Rarement une élection présidentielle «jouée d'avance» n'aura apporté autant d'enseignements! Dimanche, les Brésiliens ont très clairement affirmé leur refus d'un retour aux années néolibérales incarnées par José Serra. Le candidat préféré de l'establishment économique et médiatique a dû se contenter du tiers des suffrages exprimés, loin derrière Dilma Roussef. Contrainte à un second tour, la dauphine du président Lula paraît bien partie pour s'imposer le 31 octobre prochain et consolider le camp progressiste sur le continent.
D'ici là, la femme du jour n'est pas celle qu'on attendait, mais bien l'écologiste Marina Silva. Se jouant du «vote utile» comme du poids des partis traditionnels, l'ex-ministre démissionnaire est parvenue à rassembler sur son nom un cinquième de l'immense électorat brésilien. Un troisième camp certainement hétéroclite mais dont l'ampleur souligne le bilan contrasté de l'ère Lula.
Car au-delà de l'emballement médiatique international autour du prétendu «Nelson Mandela brésilien», la folle cote de popularité de Lula au sortir du pouvoir traduit autant ses succès que ses échecs. Si la gauche lui sait gré d'avoir combattu l'extrême pauvreté et les inégalités raciales, la droite apprécie qu'il n'ait que peu modifié la structure économique et politique du pays.
Ce faisant, Lula a disposé de huit années d'une relative tranquillité pour jouer de sa marge de manoeuvre présidentielle, en particulier au niveau international où il a pris ses distances avec Washington.
En revanche, l'ancien syndicaliste s'est bien gardé de tracer les contours d'une alternative politique et économique à moyen terme. Alors que les Etats de la région se révolutionnaient au travers d'assemblées constituantes, la démocratie brésilienne est restée ce modèle de clientélisme et de népotisme avec lequel Lula a su composer.
Economiquement, le pari libre-échangiste du président, son soutien absolu aux transnationales brésiliennes (qualifié parfois de «semi-impérialisme») et le maintien de taux d'intérêts très élevés ont probablement apporté des capitaux à ses projets sociaux. Ils ont aussi amené leur lot de «contraintes» politiques et imposé un type de croissance très dépendante de l'humeur des marchés. L'Argentine (naguère) et le Mexique (hier et aujourd'hui) l'ont expérimenté à leurs dépens.
En négatif, le succès de Marina Silva laisse apparaître une politique «luliste» davantage superficielle que pragmatique, puisqu'incapable de faire primer l'intérêt du plus grand nombre sur les privilèges de l'élite. L'échec de la réforme agraire, la dissémination massive d'OGM et les mégaprojets énergétiques ou miniers dénoncés par l'ex-ministre de l'Environnement soulignent tous la dépendance intacte du Brésil à l'égard du capital transnational.
En soutenant celle qui avait claqué la porte du gouvernement, vingt millions de Brésiliens ont envoyé un message que Dilma Roussef serait bien avisée d'entendre. Moins charismatique que Lula, mais tout aussi vulnérable politiquement, la probable future présidente aura besoin de l'appui de cette base remuante. Elle a quatre semaines pour convaincre et marquer sa différence d'avec son mentor.