• LE HONDURAS OU COMMENT L'OLIGARCHIE REPREND LE POUVOIR

    Le Honduras, ou comment l'oligarchie reprend le pouvoir

    Alors que l’Europe continue avec persévérance à s’enfoncer dans le paroxysme de l’ultra libéralisme qu’est la crise actuelle, on occulte ce qui se passe en Amérique Latine. Les évènements politiques et sociaux qui s’y déroulent, qu’ils aillent dans le sens de l’intérêt général ou bien dans celui des détenteurs de capitaux, pourraient préfigurer ce que sera l’après libéralisme : social ou carrément anti social. En plusieurs volets, on va essayer de faire un tour de la situation.

    Honduras
     
    Un peu d’histoire
     
    Commençons par ce qui devrait être une actualité chaude pour nos grands pays démocratiques : un coup d’Etat organisé par une élite parce que des réformes sociales se profilaient à l’horizon. Un bon vieux coup d’Etat à l’américaine comme on n’en avait plus vus depuis le dernier en date en avril 2002 contre Chavez, au Venezuela.
    Eh bien que nenni. Aucune réaction indignée en Europe. Aucun de nos grands démocrates de dirigeant n’est monté sur ses grands chevaux, en appelant à la mobilisation de la « communauté internationale » contre les vilains putschistes. Au contraire, on étouffe l’affaire et on accepte ce « gouvernement de facto », nouveau concept fort intéressant qu’il conviendrait de préciser dans un cadre constitutionnel.
     
    Situons d’abord les choses : le Honduras est un petit pays très montagneux d’Amérique centrale, de plus de 7 millions d’habitants (contre 700.000 en 1926), troisième pays le plus pauvre d’Amérique Latine dont 60% de la population vit sous le seuil de pauvreté. La délinquance est prégnante au Honduras, où le taux d’homicides, un des plus élevés au monde, est de 57 pour 1.000 habitants.
    Le pays est essentiellement exportateur de café, de minerai et de bananes grâce à cette philanthropique multinationale qu’est Chiquita, ex United Fruits. L’appellation contrôlée de « république bananière » doit d’ailleurs beaucoup à l’interventionnisme de la quasi monopolistique  United Fruits (69% des importations US de bananes en 1899) mais aussi de ses concurrentes de l’époque dans les

    affaires du Honduras notamment, et ce depuis un bon siècle.

    Comme ses voisins, le pays a connu tout au long du XIX è et du XXè siècles (et surtout depuis la doctrine Monroe en 1823) des successions de guerres civiles et de coups d’Etat, entre libéraux et conservateurs, ces derniers réussissant à se maintenir au pouvoir jusque dans les années 70. Mais en gros, les libéraux qui arrivaient au pouvoir s’alignaient bien vite sur les conservateurs, souvent très proches des pays étrangers.
    Un des grands coups d’Etat qu’a connus le Honduras, en 1912, a été provoqué par un exploitant de bananes US dénommé Zémurray qui s’est appuyé sur un ancien président hondurien en exil aux Etats-Unis, le général Bonilla, pour prendre le contrôle du pays. Grâce à quelques mercenaires, le coup d’Etat a pu se faire en l’espace d’un an, et Bonilla a donné à Zemurray 10.000 hectares pour 20 ans.
     
    Comme dans beaucoup de pays latino américains, l’Etat offrait en fait des concessions plus ou moins longues aux entreprises. Un bel exemple est constitué par l’extraction minière, fin XIXè : pas de taxe sur l’exportation de l’or, de l’argent, du cuivre, et les entreprises pouvaient aussi utiliser toutes les ressources en eau et en bois qu’elles voulaient dans le pays. Le gouvernement a même fourni à ces entreprises des listes de travailleurs, histoire de fournir la nombreuse main d’œuvre nécessaire. Et cela leur a bien servi : en 1905, les métaux précieux représentaient, tout comme la banane, 43,7% de la valeur des exportations du pays.
     
    Les compagnies et l’Etat ont aussi construit des lignes de chemin de fer : pour les gouvernements il s’agissait de développer le transport et l’économie du pays, hélas pour les bananières il était seulement question d’acheminer les cargaisons vers les ports. Et c’était le jackpot pour les bananières : elle devaient construire les lignes (mais, au final, suivant le tracé qui les arrangeait) et en échange le gouvernement leur donnait des terres (d’après le livre d’André Marcel d’Ans, 71.000 hectares ont été donnés à United Fruits par le Honduras soi disant pour le chemin de fer). Dans les années 20, United fruits accapare un bon quart des meilleures terres cultivables du pays. Au passage précisons qu’a capital d’United Fruits, on retrouve le trust Morgan et la famille Meiggs, qui a pris comme créneau la construction de chemins de fer.


    Les bananières pouvaient aussi exploiter le bois qu’elles voulaient dans tout le pays, récolter de l’eau à 50 km des lignes, bénéficier d’un détaxage de toutes les activités de construction etc. En 1935, les 1.450 km de voies ferrées du Nord est étaient ainsi toutes en zone de production bananière.
    Les concessions, en outre, étaient prévues pour une longue durée : 99 ans pour la Standard Fruits (soit jusqu’en 2009), et ad vitam eternam pour United Fruits, et les bananes n’étaient pas taxées au départ avant de l’être légèrement.


    En 1920, Zémurray, patron de la Cuyamel, obtient du successeur de Bonilla, le général Gutierrez, un « contrat d’antichrèse » un peu spécial lui donnant la main sur l’ensemble du chemin de fer du Honduras, et ce pour pas un rond ! Zémurray a proposé au Honduras de prêter, via une société créée pour cela, de quoi rénover le chemin de fer à 8% d’intérêts. En échange, ladite entreprise recevait le chemin de fer en gérance. Et l’Etat, qui s’était endetté pour ces infrastructures, ne pouvait plus rien en espérer. Par contre, il devait rembourser sa dette envers Zemurray, ce qui a pris une trentaine d’années.
     
    Tout cela a énervé United Fruits, qui décide de mettre en place son propre dictateur, le général Andino. Si bien qu’en 1923 le pays est déchiré par les factions rivales de Cuyamel et de United Fruits. Les Etats-Unis convoquèrent tout le monde en croisière sur le Milwaukee et commencent à mettre le Honduras sous la coupe US. En 1929, Zemourray fait absorber Cuyamel par United Fruits et en devient l’un des plus gros actionnaires puis le PDG dans les années 40. Cette année-là, les exportations de bananes représentaient 85% de la valeur des exportations honduriennes. Le monopole pouvait commencer, déstructurant au passage la vie politique du Honduras.


    Les conditions de travail dans ces exploitations seront quant à elles à l’origine de la création clandestine du Parti Communiste vers 1926. Puis avec la crise de 29, les baisses de salaires et les licenciements massifs, le PC sort de l’ombre lors des grandes grèves qui éclatent dans les exploitations en sous activité. Les affrontements sont nombreux avec les milices des bananières et la police.
     
    A la suite de la grande dépression, les Etats-Unis parviennent à installer des alliés au pouvoir dans de nombreux pays d’Amérique latine : Ubico au Guatémala, Martinez au Salvador, Somoza au Nicaragua, Batista à Cuba, Trujillo en Rép. Dominicaine et au Honduras, Tiburcio Carias Andino, qui a su réprimer les mouvements populaires, jugés trop nombreux par les multis US pendant que le PNB du pays revient à son niveau de 1937, le plus bas.
     
    Sous la coupe US


    Après le pillage des conquistadors puis celui de la bourgeoisie locale, vint donc celui des multinationales, puis l’avènement du populisme dans l’après guerre. Les tensions sociales sont inévitables, surtout dans les villes.
    Au début des années 50, le président guatémaltèque Arbenz, avec sa réforme agraire qui reprend aux bananières et consorts plusieurs dizaines de milliers d’hectares, fait peur à United Fruits et aux US. Les potiches mis au pouvoir par les Américains s’empressent alors de faire front commun pour bloquer le communisme et les réformes sociales. Le Honduras, par exemple, permet en 1951 à un putschiste guatémaltèque soutenu par la CIA d’entraîner ses troupes sur son sol, pour qu’en juin 1954 cette petite armée renverse Arbenz.
    Quelque temps avant, le Honduras passe un accord de coopération militaire avec les US, qui pourront envoyer des troupes dans le pays, officiellement pour former l’armée hondurienne. C’est d’ailleurs le rôle qu’a encore joué le Honduras dans les années 70, servant de base arrière US pour déstabiliser le Salvador et le Nicaragua.
    A partir de là, la contestation est réduite à peau de chagrin au Honduras et United Fruits ne cède à aucune revendication sociale. D’autant plus que les syndicats US bidons prennent en main la propagande anti marxiste.

    Puis une junte militaire dirigée par le général Rivera et le colonel Moncada s’installe au pouvoir en 1954, après diverses péripéties électorales. Immédiatement, un accord d’assistance bilatéral est signé avec les US. Les militaires restent jusqu’en 1981.
    Dans les années 70, Suazo, anti communiste fervent, s’oppose aux sandinistes au Nicaragua, et le Honduras sert de base arrière aux opérations militaires des contras et des US pendant que le pays s’enfonce dans la crise économique et que la répression s’abat sur tout contestataire.
     
    Le "très bref" épisode Zelaya



     Bref, le Honduras n’échappe pas au schéma qui règne d’une manière générale en Amérique latine : la mainmise US et les gouvernements fantoches ont traversé l’histoire du pays jusqu’à aujourd’hui.
    De fait, si la dernière élection régulière a vu le libéral à forte tendance conservatrice Manuel Zelaya, un grand propriétaire foncier, arriver au pouvoir en novembre 2005 (avec 50% d’abstention), il est arrêté le 28 juin 2008 par l’armée et expulsé au Costa Rica (puis au Nicaragua et au Salvador), le jour même d’une « consultation populaire » pour savoir s’il fallait ou non convoquer une assemblée afin de faire une nouvelle constitution.
     
    Elu avec un programme qui pourtant n’avait pas grand-chose de social, Zelaya misait sur la sécurité et la lutte contre les gangs en proposant le désarmement ou la prison à leurs membres (dont les deux principaux, également présents aux Etats-Unis, la Mara Salvatrucha et la Mara 18). Hélas, l’insécurité n’a pas diminué et la crédibilité du gouvernement a commencé à être sérieusement mise en cause par l’opposition, qui a mené des campagnes afin de convaincre les électeurs que Zelaya laissait faire, et même était complice d’une vague d’assassinats impunis de jeunes hommes des quartiers pauvres. Car, des motifs d’inquiétude se font jour, comme l’augmentation de 60% du salaire minimum ou la gratuité scolaire.
    Il convient de préciser que le FMI, au même moment et fidèle à lui-même et à ses « politiques d’ajustement structurels » qui ont plongé plusieurs continents dans la crise, préconisait la privatisation de Hondutel, l’entreprise nationale de téléphone, mais aussi de l’ENEE (Empresa Nacional de Energia Electrica), l’entreprise de fourniture d’énergie, afin de combler la dette du pays.
     
    Pendant ce temps, Zelaya célèbre avec Chavez et Ortega la révolution sandiniste, ce qui fait passer notre libéral pour un gauchiste aux yeux de beaucoup de monde qui avait cru mettre au pouvoir un vrai gugusse de droite. Sacrilège s’il en est, il se rend même à Cuba. Dans une interview au quotidien espagnol El Pais, il a expliqué la raison de son virage à gauche : “ J’ai pensé faire des changements depuis l’intérieur du schéma néo libéral. Mais les riches ne cèdent pas un penny. Les riches ne cèdent rien de leur argent. Ils veulent tout pour eux. Alors, logiquement, pour faire les changements il faut intégrer le peuple ».
     
    Ce qui n’arrange rien pour Zelaya, c’est quand début 2008 Chavez a proposé, via la compagnie pétrolièrevénézuelienne à vocation « sociale » Petrocaribe, des produits pétroliers à bas prix avec des   facilités de paiement, incluant des formes de troc de produits agricoles contre le pétrole. L’accord portait sur 20.000 barils de brut par jour pendant deux ans ce qui représentaient 100% des besoins en fioul pour faire de l’électricité, et 30% du gasoil nécessaire au pays. Le Honduras a donc rejoint le consortium Petrocaribe, faisant craindre aux pétrolières traditionnellement installées au Honduras (Exxo, Texaco, Shell) pour leurs petites affaires.
    Ensemble, elles ont donc rejoint la coalition putschiste de Micheletti.
    Même s’il fallait bien reconnaître que l’accord passé avec le Venezuela était bénéfique pour le Honduras, d’aucuns se sont inquiétés de savoir s’il n’y avait pas derrière un accord politique à tendance socialiste, d’autant plus que Zelaya avait intégré le Honduras à l’Alternative Bolivarienne (ALBA) de Chavez en août 2008. Les « grands médias » le patronat s’excitent, et les 150 multinationales US implantées au Honduras, idem.
     
    En plus de cela, Zelaya a dit qu’il comptait virer les américains de leur QG hondurien de Soto Cano (Palmerola) pour transformer la base en aéroport international.
    Il convenait donc de circonscrire l’incendie, malgré (ou surtout à cause) des résultats plutôt satisfaisants de Zelaya en ce qui concerne les conditions de vie des plus pauvres.
    Très vite, la campagne de désinformation fut si virulente que Zelaya a tenté d’obliger une dizaine de radios et TV à diffuser des informations sur les actions du gouvernement, pendant 10 jours entre 22 h et minuit. Evidemment, il a été traité de totalitariste et, pire encore, de chaviste.
    Du côté de Micheletti, on retrouvait l’armée (dont les cadres ont été formés par les US), le Congrès, l’Eglise (comme la cardinal Oscar Rodriguez) , la Cour suprême (qui a fortement contribué au putsch), l’ambassadeur US Llorens, les médias nationaux privés et bien sûr la plupart des patrons de multinationales. Depuis près d’un an, des réunions avaient lieu entre certains de ces protagonistes afin –au moins- de freiner Zelaya. En face de Micheletti et sa clique, une grande partie de la population et les chefs d’Etat de tendance de gauche du continent.
     
      C’est donc le jour d’une grande consultation au sujet de l’Assemblée constituante, le 28 juin 2009, que Zelaya est arrêté par les militaires, menés par le général Velasquez afin dit-il de « sauver la démocratie ». D’après lui, le coup était même préparé de longue date en raison des relations de Zelaya avec des pays comme le Venezuela ou la Bolivie, où la tension avec les US est forte.
     
    Les Etats-Unis, malgré moult dénégations, auraient été au courant du projet de putsch depuis le début. De mauvaises langues, d’après les coups d’Etat précédents, pourraient même dire qu’il y a de fortes chances pour qu’ils en aient été les instigateurs. D’ailleurs, ça serait même parti de la base US de Soto Cano, à une centaine de kilomètres de la capitale, où squatte une troupe sous commandement du Southern Command (division de l’armée US qui gère l’Amérique Latine). D’ailleurs, quelques Contras en sont partis jadis. Des gens très bien, comme l’ambassadeur US au Honduras, Hugo Llorens, ou le conseiller d’Hillary (Clinton) John Négroponte, qui a été dans ce pays au moment de la lutte contre la guérilla sandiniste, ont discuté âprement de virer Zelaya. Llorens a d’ailleurs reconnu avoir participé à des réunions au sujet du fameux putsch.
     
    Le 28 juin au petit matin, donc, Zelaya est arrêté dans la résidence présidentielle. Au passage, les ambassadeurs de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua sont séquestrés également. Pas besoin de décision de justice, on verra ça plus tard. D’ailleurs, rien dans tout ce cirque n’est légal.
    On fait signer à Zelaya une lettre de renonciation à la présidence, et la Cour suprême déclare qu’il a voulu modifier la Constitution pour se faire réélire, ce qui est très mal (Sarko en sait quelque chose, lui qui nous a modifié la constitution une bonne dizaine de fois en 2 ans). Cependant, Zelaya ne pouvait pas se faire réélire puisque les élections suivantes étaient encore soumises à l’ancienne Constitution, qui limite à un seul mandat de quatre ans. Par ailleurs, on notera qu’Uribe, président colombien ami des américains, a fait réviser la Constitution pour être réélu en 2006, et cela a recommencé cette année grâce au Congrès. Enfin, bref. Au passage, on accuse aussi Zelaya d’usurpation d’autorité et de trahison à la patrie.
     
    Les manifestations populaires sont réprimées (ce qui est encore la cas pour toute manif de soutien à Zelaya), et c’est donc le président du Congrès, un collègue du parti libéral concurrent de Zelaya, qui est mis sur le trône par le Congrès, justement, sans que les médias commerciaux n’aient rien à redire, dans leur ensemble. Immédiatement, Micheletti déclare le couvre-feu.
    Très vite, la cour suprême retire à Zelaya le pouvoir de commander l’armée, et donne ce pouvoir au général putschiste Vasquez Velasquez. Dès le 23 juin, le Congrès interdit tout référendum ou consultation durant les 180 jours précédant ou suivant une élection, ce qui empêche Zelaya de demander aux électeurs de lui confirmer leur confiance, et qui rend illégale la consultation qui était prévue le 28 juin.

     Au départ, il y a eu comme une sorte d’attentisme à l’international. Mais, face aux critiques qui se sont faites entendre de plus en plus fort, l’ONU a refusé de reconnaître le gouvernement putschiste, et Obama aussi. Toutefois, en négociant avec Micheletti et consorts pour arranger le retour de Zelaya, Obama donne une légitimité certaine à ce gouvernement non sorti des urnes. L’Organisation des Etats Américains a également refusé cette reconnaissance, ce qui a été jugé « illégitime » par Micheletti.
    Contrairement à la Banque Interaméricaine de Développement, le FMI et notre ami de la démocratie DSK ont quant à eux ouvertement soutenu Micheletti, qui lui au moins, va faire les réformes demandées par l’ultra libérale institution, et laissera le FMI (en très mauvaise position en Amérique Latine du fait du rachat des dettes des pays par le Venezuela) faire un prêt de 150 millions de dollars (+13 milliards)  au Honduras.
     
    Actuellement, la Cour suprême a donné le feu vert pour le début de la campagne électorale des législatives le 29 novembre, et ce avant même d’avoir rétabli l’ordre démocratique dans le pays. Mais Hillary Clinton vient d’annoncer la suspension de l’aide au Honduras, dont le versement est conditionné au « retour d’un gouvernement démocratique et constitutionnel au Honduras ».
     
    Pas de « coup » sans les médias
     

    Comme on l’avait déjà constaté à maintes reprises, les médias commerciaux adhèrent immédiatement à la version officielle du coup d’Etat, et légitiment les putschistes ne serait-ce qu’en leur donnant exclusivement la parole. Le jour du coup d’Etat, la seule chaîne TV publique a été fermée, puis rouverte quelques jours plus tard, ainsi que les radios jugées dangereuses par l’armée, comme Radio Globo (accusée actuellement « d’inciter à l’insurrection » et menacée de fermeture ainsi que de la saisie de tout son matériel). L’électricité a même été coupée pour que personne n’émette ni ne reçoive d’infos.
     
    Car, l’un des miracles des médias, surtout les grands médias bien commerciaux, c’est qu’il suffit qu’ils disent quelque chose dans la case « infos » pour que tout le monde prenne cela pour argent comptant. Ainsi, en avril 2002 au Venezuela, les chaînes privées ont immédiatement avalisé les putschistes en leur donnant la parole pendant que Chavez était détenu par l’armée. Eh bien là, on a refait exactement pareil : on a montré Micheletti, on l’a laissé développer ses arguments, on a fait des reportages allant dans son sens, et tout le monde s’est dit « ah ben on a changé de gouvernement » sans savoir pour quoi et surtout pour qui.


    On voit ainsi le quotidien espagnol El Pais, le jour même du coup d’Etat, qualifier Zelaya de populiste dans l’introduction d’une interview réalisée deux jours plus tôt pour justifier la destitution du général Vasquez Velasquez car celui-ce refusait de faire distribuer le matériel électoral (la Cour suprême l’a rétabli juste après). Comme par hasard, on demande à Zelaya s’il « a le contrôle du pays », s’il contrôle l’armée aussi… ce à quoi il doit bien répondre qu’ « en ce moment les forces armées sont insubordonnées ». C’est le moins qu’on puisse dire. Comme une prémonition, Zelaya explique qu’une « conspiration » s’est mise en place, et évoque « la Cour [qui] a confectionné trois résolutions afin de déclarer illégale la consultation de dimanche », le 28 juin, et « le Congrès qui tente de me déclarer incompétent pour gouverner (…) pour pouvoir demander ensuite aux Forces Armées de faire un coup d’Etat ». Pour autant, personne n’a bronché, l’info est passée comme une lettre à la poste du temps du service public.


    Innocemment, Zelaya répond au journaliste qu’il ne pense pas que l’ambassade US soit dans la conspiration, car, dit-il, « si l’ambassade des Etats-Unis l’avait approuvé, ils auraient déjà fait le coup d’Etat. Mais l’ambassade des Etats-Unis n’a pas approuvé le coup d’Etat. Et croyez-moi », ajoute le chef d’Etat, sûr de lui « si en ce moment même je suis ici, dans la résidence présidentielle, en train de parler avec vous, c’est grâce aux Etats-Unis ». Il faut croire qu’ils ont changé d’avis dans les 48 heures suivantes ! Zelaya explique même qu’ « on » l’a averti qu’à trois heures du matin on viendrait le capturer et l’envoyer loin ou même pire. Du coup, 1.000 à 2.000 personnes tournent autour de la résidence : « pour pouvoir me capturer, ils devraient faire un massacre », assurait alors le président.
     
    A part Tele Sur, dont les journalistes ont été renvoyés du pays, peu de médias ont réellement tenté de rétablir les choses ou au moins de les recadrer. Pendant que les journalistes dissidents se font virer, reçoivent des menaces de mort (comme le directeur de El Liberador), se font agresser (voire sont liquidés, comme Gabriel Fino Noriega de Radio Estelar et Radio America, qui a été criblé de balles le 3 juillet 2009 en sortant de la radio où il prenait position contre le putsch, ce qui n’empêche pas Reporters Sans Frontières de préciser que ce meurtre n’a rien à voir avec le coup d’Etat), ou se font même arrêter,  comme quatre journalistes de la TV Canal 5, détenus par les militaires, les médias commerciaux passent en boucle la propagande mélangée à des programmes insipides.
    Les radios et TV un peu indépendantes qui osaient critiquer le nouveau régime ont été fermées et/ ou mitraillées par l’armée, comme Radio Justicalpa. Celles qui soutenaient la consultations populaire, comme Radio Globo, Canal 8, Canal 36, Maya TV, Radio Progreso et d’autres ont été occupées par l’armée le 28 juin et parfois après.
     
    A d’autres, les militaires ont bien spécifié qu’il était interdit de diffuser des infos qui ne venaient pas de Micheletti.
    L’ambiance au Honduras est donc loin d’être propice à la liberté d’expression, et les journalistes non alignés sont les premières cibles des putschistes, qui tiennent bien sûr à contrôler entièrement l’information dans le pays si ce n’est à l’extérieur. Aujourd’hui, tout n’est pas rentré dans l’ordre, loin de là. La chaîne Canal 36, par exemple, dénonce le fait que son signal soit saboté par le gouvernement avec l’aide de Hondutel et de la Commission Nationale des Télécommunications.
     
    Quand Zelaya est parvenu à rentrer brièvement au Honduras le 24 juillet, les chaînes privées ont diffusé des feuilletons et une manif en faveur de Micheletti.
     
    Les médias privés qui continuent font, comme on l’a vu en France sous l’Occupation, de la propagande (même RSF le dit !), mêlant campagnes de dénigrement de Chavez et du Venezuela à des pseudo revendications démocratiques. La Tribuna, l’un des principaux quotidiens, appartient à un ami de Micheletti, Carlos Flores Facussé, qui a été président du Honduras de 1998 à 2002. La Prensa et El Heraldo appartiennent quant à eux à Jorge Canahuati, président de la commission internationale et de la Société Interaméricaine de Presse. La Prensa, un peu comme Paris Match qui fait disparaître les bourrelets de sarko, fait disparaître les traces de sang sur un jeune manifestant mort lors d’un défilé de soutien à Zelaya.


    Aujourd’hui, on apprend que Canahuati et son frère, Jesus, président des maquiladoras, ainsi que quelques entreprises importantes, ont versé de l’argent (28.000 dollars paraît-il, mais ça fait peu) à des lobbyistes US pour préparer le coup d’Etat.
     
    L’Université Leticia Salomon a même réalisé une étude montrant que Facussé, proprio de La Tribuna, Canahuati, mais aussi les chaînes de TV 2, 3, 5 et 9 « étaient les piliers fondamentaux du coup d’Etat ». Une bonne partie des télévisions (Grupo Televicentro, Telecadena, 7y4, Telesistema, 3y7, Multivisión, Multidata, Multifon, Televicentro Online) et des radios (Emisoras Unidas, HRN, Radio Norte, Suave FM, Rock n' Pop, Vox FM, XY, 94 FM, Radio Satélite, Radio Caribe, Radio Centro) appartiennent à Rafael Ferrari, un autre comploteur. Il est vrai que, sans la propagande médiatique, les choses auraient été bien plus difficiles.


    De hauts cadres de Grupo Continental, qui chapeaute la banque du Honduras, l’agro industrie et de nombreux moyens de communication, Gilberto Goldstein et Jaime Rosenthal (parmi les hommes les plus riches du pays), étaient aussi dans le coup, ainsi que des familles qui contrôlent une grande partie des richesses du pays comme le banquier Camilo Atala, Fredy Nasser, le sucrier Guillermo Lippman et d’autres du même acabit.
     
    Bilan
     
    A l’heure actuelle, aucun gouvernement n’a eu le culot de reconnaître Micheletti et ses copains, contrairement à ce qui s’était produit lors du coup d’Etat au Venezuela (en effet, Bush et Aznar se sont empressés de reconnaître le gouvernement putschiste).
    Tout l’été et encore aujourd’hui, des manifestations de soutien à Zelaya ont lieu, dans la capitale et ailleurs, et sont réprimées dans la violence. Les syndicats, regroupés dans le Front Syndical Contre le Coup d’Etat, ont aussi lancé une grève générale la semaine dernière, et des marches vers la capitale sont organisée par le Front de Résistance Contre le Coup d’Etat. Les manifestants, parfois, s’en prennent à des symboles de l’entreprise capitaliste, comme les magasins Burger King, signe qu’ils savent très bien à qui ils doivent le putsch.
     
    Une mission internationale d’observation est venue constater que le nouveau gouvernement ne respectait pas les droits de l’homme, et recommandait la rupture des relations diplomatiques avec le
    Honduras.
    Doucement, l’Europe commence à faire les gros yeux à Micheletti, et tente de l’amener à négocier une sortie de crise pacifique, en faisant par là même un interlocuteur acceptable.
    Le gouvernement « de facto » a donc pris un sérieux plomb dans l’aile, mais cela ne l’empêche pas de camper sur ses positions, tel une bernique sur son rocher. Gardé, certes, par l’armée et les détenteurs de capitaux nationaux. Cependant, pas de bol, l’opinion publique comme les honduriens se sont mobilisés pour dénoncer cette usurpation de pouvoir, obligeant les gouvernements, comme ce fut le cas pour le Venezuela, à condamner le coup d’Etat. Même si, on le voit à la longueur du temps de réaction, lesdits gouvernements n’étaient (et ne sont toujours) pas pressés de demander le retour de Zelaya.
    A l’international, c’est toujours Zelaya qui représente le Honduras, où il ne peut mettre les pieds, et il nomme encore les ambassadeurs du Honduras un peu partout.
    Micheletti, lui, a comme objectif les élections de novembre, dont la campagne vient de démarrer.
     
    Aujourd’hui, on parle des accords de San José, organisés par l’OEA et censés permettre une sortie négociée de la crise, sous la médiation d‘Oscar Aria, président du Costa Rica. Cependant, il y a désormais cinq candidats qui demandent à ce que leur légitimité soit reconnue après les élections de novembre, mais qui ne demandent pas, par contre, le retour de Zelaya (menacé d’être poursuivi en justice s’il rentre au Honduras, car la Cour suprême considère que le gouvernement de facto est légitime).
    L’un des candidats, Felicito Avila du parti démocrate chrétien, a ainsi expliqué dans La Tribuna en rentrant de San José que « Nous ne prétendons pas faire revenir Zelaya au pouvoir, il s’agit de renforcer la démocratie et que la communauté internationale reconnaisse le gouvernement ainsi que le résultat des élections régionales de novembre ». Au cas où quelqu’un a cru qu’il était encore question de remettre les choses en ordre, voilà qui sera plus clair. Toujours dans La Tribuna, un autre candidat, Elvin Santos du parti libéral, demande instamment (et dans le titre du papier) à Zelaya de « cesser immédiatement les menaces, les hostilités, la diffamation et le mensonge qu’on a vus augmenter ces derniers jours », et dénonce un Zelaya qui se bat « contre les intérêts du Honduras ». Rappelons seulement que Zelaya est exilé bien loin et n’a pas, lui, les médias à sa botte. Son pouvoir de nuisance reste donc limité.

     
    De fait, la question s’est déplacée du coup d’Etat illégitime et illégal vers le concept beaucoup plus flou et général de « crise ». Aujourd’hui, comme par magie, le débat ne porte plus vraiment sur le retour de Zelaya, mais sur la sortie de crise, si possible sans effleurer les susceptibilités de l’oligarchie hondurienne qui a usurpé le pouvoir. On se réunit, on discute, on tergiverse, mais depuis le début de l’été force est de constater que c’est bien Micheletti qui tient les rênes du pays. Etrangement, il a refusé (parce que oui, on lui a poliment demandé son avis) un accord prévoyant le retour de Zelaya.
    Pendant ce temps-là, on lit dans la presse alignée, comme La Prensa de Canahuati, que Zelaya cherche (encore) à « créer l’anarchie et détruire le parti libéral ». Le combat de la propagande et contre-propagande n’est certes pas fini, et cela encore une fois au détriment de la légitimité démocratique du moins ce qu’il en reste. Les prochaines élections promettent donc de se dérouler dans un climat des plus tendus, voire des plus malsains pour la démocratie.



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