• ALVARO URIBE, LA FIN D'UN MANDAT N'EST PAS LA FIN D'UN SYSTÈME

    Alvaro Uribe, la fin d’un mandat n’est pas la fin d’un système

    Lionel Mesnard   

    La fin de la présidence d’Alvaro Uribe ne signifie pas pour autant la fin de l’uribisme. Comme l’ont démontré les élections législatives et sénatoriales du 14 mars 2010, la Colombie est repartie de nouveau pour un régime très ancré à droite, mais au-delà de l’appartenance partisane c’est un système politique qui dans son ensemble se perpétue.




    Une gangrène qu’il importe de comprendre, tant elle joue une place centrale dans les dérives de l’État colombien Si l’on débat sous nos cieux de l’abstention, les électeurs colombiens depuis de nombreux scrutins sont environ 6 électeurs sur 10 à  ne pas voter, voire à ne jamais se prononcer. Ils furent 64% le 14 mars à bouder les urnes. Comment peut-on comprendre que dans un pays se réclamant de la démocratie, on arrive à 36% de votants sur des enjeux nationaux d’une telle importance ? De plus, il existe plus que des doutes sur le bon déroulement du scrutin hors des grands centres urbains. Pour évidence, nous sommes dans un pays en guerre, ou le vote se monnaie et peut aussi s’imposer par la force dans les campagnes. Et si nous limitons notre regard aux résultats intervenus, ce vote à de nouveau investi des élus de droite proche des paramilitaires et de leurs réseaux maffieux. Se perpétue ainsi des mécanismes qui ont pour rôle d’engendrer la violence et l’effroi au détriment des populations civiles.



    De 300.000 à 800.000 civils et militaires morts


    On n’imagine pas à quel point, il est martelé en Colombie une seule perception, et ceux qui s’y opposent sont menacés dans leur intégrité. Il est difficile de définir un climat de terreur vous imposant le plus souvent au silence, aussi parce que souvent les apparences sont trompeuses ou sourdes aux souffrances. Face à cette réalité, il vaut mieux rester discret et ne pas trop faire part de ses opinions, surtout si elles ne calquent pas avec les maîtres du pays. Ce climat de suspicion n’a rien de nouveau, il n’a fait que se renforcer depuis 2002. Ce pays qui devrait être un paradis est un enfer, et il l’est depuis au moins sa séparation avec le Venezuela en 1830. De nombreuses guerres, révoltes sociales au long du XIX° et du XX° siècle vont émailler l’histoire de la nation colombienne. Une des récurrences de ces affrontements va résider pour bonne part autour de la question du bipartisme.

    La république de Colombie va connaître de nombreuses querelles entre les conservateurs et les libéraux. Ces divergences donneront suites à des guerres meurtrières et à un flot régulier de victimes. Rien qu’entre 1948 et 1958, il est fait état de 300.000 à 800.000 civils et militaires morts. Et, ne se sont jamais véritablement éteintes les braises, sauf à noter la naissance des guérillas «marxistes» dans les années 1960, puis la montée en puissance des narcotrafics dans les années 1970. Ces phénomènes dessineront pour bonne part le visage de la Colombie actuelle.



    Pouvoirs politiques, paramiltarisme et pègre


    Il est fait peu état des relations entre les pouvoirs politiques colombiens, le paramiltarisme et la pègre. Mais contrairement à ce que l’on peut lire le plus souvent, il faut pouvoir distinguer les acteurs clefs du narcotrafic, notamment un certain Monsieur Alvaro Uribe qui favorisera le développement des milices privées et du paramilitarisme avec la création des CONVIVIR en 1991. Le but non avoué fut de s’assurer le contrôle du marché des drogues et de s’approprier des terres hors de tout contrôle légal. Ces connexions n’ont jamais été aussi puissantes, elles rongent une bonne part de l’appareil étatique, elles participent à une guerre qui ne semble pas connaître de nom et de fin, et nous fait vivre une hypocrisie hors de toute proportion.

    Ces dernières années ont été marquées par d’innombrables atteintes à la dignité humaine, il est facile de tout mettre sur le dos des mouvements rebelles, l’objet n’est pas de nier leurs responsabilités criminelles, mais toute proportion gardée ils ne sont qu’un rouage dans l’organisation des trafics de drogue et en premier lieu chez les achemineurs. Pour évidence, les FARC ou l’ELN ne disposent pas des relais et moyens suffisants, ils ne contrôlent pas les circuits de distributions et le recyclage de l’argent sale. Bien que certains de ses parrains se trouvent incarcérés aux USA, les mafias colombiennes sont toujours aussi actives et nocives. La première incidence est le niveau record de la criminalité. Son point culminant a été d’environ 32.000 morts en 2002 dont 8 à 10.000 morts en raison du conflit armé, de 1979 à 2002, il s’agit d’une multiplication par cinq ou six fois du nombre de décès civils par mort violente en vingt ans (80% des homicides étant le fait d’une arme à feu).


    La Colombie n’est pas un pays pauvre


    Alvaro Uribe en se faisant élire président en 2002 met un terme au bipartisme, toutefois il consolide une pensée binaire et perpétue une domination quasi moyenâgeuse des rapports sociaux. Que dire d’une économie nationale aux mains d’une infime minorité, ou vendue à la pièce et au profit de multinationales ? Que dire de tous ces mécanismes obscures qui alimentent les marchés parallèles et noyautent le monde politique colombien ? Au nom de l’ouverture à des capitaux extérieurs, le président n’a fait que défaire le peu de mesures sociales existantes en privatisant l’assurance sociale et l’éducation, et en fermant des hôpitaux publics. La Colombie n’est pas un pays pauvre si l’on prend en compte ses richesses minérales et vivrières, sauf que 54% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et qu’en parallèle 2% des plus riches détiennent plus de 50% des terres agricoles.

    Cette nation est très attractive pour les investisseurs, c’est même une fierté du président que d’avoir quintuplé les investissements étrangers (2 milliards de dollars à son arrivée au pouvoir). La force d’Uribe aura été de faire croire qu’avec lui la guerre n’existait pas et se limitait à un phénomène qualifié de terroriste. Dans la même veine, il s‘appuya sur le discours son ami Bush junior sur le thème de cette menace, en assimilant tout ce qui lui était opposé à des terroristes et en désignant les Forces Armées Révolutionnaires comme la cause de toutes les horreurs se produisant dans le pays. Le martelage a gagné bon nombre d’esprits en Colombie et via bon nombre de médias internationaux, mais pour autant la guerre a continué, et le déplacement de dizaines de milliers de réfugiés par an s’est poursuivi et s’est plutôt amplifié sous le deuxième mandat du président Uribe (plus de 300.000 en 2008).


    Effet Ingrid Betancourt aidant...


    Car ces dernières années, effet Ingrid Betancourt aidant, les FARC sont devenues responsables de toutes les difficultés du pays, et tous ceux qui critiquent la politique de sécurité nationale sont désignés publiquement comme des «amis» des FARC. Des syndicalistes, des journalistes ou des militants d’ONG s’activant en faveur de la paix ou pour les droits sociaux se sont trouvés amalgamés dans cette rhétorique quelque peu outrancière. Et la Colombie au fil des ans est et demeure la nation la plus dangereuse pour l’exercice du syndicalisme. Avec un tel angle de dénigrement, il devient difficile de relater une insécurité qui dépasse quand même l’entendement, et qui est loin d’être la seule responsabilité des guérillas (ELN et FARC).

    Elles seraient responsables d’un quart des victimes civiles du conflit armé. Mais attention, ces chiffres ne prennent pas en compte les disparus dont les estimations varient de 150 à 300.000 personnes pour ces dix dernières années. Les guérillas ne sont pas exemptes de condamnations, elles ont à leur actif des crimes de guerre et contre l’humanité qui au titre du droit international sont passibles du Tribunal Pénal International. En premier lieu ce qui touche à la question des populations civiles non armée sur un territoire en guerre, et à ce sujet chaque combat provoque son lot de victimes innocentes et souvent plus que le nombre de soldats tombés sur un champ de bataille. Le sort des populations civiles en temps de guerre n’est pas simple, il est même paradoxale, car les civils sont toujours les premières victimes.

    Surtout quand le but est de ne pas aborder certaines évidences, c’est-à-dire les 75% de crimes perpétrés par l’armée régulière et les milices paramilitaires ces dernières années, mais à nouveau en ne prenant pas en compte les personnes disparues, et le haut niveau de criminalité, notamment maffieuse, qui n’est en rien hors du conflit en cours, commerce de la drogue oblige. Vous comprenez ainsi qu’il est presque impossible d’établir des données fiables sur le nombre des décès civils, particulièrement dans un univers où l’on a découvert plusieurs charniers ces dernières années dans les campagnes, et la dernière fosse commune trouvée en ce début d’année 2010 rassemblait 2000 cadavres. Dans les faits les crimes du paramiltarisme et de l’armée régulière sont sous-évalués, et il y aura inévitablement de nouvelles découvertes macabres dans les mois et années à venir (l’on estime à minima à 2.000 charniers restant à découvrir).


    Méthodes pour ne pas avoir un état réel du nombre de morts


    Il est à souligner que le journal La Croix est le premier quotidien français a relaté l’existence de fours crématoires en Colombie (1), comme il est peu fait état des disparus donnés en pâture aux crocodiles, des méthodes très utiles pour ne pas avoir un état réel du nombre de morts. Qui va se soucier de petits paysans ou ouvriers agricoles ? Ils sont non seulement confrontés de chaque part à des pressions des forces en présence, mais en plus, ils subissent une guerre au quotidien sans véritable relâche. Rajouté à tout cela près d’un millier de réfugiés par jour obligés de fuir les affrontements armés, nous atteignons des sommets de cynisme quant à l’efficacité du président Uribe et sa politique de «sécurité démocratique».

    Ces huit années passés au pouvoir ont simplement légitimé un mensonge d’État visant à manipuler les esprits. En pur produit hollywoodien Uribe s’est fait passé pour le «chevalier blanc» qui allait tout nettoyer sur son passage. Et le «nettoyage» au sens militaire du terme a certes marqué des points, mais les mécanismes criminels n’ont pas changé, et ils sont restés conformes à un ordre manifestement peu soucieux des règles d’un état de droit. Certains aspects de cette guerre peuvent nous échapper, si l’on ne pose pas la question du mélange des genres entre politique, le paramilitarisme et le contrôle des cartels toujours en présence sur les narcotafics. Cet ensemble politico-militaire et maffieux est le résultat de la complexité et de l’ampleur des déséquilibres existants depuis le milieu des années 1970 et des liens étroits qui se sont établis entre les pouvoirs politiques, judiciaires, militaires et les pieuvres locales de la drogue.


    Liens entre paramilitaires et réseaux de drogues mis à jour

    Si le président Uribe n’est pas le «chevalier blanc », mais qui est-il, et que nous connaissons-nous de ses liens avec le paramilitarisme ou bien le dénommé Pablo Escobar ? Il contribua à la création des CONVIVIR, des groupes paramilitaires ou milices privées, qui ont été financer avec l’appui des grands propriétaires terriens et le narcotrafic. Les liens entre les paramilitaires et les réseaux de drogues ont autre été mis à jour, entre autre par les aveux ou confessions récentes de Salvatore Mancuso (2), il fut un proche d’Alvaro Uribe, lui et sa famille (3).

    Pour ce qui est du lien entre Pablo Escobar et Alvaro Uribe, il marque à la fois l’entrée en politique de ce dernier et l’élimination du premier pour accomplir un chemin jusqu’au mandat suprême. Pareillement, pourquoi Alvaro Uribe Velez est-il répertorié comme le narcotrafiquant numéro 82 au sein des archives du Département d’État étasunien? (4). Comment se fait-il que les USA aient accepté que cet homme puisse se faire élire avec de telles charges pesant sur lui, tout en continuant à financer par milliard de dollars un plan de lutte contre la culture et le trafic des drogues, le plan « Colombia » initié par Bill Clinton et son homologue colombien Pastrana ? Et question au demeurant sans réponse réelle à apporter pourquoi en 12 ans de lutte, personne n’a pu constater un infléchissement véritable  du marché ? Il est resté stable à environ 700 à 800 tonnes de cocaïne exportées et concernant principalement deux marchés, les USA et l’Europe.     


    Une continuation certaine 

    Les derniers mois de la présidence d’Alvaro Uribe ne signalent pas la fin d’un système, tout semble se présenter dans une continuation certaine, si Juan Manuel Santos devenait le prochain président de la Colombie. Ce dernier fut au poste de ministre de la défense et s’est retrouvé en première ligne lors du scandale des exécutions extrajudiciaires de jeunes hommes civils, ceci pour le but de faire du chiffre et de toucher des primes sur de faux combattants prétendument tués au combat. Cette affaire des « faux positifs » (4) est un des révélateurs, de comment a été organisé ces dernières années un silence de plomb au sein de la société civile. Des outils de délations permettent à des citoyens de dénoncer contre une rétribution un mal-pensant ou «un terroriste» en puissance, c’est le cas récent par exemple de comment dans les universités, il est possible de toucher un petit pécule pour dénoncer ses petits camarades.

    Il en est de même à l’extérieur du pays via certaines ambassades surveillant leurs ressortissants à l’étranger et traquant des nationaux non conformes et toujours sous le titre d’appartenance aux FARC. C’est ainsi que croupi en prison un académicien, Miguel Angel Beltrán. Jusqu’à l’an dernier, il donnait des cours au Mexique. Il s’est retrouvé extradé et mis sous les verrous sous la fallacieuse accusation d’appartenance aux FARC. Et ce n’est pas un cas isolé, il est question de 7.500 prisonniers politiques. Un jour qui sait, il sera temps de porter un regard lucide sur la Colombie… C’est un peu tout l’enjeu de comprendre, pourquoi cette société supporte depuis des décennies de tels déséquilibres ? Il en va surtout d’une guerre qui plonge le pays tout entier dans l’anonymat, une négation patente des crimes qui y sont commis.

    Source: "Le Grenier" de Lionel Mesnard

    Notes :

    (1) « Les paramilitaires colombiens avouent 30 000 meurtres » par Christine Renaudat
    http://www.la-croix.com/Les-paramilitaires-colombiens-avouent-30-000-meurtres/article/2415418/4077
    (2) Ancien chef paramilitaire ou milicien des AUC (Armées Combattantes Unies), Salvatore Mancuso est actuellement en prison pour narcotrafic aux USA.
    (3) PANTUANA TV , Uribe en sus tierras (vidéo en espagnol) :
    http://www.dailymotion.com/video/x8tkag_uribe-velez-en-sus-tierras_news
    (4) PANTUANA TV, Alvaro Uribe, saint ou démon ? (vidéo en espagnol) : http://www.dailymotion.com/video/xb2bjk_alvaro-uribe-santo-o-demonio_news
    (5) PANTUANA TV, Los Falsos-Positivos (vidéo en espagnol)
    1ère partie : http://www.dailymotion.com/video/xb2x0g_falsos-positivos-1-2_news
    2éme partie : http://www.dailymotion.com/video/xb2w6t_falsos-positivos-2-2_news

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  • Commentaires

    1
    Lionel Mesnard
    Mardi 29 Juin 2010 à 09:45
    Bonjour,

    J'ai demandé à Monsieur Collon de retirer cet article de son site, ainsi que le site d'Egalité et Réconciliation, ainsi que Lapluna, pour la simple raison que je ne partage pas leurs idées ou plus exactement leurs propagandes. Il est fait mention sur mon site que les articles que je signe sont sous DROITS RESERVES et ne peuvent faire l'objet d'une publication sans mon autorisation.

    MERCI D'EN TENIR COMPTE

    Pour info le lien valide est : http://lionel.mesnard.free.fr

    Notes complètes avec les liens :

    (1) « Les paramilitaires colombiens avouent 30 000 meurtres » par Christine Renaudat
    http://www.la-croix.com/Les-paramilitaires-colombiens-avouent-30-000-meurtres/article/2415418/4077
    (2) Ancien chef paramilitaire ou milicien des AUC (Armées Combattantes Unies), Salvatore Mancuso est actuellement en prison pour narcotrafic aux USA.
    (3) PANTUANA TV , Uribe en sus tierras (vidéo en espagnol) :
    http://www.dailymotion.com/video/x8tkag_uribe-velez-en-sus-tierras_news
    (4) PANTUANA TV, Alvaro Uribe, saint ou démon ? (vidéo en espagnol) : http://www.dailymotion.com/video/xb2bjk_alvaro-uribe-santo-o-demonio_news
    (5) PANTUANA TV, Los Falsos-Positivos (vidéo en espagnol)
    1ère partie : http://www.dailymotion.com/video/xb2x0g_falsos-positivos-1-2_news
    2éme partie : http://www.dailymotion.com/video/xb2w6t_falsos-positivos-2-2_news

    Cordialement,
    Lionel Mesnard
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