Nous sommes restés terrés à la campagne ou bien nous sommes partis loin du béton des villes.
Nous avons refusé d’être esclaves d’un boss..., mais nous sommes restés serviles car intégrés à ce système que l’on ne peut fuir.
Nous avons cherché un bout de terre, parce que nous n’étions pas (tous) nés avec. Toutes les terres sont sous le régime de la Propriété Privée. Il en est qu’elle délaisse et que le temps valorise pour la spéculation, d’autres qu’elle loue, d’autres qu’elle vend.
Nous avons signé de moches baux qui nous engagent à payer régulièrement cette terre que nous nourrissons et qui nous nourrit.
Nous avons dépensé notre sueur et économisé pour payer un lopin. Il nous a fallu garantir et emprunter, et il nous faut désormais rembourser pour bonifier l’action Crédit Agricole. Nous sommes devenus propriétaires de quelques ares difficilement lâchés par ceux qui ne les comptent plus, nous sommes intégrés à la Propriété en restant propriété de l’Argent et de ceux qu’il engraisse.
Nous avons convoité une terre oubliée, cachée par les ronces, et nous l’avons cultivée jusqu’à ce que des bipèdes en costards et en uniformes la saccagent et nous poussent à aller recommencer ailleurs.
On nous a promis la tranquillité, du fric et des droits pour peu que, depuis ce bout de terre loué, acheté, hérité ou squatté-légalisé, nous fassions ce que la loi et l’économie veulent de nous, de notre travail.
On ne nous encore laissé que des non-choix.
On nous a dit qu’il fallait vendre les fruits de la terre et de notre travail, produire parce qu’ainsi nous vivrions mieux et que cela rendrait service au pays.
On nous a dit que pour cela, il fallait respecter encore un certain nombre de règles, faire des calculs, payer des taxes, et toujours tout noter pour que l’on nous contrôle.
Nous sommes des paysans, et souvent des comptables...
Nous sommes des paysans, et souvent des vendeurs...
Nous sommes en concurrence avec ceux qui ont des terres en abondance, avec les « gros » exploitants agricoles qui font trimer ceux qui n’ont rien, parfois pas même le droit d’être là parce qu’ils viennent d’ailleurs.
On nous a aussi loué ou vendu la mécanisation parce qu’il fallait faire du chiffre. Nous avons raqué, seuls ou à plusieurs, pour avoir des machines à traire, des machines à presser les grappes, des machines à écraser les châtaignes, des machines à labourer la terre, des machines à récolter, des machines à planter... Comme nos pairs à l’usine, nous aussi, nous sommes devenus esclaves des machines. Parfois, bien sûr, nous avons refusé l’engrenage, sans doute aussi parce que le relief ou la banque ne nous laissaient pas forcément le choix.
Nous semons les graines qu’ils ont modifiées, sélectionnées pour leurs profits. Nous leurs rachetons sans cesse alors qu’elles ne sont pas adaptées à la terre où elles germent.
Nos vaches sont cirrhosées et se ressemblent toutes, parce qu’on veut faire d’elles des machines à produire du lait. Nos animaux sont obligatoirement fichés, médicamentés, tatoués, vaccinés et bientôt pucés, et c’est peut-être justement pour cela qu’ils sont malades, que les vaches deviennent folles, que les moutons sont brûlés par centaines, que les poules sont enfermées pour prévenir d’une éventuelle épidémie.
Que l’on (se) vende pour l’industrie agro-alimentaire ou sur le marché du coin, on nous impose des normes à respecter parce que ce qui est vivant est trop incontrôlable. Il faut pasteuriser et javelliser les fromages, traiter voire irradier les fruits... Même le taux de sucre de la confiture doit être mesuré précisément. Nos bêtes, il faut qu’on les amène dans les abattoirs pour que l’on contrôle leur traçabilité et que des machines les massacrent en nombre. Il faut aussi les faire inséminer artificiellement...
On nous vend la poudre blanche, la poudre bleue, la poudre jaune..., pour accroître le rendement des terres, empoisonner les plantes et animaux nuisibles. Il est avéré que c’est aussi du poison pour nous, pour la terre et pour tout ce qu’il reste de vivant.
On nous vante le mérite du Bio : un nouveau marché pour lequel il faut revenir à ces méthodes qu’on nous avait présentées comme dépassées, mais qui permettent de vendre plus cher pour que les plus riches, eux, ne s’empoisonnent pas. Il faut intégrer soit des « labels » pour lesquels il faut payer pour pouvoir se faire contrôler, soit des « mentions » pour autogérer notre propre contrôle et notre propre marketing. Des solutions éco-industrielles pour que le Bio lui aussi soit productif et rentable arrivent, et nous restons encore une fois sur le carreau.
On nous transforme par ailleurs en paysagistes de leurs parcs à touristes, de leurs vitrines du développement durable, ouvriers du paysage-marchandise.
Nous devons repasser les draps des cadres en vacances, servir le repas terroir et, bien sûr, jouer pour eux le rôle de cette nostalgique et rustique paysannerie des temps perdus, ou bien celui d’illuminés qui vivent sobrement, décroissemment, coolement, comme si nous étions en dehors du monde, perchés sur les montagnes et penchés béatement sous le cul des chèvres... Comme si notre travail était toujours un plaisir, comme si la misère de notre vie et celle du reste du monde nous laissaient indifférents...
Nous aussi, les banquiers nous sucent le sang. Nous aussi, nous tirons la gueule quand les factures arrivent. Parfois, nous ne pouvons pas nous permettre de manger ce que nous produisons parce que les « éco-produits labellisés luxe terroir » ne sont pas pour les petites gens. Parfois, le marché nous oblige à brader nos productions sans se soucier de nous voir crever.
Nous aussi nous nous contentons de survivre, faute de mieux.
Nos faits et gestes sont surveillés.
Nous sommes les larbins des riches.
Nous sommes esclaves de cette société, de son argent et de ses lois.
Nous sommes des paysans de la classe d’en bas.
Allons-nous rester éternel-lement soumis ?
Nous ne voulons plus, nous ne voulons pas, être ces paysans-là parce que nous ne voulons pas de ce monde-là !
Ne soyons pas leurs paysans pas plus que leurs ouvriers, leurs routiers, leurs maçons, leurs employés, leurs prostitués..., ni les allocataires ou les mendiants de leurs quelques miettes...
Finissons-en avec ces cases et ces séparations entre ceux qui subissent les conditions d’exploitation.
Cultivons la révolte partout sur cette terre.
Faisons partie de ceux qui se battent contre ce que l’on nous présente comme indépassable. Le cul par terre, la tête dans les étoiles.
Mars 2010.