Jillian Kestler-D’Amours
IPS
Alors qu’avancent les projets de démolitions d’un village palestinien bédouin pour faire place à une nouvelle ville, réservée aux juifs, dans le désert du Néguev (le Nakkab, en Palestine historique), les Bédouins qui l’habitent ont déposé une motion pour avoir le droit de faire appel devant la Cour suprême israélienne.
Situé à 30 minutes de la principale ville, Beer Sheva (autrefois Bir as Sab’a), Umm al-Hieran est l’un des nombreux villages bédouins dits « non reconnus », disséminés dans cette partie du Néguev qui ne reçoit aucuns services ou infrastructures de base de l’État israélien.
En 2004, la Commission d’urbanisme du district Sud a dévoilé son plan d’ensemble, un plan qui prévoit la totale destruction du village - avec l’expulsion forcée des 150 familles et de ses 1000 habitants environ - et l’implantation, à sa place, de la communauté juive d’Hiran.
Après la démolition de plusieurs structures du village, les habitants d’Umm al-Hieran avec des représentants d’Adalah, le Centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël, et de Bimkom, une organisation d’urbanistes et architectes israéliens, ont déposé un recours devant le tribunal de police de Beer Sheva, en 2008, pour empêcher de nouvelles destructions.
A ce jour, le tribunal de police de Beer Sheva comme le tribunal de district de Beer Sheva, ont débouté les habitants de leur demande, se déclarant incompétents juridiquement pour trancher la question.
« Nous espérons que la Haute Cour (suprême) nous permettra d’interjeter appel et alors nous serons en mesure de défendre le bien-fondé de notre requête » a dit à IPS, Suhad Bishara, l’avocat d’Adalah qui représente les villageois.
« La signification de la décision de ce tribunal (le tribunal de district) est que l’État d’Israël aurait la base juridique - selon l’interprétation du tribunal - pour organiser un système d’apartheid. Vous demandez de déplacer toute une communauté, d’évacuer tout un village, non par nécessité publique d’urgence, mais parce que vous voulez qu’une autre communauté vienne y vivre. Cela n’a aucun sens » analyse Bishara.
Umm al-Hieran a été construit en 1956, peu après que l’armée israélienne ait expulsé ces Bédouins de leurs foyers dans la région de Wadi Zuballa, dans le Néguev. C’était la troisième fois que les habitants d’Umm al-Hieran - qui à l’époque vivaient sous le régime militaire israélien - étaient transférés de force.
Dans un communiqué de presse du 20 avril, Adalah déclare que, « à l’époque, les habitants avaient reçu l’assurance du gouverneur militaire que c’était la dernière fois qu’on les obligeait à partir de leur village ».
Aujourd’hui, seul un chemin de terre, facile à manquer, amène les habitants et les visiteurs à Umm al-Hieran, où les maisons de brique et de ciment, perchées sur une colline qui surplombe une vallée étroite, les enclos pour les bêtes, les oliveraies et les réservoirs d’eau, s’éparpillent sur les terres du village.
« Umm al-Hieran a été créé il y a soixante ans » dit à IPS un habitant du village, Salim Abu al-Qian. « Aujourd’hui, il n’y a ni électricité, ni eau. Dans sa politique très dure, le gouvernement a coupé l’eau, juste pour nous obliger à quitter Umm al-Hieran ».
Environ 90 000 citoyens bédouins d’Israël vivent dans des conditions similaires dans les villages « non reconnus » du Néguev. Étant donné que le gouvernement israélien considère les habitants de ces villages comme des squatteurs illégaux, chaque communauté risque d’être démolie.
Le village bédouin « non reconnu » d’Al-Araqib - à quelques minutes seulement d’Umm al-Hieran -, par exemple, a été rasé 19 fois depuis juillet 2010. Et ceci au mépris des procédures juridiques engagées et toujours en cours pour déterminer qui, des habitants ou de l’État israélien, est le propriétaire foncier.
Selon Oren Yiftachel, professeur de géographie et de développement environnemental à l’université Ben Gourion du Néguev, à Beer Sheva, cette vague de destructions est le signe d’un projet plus vaste du gouvernement israélien visant à concentrer les citoyens bédouins sur un minimum de terres au Néguev, et d’implanter, à leur place, des communautés juives.
« L’objectif de l’État est toujours, dans la mesure de ses possibilités, de limiter les Bédouins à des zones restreintes et de judaïser le reste. Judaïser la terre, judaïser les ressources, judaïser le pouvoir, et considérer la plus petite ombre de revendication à l’égalité comme une menace pour cette construction d’un État juif. » déclare Yiftachel.
Et il ajoute que dans le cas d’Umm al-Hieran, la communauté juive d’Hiran prévue - qui accueillera entre 7000 et 10 000 personnes - pourrait très bien être installée sans déplacer les habitants d’Umm al-Hieran.
« Il suffirait de déplacer le plan d’implantation du village juif de 300 mètres, ce qui évidemment est possible puisqu’il n’est pas encore installé. Nous ne pensons pas qu’il y ait besoin d’une colonie juive ici. Mais s’ils tiennent à en mettre une, ils n’ont pas besoin d’éjecter les gens d’Umm al-Hieran », affirme Yiftachel.
Les autorités foncières israéliennes veulent que les habitants d’Umm al-Hieran s’en aillent dans la ville voisine d’Hura, une ville construite par l’État à l’attention des Bédouins, et où vivent déjà environ 16 000 personnes. Pour Abu al-Qian cependant, qui a vécu à Umm al-Hieran toute sa vie, la réalité est que Hura ne répond absolument pas à ses besoins ni à ceux de ses voisins.
« Nous sommes un village rural et un village d’agriculteurs. La vie à Hura n’est pas adaptée à mon style de vie. Je veux vivre là où je vis aujourd’hui. Nous voulons que le gouvernement cesse ses discriminations à notre encontre et obtenir le respect de nos droits », clame Abu al-Qian à IPS.
« (Umm al-Hieran) est mon village. J’y suis né. J’y resterai. Je ne partirai pas. Je vais essayer de défendre mon village, parce que la solution alternative qu’ils veulent nous imposer ne convient pas. »
Originaire de Montréal, Jillian Kestler-d’Amours est journaliste et cinéaste documentaliste. Elle réside à Jérusalem-Est. Son site : http://jilldamours.wordpress.com/
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Umm Al-Hieran, Israël, le 9 mai 2011 - Inter Press Service - traduction : JPP