J’ai commencé ma chronique de la semaine dernière par ces mots :"Nous savons tout ce qui s’est passé à Guantanamo". J’avais tort. Grâce aux journalistes de Toronto - jusqu’à ce qu’on leur interdise l’accès de la Cour Martiale de Campagne qui tient lieu de "justice" à cet endroit exécrable - j’en ai appris beaucoup plus.
Etant donné qu’il s’agit d’un citoyen canadien et que le gouvernement canadien ne fait rien pour son ressortissant prisonnier, le cas a été très médiatisé de notre côté de l’Atlantique. Et c’est très bien.
Omar Khadr avait 15 ans quand il a soi-disant (je vais devoir utiliser "soi-disant" tout au long de cet article car il ne s’agit pas d’un procès équitable) tué par balles un soldat des Forces Spéciales Américaines dans l’est de l’Afghanistan en juillet 2002. La semaine dernière, un ancien militaire du nom de Damien Corsetti et surnommé "Le Monstre" à la prison de Bagram où régnaient la terreur et la torture, a reconnu dans une vidéo présentée devant la "Cour de justice" de Guantanamo que Khadr avait été ligoté dans une cage "dans un des pires endroits de la terre". "Nous pouvions quasiment faire tout ce que nous voulions pour terroriser les prisonniers" a déclaré Corsetti.
Il était interdit de battre les prisonniers a précisé "Le Monstre", mais on pouvait brandir des "menaces cauchemardesques" comme de les remettre à l’Egypte ou à Israël où, selon le Globe canadien ou le Mail "ils disparaîtraient". Ce qui en dit long sur Israël. Ou sur ce que les Américains pensent d’Israël. Et sur l’Egypte aussi quand on y pense.
Je dois ajouter que Monsieur Khadr, qui a maintenant 23 ans, était gravement blessé quand il a été amené à Bagram. Comme le dit Monsieur Corsetti "C’était un gamin de 15 ans avec trois trous dans le corps, et des éclats d’obus dans la visage". Le personnel de Bagram (les gardes et ceux qui menaient les interrogatoires) l’avaient surnommé "Chevrotine Bob". Spirituel, n’est-ce pas ?
Je dois aussi ajouter que Monsieur Corsetti n’a pas maltraité Monsieur Khadr. Il a été plus tard acquitté des charges d’abus sur des détenus (dont ne faisait pas partie Khadr) et maintenant il se décrit comme un vétéran handicapé qui suit un traitement pour troubles de stress post-traumatique. En d’autres termes, ce témoin a été un vrai coup de chance pour les avocats de la défense, mais pas pour le gouvernement canadien qui a demandé à l’administration d’Obama de taire le fait que Khadr, en 2003 et 2004, avait fourni des renseignements à des représentants officiels du Département des Affaires Etrangères et à des agents des Services Secrets et des Services de Sécurité Canadiens (CSIS pour ceux que ça intéresse).
La Cour Suprême Canadienne (que j’apprécie car elle semble équitable) a déjà statué que les conditions dans lesquelles Khadr était emprisonné quand le CSIS l’a interrogé "constituent une violation sans équivoque des droits humains internationaux par le Canada".
Un sergent Américain, Joshua Claus, a-t-on découvert pendant les auditions à Guantanamo, avait aussi interrogé Khadr sur ses liens avec les Talibans. Il fut plus tard reconnu coupable d’abus sur les détenus (quoique pas sur Khadr). Claus a aussi avoué qu’il avait violenté un chauffeur de taxi innocent nommé Dilawar qui est mort pendant sa détention à Bagram.
Nous connaissons l’identité de Claus parce qu’il a donné des interviews à la presse, entre autres. Selon le Star de Toronto, en 2008, il a déclaré que ses employeurs précédents "avaient essayé d’insinuer qu’il avait battu et torturé tous ceux à qui il avait parlé". "Omar", a-t-il dit,"a été ma première affaire importante. J’ai passé avec lui beaucoup de temps pour essayer de comprendre qui il était et ce que je pouvais lui dire ou faire pour lui, que ce soit lui apporter de la nourriture supplémentaire ou une lettre de sa famille." Il y a eu beaucoup d’autres révélations à ces auditions, par exemple celle de la technique "terroriser-rassurer" : "terroriser" incluait la menace d’être violé par "quatre grands noirs".
Bref, une autre récit horrible et obscène sur Guantanamo. Mais attendez. On ne peut pas laisser la presse s’emparer d’horreurs pareilles n’est-ce pas ? Surtout si l’on sait que le propre gouvernement de Khadr ne fera rien pour lui. Alors écoutez bien. Le Pentagone a annoncé que plus de la moitié de la presse canadienne - y compris le Globe, le Mail et le Star seront désormais interdits de couvrir les "procédures judiciaires" de Guantanamo parce qu’ils ont dévoilé que Claus menait des interrogatoires, alors que son nom n’avait pas été rendu public à Guantanamo. Bien que ce soit Claus lui-même qui se soit dévoilé dans des interviews qu’il avait données il y a deux ans. Vous y êtes ?
L’information tombée dans le domaine public redevient confidentielle quand elle n’a pas été fournie par le tribunal de campagne à Cuba (Oui, n’oublions pas que Guantanamo est dans ce foutu Cuba). Le Pentagone ne s’est même pas donné la peine d’appeler les reporters concernés, ils ont envoyé des Emails, pour couper court à toute protestation, car il aurait pu y en avoir n’est-ce pas ?
De la justice ? Nous n’en trouverons pas dans cette Cour de justice là. Le père de Khadr était un membre important d’al-Qa’ida. Des médecins américains lui ont sauvé la vie (il y a quelques bonnes personnes dans ces guerres) mais il a été torturé sans l’ombre d’un doute ; et le Canada, (et là je cite les excellents éditoriaux du Globe et du Mail) a participé à ces abus de manière aussi illégale qu’hypocrite. Il a communiqué les résultats de ses propres interrogatoires de Monsieur Khadr à l’accusation à une époque où les informations obtenues sous la torture étaient admises par les commissions militaires.
C’est dommage, mais nous n’entendrons plus beaucoup parler de ce procès, en tous cas pas au Canada. Depuis, le Star, le Globe et le Mail n’ont fait aucune allusion à l’identité de Claus. Ce n’est pas surprenant je suppose. Mais souvenez-vous, moi je vous l’ai dit.
Robert Fisk Ici
TEXTE ORIGINAL http://www.independent.co.uk/opinio...
Traduction D. Muselet