• LA PRISON POUR LES PALESTINIENS

    Nadir Dendoune est journaliste indépendant. Durant son périple en Israël et Palestine, il décrit ce qu’il vit et ressent. Aujourd’hui : souvenirs de prison.

    Les mamans palestiniennes se blindent le cerveau comme pas possible. Elles savent qu’un jour ou l’autre le bras armé de l’Etat passera leur faire un petit coucou à la maison pour emmener leur fiston au poste de police. Après, si tout se passe comme prévu selon les règles de la only democracy in the middle east, le petit ira faire un séjour dans une Fleury-Mérogis locale. Sur place, selon de nombreux témoignages d’anciens prisonniers palestiniens, sont organisées des séances de torture à la Jean-Marie Le Pen quand il servait sous le drapeau Bleu-Blanc-Rouge, pendant la guerre d’Algérie.

    Au moindre soupçon, à la moindre dénonciation, la police israélienne ne prend aucun risque et embarquent manu-militari les « suspects ». Les rejetons croupissent alors dans des prisons, parfois plusieurs mois, aux réputations pas très musulmanes, en attendant leur procès.

    Depuis 1967, 700 000 Palestiniens ont goûté aux geôles israéliennes, c’est comme si en France, on avait arrêté en quarante ans, 12 millions de personnes !

    Une pensée spéciale à notre compatriote Salah Hamouri, emprisonné depuis quatre ans et pas assez pur-porc pour que Sarko fasse pression pour le libérer. Bref, c’est toujours la même rengaine au pays des doigts de l’Homme. J’avais rencontré un « barbu » en zonzon (barbe bien taillée, rien à voir avec la mienne), un « hadj » (celui qui fait son pèlerinage à la Mecque acquiert le titre de hadj), on fait de belles rencontres parfois en taule, pas toujours, je vous l’accorde, la prison y a rien de mieux pour parfaire son éducation balbutiante de « caillera », bravo les politiques. Je lui avais raconté mon histoire, je lui avais dit qu’on m’avait enfermé dans la cage aux folles à cause du Nikon D80 qui prend des photos plus vite qu’un puceau qui s’apprête à perdre sa virginité.

    Il avait eu confiance, une bonne gueule le Nadir, bronzé bien-beau-gosse, et il s’était alors confié. Les keufs s’étaient pointés chez lui à l’aube, lui avaient mis une cagoule sur la tête, avec cette chaleur, le pauvre j’ai pensé. Il avait été dénoncé par une tierce personne et forcément lui avec sa barbe de « frère muz », il faisait un coupable idéal. S’en était suivi un interrogatoire très musclé. Le Palestino pensait que c’était chaud pour son derrière parce qu’on lui reprochait d’entretenir des relations serrées avec le Hamas, élu démocratiquement mais pas considéré comme légitime par Israël et la communauté internationale de la condescendance.

    On était arrivé ensemble dans la cellule et il avait été sympa avec moi, il m’appelait son frère de l’Algérie. Le barbu n’était pas serein, il redoutait d’être condamné à une lourde peine d’emprisonnement. Citoyen israélien, il était marié et avait trois enfants en bas âge. Je l’avais quitté, j’avais la chance d’être un franchouillard, d’avoir un avocat, d’avoir le soutien du syndicat de la presse et du consulat de la France.

    Quelques jours plus tard, je me suis rendu au camp de réfugiés de Jénine, au nord de la Cisjordanie, (Jénine devenue « célèbre » après l’opération rempart : du 3 au 11 avril 2002, Tsahal avait pénétré à l’intérieur du camp pour rechercher des membres d’organisations terroristes, plusieurs ONG avaient alors parlé de plusieurs centaines de morts, la plupart des civils et parmi eux beaucoup de femmes et d’enfants, cette attaque faisait suite à l’attentat du 27 mars survenue à l’hôtel Park de Netanya où 29 israéliens avaient été tués). Sur place, j’avais pris un kébab avec un ancien taulard. Il avait séjourné à deux reprises dans une prison israélienne, on le soupçonnait de vouloir se faire sauter comme un feu d’artifice en plein milieu d’une bourgade remplie de Juifs. La première fois, on l’avait gardé huit semaines puis on l’avait libéré, comme ça, sans procès, sans explication. La deuxième fois, il était resté trois mois et il avait été jugé : interdiction de venir en Israël pendant cinq ans.

    Bien entendu, durant ces deux périodes d’incarcérations, il avait eu droit à un traitement de faveur : on l’empêchait de dormir en le réveillant toutes les heures, on lui posait les mêmes questions pour qu’il pète un câble et qu’il se mette à table. Il m’a même dit qu’il recevait régulièrement des charges électriques, les vicelards lui avaient installé des électrodes sur ses tétons. Je pourrais vous en délivrer d’autres de témoignages d’anciens prisonniers mais comme c’est l’heure du dîner pour vous, je vais m’arrêter là. En plus, je sais très bien que toutes ces histoires de prison, ça casse un peu le moral et que c’est pas comme ça qu’on arrive à voir la vie en rose. Comme je suis sympa, je vais finir par une note un peu plus gaie : j’ai assisté à des retrouvailles prisonnier-maman alors que je me trouvais dans le camp de Deisheh, à quelques lieues de Ramallah, et on peut dire ce qu’on veut sur les Bougnoules-Hommes, par exemple que la sensibilité chez eux elle est au chômage ou que leurs sentiments sont enterrés cinquante mètres sous terre, et bien, le type que j’ai vu et qui venait de passer six années en cabane, je vous jure sur les deux choses que j’ai le plus cher au monde, c’est-à-dire ma maman et ma dignité, et bien le gars il chialait comme une madeleine et sa mère, elle avait les yeux comme le Gange.

    Ça tirait dans tous les sens avec des Kalachnikov, j’ai même cru à un moment qu’on se battait pour de vrai. Dehors, ça chantait, ça dansait, ça s’embrassait, on aurait dit une fête où deux êtres qui s’aiment viennent de se dire oui. C’est à ce moment que j’ai vraiment compris que ce peuple, il avait trop lu Nietzche (ce qui ne te tue pas, te rend plus fort) et que jamais il ne baissera les bras. Et vous savez, moi, je trouve que les gens courageux, y a rien de meilleur et c’est pour ça que je commence à pleurer tous les soirs parce que mon voyage arrive bientôt à sa fin.

    SOURCE 

     


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