Oui, même si ce n'est pas fait pour.
Certaines armes — dites sub-létales — utilisées par la Police nationale comme les lanceurs de balles ou le Taser font régulièrement polémique. Le 8 juillet dernier, Joachim Gatti a perdu un œil après un tir d'une arme de type Flash-Ball. Le réalisateur de 34 ans, qui participait à une manifestation en soutien de squatteurs d'une clinique désaffectée à Montreuil, a porté plainte et l'IGS a été saisie.
Depuis le début de l'année, trois personnes ont déjà perdu un œil, d'autres ont été blessées au visage, suite à des tirs de lanceurs de balle. Y-aura-t-il un mort un jour? Cela n'est jamais arrivé encore mais l'idée inquiète notamment le député communiste Jean-Pïerre Brard qui a «condamné l'utilisation des Flash-Balls par la police» et demandé mercredi au ministre de l'Intérieur «le retrait de cette arme qui peut tuer».
Qu'est-ce qu'un lanceur de balles de défense?
Les médias utilisent la plupart du temps le même terme pour désigner les lanceurs de balle de défense: le Flash-Ball. Cela revient à utiliser le nom de la marque Frigidaire pour un réfrigérateur. Le Flash-Ball désigne une arme spécialement conçu par l'armurier français Verney-Carron. Utilisé par la police depuis 1995, le Flash-Ball va être progressivement remplacé par «le lanceur de balles de 40», en test depuis deux ans déjà, qui a une portée plus lointaine et qui est plus dangereux.
Pour le moment, à Montreuil, c'est probablement un Flash-Ball Super Pro classique qui a été utilisé. Mais, sans confirmation, cela pourrait aussi être un lanceur de balles de défense de 40mm, arme qui a déjà été mise en cause dans une affaire similaire le 27 novembre 2007.
C'est une arme de calibre 44 mm, le modèle utilisé par l'administration française mais aussi par la police de Monterrey au Mexique. A une époque, le canton de Genève, Macao et certaines gardes d'Etat d'Afrique centrale en ont fait l'acquisition. L'arme est classée en 4e catégorie, dans « Les armes dites de défense et leurs munitions ». Considérée par la société Verney-Carron comme «une arme à létalité réduite», elle est toutefois classée dans la même catégorie que le fusil à pompe et est réservée au professionnel. «Le Flash-Ball Super Pro est un peu moins puissant que la première version grand public de 1995, suite aux recommandations du CREL (le centre de recherche et d’études de la logistique de la Police Nationale). Le modèle compact pour les particuliers* est lui deux fois moins puissant», explique Jean Verney-Carron, directeur général de l'armurerie du même nom.
Les munitions
Il y a plusieurs types de munitions. La balle colorante, la balle lacrymogène, les chevrotines en caoutchouc souple et les balles en caoutchouc simple. Le dernier type est le plus vendu et utilisé, c'est le seul qu'a commandé l'administration française. Selon la description du constructeur, «la puissance d’arrêt de la balle est équivalente à celle d’un 38 Spécial et fait le même effet qu’un coup de poing de champion de boxe ». A l’impact, elle s’écrase et répartit sa puissance sur une surface d’environ 35 cm2. Au contraire d'une arme classique, elle ne perfore pas. Le Flash-Ball est efficace jusqu'à une portée maximum de 15m.
Peut-on vraiment tuer avec un lanceur de balles?
Oui, évidemment, on peut tuer avec un lanceur de balles de type Flash-Ball. Comme avec un cutter, un couteau ou un tournevis. A bout portant en pleine tête, dans la tempe ou dans la gorge, il est particulièrement déconseillé de se prendre une balle. Intérrogé en 2006, un expert sour le couvert de l'anonymat avait ainsi estimé qu'«une balle de flash-ball à bout portant dans la pomme d'Adam peut tuer» et ne doit être en aucun cas être utilisé «à moins de 7 mètres».
«A moins d'un ou deux mètres, la jupe de la balle peut-être encore là », explique aussi Jean Verney-Carron. Et donc, potentiellement, être dangereuse. «Mais, ajoute-t-il, je préfèrerai toujours me prendre une balle de notre arme qu'un coup de batte de baseball».Le Flash-Ball a ainsi été conçu pour éviter de tuer par un expert en balistique auprès des tribunaux, Pierre Richert, aujourd'hui décédé. Il avait remarqué tous les problèmes posés aux particuliers qui s'étaient défendu chez eux avec des armes létales et se retrouvés attaqués devant les tribunaux. Le but du Flash-Ball, arme sub-létale, était donc de pouvoir se défendre efficacement sans risque de tuer. Mais il a rapidement plus intéressé les policiers que les particuliers.
C'est l'arme qui va remplacer le «Flash-Ball». Elle n'est pas produite par Verney-Carron mais par des entreprises comme Brugger & Thomet. Elle est en phase de test actuellement mais certaines unités en sont déjà équipées. Comme son nom l'indique, les balles sont d'un diamètre différent, 40 mm. Elle a été réclamée par la police française, après les émeutes de Villies-le-Bel, qui jugeait que la portée de 15m des «Flash-Ball» classiques étaient inefficaces et a demandé des armes plus puissantes pouvant être idéalement efficaces entre 25 et 40 mètres.
Cette arme est létale à moins de dix mètres. La Commission nationale de Déontologie et de la Sécurité, dans un rapport du 8 janvier 2008 indique également qu'«un tir à faible distance (à moins de 10- 15 mètres) accroît considérablement les risques». La disparition du Flash-Ball classique et la généralisation de son usage pourrait donc multiplier les bavures si son utilisation n'est pas plus encadrée.
Comment les policiers sont-ils formés ?
Dèjà en 2008, la Commission Nationale de Déontologie et de Sécurité notait que, dans le cadre d'une affaire d'un jeune qui avait été également sérieusement blessé à l'oeil, des armes potentiellement dangereuses telles le lanceur de balles de défense, a fortiori lorsqu’elles sont dans une phase d’expérimentation, ne devraient être confiés «qu’à des fonctionnaires, dûment habilités et aguerris au maintien de l’ordre, possédant une expérience des situations évolutives et tendues le cas échéant».
Elle observait également «que le stage de formation théorique et pratique suivi par le policier en juin 2007 n’a duré qu’une demi-journée ». Il n'avait tiré que huit fois sur des cibles statiques et ce stage n'a été suivi d'aucun entraînement avant l'incident du 27 novembre. La Commission s’interrogeait «alors sur la compatibilité de l’usage d’une telle arme dans le cadre d’une manifestation qui implique une proximité des manifestants et de la police et leur grande mobilité». Pour Fabien Jobard, chercheur au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales, «on dote la police quotidienne d’un matériel propre au maintien de l’ordre avec un rudiment de doctrine. On croise les doigts en se disant que la greffe prendra».
Quelles armes sont utilisées à part le Flash-Ball?
L'arme est très appréciée par les syndicats de police. Dans une interview au JDD, Paul Le Guennic, secrétaire général d'Unité Police estime ainsi «qu'aujourd'hui, face à la violence, les policiers ont absolument besoin d'une arme complémentaire». Avec à leur disposition un lanceur de balles et un Taser, ils sont très équipés et ont un arsenal répressif bien plus étendu qu'à l'époque où ils n'avaient le choix qu'entre les armes à feux, le gaz lacrymogène et le corps à corps. Mais comme avec le Taser, la tentation est alors souvent grande d'utiliser l'arme abusivement.
Là est tout l'enjeu des formateurs qui doivent faire comprendre aux jeunes policiers que si ces armes ne tuent pas automatiquement, elles peuvent être très dangereuses. A court terme, il reste toujours plus facile de tirer dans le tas pour calmer tout le monde que de discuter.
Par Quentin Girard
*Le Flash-Ball modèle Compact est celui actuellement vendu aux particuliers. La « Vente, acquisition et détention libres, mais interdites aux mineurs. Port et transport interdits, sauf motif légitime », comme l'indique le site de la société Carron. La possession de cette arme doit également être déclarée sur le formulaire Cerfa. Pour un Flash Ball et huit cartouches, il faut compter 467 euros.