• DANS LA JUNGLE DE CALAIS


    Nous sommes un groupe de personnes investies auprès des migrants depuis plusieurs mois et engagées dans le réseau No Border. Si nous sommes allés mardi 22 au matin soutenir les migrants de la jungle au moment de leur expulsion par la police, c’est avant tout parce que nous avions parmi eux de véritables amis.


    Nous étions témoins depuis des mois de l’arbitraire policier à Calais, de l’usage systématique de l’intimidation, du gaz et des matraques. Nous avons constaté l’absurdité du système Dublin II qui balance les migrants d’un pays à l’autre comme des balles de ping-pong parce qu’aucun d’entre ces pays n’est en mesure d’assumer leurs demandes d’asile.

    Nous avons noté à quel point le danger incarné par les passeurs n’est qu’un épouvantail agité pour légitimer la répression à l’égard des migrants. Nous avons surtout vu combien ces migrants nous ressemblent et ne cherchent qu’à se construire, n’importe où, un avenir décent et paisible, combien les clichés véhiculés contre eux tombent comme des feuilles à leur contact, lorsqu’on prend la peine de leur serrer la main, d’échanger avec eux un thé et de comprendre les causes et les conditions terribles de leur exil. Lorsque nous avons appris la décision du gouvernement de fermer la jungle de Sangatte (Éric Besson, le 16 septembre 2009), nous étions donc légitimement en colère.

    Nous étions une petite dizaine à partir à trois heures pour tenter l’impossible, à savoir protéger les migrants de la violence attendue des policiers. Nous avons constaté à notre arrivée que plus de 150 migrants étaient rassemblés autour de feux de camps, avec des banderoles en anglais et en pachto, exprimant leur envie de rester et d’être respectés, soutenus par de nombreux militants, dans une atmosphère pesante, dans l’attente de la destruction.


     


    Panique et encerclement

    À 7h30, nous avons vu les premiers fourgons arriver puis les policiers prendre position autour de la jungle pour bloquer tous les accès, au point que de nombreux Calaisiens ne pouvaient plus circuler à proximité de la zone des Dunes. Lorsque les policiers ont commencé à investir les lieux, une véritable panique s’est emparée des migrants. Après que certains ont essayé de fuir, la plupart s’est alors rassemblée. Notre premier réflexe, avec les autres militants présents, a été d’encercler les migrants avec des cordes et des banderoles afin de les protéger, ce qui n’était que symbolique face à l’horrible et implacable détermination de l’État.

    Nous avons tous des souvenirs en commun avec ces migrants, nous avions à ce moment à l’esprit les moments passés avec eux. Nous avions dans notre dos des gosses de quinze ou seize ans accrochés à nous, effrayés et en larmes, pendant que les policiers essayaient de nous désolidariser. Après qu’ils ont arraché notre corde, nous avons formé une chaine humaine que les policiers ont rompu en nous tirant par les bras, les épaules, la tête, tout ce qu’ils pouvaient attraper.

    Face à la violence toujours plus appuyée des policiers, la détresse des migrants allait crescendo et nous ressentions face à ça un sentiment de haine et de rage nous faisant oublier toute crainte des risques physiques ou juridiques, ce qui nous a permis à peu de tenir tête durant près de vingt-cinq minutes face à la répression, ceux de nous qui étaient dégagés revenant pour continuer de résister.





    C’est l’Europe qui les insulte

    Les policiers arrachaient les migrants au groupe, trainant certains d’entre eux sur le sol, qui nous regardaient implorant et apeurés. Ces regards étaient insoutenables pour nous qui auparavant y avions vu l’espoir, lorsque ces mêmes garçons nous racontaient leurs rêves et ambitions pour l’avenir. Dans cette rafle, les migrants ont été considérés et traités comme du gibier, déshumanisés et humiliés pour longtemps. Eux aussi ne risquent pas d’oublier ce qu’on leur a infligé ce matin. C’est l’Europe qui les a insultés dans leur dignité.

    Tandis que la population du quartier se réjouit du «succès» de l’opération, nous déplorons que migrants et militants aient été l’objet d’un spectacle organisé pour les médias et l’opinion, dans le but de mettre en scène une mascarade politique visant à faire croire à une résolution du problème, alors qu’il ne s’agit que d’une triste opération de communication du gouvernement et de l’Union européenne.

    Les journalistes ont été expulsés avec la même violence et une caméra a été détruite lorsque les policiers ont commencé à perdre patience face à l’opposition soutenue des migrants et militants. Les migrants essayaient eux aussi de résister, mais étaient davantage la cible des policiers lorsqu’ils tentaient de maintenir les lignes avec nous.

    Nous posons la question : qu’est-ce que les autorités ont à craindre de la présence des journalistes ? Pourquoi les ont-ils éloignés ? Nous soupçonnons l’État de chercher à cacher au public sa façon d’agir et ses méthodes pour «résoudre» la question des migrants.

    Nous tenons à dire que nous n’oublierons pas certaines images de violences et de détresse, qui renforcent notre détermination et notre mépris pour ce système qui génère chaque jour plus d’injustice. Ce que nous ressentons désormais, c’est l’étendue de notre impuissance et un dégoût prononcé pour les politiques actuelles.

    Il est plus que temps de poser autrement la question des frontières, afin que chacun comprenne que la fermeture n’est ni une solution, ni un moyen démocratique de résoudre la catastrophe économique que nous vivons tous à cause du capitalisme. La crise n’est pas le fait des étrangers, légaux ou non, elle est partie intégrante d’un système qui se sert du chômage et des licenciements comme d’une variable d’ajustement pour une machine bancale.

    Nous nous battons quotidiennement contre les politiques d’immigration actuelles, car elles ne sont que l’expression d’un individualisme insupportable et malheureusement ordinaire qui tend à faire de l’étranger un intrus responsable de tous les maux du capitalisme. La stigmatisation d’une population, si elle est suivie de mesures législatives et policières à son encontre (prise d’empreintes, fichage systématique, contrôle au faciès, dénis de droits élémentaires, mise en place de polices spécifiques, arrestations groupées et rafles…) ne peut aboutir qu’à la barbarie.

    Ce qu’il s’est passé à Calais ce matin n’est pas une conséquence, mais un précédent. L’Europe n’en est ni à son premier ni à son dernier coup-bas ..



    LE JURA LIBERTAIRE  


  • Commentaires

    1
    reineroro Profil de reineroro
    Vendredi 25 Septembre 2009 à 15:13
    Mercredi 23 au soir, 138 d'entre elles étaient placées en rétention administrative dans les centres suivants : Lyon (10), Marseille (8), Metz (2), Nîmes (40), du Mesnil-Amelot (15), Rennes (15), Rouen (10), de Toulouse (28), et de Vincennes (10). Les personnes placées à Toulouse, Nîmes ou à Marseille, y sont arrivées mercredi en fin de journée,après des dizaines d'heures de garde à vue et de transport.

    Une cinquantaine d'entre eux ont déclaré être mineurs, l'Administration a pourtant indiqué dans les procédures les concernant qu'ils seraient nés, tous, le 1er janvier 1991 : tout juste majeurs et donc expulsables ! En France, il est pourtant interdit de placer en rétention des mineurs et, a fortiori, de les expulser.

    Ils font l'objet de mesures d'expulsion à destination de l'Afghanistan ou de réadmission vers la Grèce, pays ou la procédure d'asile, ne satisfait pas aux normes minimales prévues par le traité d'Amsterdam : dans un arrêt du 11 juin 2009, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a par ailleurs considéré que «la détention d'une personne qui souhaitait demander asile constituait une violation de la Convention européenne des droits de l'Homme car il n'était pas prévu un contrôle de légalité de la détention et que les conditions de détention du requérant, en tant que réfugié et demandeur d'asile, combinées à la durée excessive de sa détention en de pareilles conditions, s'analysent en un traitement dégradant.»

    L'Afghanistan est un pays en guerre, ces personnes venues chercher asile et protection sont menacées d'y être renvoyées. C'est inacceptable. La Cimade demande la libération immédiate des personnes qui ont été arrêtées et au gouvernement des mesures d'urgence pour assurer leur sécurité et leur protection.

    La Cimade réaffirme qu'il est urgent remettre le système d'asile européen sur ses pieds en prévoyant un mécanisme leur permettant de demander asile dans le pays de leur choix et où elles ont des liens familiaux ou culturels. En l'attente, la France peut, et doit, suspendre l'application du règlement de Dublin afin d'accueillir sur son sol ces réfugiés qui continueront à fuir les conflits pour trouver refuge en Europe. Elle doit leur assurer des conditions d'accueil qui soient conformes à la dignité des personnes, en prévoyant des structures d'hébergement ouvertes à tous et une réelle prise en charge sociale et administrative .


    Pour sortir de la loi de la "jungle", il faut sortir de l'état d'exception dans lequel ces réfugiés ont été placés par les pouvoirs publics.

    http://www.cimade.org/nouvelles
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