• L'USINE A EXPULSER DU MESNIL-AMELOT TOURNE A VIDE

    L'usine à expulser du Mesnil-Amelot tourne à vide

    ENQUÊTE.

    Ah, le charmant petit village du Mesnil-Amelot ! Son église Saint-Martin, classée au patrimoine historique ; ses habitations typiques des villages ruraux de la Plaine de France et ses... trois centres de rétention, antichambres pour les expulsions de sans-papiers.

    En 1989, la première prison pour étrangers de ce village de Seine-et-Marne est installée dans des bâtiments de chantier Algeco. Vingt-deux ans plus tard, la politique du chiffre est passée par là et c’est un immense complexe qui devait être inauguré le 29 mars 2010, il y a tout juste un an.

    Ses grands bâtiments flambant neufs se dressent à l’entrée du village. Derrière deux rangées de grillages, on aperçoit les structures de plein pied surmontées de caméras de vidéosurveillance et de détecteurs de mouvements. Conçu pour accueillir 240 retenus, ce CRA devait être le plus grand jamais construit depuis celui de Vincennes (Val-de-Marne), ravagé par un incendie en juin 2008. Pour contourner la législation qui interdit les centres de plus de 140 places, feu le ministère de l’Immigration a fait construire deux centres limitrophes, de 120 places chacun, qui possèdent une seule et même entrée.

    Un ensemble sécuritaire high-tech au service des expulsions

    Le nouveau CRA du Mesnil-Amelot est celui de tous les records. Outre sa taille, il est aussi le plus moderne : un ensemble sécuritaire high-tech au service des expulsions. En mars 2010, la Cimade, association d’aide juridique aux étrangers retenus, avait pu le visiter et décrivait des chambres truffées de caméras, des portes automatisées et des détecteurs de mouvements.

    Ironie du sort, ce centre du futur multiplie les dysfonctionnements et son ouverture a déjà un an de retard. Initialement prévue pour mars 2010, son inauguration ne cesse d’être repoussée. Dernièrement, elle a été annoncée pour la fin du mois d’avril. Pas officiellement bien sûr car, gêné aux entournures, le ministère de l’Intérieur refuse de communiquer sur le sujet. De fait, cette non-ouverture est aussi synonyme d’une gabegie financière et d’un marasme politique. La suppression, en tant que tel, du ministère de l’Immigration en novembre 2010, puis le départ de Brice Hortefeux, remplacé par Claude Guéant, aurait-il contribué à cette confusion au plus haut sommet de l’État ? Il est sûr qu’au moment où le gouvernement multiplie les sorties sur sa «  très grande fermeté à l’égard de l’immigration illégale », l’affaire fait désordre.

    Ouverture repoussée jusqu'en juin

    En décembre dernier, le ministère résiliait, en toute discrétion, l’appel d’offres pour l’exercice de la mission d’aide juridique. Motif officiel ? « L’intérêt général » ! « Visiblement, le ministère s’est engagé sur des projections de prestations trop importantes par rapport à la réalité des travaux », explique Clémence Richard, de la Cimade. Un nouvel appel d’offres devrait être lancé, certainement pas avant le mois de juin, ce qui repousserait d’autant l’ouverture du centre.

    Comment les travaux ont-ils pu prendre un tel retard ? Premier élément de réponse : la passation de pouvoir entre la gendarmerie et la police aux frontières (PAF). D’abord suivi par les gendarmes mobiles, le chantier, commencé en décembre 2007, bascule à la PAF au début de l’année 2009. Mais, entre temps, les gendarmes, militaires bénéficiant de logements de fonction, ont eu le loisir de construire un énorme bâtiment pour leurs pénates... Des logements qui devraient désormais servir de cantonnement pour les CRS en déplacement sur la région parisienne et plus précisément à Roissy.

    Des portes blindées dangereuses

    Autre raison de ce retard, les (nombreux) défauts de construction des bâtiments. Exemple parmi tant d’autres : les portes blindées, qui ont toutes dues être remplacées. Métalliques, peu fonctionnelles parce que trop lourdes, elles ont même été jugées « dangereuses », alors que quarante places sont réservées aux familles dans le centre n°2. De même, la complexité des serrures était telle que des policiers et des ouvriers travaillant dans le centre se sont retrouvés enfermés sans réussir à en sortir...

    Autre problème qui prête à sourire, en cas de déclenchement intempestif des détecteurs d’incendie, toutes les portes du CRA s’ouvraient ! « Très sécurisant en matière d’évacuation, mais un peu problématique quand il s’agit d’éviter les évasions », s’amuse un délégué syndical.

    Une dizaine de fonctionnaires de police, chargés, depuis un an, de surveiller les locaux vides, jour et nuit.

    Ce qui fait moins rire les syndicats, c’est le peu d’effectifs mobilisés en prévision de cette ouverture titanesque. Depuis le transfert de compétence entre la gendarmerie et la PAF, cette dernière a mobilisé 255 fonctionnaires pour les trois centres de rétention (qui pourront gérer jusqu’à 360 retenus). Trop peu, dit-on en interne où ce manque d’effectifs inquiète. Aucun renfort n’est prévu alors que le nombre de retenus devrait doubler. Pour l’instant, les centres 2 et 3 mobilisent une dizaine de fonctionnaires de police, chargés, depuis un an, de surveiller les locaux vides, jour et nuit.

    La PAF assure que la mise en place à l’intérieur du centre d’un tribunal de grande instance - au grand dam des magistrats - diminuera d’autant les escortes et donc le nombre de policiers requis. Mais l’argument convainc peu. D’autant que le fonctionnement même du tribunal est remis en cause par le manque d’interprètes, ces derniers refusant de se déplacer jusqu’au CRA pour si peu de missions. Or sans interprète, les procès ne peuvent pas se tenir....

    Gâchis financier et aberration politique, le centre de rétention du Mesnil-Amelot réussit à unir contre lui fonctionnaires de police, élus de gauche et associations de soutien aux étrangers. Une absurdité qui n’est pas une mauvaise nouvelle pour tout le monde : les défenseurs des sans-papiers y voient, eux, une brèche dans la machine à expulser.

    Paru dans l'Humanité du 31 mars 2011

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