16 ans après le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, et un peu plus de 11 ans après la Mission d’information parlementaire de 1998 [1], l’essentiel de ce que l’on sait aujourd’hui du soutien que des dirigeants politiques et militaires français de l’époque ont apporté aux génocidaires – avant, pendant, puis après le génocide – l’est grâce au travail de quelques chercheurs, associations et citoyens.
L’Etat français, quant à lui, utilise le déni et le secret défense, et espère avec le temps enterrer la vérité et la justice. Comme pour le rôle du régime de Vichy dans la déportation des Juifs, nié pendant 50 ans. Comme pour le rôle de l’Etat français et de hauts gradés dans l’institutionnalisation de la torture en Algérie.
Il est clair aujourd’hui que la France a soutenu politiquement et diplomatiquement les génocidaires, qu’elle leur a fourni armes et entraînement militaire, qu’elle les a laissé se financer, qu’elle les a aidé à échapper la justice (cf. annexe). Aucun présumé génocidaire présent sur le sol français n’a encore été jugé.
16 ans après, il reste de nombreuses zones d’ombre afin de comprendre comment un tel soutien a pu avoir lieu. Aucun homme politique français n’a eu à rendre de comptes. Aucune conséquence n’a été tirée quand au fonctionnement de nos institutions, alors même qu’il a permis au pouvoir de soutenir ceux qui commettaient un génocide. Quand au récent rapprochement entre la France et le Rwanda, il s’apparente à un donnant-donnant indigne : une amnésie voulue et une auto-amnistie réciproque concernant d’une part les crimes commis par le Front patriotique rwandais (FPR au pouvoir) au Rwanda et en République démocratique du Congo (RDC), et d’autre part le rôle de la France pendant le génocide.
Pour rappel, d’un point de vue juridique, « un accusé est complice de génocide s’il a sciemment et volontairement aidé ou assisté ou provoqué une ou d’autres personnes à commettre le génocide, sachant que cette ou ces personnes commettaient le génocide, même si l’accusé n’avait pas lui-même l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie le groupe national, ethnique, racial ou religieux, visé comme tel [2] ».
L’association Survie rappelle qu’une instruction est en cours au Tribunal aux armées de Paris (TAP), suite à une plainte contre X pour des faits qu’auraient commis des militaires français contre des Rwandais : personnes jetées intentionnellement depuis des hélicoptères, viols, maltraitances, génocidaires non désarmés qui continuaient leur œuvre. Or le gouvernement a refusé de lever le secret défense sur une partie des documents dont la déclassification a été demandée par l’instruction. Que contiennent-ils de si compromettant ? En quoi la défense nationale serait-elle en danger du fait du contenu de documents vieux de 16 ans ?
Par ailleurs, de nouveaux éléments viennent d’apparaître, notamment suite au travail du journaliste Jean-François Dupaquier dans la revue XXI ou celui de Serge Farnel, repris dans le Wall Street Journal : selon de nombreux témoignages concordants, des militaires français auraient été présents mi-mai 1994, soit un mois avant l’opération Turquoise, et auraient aidé à débusquer les Tutsi qui se cachaient.
L’association Survie demande à l’exécutif et aux parlementaires français :
la levée du secret défense concernant tous les éléments liés à l’action de la France au Rwanda et vis-à-vis des génocidaires
plus généralement, l’ouverture au public de l’ensemble des archives
la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire
De nombreux présumés génocidaires continuent de vivre sur le sol français. De nombreuses instructions sont en cours, la première plainte remontant à 1995, sans qu’aucun de ces présumés génocidaires n’ait encore été jugé. Aussi, l’association Survie demande à l’exécutif et aux parlementaires français :
de permettre aux instances judiciaires de faire avancer le plus rapidement possible le dossier des présumés génocidaires
de faire en sorte que ce soit l’Etat français qui s’investisse enfin dans la recherche de présumés génocidaires, alors que pour le moment tout ce travail n’est réalisé que par des associations
de répondre aux sollicitations de l’ONU pour l’identification des soutiens aux Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) [3]et d’empêcher que cette organisation puisse communiquer ou œuvrer depuis la France
Survie demande enfin que le pouvoir politique français tire les leçons de ce qui s’est passé et réalise les changements qui s’imposent dans le fonctionnement de nos institutions. Le rapport des députés (qui date de 1998) et leurs principales recommandations ne sont toujours pas mises en application, notamment la plus importante : l’instauration d’un véritable contrôle parlementaire sur la politique étrangère de la France, tout particulièrement sur le plan militaire. Le refuser reviendrait pour le président de la République, le gouvernement et les députés à considérer que les « graves erreurs d’appréciations » et les « erreurs politiques » commises – pour n’en rester qu’à ce qui a été reconnu officiellement par Nicolas Sarkozy à Kigali en février dernier – n’ont finalement pas d’importance... Il y a un devoir de changer le fonctionnement des institutions.
Lire aussi l’article de Survie paru dans Politis le 11 février 2010
[1] Cette Mission avait commencé à soulever le voile sur le rôle de la France pendant le génocide mais n’a pas pu faire le travail qu’aurait pu réaliser une Commission d’enquête parlementaire qui dispose de plus de pouvoir d’investigation.
[2] Définition du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui s’applique en droit français en vertu de la loi d’adaptation de mai 1996 qui donne compétence aux tribunaux français pour appliquer les statuts du TPIR.
[3] Forces extrémistes hutu regroupant de nombreux génocidaires et présentes dans l’est de la RDC.