La pitoyable affaire Hortefeux n'a pas retenu l'attention des commentateurs sur l'un de ses aspects les plus inquiétants, la critique d'Internet. Les pourfendeurs de la liberté d'expression sur la Toile ont en effet, une nouvelle fois, profité d'un débat public pour jouer leur petite musique insidieuse, espérant préparer les esprits à de futures restrictions de leur liberté d'expression.
Ainsi, Jean-François Copé affirmait le 14 septembre sur France2 : “Je crois que l’on a oublié quelque chose de très important qui touche notre profession (la politique) et la vôtre (le journalisme) : Internet”, ajoutant : “Il faudra un jour ou l’autre que l’on assume un débat public sur Internet et la liberté.”
Analysons de près cette déclaration, plus révélatrice qu'il n'y paraît en première lecture. Qui en effet a filmé la séquence où Brice Hortefeux exprime des propos controversés sur les militants UMP d'origine arabe auvergnate ? Une chaîne de télévision, Public Sénat. Et qui a refusé ensuite de la diffuser à l'antenne ? Public Sénat. Qui a permis qu'elle sorte de la censure journalistique pour être portée à la connaissance du public ? Internet.
Après le reportage bidonné de France2 sur Luc Chatel dans un supermarché, après la visite truquée d'une usine par Nicolas Sarkozy, au lieu de s'indigner d'un nouvel acte de censure, ou d'auto-censure de la part d'une chaîne de télévision publique, Jean-François Copé a préféré s'en prendre à la Toile, qui a joué le rôle démocratique que n'assument plus les médias. C'est là que l'affaire devient très intéressante.
Quand la plupart des journalistes se taisent, cachent ou déforment la réalité, seule la Toile ose bousculer les puissants. C'est précisément cela qui dérange le système en place, qui s'est exprimé pour l'occasion à travers l'un de ses représentants, Jean-François Copé.
Ce n'est pas la première fois que des piliers du système partent à l'assaut d'Internet, prenant pour prétexte la lutte contre la pédophilie ou le terrorisme afin de réclamer une "régulation d'Internet".
Nadime Morano par exemple est coutumière de ces attaques contre la Toile, elle qui déclarait en 2008 sans craindre le ridicule "Internet, c’est comme une magnifique voiture de course. Si vous n’avez pas votre permis de conduire et que vous ratez un virage, c’est la mort. Il en va de même sur la Toile."
Autre pourfendeur de l'Internet libre, Frédéric Lefebvre, qui tente régulièrement au parlement de faire voter des amendements liberticides. Ainsi, en novembre 2008, il proposait, heureusement sans succès, qu'au nom "de la protection de l'enfance et du respect de la dignité humaine", le CSA soit en charge de "la labellisation et de la régulation de tous les sites incluant des contenus audiovisuels créés par les utilisateurs". Fini les vidéos pour nous rafraîchir la mémoire quand les médias sont défaillants, fini les conférences et interviews en ligne de ceux qu'on ne voit jamais sur le petit écran, fini la créativité militante. Mais quel monstre oserait s'opposer à une si noble cause, "la protection de l'enfant et le respect de la dignité humaine" ?...
La gauche du système n'est pas en reste. Philippe Val, patron de Charlie Hebdo et nouveau directeur de France Inter selon la volonté de Nicolas Sarkozy, a toujours détesté la Toile. Déjà en 2001, il écrivait : "Qui est prêt à dépenser de l’argent à fonds perdus pour avoir son petit site personnel ? Des tarés, des maniaques, des fanatiques, des mégalomanes, des paranoïaques, des nazis, des délateurs, qui trouvent là un moyen de diffuser mondialement leurs délires, leurs haines, ou leurs obsessions. Internet, c’est la Kommandantur du monde ultra-libéral. C’est là où, sans preuve, anonymement, sous pseudonyme, on diffame, on fait naître des rumeurs, on dénonce sans aucun contrôle et en toute impunité. Vivre sous l’Occupation devait être un cauchemar. On pouvait se faire arrêter à tout moment sur dénonciation d’un voisin qui avait envoyé une lettre anonyme à la Gestapo. Internet offre à tous les collabos de la planète la jouissance impunie de faire payer aux autres leur impuissance et leur médiocrité. C’est la réalité inespérée d’un rêve pour toutes les dictatures de l’avenir."
François Hollande n'a jamais non plus goûté aux délices de la liberté sur Internet. Plusieurs fois, il a exprimé son désir de voir cette liberté encadrée.
Précisons qu'Internet n'est pas un espace en dehors des lois. Contrairement à ce que tentent de faire croire les "régulateurs de la liberté d'expression", la Toile est soumise aux mêmes lois que celles qui régissent l'expression publique en général, à savoir l'interdiction de l'injure, de la diffamation et l'obligation de ne pas contester un certain nombre de vérités historiques officielles.
En réalité, si Internet dérange, c'est parce qu'il est le dernier espace de la liberté de l'esprit, le seul endroit où la contestation et la diffusion d'idées non conformes est encore possible. Quand un nombre croissant de citoyens éteignent leur téléviseur, referment leur journal, dégoûtés par la bien-pensance généralisée et la complaisance avec le pouvoir et ses amis, c'est Internet qui fait office de refuge.
C'est évidemment sur la Toile, et nulle part ailleurs, que les vrais débats aujourd'hui ont lieu, que les idées bouillonnent, que l'information circule.
Prenons garde de ne pas perdre subrepticement, sous des prétextes moraux, notre liberté d'informer, de débattre, de convaincre, de lutter. Il faudra être très vigilant vis-à-vis de tout ce qui se fera dans le cadre de la loi Hadopi 2, il faudra aussi surveiller le parlement européen, régulièrement secoué de cette même volonté de contrôler Internet de très près, comme nous l'avions révélé il y a quelques temps.
Surtout, il faut à tout prix éviter que ne s'installe dans l'esprit d'un nombre croissant de Français l'idée qu'Internet = danger, loi de la jungle. C'est ce que cherchent à l'évidence les ennemis de la liberté sur la Toile, à coup de déclarations qui vont toujours dans le même sens, et profitant de n'importe quelle affaire pour servir ce discours.