement fédéral en cas d’assassinat ciblé de citoyens allemands. Un cas qui s’est produit au moins une fois, le 4 octobre 2010, quand Bünyamin E. zu E. , âgé de 20 ans, a été tué au Pakistan par un tir effectué à partir d’un drone états-unien. L’attaque de ce drone n’avait été directement précédée d’aucun engagement militaire. En outre, le Pakistan n’est en guerre contre personne.
Le gouvernement fédéral, qui accepte d’une manière générale sans faire d’histoires les attaques de drone américaines, bien que beaucoup d’entre elles aient lieu en-dehors des théâtres de combat afghans et fassent de nombreuses victimes civiles, ne s’est jusqu’à présent jamais élevé contre cette exécution ; et pourtant il est tenu de protéger les ressortissants allemands à l’étranger. Les observateurs estiment bien plutôt que seuls des renseignements détenus par les autorités allemandes au sujet de E. et transmis par les services allemands à leurs partenaires états-uniens pour les aider à préparer des attaques5 ont permis cette exécution .
Des listes noires
En Afghanistan aussi les Allemands collaborent à des commandos d’exécution. L’an dernier, déjà, la « Joint Prioritized Effects List » (JPEL) utilisée par les forces armées dans l’Hindoukouch a fait l’objet de vives critiques. Elle comporte des centaines de personnes recherchées par l’Occident, dont les noms sont suivis de « faire prisonnier» (« c », pour « capture ») ou de « tuer » (« k » pour « kill »).6 Des soldats allemands transmettent eux aussi des informations permettant de choisir entre « capture » et « kill » - sans procès, bien sûr.
En toute illégalité
Les conseillers auprès du gouvernement de Berlin l’ont déjà dit en février dernier : il n’est pas rare que les manœuvres de l’UE « en matière de collaboration avec les USA dans la guerre contre le terrorisme» frôlent « les limites admises dans un État de droit.»7 Une formulation diplomatique pour des pratiques qui depuis longtemps ne se situent plus dans le cadre de l’État de droit et ne peuvent plus être considérées que comme illégales. De fait, en pratiquant l’assassinat ciblé, les nations occidentales font justement ce qu’elles reprochent à leurs ennemis : tuer des adversaires en-dehors du cadre légal et de ses normes. Il devient difficile, dans ces conditions, de parler d’État de droit ; c’est ce que souligne la déclaration du Professeur Kai Ambos. L’Occident se place sur le même terrain que ses ennemis.
1 Kai Ambos: Auch Terroristen haben Rechte (Même les terroristes ont des droits); Frankfurter Allgemeine Zeitung du 05.05.11
2 Déclaration de la Chancelière Angela Merkel à la presse relativement à la mort d’Oussama ben Laden, Berlin, le 02.05.2011
3 Déclaration du Ministre Guido Westerwelle relativement à la mort d’Oussama ben Laden www.auswaertiges-amt.de 02.05.2011.
5 La mort de Bünyamin ; www.zeit.de 20.01.2011
7 Annegret Bendiek: «An den Grenzen des Rechtsstaates: EU-USA-Terrorismusbekämpfung» (Aux limites de l’État de droit : la « guerre contre le terrorisme » des USA et de l’UE) SWP-Studie S3, février 2011. Voir An den Grenzen des Rechtsstaats
Merci à German Foreign Policy
Source: http://www.german-foreign-policy.com/de/fulltext/58057
Date de parution de l'article original: 06/05/2011
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=4701