N’étant ni vénézuélien, ni présent sur place, je clique, via mon ordinateur sur les liens des versions web des grands journaux proposés par Google Actu en ce lundi 27 septembre 2010. Et oui, nous dit-on, il faut se tenir informés. C’est important de lire la presse. Pardon, que dis-je ?! C’est important, de lire la vérité. Ça produit de l’échange, du lien social, et génère une meilleure compréhension du monde, ce qui est capital dans une société mondiale à l’avenir instable, nous dit-on même dans les amphis.
Comme nous savons, maintenant que l’information à l’ère numérique de la communication où les idées doivent se diffuser rapidement pour qu’un organisme de presse soit rentable, nous devrions aussi savoir qu’il est possible, au demeurant, que ce qu’on lit est toujours orienté voir tronqué. Qu’un article peut être truffé de manière consciente ou inconsciente de raccourcis idéologiques ou professionnels, par soucis déontologique d’autocensure du journaliste. Alors, puisque le temps s’offre à moi en cette journée ensoleillée d’automne, voici que je me lance dans la lecture des journaux français les plus connus, pour comparer la manière dont le même sujet sera traité par tel ou tel organisme d’information (parler d’information a autant de sens que d’affirmer qu’un journaliste exerce librement sont métier en France en 2010).
Ce, tout en se disant que derrière chaque paragraphe, se cache un mécanisme inconscient de manipulation des cerveaux. Ce rouage, latent, -apparu dès la naissance de la presse sous Napoléon Ier, dont nous sommes tous habitués dans une France apôtre d’un journalisme libre, indépendant et démocratique et qui ne formate pas l’opinion publique-, n’a jamais été aussi bien huilé que dans nos temps contemporains. L’actualité de ce jour, pour qui a décelé la brèche dans la coque de la duperie communicative, permet en beauté d’assister lamentablement au concert antisocialiste de la grande presse française, dont les plus grands industriels et marchands d’armes dirigent les entreprises si consciencieuses du journalisme d’investigation…
Voici donc, après ces palabres introductrices numérisées sous forme de cri de gueule d’un chien enragé à qui on enlève l’os de la bouche, voilà que je déplie la couverture médiatique, et stupeur ! Que vois-je ? Les résultats des élections législatives vénézuéliennes traités par les journaux de référence. Classe, il se passe quelque chose en Amérique Latine ! Ca va plaire à la jeunesse dorée française ça, celle qui n’aime pas Chavez, mais qui pourtant est de sensibilité de gauche modérée, militante au PS contre Sarkozy mais sans savoir pourquoi parce que finalement il augmenté le salaire de papa.
Ces journaux de références, donc, ceux qui ne sont pas taxés de désinformation subjective, et annoncés comme autant de lecture fortement conseillée pour avoir un esprit critique, à savoir Libération, Rue89, Le Figaro, L’Express, Le Monde, Nouvelobs, sont autant de canards considérés tant ici-bas comme des journaux idéologiquement différents. Après la lecture de trois ou quatre articles, (ce genre de papier sur les élections au Venezuela ne doit surtout pas être trop long, il ne faut pas en dire trop, mieux vaut occuper le temps de cerveau disponible avec un amoncellement de faits divers à fortes émotions), on jette la couverture, elle est moisie. Le vocabulaire, les recopiages intacts de paragraphes entiers, les références historiques, économiques et politiques du pays erronées, messages mensongers et insidieux, tout y est.
Tous les journaux, même rue89, qui s’affiche journal militant pour une meilleure information, parlent de la fin de l’hégémonie du Parti socialiste de Chavez, en décrivant une percée de l’opposition suite à cinq années où le pays fut dirigé sans opposition (normal, la droite avait boycotté les élections, comme le PS en France l’a déjà fait à l’Assemblée...). Parle-t-on de l’hégémonie sarkozyste dans la presse française ? Si un certain F. Fillon affirme que notre hyper-président n’est pas son mentor, on se demande pourquoi déclare-t-il de telles allégations, puisqu’aux yeux de la presse, et puisqu’ensemble tout est possible, la majorité UMP a été démocratiquement élue par les français (53% de 20 millions de suffrages exprimés, ce qui fait peu de français). Ah pardon, j’avais, en lisant que la gouvernance de Chavez se déroule sans parti d’opposition à l’Assemblée depuis 2005, commis la faute de remplacer les noms Chavez par Sarkozy à deux années près.
Même si le fait que les suffrages exprimés en faveur du PSUV soient moins nombreux qu’en 2005 était vrai, c’est la manière d’aborder le sujet par les journalistes qui est critiquable.
Depuis douze ans que Chavez est au pouvoir au Venezuela, il est très récurrent de lire que ce dernier se comporte comme un despote, un dictateur qui opprime sa population et qui nargue les économies du monde après avoir nationalisé ses entreprises, un chef militaire anti démocratique qui tente d’instaurer un pouvoir hégémonique à vie. Mitterrand, siégea à l’Élysée pendant quatorze ans…
Simple détail à rappeler, c’est qu’il est une question d’enjeux idéologiques et politiques que de proférer des attaques contre le Venezuela (ou la Bolivie, l’Equateur), plutôt qu’une question de réflexion autour de la gestion publique de son pays et de sa population. Je ne suis jamais allé en Amérique Latine, je ne peux donc avancer l’idée que le peuple vive bien sous le régime socialiste de Chavez, ni même qu’il est un bon président. Et le jugement personnel le plus approprié que je puisse avoir à propos d’un quelconque régime ne concerne que mon pays, ou ce que j’observe de moi-même à l’étranger, non ce qu’on nous dit d’un pays étranger dans un quotidien ou je ne sais quel autre hebdomadaire à grand public.
Mais il semble tout de même que les journaux occidentaux du monde capitaliste ont pour rôle de détourner l’information concernant chaque pays où un modèle économique différent a été mis en place, afin que l’opinion publique pense fidèlement et fermement que notre économie de marché capitaliste et libérale est la moins pire, voire la mieux. Question de séduction idéologique. D’ailleurs, contemplez la beauté cynique avec laquelle Le Figaro précise qu’il serait mieux que les vénézuéliens choisissent un président libéral, qui, lui, ferait fonctionner l’économie et la sécurité : "Le pays est régulièrement victime de pannes de courant électrique. Le Venezuela est le seul pays d’Amérique latine en récession malgré ses richesses pétrolières et il connaît une inflation de 30 %. Enfin, la violence atteint des niveaux terrifiants, avec deux morts par balle chaque heure !" L’art de réunir en une seule phrase trois problèmes différents, inhérent à chaque société, explicables par de multiples variables économiques et sociologiques, et n’ayant aucune relations étroites entres-elles pour les analyser. Mais ça marche.
Une autre phrase est intéressante : "Les médias gouvernementaux accordent une très large place à la propagande officielle." Ça se passe de commentaires…Heureusement qu’en France, nous avons des médias privés et indépendants, nous la propagande, on ne connaît pas ! C’est quoi d’ailleurs la propagande, un truc de gauche ?
A propos, plutôt que de parler du "score" du parti au pouvoir, les colonnes traitent de celui de l’opposition. Ce procédé rédactionnel de placer dans la phrase en premier lieu "la percée de l’opposition" et non le résultat du dépouillement de la classe politique au pouvoir, met bien en exergue quelle prédominance politique serait préférable à leur yeux, ou plutôt, les articles laissent à penser que leurs rédacteurs se féliciteraient d’un changement de couleur politique en 2012. Bref, lorsqu’il y a une élection Vénézuélienne, les journaleux se penchent sur les suffrages de l’opposition (c’est à dire, les partis néolibéraux, paillassons des États-Unis) et se félicitent d’une perte de " l’hégémonie de Chavez" qui aurait eu "une victoire en demi-teinte". Et cela se vérifie d’un journal à l’autre, du Figaro à Libération, en passant par Le Monde ou Le Nouvelobs.
De plus, d’un torch**journal à un autre, les phrases et paragraphes sont copiés-collés, mêmes mots, mêmes phrases. Ce n’est pas difficile d’écrire et signer un article en France aujourd’hui, et d’être payé à la fin du mois. Il suffit pour ce faire, de recopier les hiéroglyphes de l’AFP. Le journalisme du 21ème siècle n’analyse plus l’information, et l’on ne s’en cache pas : « …selon l’AFP », peut-on lire à la fin des citations des dirigeants. Petit exemple parmi tant d’autres : dans la plupart des articles lus traitant du sujet, on retrouve la phrase "Le Conseil national électoral (CNE) n’a pas diffusé la proportion des voix recueillies par les différents blocs, mais des candidats ont revendiqué 52 % des voix pour l’opposition, ce qui voudrait dire qu’elle aurait perdu la majorité tout en obtenant plus de suffrages."... (Libération, Le Figaro, Le Monde) merci l’AFP, de faire gagner du temps à la circulation des informations…et donc de l’argent aux patrons de presse Dassault, Bolloré, Arnault et Lagardère !
Le PSUV perd des sièges, avec 66% de participation, il obtient ("seulement") 90 sièges PSUV sur 165. Soit. En comparant avec nos élections ici en France, sans vouloir tomber dans le travers d’un panégyrique pro-Chavez, quand il y a plus de 66% de participation, ce qui n’arrive jamais, et que l’UMP obtient 55% des voies, les mêmes journaleux scandent le "triomphe de la démocratie", et (non pas la percée de l’opposition, mais) la confirmation par le peuple qu’il est heureux de la politique de l’UMP. Et pas un mot sur les partis dits d’opposition français muselés par le pouvoir. Lorsque les ténors du parti socialiste vénézuélien scandent que « le peuple a parlé », c’est de la propagande d’État.
Lorsque les Copé, Bertrand, Fillon et compagnie disent la même chose au micro un soir de 2007 (la dernière fois qu’ils aient remporté une élection législative…), c’est une victoire légitime de la citoyenneté. Rappelez-vous, c’était il y a trois ans, où l’hémicycle se remplissait à 54% de costumes bleus sur la droite…Il s’agissait d’un sursaut démocratique en France, grâce à 60% de participation politique au vote. C’est bizarre, mon esprit, d’un coup, ne parvient pas à saisir pourquoi alors, un parti vénézuélien remportant 55% des suffrages exprimés avec une participation de 66.5%, est le résultat d’un plébiscite dans une dictature autoritaire. Vous, voyez-vous ? Ah oui, suis-je bête, la presse est jalouse de ne pas voir la France faire partie de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole !? Plus sérieusement, elle a intérêt, comme pendant la Guerre Froide, à ce que les régimes socialistes d’Amérique du Sud soient renversés, que des dictatures néolibérales et pourquoi pas des régimes militaires remplacent Chavez en 2012 afin que Dassault puisse continuer d’inonder en armes les pays les moins riches, et ensuite expliquer au Figaro que l’insécurité règne en Amérique Latine.
Un événement politique à graver dans l’histoire de la propagande française ! Si l’on considère le Venezuela comme une dictature, que l’on en fasse de même pour la France !
Voila j’ai éteins la page Google-actu, je suis rassuré, l’opposition gagne du terrain au Venezuela, belle et bien en route pour chasser par les urnes (ou la rue et l’insurrection) un hyper-président autoritaire, démagogique, populiste et harangueur de foules. Et en France ?
Samuel Métairie
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