• DU SABLE DANS LES MOTEURS ...

    Du sable dans les moteurs...

    ...des machines a construire un nouveau centre

     

     

     

    Brique après brique, coulée de béton après coulée de béton, l’Etat fait construire un nouveau centre fermé à Steenokerzeel, à côté du 127 bis. Le centre est conçu sur le modèle carcéral, c’est-à-dire avec des cellules individuelles et un minimum d’espace collectif (et donc d’espace d’organisation). Il est destiné aux détenus qui vivraient de manière un peu trop agitée leur détention et à ceux dont l’expulsion est imminente. L’achèvement de cette nouvelle prison est prévu pour l’été 2010. Il est clair que l’existence de ce centre sera comme une nouvelle épée de Damoclès pointée sur tous ceux qui auront la détermination de se révolter.

    Engeolés

    Et de révoltes, il en est question aussi bien dans les centres fermés que dans les autres taules de l’Etat. Cela fait des années que ça chauffe du côté des détenus  : qui a oublié quand les détenus du centre fermé 127 bis ont foutu le feu à leur cage lors de l’été 2008 ? Il semble que les cellules d’isolement qui existent déjà dans les 6 centres fermés belges, et où l’on fait croupir ceux qui s’agitent, n’aient pas été suffisantes pour leur faire passer l’envie de casser les barreaux de leur prison. D’où la création de ce nouveau centre spécifique pour les « cas difficiles » construit sur le modèle carcéral. Ce nouveau centre vient s’ajouter au 6 autres existants (Steenokkerzeel, Vottem, Merksplas, Bruges, Inad, 127), et aux nombreuses taules existantes et à venir. Outre le centre, en effet, taule spécifique pour la catégorie des « irréguliers  », l’Etat se fait grande joie de nous annoncer la construction d’une dizaine de prisons dans les années à venir. Elles viendront s’ajouter aux quartiers d’isolement de la prison de Bruges - récemment construit, aussitôt détruit par des détenus puis reconstruit - et de Lantin qui viennent en réponse à trois années de mutineries dans les taules belges.

    Gérés

    Les centres fermés, comme les taules, sont l’un des éléments de la gestion sociale et économique de la population. Le rôle économique des centres est assez évident. L’Union européenne est en train de se construire un espace aux frontières renforcées avec un cordon de pays périphériques bien gouvernés selon ses critères libéraux et démocratiques. En clair, cela signifie, dans le domaine de l’immigration qu’elle finance, outre le renforcement des frontières, la construction de camps dans ces pays. Elle y déporte les clandestins attrapés aux frontières. L’Italie ne se prive pas , par exemple, de rediriger les boat people qui tenteraient d’accoster sur son sol vers les camps lybiens - quand elle, et les autres pays du pourtour méditerranéen, ne les forcent tout simplement pas à crever dans les eaux internationales.

    En même temps, l’Union tolère une certaine porosité de ses frontières pour maintenir une main d’oeuvre clandestine bon marché. Aux patrons, elle offre le moyen de pression qu’est la peur du centre fermé et de l’expulsion pour faire plier cette main d’oeuvre.

    L’immigration comme politique économique n’est certes pas une stratégie nouvelle. Dans les années soixante ce sont les italiens que l’Etat belge a fait venir pour remplir ses mines. Mais le capitalisme mute, un nouveau créneau s’ouvre. Il ne s’agit plus de faire venir en masse, mais bien de selectionner ici et dans les pays tiers les individus rentables. Donc, d’un côté l’Etat joue sur la main d’oeuvre clandestine ou sur une main d’oeuvre contrôlée par l’octroi d’un permis de séjour de durée limitée et conditionné par l’obtention d’un contrat de travail ; de l’autre côté sur l’immigration choisie. L’immigration choisie (ou économique) c’est quand l’Etat belge, et plus largement l’Union européenne, installent leurs comptoirs dans les pays extra européens pour recruter directement de la main d’oeuvre qualifiée, scientifique, …. Mais c’est aussi l’idée qui se retrouve dans la dernière régularisation de masse ( circulaire du 18 juillet) qui se base, entre autre, sur des critères de rentabilité pour décider qui a droit à des papiers (les critères envisagent les qualifications du demandeur d’asile et dans quelle mesure ces qualifications sont utiles à un secteur en manque de main d’oeuvre).

    Technocratisme, quand tu nous tiens : Les humains sont, dans les plans des dirigeants, des pions à déplacer et utiliser dans une perspective de rentabilité et de bonne gestion. La Belgique est même à l’avant-garde dans le domaine de l’objectivation des humains puisqu’elle a décidé de louer des cellules aux Pays-Bas pour y envoyer des prisonniers belges.

    Normés

    Mais la taule, le centre fermé, sont bien plus qu’une gestion économique. L’un des aspects de la taule, du centre fermé, c’est aussi d’intégrer la population par la peur. La peur de tomber, mais aussi cette peur de faire partie des parias qui fait se serrer les individus, mus par un instinct grégaire, dans la chaleur réconfortante de la norme. Et la norme aujourd’hui c’est la citoyenneté.

    La taule, comme stratégie de pouvoir, sert de repoussoir à la société. Le prisonnier, cette anti-thèse du citoyen, tout comme le « délinquant » et de plus en plus, le « vandale », « l’incivique » servent de contre-modèles. Tout dans les médias, dans les politiques, dans les discours démocratistes des gôchistes poussent à s’y identifier par la négative. Derrière ces discours, on retrouve cette idée de la Société, du Bien Commun, la Foi en la Démocratie et la délégation de la résolution de nos problèmes à l’Etat.

    Ce rôle de la norme citoyenne est d’autant plus présent dans les discours de ceux qui s’organisent dans l’espoir de se faire régulariser par l’Etat qu’ils doivent montrer leur capacité à intégrer les valeurs de la démocratie. Difficile alors de discerner ceux qui servent le discours citoyen par stratégie et ceux qui y croient vraiment et qui ne demandent qu’à être intégrés. Mais ce discours n’est pas sans conséquences, la première d’entre elles étant de renforcer l’intégration de la norme citoyenne comme condition préalable à une régularisation. La seconde étant que l’espace pour mettre quelque chose d’autre en avant, pour sortir du revendicatif, de la recherche de crédibilité et de légitimité (auprès des médias, des politiciens) est restreint, d’autant plus quand toute une série de gôchistes embraient sur le thème de l’honnête sans-papiers, travailleur, victime, innocent, ancré et prêt à s’intégrer.

    Innocents

    Or, il y a des évidences qu’il s’agit de casser. A commencer par ces catégories et ces figures. Dire que les centres fermés sont des taules est assez commun, il n’y aura pas un humaniste ou un gôchiste pour le contredire. Par contre, là où ça accroche, c’est quand des tentatives sont faites de casser le discours des « innocents » sans-papiers des centres, et des « coupables » criminels des taules est souvent moins évident. En somme beaucoup voudraient voir dans le délit de clandestinité une simple erreur administrative à régler, et dans la condamnation des « criminels » une punition légitime de la société. Mais remettons les pendules à l’heure : traverser une frontière est un délit condamnable et condamné, ce n’est pas une erreur administrative, mais la conséquence logique d’un monde composé d’Etats délimités par des frontières et qui entendent contrôler leur population.

    Quant à la « Société », cette grande illusion, et son corollaire le « contrat social » dont on nous rabât les oreilles, nous en sommes encore à nous demander quand, depuis que l’Etat moderne en a fait son leitmotiv, nous avons eu l’occasion d’en examiner les termes. L’Etat voudrait nous faire croire qu’en naissant dans ce monde, on signe automatiquement pour une espèce d’intérêt général au-dessus de nous. Un intérêt « général » qui correspond, somme toute, assez bien avec les intérêts financiers et de puissance de quelques uns. Une illusion qu’à coup de répression aussi bien qu’à coups de monnayage tel que le confort technologique, l’assurance d’une vie bien tranquille dans les bras de l’Etat Providence, l’illusion d’un choix dans la marchandise politique et la possibilité d’avoir sa part de domination, s’est si bien ancrée qu’elle en est devenue une évidence sociale. Au point que l’intérêt des dominants devienne l’intérêt de tous.

    Cette distinction « innocent », « coupable  », rentre d’ailleurs parfaitement dans la stratégie de l’Etat belge pour justifier les centres puisque c’est entre autre sous cet argument qu’il fit construire le premier centre fermé en 1992. Puisqu’il y avait des personnes pour s’opposer à l’enfermement des « illégaux » dans les prisons, l’Etat y trouva une excuse pour leur construire des taules spécifiques. C’est d’ailleurs le même argument qui est repris actuellement au Luxembourg pour construire le premier centre fermé. Ces raisons d’Etat, sont un argument de plus pour rejeter ces catégories d’innocence ou de culpabilité.

    La figure du sans-papier, pauvre, victime, et de bonne volonté est une construction utile à ceux qui luttent à partir de catégories (les sans-papiers, le peuple untel, les sans-…), mais a quelque chose d’engluant pour ceux qui s’attaquent à toute autorité. Pourquoi les individus d’une catégorie construite artificiellement par les Etats, et reproduite socialement, échapperaient aux relations de pouvoir qui caractérisent le reste de la société ? Oui il y a des « sans-papiers » qui jouent sur des appartenances communautaires pour en exploiter d’autres.

    Oui, il y a des trafiquants d’êtres humains de toute origine qui se font un max de thunes sur ce qu’ils considèrent comme du bétail. Le reconnaître, c’est aussi faire un pas hors d’une espèce d’humanitarisme qui verrait dans cette catégorie le bon sauvage, la victime, le désespéré ; c’est se donner la possibilité d’intégrer une lutte contre toute forme d’autorité dans la lutte contre les frontières.

    Révoltés, mais pourquoi ?

    Entamer, aujourd’hui, une lutte contre la construction du nouveau centre fermé offre l’occasion de dépasser concrètement les figures du « sans-papiers » et du « Belge » en se liant directement avec des personnes à partir d’un contenu et non plus à partir de catégories. Et cela d’autant plus à un moment où les régularisations massives viennent remplir les attentes d’une partie des sans-papiers organisés. En effet, si d’un côté les occupations ont pu créer une dynamique de lutte qui parfois a pu déborder du revendicatif ( en tout cas à Bruxelles), leur reflux suite à la nouvelle directive pourrait aussi permettre d’élaborer une lutte sur des bases propres qui ne soient ni dépendantes de l’urgence des situations personnelles ni d’une logique de soutien.

    Reposer la question des camps de l’Etat dans le domaine public, empêcher si possible que celui-ci se munisse d’un nouvel outil de répression. Poser la question des centres ne se limite pas à leurs seuls territoires mais à toute la mécanique sociale qui les fait exister. Il y a dans cette mécanique des techniciens qui porte plus de responsabilité que d’autres : qui décide ? L’Office des étrangers, les partis... Qui construit ? BESIX, Jacques Delens,... Qui rafle ? La police, la STIB, la SNCB, ...

    Mais la question de ce qui fait exister les rafles, les centres et les expulsions est plus large. Elle touche à cette odeur malsaine qui émane du tréfond des rapports sociaux. Une odeur de racisme, une odeur de commerce, une odeur de normes et d’évidences assassines, d’exploitation à tous les niveaux… que recouvre l’odeur insipide du démocratisme. Les centres, comme toute domination, existent parce que des personnes au sein des institutions et des structures marchandes en décident ainsi, mais aussi parce qu’il existe un assentiment diffus, une acceptation largement répandue au sein de la population. Ils existent aussi parce que, avec ou sans-papiers, il y a toujours des personnes pour tirer profit des autres en jouant sur des appartenances et sur des catégories.

    Développer une lutte autour de cette question, c’est donc développer une lutte contre tous ces mécanismes qui font exister le vieux monde : patriarcat, exploitation, morale (religieuse, nationaliste, militante,…)… Seulement alors, on sort des luttes partielles pour attaquer la totalité des rapports qui nous oppressent. Alors on peut faire exister le conflit avec l’existant au sein des luttes elles-mêmes.

    Se lier sur un contenu, pour nous, cela signifie pouvoir remettre en avant des bases révolutionnaires et anti-autoritaires. En pratique cela signifie des relations sans médiations, le refus des hiérarchies, l’attaque directe, … Cela signifie aussi de toujours tenter d’élargir une lutte spécifique à l’attaque de l’existant dans sa totalité. Cela signifie, enfin, se méfier des alliances douteuses. Ne pas oublier la force du citoyennisme, de l’attrait de l’idéologie dominante qui peut à tout moment séparer les « bons » des « méchants », les « innocents » des « coupables » ; tout en retenant aussi que les personnes changent, et que si certaines sont définitivement ancrées dans la défense de la société, ils sont beaucoup aussi à en quitter ses chemins trop droits. Et dans les chemins obscurs et tortueux des bois, il y a des rencontres à faire.

    Quelques brigands ont d’ailleurs déjà fait quelques sorties dans les clairières fliquées de la société pour attaquer la machine à expulser. Ci et là, on les retrouve empêchant un contrôle d’identité dans un bus ou dans la rue ; attaquant des compagnies qui se font du blé sur l’enfermement ; diffusant des appels à la révolte sur les murs ; ou encore boutant le feu à leur cellule…

    Alors rejoignons, nous aussi, les bois obscurs, pour y préparer l’attaque de la domination.

    P.-S.

     

     

     

     


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