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MICHEL FAURE CHEZ LES SOVIETS

Où ils ont la tête, à Rue89 ? Ok, le contenu du site se fait chaque jour moins intéressant. Mais ce n’est pas une raison pour employer quelqu’un comme Michel Faure. Anti-chaviste hystérique, très coulant avec les crimes d’Uribe, il livre régulièrement des petits chefs d’œuvre réactionnaires sur l’Amérique latine. La région est certes habituée à la désinformation mais… il y a des limites.
Michel Faure chez les Soviets

mercredi 19 mai 2010, par Lémi

 

«  On peut regretter aussi que Zelaya, qui était censé, en tant que président, être le gardien des institutions de son pays, ait cherché à contourner la constitution pour obtenir un deuxième mandat (interdit par cette même constitution). Le dire signifie-t-il qu’on soutient le coup d’état ? Lequel, d’ailleurs. Celui de Zelaya (parce que qu’est-ce que c’est, quand on préside, de ne pas respecter sa propre constitution) ? ou celui de Michelleti ?  » (Michel Faure, parlant en commentaire de son dernier article, du récent coup d’état au Honduras)

Dans le croustillant et déplorable « Bons points et mauvais points de la présidence Uribe », publié le 25 mars dernier et consacré à la fin de règne du président colombien, Michel Faure était allé si loin dans l’abjection journalistique partisane que j’avais préféré ne pas en parler ici. La cible était trop grosse, trop simple et évidente. L’imposture se révélait d’elle-même, nul besoin d’en faire un billet (à noter, d’ailleurs, que la quasi intégralité des nombreux commentaires de cet article criaient au scandale pur et simple).

La substance de l’article ? Du lourd, du très lourd : Uribe, un peu « bourrin  » sur les bords, avait un bilan plutôt positif (quatre points pour, deux contre). Certes, il était préférable qu’il ne soit plus au pouvoir, qu’il s’esquive par la grande porte. Mais il fallait quand même reconnaître qu’il avait admirablement su renforcer l’État et la justice, pas comme ces sagouins de gauchistes caudillesques (suivez son regard) qui, de toute part, envahissent l’Amérique latine. Le lapidaire, "Il a été, nous l’avons vu, un Président populaire", trônait en bonne place, paravent à toute critique.

Voilà qui devait faire chaud au cœur aux myriades de paysans, syndicalistes et militants assassinés par les milices d’extrêmes droites (dont Uribe était l’héritier autant que le soutien), qui ont récemment reconnu la bagatelle de 30 000 meurtres (chiffre provisoire) entre 1980 et 2003 [1] Même Le Monde, pourtant coutumier de la désinformation en terre sud-américaine (ah, le traitement des référendums d’Hugo Chavez, caudillo sanguinaire, un must…) n’avait jamais été si loin. C’est dire.

Michel Faure, le bien nommé, fait partie de cette caste de journaleux atteints du syndrome Tapioca (dont je parlais ici), ces acharnés de la démolition des gauches en Amérique latine. Non pas critiques (ce qui serait fort honorable), mais terriblement partisans, à droite toute. Ainsi de Paulo A Paranagua, correspondant du Monde en terre andine, abonné aux ricanements anti-chavistes les plus subjectifs (et sévèrement étrillé par Sébastien Fontenelle, ici).

Des spécialistes du syndrome Tapioca (tout homme politique de gauche élu démocratiquement cache en lui un caudillo sanguinaire qui attend son heure, planqué comme l’Alien dans Sigourney Weaver), mais également de l’art du trapèze journalistique, ainsi décrit par Thierry Derrone et l’ami Grégoire Souchay (dans un article du Grand Soir parlant de Jean-Pierre Langellier, autre correspondant vespéral en terre andine, ici) : «  La technique du trapèze est simple et nécessite une connexion internet : papillonner de thème en thème, reprendre les "informations" des médias d’opposition (majoritaires au Venezuela), refuser le droit de suite au lecteur, ne jamais enquêter sur les réformes en cours. [2] »

Comme l’expliquait Marc Saint-Upéry sur ce site (ici) : «  Au-delà des préjugés idéologiques des observateurs, il ne faut pas sous-estimer le poids de la simple paresse intellectuelle et journalistique. Essayer de vraiment comprendre ce qui se passe, c’est difficile, c’est fatigant, et ce n’est pas toujours gratifiant pour votre confort mental et vos préjugés, quels qu’ils soient.  » Ça a le mérite d’être clair.

Bref. Revenons à nos moutons (journalistes). Michel Faure est donc un autoproclamé spécialiste de l’Amérique latine. De lui, je l’avoue humblement, je ne connais pas grand chose, hormis sa détestation viscérale de tout ce qui sous Mexico, se positionne à gauche, en général, et du président vénézuélien Hugo Chavez, en particulier (Fontenelle© - oui, encore lui). Comme je ne lis plus beaucoup Rue89 (chaque jour un peu plus vide), je le croise assez peu ; ce n’est pas plus mal, quelques expériences suffisent. Mais voilà : hier, par distraction, j’ai fait l’erreur de cliquer sur un article qui s’annonçait plutôt anodin : «  Présidentielle en Colombie : la percée du candidat Vert Mockus.  » Pas de quoi fouetter un Chavez, a priori.


Bah… en fait, si. Passons rapidement sur la performance consistant à titrer « candidat Vert » sans jamais faire la moindre référence à l’écologie dans l’article, si bien qu’on ne sait pas trop si ce Mockus est un candidat écolo ou si c’est uniquement parce que sur la photo, il porte un sweat vert [3] (À un lecteur s’étonnant de cette bizarrerie, Faure répond en commentaire : «  Il faudrait avoir l’avis de nos lecteurs vivant en Colombie. A vrai dire, je ne suis pas sûr que l’écologie soit la priorité des Colombiens.  » Du journalisme comme on l’aime).

Qu’importe, pendant les premiers paragraphes de cet article, Michel Faure se tient. Il décrit le parcours de ce Mockus, invité surprise des présidentielles colombiennes, fait son boulot de pisse-copie sans prendre trop de distance avec la réalité. Le lecteur avance confiant, le sujet ne se prêtant pas aux habituelles vitupérations hystériques sauce Tapioca. Et puis, dans les derniers paragraphes, patatras. Il replonge, c’est plus fort que lui, sous le très beau intertitre Son attitude vis-à-vis de Chavez inquiète (brrr) :

Il est jugé par certains comme un « futur Zelaya », le président conservateur du Honduras devenu en cours de mandat un allié de Chavez. On peut admettre un brin de paranoïa quand on connaît les liens de Chavez avec les Farc et l’ETA, le prosélytisme du président vénézuélien, sa volonté de construire un bloc anti-yankee en Amérique latine, voire d’encercler l’allié des Etats-unis qu’est la Colombie.

Boum ! Crise aiguë ! En trois petites phrases, tout est résumé. Primo, Zelaya est évacué en une phrase comme petit copain du grand méchant Hugo (on devine que le putsch au Honduras n’a pas vraiment chagriné Monsieur Faure : « devenu en cours de mandat un allié de Chavez », Zelaya avait rejoint l’axe du mal). Puis, balancé sur le ton de l’évidence : « quand on connait les liens de Chavez avec les Farc et l’ETA. » Sauf que ces liens n’ont jamais été prouvés.

Ni avec l’ETA (procédure en cours à l’instigation d’un juge espagnol, sac de nœud dont il est difficile de tirer quelque chose pour l’instant), ni avec les FARC. Thème fétiche des antichavistes, cette question de l’appui au terrorisme reste en tout cas beaucoup plus complexe que ne veut le faire croire Mister Faure.


Continuons. Le meilleur est à venir : «  le prosélytisme du président vénézuélien, sa volonté de construire un bloc anti-yankee en Amérique latine, voire d’encercler l’allié des États-unis qu’est la Colombie.  » Sous la plume de notre Rouletabille made in Rue89, le progressif rapprochement des gauches latino-américaines, plutôt porteur d’espoir, se transforme ici en sorte de rouleau compresseur prêt à écraser la pauvre et faible Colombie sous ingérence américaine (sept bases installées sur la territoire). Hugo, Correa, Morales, tous unis dans un même but : encercler la Colombie avant de la convertir, de force, à la dictature du prolétariat. Pour le moins.

La suite de l’article recèle quelques autres perles, mais il me semble que les relever toutes n’apporterait pas grand chose au débat. Une dernière pour la route :«  Le pays avait espéré la paix, du temps de Pastrana, et les Farc n’en ont pas voulu. » S’il n’est pas question de relativiser la nuisance des Farc, les mentionner sans signaler également les milliers d’assassinats ainsi que les ingérences liées aux paramilitaires relève de la désinformation pure et simple, ou de ces mêmes œillères partisanes capables de l’amener à considérer le bilan Uribe comme globalement positif [4]. Si les Farc n’ont pas œuvré à la paix, les paramilitaires portent une responsabilité au moins aussi grande. La récurrence de cet oubli dans la prose faurienne est pour le moins révélatrice (et rédhibitoire).

Le journalisme à la Faure est une catastrophe. Pour autant, j’admets sans hésiter que les pro-chavistes, par exemple, ne brillent pas toujours (euphémisme) par leur objectivité. Renvoyer Uribe à ce qu’il est - un politique véreux et éminemment criminel - ne doit pas empêcher, de loin, de critiquer Chavez, Morales [5] ou Correa, d’interroger l’ALBA… bref, il s’agit de ne pas verser dans le béni ouiouisme ou la dénonciation sans fondement [6]. Ce que Marc Saint-Upéry résumait ainsi sur Article11 : «  Le problème c’est qu’effectivement, entre les dénonciations libérales hystériques de la menace "totalitaire" chaviste dans la presse dominante et les fables enchantées sur la huitième merveille autogestionnaire du monde qu’on rencontre dans certains médias de gauche ou alternatifs, vous aurez du mal à trouver des analyses sérieuses et informées de ce processus complexe.  »

Une chose de sûre : ces analyses sérieuses et informées sur ce processus complexe ne viendront pas de Michel Faure.

Notes

[1] Sur la question du sanguinaire règne d’Uribe, j’avais écrit un article, ici. Tu trouveras sans mal une littérature abondante sur la question, notamment sur le Monde Diplo. Même Rue89 a publié des démentis aux allégations de Michel Faure, par exemple cet article de la présidente d’Amnesty International, ici.

 

 

[2] Voir cette recension d’Acrimed, évoquant le traitement journalistique des élections honduriennes et boliviennes.

[3]

[4] Georges Marchais represents…

[5] Certes souvent défendu sur ce site, mais sur lequel il n’est pas question de s’aveugler. CQFD : quelques remises en question suivront sûrement.

[6] D’ailleurs, il semble – jusqu’à preuve du contraire – que Maurice Lemoine du Monde Diplo ait été un peu vite en besogne en évoquant cette sombre histoire de charnier colombien sans y mettre les guillemets nécessaires. À suivre.

Source ARTICLE XI

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