BERNARD, NI DIEU NI CHAUSSETTES
Sur les bords de Loire, Bernard Gainier continue bon gré mal gré à cultiver sa vigne et à partager son vin entre amis au « Bureau », sa cave. À 73 ans, il a toujours vécu seul et reste fidèle à un mode de vie rural qu’il a toujours connu. Bernard est un gardien de la mémoire. Celle du poète local Gaston Couté, héritier de François Villon, qui connut son heure de gloire dans le Montmartre de la Belle Époque.
Les deux hommes, qu’un siècle sépare, ont en commun des idées libertaires et la volonté de témoigner de la condition paysanne des plus humbles. Depuis 25 ans, Bernard écume les salles des fêtes de la région pour faire entendre les textes du poète écrits dans sa « langue maternelle », le patois beauceron.
En 2009, il a enregistré son premier CD en solo, une consécration qui le laisse de marbre… « J’chu d’abord un pésan ».
Bernard, ni Dieu ni Chaussettes de Pascal Boucher n'est ni un énième documentaire sur une paysannerie éteinte, un monde révolu dont on voudrait à tout prix conserver la trace, ni un ersatz des Profils paysans de Depardon. Il s'agit ici d'un film singulier qui nous montre la vie et le quotidien de Bernard Gainier, paysan beauceron à la retraite mais également paysan anarchiste et surtout un des derniers « diseux » donnant encore à entendre la poésie de Gaston Couté.
Poète libertaire et chansonnier mort à 31 ans au début du 20ème siècle, Gaston Couté, en digne héritier de François Villon, décrit la misère et la dureté de la vie des gens de la terre. Né à Beaugency, à côté de Meung sur Loire où vit Bernard Gainier, en Beauce, il commença très tôt à composer en patois et connut son heure de gloire dans les cabarets parisiens, tout en poursuivant parallèlement une activité de journaliste dans les journaux anarchistes La barricade et surtout La guerre sociale. Bernard se sent compagnon de révolte du poète anarchiste qu’était Couté ; sur les murs de sa maison délabrée sont punaisés pour toute décoration des slogans syndicaux.
Paysan à la conscience politique très à gauche, réfractaire à toute forme d'ordre et de pouvoir, antimilitariste et anticlérical, il explique que la naissance de ses convictions anarchistes date de la guerre d'Algérie par le biais d'un camarade d'infortune. Il n'est pas un « bouseux » mais s'inscrit en héritier des « peineux », de cette condition paysanne pauvre et laborieuse qui a usé son corps à travailler la terre. Réfractaire au bourgeois, au rupain « qu'est comme du chien dent, ça r'pousse tout l'temps », au propre sur lui, au beau parleur méprisant les petites gens pour leur saleté et parce que ce sont des « peignes-culs ».
Il a Gaston Couté chevillé au corps, comme un frère, il en est le porte-parole qui continue à dire cette poésie écrite en patois, sa « langue maternelle ». Il est connu et reconnu pour cela, il se produit sur scène avec un groupe, Le Ptit crème, il vient même de sortir un CD. Les répétitions se font dans la grange mais également dans ce qu'il appelle son bureau, c'est à dire la cave, où il sert le vin qu'il produit lui-même sur quelques arpents de vigne. Il sillonne aussi les écoles du coin pour parler de Gaston Couté, sans langue de bois. On savoure d'ailleurs la scène où en visite dans un collège il explique aux collégiens présents que les lois sur l'instruction publique ont servi avant tout à préparer des milliers d'écoliers pour la guerre de 14-18 ! Drôle de rencontre.