• AVEC LA MORT DE KIRCHNER, UNE GROSSE POINTURE A DISPARU EN AMERIQUE LATINE

    Avec la mort de Kirchner, une grosse pointure a disparu en Amérique latine

    Néstor Kirchner, l’ancien président de l’Argentine, est décédé le mercredi passé des suites d’une crise cardiaque. La dernière décennie, il a joué un rôle crucial, aussi bien dans la politique intérieure qu’extérieure de son pays. Il laisse un vide énorme.

    "Nous qui l’avons connu et qui nous sommes battus avec lui, nous nous souviendrons de lui comme un des grands piliers de cette ère nouvelle de l’Amérique."

    Hugo Chávez

    Néstor Kirchner, âgé de soixante ans, était cardiaque. L’année passée, il avait été hospitalisé à deux reprises et début septembre, on lui avait encore implanté un stent. Sa mort est toutefois survenue comme une surprise totale.

    Lorsqu’il était élu président en 2003, Kirchner tombait sur un pays délabré. Entre 1976 et 1983, la dictature militaire avait coûté la vie à quelque 50.000 Argentins. (1) Les militaires avaient reçu l’appui total de Washington. Cette période a laissé des traces profondes : la gauche était anéantie et les organisations sociales quasiment détruites. Ainsi, les militaires ont frayé la voie à l’offensive néo-libérale, qui a atteint sa vitesse de croisière dans les années nonante, sous le règne du président Menem. A l’instar des recettes du FMI, l’économie argentine était totalement soumise au capital étranger. L’économie était dollarisée et le pays était placé sous la tutelle financière d’un « Currency Board », une pratique que la Grande Bretagne imposait à ses colonies au 19ème siècle. (2)

    Les conséquences de cette politique étaient désastreuses. Plus de la moitié de la population tombait en dessous du seuil de pauvreté et près d’un tiers de la population active était au chômage. Les salaires étaient descendus au niveau le plus bas depuis soixante ans. Au tournant du siècle, l’endettement atteignait un niveau record de 100 milliards de dollars, ce qui signifiait un remboursement annuel de 35% des recettes de l’exportation.(3) Pendant cette période, l’inflation atteignait des valeurs pic jusqu’à 3000%, un véritable score comme dans le Zaïre de Mobutu. Pendant les années 2000-2001, le pays était au bord de la banqueroute, ce qui provoquait un mouvement de protestation populaire. Le peuple descendait en masse dans les rues. La crise économique et sociale allait de pair avec une crise politique. Il n’y avait plus aucune confiance dans l’élite politique. Les présidents démissionnaient l’un après l’autre.

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    C’est dans ce contexte que Kirchner, jusqu’alors un politicien quasiment inconnu, fait son apparition. Contrairement à ses collègues en Bolivie, au Venezuela ou en Ecuador, il n’a pas vraiment de base populaire ou politique. Suite à la crise très profonde, la lutte sociale en Argentine était axée sur la ‘survie’ plutôt que sur la poursuite d’objectifs politiques plus larges. Les organisations sociales avaient d’ailleurs subi des coups durs pendant la dictature militaire. Kirchner n’a pas non plus un profil politique clair. Ses racines politiques et idéologiques se trouvent dans le Péronisme, une idéologie complexe et vague qui peut aller dans tous les sens.

    Beaucoup d’observateurs prédisent dès lors que dans ces conditions, il ne durera pas très longtemps. Ils se sont trompés. Ce qui semblait impensable jusqu’il y a peu, Kirchner l’a réalisé. Il a coupé court aux recettes du FMI, il a réussi à contraindre la crise spectaculaire, il a ramené la stabilité dans son pays, l’orientant sur une voie progressive. Pendant sa présidence, l’économie connaît une croissance annuelle de 8,8 %, le score le plus élevé de toute l’Amérique latine.(4) Kirchner stabilise le cours du change, enraye l’énorme crise d’endettement et arrive à s’imposer contre les créanciers. Il envoie même promener le FMI. Il réussit à attirer à nouveau des investisseurs étrangers et la consommation augmente.(5) Sur le plan social, il y a également un progrès net. Kirchner sort 9 millions d’Argentins de la pauvreté ; le taux de pauvreté diminue de 54 % à 23 %. Le chômage baisse à un taux d’environ 10 %.(6) Il introduit une allocation familiale pour les familles pauvres, ce qui réduit la pauvreté enfantine à moins d’un tiers.(7)

    L’armée est profondément réformée et les militaires qui se sont rendu coupables de cruautés pendant la dictature militaire, sont poursuivis. La Haute Cour de Justice est également réformée et modernisée en profondeur. Kirchner joue aussi un rôle prédominant au niveau international. En 2005, lors du sommet des pays américains, il saborde définitivement - avec Hugo Chávez - la proposition des USA d’imposer un accord de libre échange à tout le continent. Il est également un pionnier important de Telesur, la chaîne de télévision indépendante du continent, qu’on appelle souvent la El-Jazeera d’Amérique latine. En mai 2009, Kirchner est élu, a l’unanimité, premier secrétaire général de l’UNASUR, l’union intergouvernementale de douze pays Sud-américains. En 2007, son épouse Cristina Fernández lui succède en tant que président.. Mais en coulisse, il continue à jouer un rôle très important.

    Le bilan de la présidence de Kirchner et de son épouse est assez positif. A l’intérieur des rapports de force politiques existants, il a réalisé pas mal de choses. Le président Lula à ce propos : ‘Néstor Kirchner a toujours été pour moi un grand allié et un ami proche. Son rôle dans la reconstruction économique, sociale et politique du pays est remarquable, ainsi que son engagement dans la lutte commune pour l’intégration de l’Amérique du Sud.’. Cela n’empêche que le pays se trouve toujours devant des problèmes et des défis immenses. L’abîme qui sépare les pauvres des riches, exprimé suivant le coefficient Gini, est un des plus élevés du monde. Seuls des pays comme le Chili, la Bolivie et la Colombie font encore pire.(8) L’inflation fluctue autour des 20%. C’est beaucoup moins que pendant la période 1973-2000, lorsqu’elle se situait entre 250 et 500%, mais cela reste beaucoup trop élevé. Trop d’Argentins travaillent toujours dans le secteur informel : plus de 40 % et le taux du chômage reste assez élevé.(9) Beaucoup de mesures sociales se font attendre, trop longtemps.

    Kirchner s’est aussi fait des ennemis. Son approche ferme du problème de l’endettement, la nationalisation des fonds de pensions, le renvoi du FMI et le fait d’avoir bridé les fonds spéculatifs et autres organismes financiers, ne l’ ont pas rendu populaire auprès de l’élite financière nationale et internationale. Il n’est donc pas étonnant que sa mort ait provoqué une ambiance de liesse à la bourse argentine et que les cours se soient instamment envolés de 13%. Les médias, qui sont en grande partie contrôlés par de grands groupes de capitaux se méfiaient également du président, surtout au moment où il était aux prises avec Clarín, un des plus grands groupes des médias du pays. Il a également vidé un conflit dur avec le secteur agricole et ce, peut-être pas toujours de la manière la plus tactique.

    Néstor Kirchner est le politicien le plus influent d’Argentine des dernières années. Sa mort aura sans aucun doute un grand impact sur les évolutions politiques. Dans la politique argentine, les personnalités jouent un rôle très important. Kirchner a pu réaliser et maintenir l’unité au sein du péronisme, le courant politique principal du pays. La question est de savoir si d’autres en sont capables à leur tour et si l’on peut éviter une lutte pour le pouvoir. Kirchner avait l’intention de se présenter aux élections présidentielles de 2011 et il aurait probablement gagné. Cette perspective a disparu. Un avantage est que l’opposition politique est actuellement probablement trop faible.

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    avec sa femme

    Cristina Fernández pourra-t-elle combler le vide et poursuivre l’orientation progressiste de ces dernières années ? Atilio Borón, un intellectuel renommé, lui conseille à ce propos de renforcer les liens avec les classes populaires et les couches inférieures de la population et de réaliser un certain nombre de mesures sociales. (10)

    La disparition de Kirchner se fera aussi ressentir en dehors des frontières argentines. Le coup d’Etat en Honduras et la victoire électorale de la droite au Chili ont affaibli la vague de gauche en Amérique latine. Je terminerai volontiers avec les paroles du président Evo Morales :"Je me sens esseulé par la perte du compañero et frère Néstor Kirchner. Dans les moments difficiles, Néstor était toujours de mon côté et j’espère que ce sera ainsi à l’avenir."

    Marc Vandepitte.

    www.cubanismo.net

    Notes de bas de page  :

    (1) Suárez Salazar L., Madre América. Un siglo de violencia y dolor (1898-1998), Havana 2003, p. 19.

    (2) Herrera R., Les Avancées révolutionnaires en Amérique latine. Des transitions socialistes au XXIe siècle ?, Lyon 2010, p. 77.

    (3) Financial Times, 29/10/2010, p. 6 ; UNDP, Human Development Report 2005, New York 2005, p. 280.

    (4) Financial Times, 29/10/2010, p. 6. (5) Weisbrot M., ‘Kirchner Rescued Argentina’s Economy, Helped Unite South America’, http://mrzine.monthlyreview.org/201....

    (6) ‘Trece encuestadoras coinciden en que Cristina Kirchner logra entre 40 y 47 puntos y balance “K”’, http://www.agencianova.com/nota.asp....

    (7) Younker K, ‘Asignación Universal por Hijo, One Year Later’, http://www.argentinaindependent.com...

    (8) UNDP, Human Development Report 2007-2008, New York 2007, p. 281.

    (9) Valenta M., ‘Informal Economy Just Won’t Shrink’, http://ipsnews.net/news.asp?idnews=38136.

    (10) Borón A., ‘Néstor Kirchner : legados y desafíos’, http://www.cubadebate.cu/opinion/20....

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