L'Union européenne récompense la violence du gouvernement colombien
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L'Union européenne a ratifié un traité de libre échange avec la Colombie le 18 mai. En même temps, quatre Colombiens membres du REDHER (Réseau de fraternité et de solidarité avec la Colombie) étaient venus, sous l'initative de J.L. Mélenchon du Groupe Unitaire Européen (GUE), témoigner au Parlement européen de la répression qui sévit dans leur pays, des nettoyages ethniques et des catastrophes écologiques causées par l’exploitation des ressources. Ces témoignages devaient servir d’arguments pour que l'Europe rejette cette alliance qui récompense un régime bafouant les droits de l'homme. Investig'Action était le seul média à couvrir l’événement.
« L'action de l'Union européenne sur la scène internationale repose sur les principes qui ont présidé à sa création. Elle vise à promouvoir dans le reste du monde: la démocratie, l'État de droit, l'universalité et l'indivisibilité des droits de l'homme, le respect de la dignité humaine. L'Union s'efforce de développer des relations et de construire des partenariats avec les pays qui partagent ces principes. » Il s'agit de l'article III – 292 de la constitution européenne. On pourrait donc en déduire que la Colombie, en train de signer un accord de libre-échange avec l’UE, est un pays qui respecte les droits de l’homme. Zoraida HERNANDEZ, avocate et présidente de l’association SEMBRAR, dont le but est d’offrir des services juridiques aux communautés indigènes et paysannes. La Colombie traverse un conflit social armé depuis plusieurs décennies où sont reconnus deux acteurs : les guérillas et l'Etat. Dans le cadre de cette guerre, l'Etat a initié une série de violations des droits de l'homme systématiques et généralisées, surtout au dépend des communautés et de la société civile. Pour donner des chiffres : 5 millions de déplacés 80 000 homicides ou exécutions extra-judiciaires attribuables à des groupes paramilitaires formés par l'Etat. 15 000 personnes torturées 50 000 personnes disparues dont la responsabilité directe est attribuée à l'Etat. 7500 personnes incarcérées C'est pour cela que nous disons qu'il n'existe ni liberté, ni démocratie, bien que ce soit écrit dans notre Constitution. La démocratie, ce n'est pas seulement aller voter pour un candidat, mais c’est avoir une liberté d'expression et d'association, le pouvoir de décider sur le développement et le futur des communautés. Cela implique une participation réelle dans la vie politique, un respect envers l'opposition politique et envers les défenseurs des droits de l'homme. Ceci est justifié, nous dit-on, par la présence d'une guérilla qui se bat contre l'Etat et par l'existence du trafic de cocaïne... Z.H. : Cela a été l'excuse : on aurait formé des groupes paramilitaires pour combattre les guérilleros. Ce projet paramilitaire a été négocié de manière directe par l'Etat et appuyé par les USA dans une supposée lutte contre l'insurrection, mais L'Histoire nous a montré que ces soi-disant insurgés sont en fait des victimes de la répression, ce sont des membres de la société civile, des syndicalistes, des étudiants organisés, l'opposition politique, les défenseurs des droits de l'homme et les communautés qui s'opposent à un certain modèle de développement économique. Qui bénéficie de la guerre dans notre pays ? Qui est donc le responsable de ce type de violations ? L'objectif réel de ce projet paramilitaire était de pouvoir développer des méga-projets économiques dans notre pays. La Colombie est un pays riche en ressources naturelles (pétrole, or, bois précieux...) et presque tout le territoire est sollicité par des entreprises transnationales qui souhaitent extraire ces ressources. La guérilla a été une excuse pour déplacer les populations, pour l'extermination et le génocide. Le trafic de drogue est aussi une excuse. Il existe bien-sûr, mais uniquement pour garantir un pouvoir qui s'est maintenu jusqu'à maintenant. Nous avons dénoncé l’existence d’une mafia au pouvoir au sein de ces gouvernements qui se succèdent. Que demandez-vous à l'Union européenne ? Z.H. : Nous sommes ici dans ce parlement européen et nous avons honte de notre parlement. Suite aux dénonciations des victimes et grâce à notre travail, il y a des enquêtes sur 113 de nos parlementaires. Il y a des enquêtes sur les financements réalisés par ces parlementaires aux groupes paramilitaires. C'est une honte et malgré cela l'Union européenne va signer un traité de libre échange avec la Colombie. Nous sommes ici pour demander à l'Europe pourquoi elle apporte son soutien à un tel régime. Quel est le soutien aux défenseurs des droits de l'homme dans le monde ? Quel est le soutien aux initiatives de la paix, si on récompense un gouvernement qui viole les droits de l'homme de manière évidente ? Au lieu de récompenser ce gouvernement, nous voulons que l’UE annule ce traité de libre échange et, qu’à l'inverse, soit récompensées les initiatives et les propositions de paix qui se construisent en Colombie. La ratification de ce traité signifierait une légitimation de cette guerre dont nous sommes fatigués. Ce serait un double discours sur les droits de l'homme dans le monde. Ce serait approfondir un modèle de développement destructeur, contraire à la vision du futur que souhaitent construire les peuples indigènes ou de descendance africaine et les paysans colombiens qui proposent un modèle différent. Ce serait contribuer à la continuation cette répression féroce. Ce serait renforcer l'impunité qui existe en Colombie. Ce traité de libre échange ne doit pas être signé parce que cela approfondirait le conflit armé. Sinon ce serait tourner le dos aux défenseurs de droits de l'homme et aux communautés qui sont en train de construire un pays différent. Nous voulons vivre dignes, respectés, avec nos visions propres du développement. Nous alertons aujourd'hui la communauté internationale que le paramilitarisme continue à exister, qu'il n y a aucun processus de démobilisation, mais au contraire : un processus de légalisation des paramilitaires et d'amnistie par le gouvernement d’Alvaro Uribe. Il n'y aura pas de réconciliation, ni de pardon tant que la vérité ne sera pas connue et la justice faite. Quelles formes prennent ces violations des droits de l'homme ? Adelso GALLO - Leader paysan et président de la mutuelle agricole Coagrosarare :
L'Etat colombien a mis en œuvre des méthodes systématiques pour réprimer. Cette répression est exercée par le gouvernement et l'oligarchie transnationale, sur les organisations de défense juridique, mais pas seulement : tous ceux qui sont dans l'opposition politique, au sens large, pas au niveau électoral, mais au niveau social.
Les paramilitaires utilisent tous les moyens pour générer la terreur. Par exemple, ils essaient de nous intimider, de nous terroriser avec des lettres anonymes, des appels téléphoniques, en effrayant nos enfants qui se rendent à l'école située à de nombreux kilomètres. Toute une série de harcèlements. Ils vont jusqu'à utiliser des tronçonneuses pour intimider des gens qui doivent aller témoigner. Mais il y a encore plus grave : les captures massives. Ils opèrent dans ce qu'ils appellent les zones de réhabilitation et de consolidation qui sont en fait les régions qui sont connues pour leurs avancées en matière d'organisation sociale. Les captures massives ont réussies, non seulement à déstabiliser le tissu social, mais aussi humain. Ces opérations servent à en finir avec le tissu social et implanter leur modèle de sécurité « démocratique ». En plein 21ème siècle, la Colombie est un pays où on peut encore trouver des camps de concentration de type nazi. Et je peux le dire très précisément car j'ai vécu cela en 2002, où j'ai été déporté avec 3500 personnes, en un seul jour.
Nous avons été embarqués, puis concentrés sur une place où nous fumes attachés comme des animaux pour ne pas sortir de là. Ensuite, ils ont sélectionnés ceux dont ils devraient se débarrasser. Ils ne peuvent pas nous emmener en justice lors de captures massives car c'est illégal. Ils libèrent alors les leaders sociaux parce qu'il n'y a aucune charge contre eux. Mais ensuite, les militaires changent simplement de brassard et deviennent paramilitaires, pour terminer le massacre. Ils découpent les corps, puis les brulent dans des fours crématoires ou les jettent aux caïmans pour qu'on ne puisse pas trouver les corps. Une activité macabre inimaginable ! Nous avons des preuves. Puis ils retournent le brassard à nouveau et redeviennent militaires de l'armée officielle. Ça date de 2002, mais maintenant, en 2010, cette pratique continue de la même manière. On continue à emmener des villages entiers dans des camps de concentration. Il y a de nombreux cas dénoncés et vérifiés.
Il y a aussi les exécutions extrajudiciaires pour montrer au monde, qu'en Colombie, on tue des terroristes. Mais en fait ce sont des paysans, des pauvres des quartiers, des marginaux ou des handicapés mentaux que l'on a trompés. On leur a proposé un travail à l'autre bout du pays. Ils ont été transportés là puis exécutés. Ensuite, on les a habillés d'uniformes et on a placé des armes avec eux, pour montrer à la presse internationale les résultats de la guerre contre le terrorisme. Ils font croire qu'ils tuent des guérilleros au combat. Plus de 1800 cas sont prouvés, mais malheureusement, nous devrions en atteindre plus de 3000 avec ceux qui sont encore sous enquête. Tous ces cas ont été dénoncés, c'est pour cela que nous sommes persécutés. Ils utilisent aussi le système judiciaire pour nous persécuter. Avec notamment les lois anti-terroristes. Ils peuvent m'accuser que dans ma ferme un acte terroriste a été planifié et me prendre ma ferme. Ou ils peuvent dire que des guérilleros sont passés près de ma ferme et que je ne les ai pas dénoncés : je deviens un collabo et je perds mon terrain. Ils prennent aussi les terres aux paysans au moyen de décrets. Même si cette pratique devient moins courante car elle est connue du grand public et la Cour constitutionnelle en a honte. Ce qu'ils font ne peut plus être dissimulé. On peut prendre un terrain à un paysan si ce bout de terrain est considéré d'intérêt national pour les minéraux. Mais ce n'est même pas une compagnie nationale qui va l'exploiter, c’est une multinationale ! Et c'est seulement pour montrer quelques unes des méthodes de terreur face aux mouvements sociaux. Quelle est le rôle des entreprises étrangères ? A.G. : Pour comprendre ce qu'il se passe au niveau de la violation des droits de l'homme, il faut savoir qu'il y a un objectif : l'appropriation du territoire pour l'exploitation des ressources naturelles par les multinationales présentes dans le pays. Par exemple : les 3 plus grandes compagnies pétrolières au monde : Exxon (USA), BP (Britannique), Repsol (Espagne) se retrouvent à l'est du pays dans la région d'Arauca, frontalière avec le Venezuela. Toutes trois sont auteurs de massacres. BP est tristement célèbre pour l'élimination physique de tout un village. Il y a des preuves et des militaires au service de BP sont actuellement dans un processus judiciaire. Les exemples sont très nombreux. On élimine physiquement et on s'accapare les territoires. Les compagnies pétrolières possèdent actuellement un quart de la région d'Arauca, une région écologiquement riche qu'elles sont aussi en train de mettre à mal. Dans les zones forestières, ils détruisent des niches écologiques dans le poumon du monde qu'est l'Amazonie. Si on prend l'exemple de la compagnie bananière Chiquita. Ils ont dû accepter le fait que des tueurs à gages et des paramilitaires ont reçu des fonds directs de l'entreprise pour nettoyer ces territoires en éliminant les paysans qui s'y trouvaient. Ceux qui réclamaient leurs terres, ils les tuaient avec des armes en provenance des Etats-Unis. Ils ont dû déclarer combien de millions de dollars ils avaient dépensé pour ces armes. Mais que dire encore de Coca Cola ? Il y a une campagne internationale qui les a obligé de déclarer jusqu'où ils étaient compromis avec le gouvernement colombien dans l'assassinat de syndicalistes. Que peut-on dire encore de l’Anglogold Ashanti qui est compromise dans un massacre dans la zone d'exploitation de l'or ? Et ils demandent encore 3,2 millions d'hectares, 11,5 % du territoire national, pour continuer l'exploitation. Si on donne ces 11,5 % à cette multinationale qui a déjà fait déplacer 75% des paysans vers les zones urbaines, combien de paysans vont devoir quitter la Colombie ? Parce que ces multinationales, toutes réunies peuvent avoir toute la Colombie. Là aussi, il ne s'agit que de quelques exemples, mais il y en a beaucoup. Isabel Cristina Pardo - Directrice de la FCSPP (Fondation Comité de Solidarité avec les Prisonniers Politiques) : Nous pouvons parler de 5 millions de déplacés, 7500 détenus politiques dont la grande majorité sont des leaders sociaux, des étudiants, des paysans, des travailleurs, des femmes et seulement 500 sont des guérilléros. Les conditions dans lesquelles ils vivent en prison ne sont pas humaines. Ils sont soumis à des tortures physiques et psychologiques. Physique, comme avec la méthode de l'étouffement par immersion ; ils sont frappés et subissent des fractures des membres, des côtes. Les officiers de l'Etat disent qu'ils ne violent pas les droits de l'homme, mais qu'ils sont en légitime défense face à ce qu'ils nomment des terroristes. Mais cela ne s'arrête pas là. Leurs familles subissent également cette torture car elles sont déplacées dans des zones éloignées de leur région d'origine. Les prisonniers se retrouvent sans la possibilité de voir leurs proches. Il s'agit bien de torture psychologique à ce niveau. J.G. réfugié en Europe (émotion forte dans la voix) : J'ai été victime d'enlèvement, de torture et condamné à mort par des paramilitaires sous commandement direct de l'armée. J'ai pu m'enfuir, très blessé. Ils m'ont poursuivi. Et pas seulement moi, mais toute ma famille. Ils ont réussi à désintégrer toute la famille. Un de mes frères est en prison. Et tous les autres ont été déplacés. Des cas comme celui-ci, il y en a beaucoup. Et peu témoigneront parce qu'ils ont été poursuivis jusqu'à être assassinés.
1.Un « Forum social et Humanitaire » aura lieu du 26 au 28 juillet à Arauca – Colombie, dans le cadre de la campagne contre la présence de multinationales pétrolières dans la région. La souveraineté, dignité, le respect des droits de l’homme.
2.« Le Forum des femmes des Amériques pour la souveraineté des peuples et contre la présence des bases militaires nord américaines » se déroulera du 16 au 24 août à Barrancabermeja – Colombie
Source: michelcollon.info
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