• LE PRINCE CHANGE DE PEAU


    Italie
    Le Prince change de peau




    Gorka Larrabeiti

    Traduit par  Esteban G.


    Les serpents changent de peau périodiquement. En retraçant l’histoire récente de l’Italie, et en voyant ce qui se passe depuis quelques mois, on a l’impression que le Prince aussi, ce pouvoir occulte qui domine, comme le prétend Roberto Scarpinato, l’histoire de l’Italie de toujours est en pleine mutation ou change d’apparats.

    Véase: 
http://harpo.blogcindario.com/2008/04/01126-el-padrino-iii.htmlOn sait que le bras droit de Berlusconi est condamné en Cour d’Appel à sept ans de prison pour complicité avec la mafia ; plusieurs ministres ont été démis de leur fonction pour corruption ; un « réseau gluant » de corruption a été découvert dans lequel sont impliqués ministres, hommes politiques, chefs d’entreprises, juges, haut prélats, agents des services secrets et journalistes ; on a apprit l’existence d’une nouvelle loge secrète qui manipule les membres du tribunal Constitutionnel.
     
    Avant-hier, le Secrétaire d’État à l’Économie, Nicola Cosentino, a du démissionner car depuis plus d’un an il est accusé par les juges de Naples d’être le lien politique du clan le plus important de la Camorra. Dans des écoutes téléphoniques de cette loge secrète qui, avant-hier encore, ont été diffusées, le nom d’un certain « César » y est cité et selon les carabiniers ce serait Berlusconi lui-même.
     
    Une fois le puzzle reconstitué, on peut voir clairement qu’il s’agit d’un système criminel lié à la criminalité organisée qui gouverne. Berlusconi ne vient d’aucune droite. Les adjectifs n’ont pas toujours le même sens. Berlusconi incarne l’institutionnalisation de l’accès au pouvoir du crime organisé, à savoir la haute bourgeoisie mafieuse - colletti bianchi, en col blanc- liée à la mafia des « bas-fonds ».
     
    Dans la période d’après-guerre, pour éviter le « danger » communiste, l’Italie s’est peu à peu transformée en une démocratie mafieuse. Avec l’arrivée au pouvoir de Berlusconi, elle s’est d’abord transformée en « dictadouce » mafieuse, dépossédant le Parlement du pouvoir législatif et gouvernant à coups de décrets de loi et de motions de confiance. Durant cette période, Berlusconi a approuvé 41 lois ad personam. Le Parlement était très affairé à s’occuper des intérêts personnels de Berlusconi. Aujourd’hui, ce système de gouvernement a fait un pas de plus et, à en juger par leur hâte de faire approuver la « loi bâillon », il parie sur une dictature ouvertement mafieuse, un système que même pas les postfascistes, qui ont encore quelque peu le sens de l’État et de l’idéologie politique, ne sont prêts à admettre.
     
    Je dis démocratie ou dictadouce mafieuse parce qu’encore, une ou deux fois par an, on nous donne à lire des informations sur le chiffre d’affaires des mafias en Italie. C’est devenu une coutume, le titre est toujours le même : « En Italie, la mafia est l’entreprise qui fait le plus gros chiffre d’affaire ». En 2007, selon le rapport de Confesercenti (Association de commerçants et d’entrepreneurs italiens) cité par le procureur général antimafia, le chiffre atteint 90.000 millions d’euros, c'est-à-dire 7% du PIB. Le 2 mars dernier, le président de la Commission Antimafia du Parlement italien affirmait que le chiffre oscillait entre 120 et 140.000 millions d’euros « selon les estimations les plus réservées », ce qui équivaut au PIB de la Roumanie. Un commerce florissant qui, d’après ces données, aurait augmenté de 50.000 millions – 65%, plus de 20% par an – en 3 ans de grande crise. Nous sommes face à un système qui sera difficile à changer du jour au lendemain.
     
    Bien que la presse ait tendance à décrire la mafia comme un fait mineur de criminalité, le montant de cet énorme et florissant commerce nous oblige à penser qu’il existe un très fort pouvoir qui se meut dans l’ombre et qui, sans aucun doute, tire les ficelles du grand théâtre de la politique. Les preuves de l’existence de ce pouvoir que tout le monde connaît mais que personne ne voit ressortent précisément dans ces écoutes téléphoniques, car après avoir réduit les peines sévères contre les mafieux pour les pousser à se repentir, elles sont l’unique outil de la magistrature pour combattre le côté obscur du puissant pouvoir.
     
    Comme nous le disions, pour couvrir le modus operandi du Prince, Berlusconi et les siens ont formaté la dernière loi de la honte connu sous le nom de « loi bâillon ». Cette loi agit en deux sens, d’un côté elle réduit la possibilité des tribunaux et de la police judiciaire de réaliser des écoutes téléphoniques ; et de l’autre côté elle supprime la liberté de publier ces dites écoutes sous peine de fortes amendes et d’aller en prison. Frank La Rue, expert de l’ONU, a déclaré que, parmi d’autres mesures, cette initiative qui va limiter la publication des écoutes téléphoniques, constitue une menace à la liberté d’expression. En Italie, il y a eu une grève massive pour défendre la liberté d’expression, à laquelle Berlusconi, Président du Conseil des Ministres, a répondu en disant : « Une presse qui désinforme, qui non seulement déforme la réalité mais qui piétine également le droit sacré à la vie privée des citoyens sous couvert de la ‘liberté de presse’ comme s’il s’agissait d’un droit absolu.
     
    Mais en démocratie les droits absolus n’existent pas, puisque tous les droits rencontrent une limite dans d’autres droits tous aussi légitimes ». Ces déclarations ont suscité un grand scandale, car elles le sont vraiment, mais la clé de lecture de cette loi n’est pas dans l’attaque sur la liberté d’expression. Car, peut-on affirmer que cette liberté ait existé pendant ces 16 ans de règne de conflit d’intérêts en Italie ? N’est-il pas vrai que beaucoup de journalistes italiens sont bâillonnés depuis plusieurs années ? Certes, les journaux libres peuvent, gêner Berlusconi, mais il n’a pas besoin de cette loi bâillon, il lui suffit de supprimer les subventions de l’État à 90 agences de presse pour qu’elles n’aient plus qu’à baisser le rideau. Il n’y a qu’à le demander aux collègues de Il Manifesto, qui ont manifesté avant-hier devant le Parlement pour dénoncer cette situation. Berlusconi n’est intéressé que par le secret du Prince ; et qu’il puisse faire et défaire ce que bon lui semble, sans se préoccuper d’une magistrature qui écoute ses magouilles ou qu’ensuite la presse s’en fasse l’écho.
     
    Les écoutes téléphoniques laissent découvrir que la peau du Prince est prête à tomber. Quel aspect aura sa nouvelle peau ? Sera-t-elle toujours celle d’un Berlusconi finalement dictateur s’il parvient à faire approuver la « loi bâillon » ? Sera-t-elle – comme le proposait, hier, D’Alema – la peau d’un conglomérat qui compte avec le soutien des postfascistes de Fini mélangé aux démocrates chrétiens de Casini plus le sinistre centro-sinistra [centre-gauche NdT] du PD : un « n’importe quoi » mais sans Berlusconi ? Un gouvernement technique avec une large majorité autour de l’actuel ministre de l’Économie, Giulio Tremonti, comme président ? Ou pour être plus simple : une dictature mafieuse ou retour à la démocratie mafieuse sans Berlusconi ?
     
    Ni l’un ni l’autre, c’est clair. La gauche restera une nouvelle fois minoritaire en refusant une telle alternative, car ce que la gauche n’acceptera jamais c’est que le système soit indubitablement un système mafieux. Et la question qui avait été posé au juge Giovanni Falcone avant qu’il ne soit assassiné se pose de nouveau : Peut-on vaincre la Mafia ? Falcone répondit : la Mafia est un produit humain, elle a eut un début et elle doit avoir une fin.
     
    Le magistrat antimafia Nicola Gratteri, expert en 'Ndrangheta [organisation mafieuse de la Calabre NdT] et qui vit sous escorte depuis 1989, se montrait sceptique l’autre jour et il disait que tant qu’il y aura des hommes, il y aura la Mafia. Ce qui n’empêche pas, dit-il, qu’il faut la combattre. Gratteri a affirmé que la répression militaire n’est pas suffisante : Il est d’abord nécessaire de prendre des mesures politiques comme celles de changer le code pénal, le code de procédure pénale et une réorganisation pénitentiaire. Malgré tout, la lutte contre la mafia, selon lui, ne doit pas être seulement militaire mais aussi sociale et culturelle. La lutte doit être centrée sur l’intérêt économique - pas éthique – de ne pas appartenir aux mafias.
     
    Il y a déjà des petits mouvements qui se battent jour après jour contre ces mafias et pas seulement avec des paroles mais avec des actes. Pour conclure, revenons à Roberto Scarpinato. L’Auteur de Il ritorno del Principe rappelait, il y a peu de temps, que les faits les plus marquants dans l’histoire de l’Italie ont été accomplis par des minorités. La minorité ce sont les mille Garibaldi. La minorité c’était la Résistance antifasciste. La minorité c’était l’élite qui avait écrit la Constitution. La minorité aujourd’hui c’est la gauche qui n’est pas représentée au Parlement.
     
    La minorité ce sont les jeunes hommes et jeunes femmes politiques du PD qui n’acceptent pas un gouvernement de la realpolitik (mafieuse) La minorité ce sont les travailleur(se)s de FIAT à Pomigliano qui n’ont pas accepté le chantage qu’on leur proposait : Veux-tu travailler comme les « chinois » ou préfères-tu rester au chômage au pays de la Camorra ? La minorité ce sont les syndicalistes de la FIOM [1] de Fiat dans la commune de Melfi qui ont été licenciés en représailles pour leur participation à la grève. La minorité ce sont les précaires. La minorité se trouve ni dans la majorité ni dans la « zone grise ». La minorité ce sont les hôpitaux Emergency, l’association Libera contre les mafias, le comité Addio Pizzo, qui libère l’économie de l’impôt mafieux, le Forum italien des mouvements pour l’eau publique, l’observatoire Antigone qui s’occupe du respect du droit dans les prisons, les mouvements pour le droit au logement comme le mouvement Action, la défense du patrimoine de PatrimoineSOS, l’information d’Antimafia 2000, Megachip, Lettera 22, Peace Reporter, Radio Città Aperta, Fortress Europe, Giornalismo Partecipativo, et tant d’autres. La minorité ce sont ceux qui agissent sans parler seulement.
     

    Note du traducteur

    FIOM : Fédération Internationale des Organisations de travailleurs de la Métallurgie.





    Merci à Gorka Larrabeiti
    Date de parution de l'article original: 17/07/2010
    URL de cet article: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=693


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