• Une autre guerre contre Gaza ?

    Ali Abunimah - The Electronic Intifada

    Les événements actuels sont très semblables à ceux qui ont précédé l’opération Caste Lead, écrit Ali Abunimah.

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    L’attaque israélienne de décembre 2008-janvier 2009 a coûté la vie à plus de 1400 Palestiniens, dont des centaines d’enfants. Cette opération terroriste à grande échelle a été tolérée, cautionnée et dans certains cas épaulée par les puissances occidentales - Photo : Hatem Omar/MaanImages

    Au cours des dernières semaines une escalade dans la violence entre Israël et les organisations de la résistance palestinienne dans la Bande de Gaza sous occupation israélienne, ont coûté la vie à plus d’une dizaine de Palestiniens, le plus jeune d’entre eux étant Mahmoud Jalal Al-Hilu âgé de 10 ans.

    Cette escalade augmente-t-elle la probabilité d’un autre assaut à grande échelle sur Gaza, semblable à l’opération Cast Lead de l’hiver 2008-2009 qui a tué plus de 1400 Palestiniens ? Il y a des signes inquiétants venant d’Israël - dans les paroles comme dans les actes - qui pourraient préparer le terrain pour une attaque. Le sursaut de violence a pris une autre dimension aux premières heures du 2 avril quand Israël a lancé une attaque aérienne contre la Bande de Gaza, assassinant trois militants de l’aile militaire du mouvement Hamas.

    Israël n’a pas prétendu que les trois militants du Hamas étaient engagés dans une quelconque activité hostile au moment où ils ont été massacrés (ils circulaient à bord d’une voiture), mais une déclaration de l’armée israélienne a affirmé qu’ils « prévoyaient d’enlever des Israéliens au cours des prochaines vacances juives de Pâques », soit plusieurs semaines plus tard.

    Cette dernière attaque israélienne a constitué un meurtre qualifié d’extrajudiciaire, dans lequel Israël, la force occupante, agit en tant que juge, jury et bourreau, lançant des accusations pour lesquelles il n’a fournit aucune preuve et après qu’il ait déjà appliqué la peine de mort. En vertu du droit international, ceci s’appelle un crime de guerre.

    Les médias internationaux ont tendance à présenter ces actions comme des « représailles » israéliennes face à des attaques palestiniennes, mais une lecture attentive des médias israéliens donne une image très différente : ce sont des provocations et des escalades dans la violence délibérées de la part d’Israël.

    Le 23 Mars, Avi Issacharoff et Amos Harel qui écrivent dans le quotidien israélien Haaretz ont rapporté le fait suivant : « Les tensions actuelles ont commencé exactement il y a une semaine quand Israël a lancé une attaque aérienne sur une base de Hamas dans les ruines de la colonie [juive] de Netzarim, tuant deux hommes du Hamas. Cette attaque est venue en réponse à une [fusée] Qassam tirée depuis Gaza qui a atterri dans un terrain vague. » Les Palestiniens ont répliqué avec un tir de 50 projectiles vers Israël.

    Israël a alors « lancé une série d’attaques aériennes dans lesquelles un certain nombre de militants du Hamas ont été blessés. » Et le 22 mars les forces israéliennes ont tiré des obus qui ont tué Mahmoud Al-Hilu et trois autres civils, soit-disant en réponse à des tirs de mortier depuis un champ d’oliviers du côté de Gaza (« Une guerre à petite échelle est en train d’être lancée le long de la frontière avec Gaza »).

    Le 24 mars, observent Issacharoff et Harel, « en dépit de l’escalade, le Hamas ne semble pas vouloir d’affrontements à grande échelle. L’organisation a réellement des bonnes raisons de croire que c’est Israël qui fait monter la tension au sud. » Cela a commencé par un bombardement il y a quelques semaines, lequel a perturbé le transfert d’un grande somme d’argent depuis l’Egypte vers la Bande de Gaza, et cela a continué avec l’interrogatoire en Israël de l’ingénieur et membre du Hamas, Dirar Abu Sisi (que des agents israéliens ont enlevé en Ukraine) et s’est conclu avec le bombardement la semaine dernière d’une base d’entraînement du Hamas dans laquelle deux militants de ce mouvement ont été tués.

    « Il est remarquable que le Hamas n’ait pas tiré de fusées vers Israël au cours des deux derniers jours, alors même que quatre civils Palestiniens ont été tués par des tirs de mortier venant de l’IDF [armée israélienne] le mardi [22 mars] » (« Le Hamas n’est vraisemblablement pas à l’origine de l’attaque à la bombe de Jérusalem »).

    Issacharoff et Harel ajoutent dans une analyse datée du 25 mars que l’attaque israélienne sur l’avant-poste du Hamas à Netzarim « est supposée avoir été autorisée par le ministre de la défense, qui était censé savoir que des personnes s’y trouveraient au cours de la journée et que cela entraînerait des pertes qui auraient d’autres conséquences qu’une attaque sur des lieux vides. Israël a escompté — de manière erronée - que le Hamas ne répondrait pas au bombardement. En fait, le Hamas a répondu en tirant 50 obus de mortier samedi matin » (« Une escalade qui s’annonce »).

    Il est difficile de croire, particulièrement à la lumière des meurtres extrajudiciaires du 2 avril, que les dirigeants israéliens ne savent pas que tuer des Palestiniens inciterait à des représailles du côté palestinien. Il semble que très probablement c’était là leur intention.

    Ces événements sont très semblables à ceux qui ont précédé l’opération Caste Lead. Après un printemps sanglant en 2008 où des centaines de Palestiniens ont été tués et blessés dans des attaques Israéliennes sur Gaza, Israël et le Hamas ont négocié un cessez-le-feu mutuel qui commençait le 19 juin 2008. De l’aveu d’Israël, cette trêve mutuelle a eu comme résultat une réduction de 97%t des tirs de fusées depuis Gaza au cours des quatre mois qui ont suivi, et aucune des poignées de projectiles lancés par le Hamas, n’a causé la moindre blessure à des Israéliens.

    Un cessez-le-feu mutuellement convenu s’est avéré être la façon la plus efficace d’atteindre le but censément le plus important pour Israël : protéger les civils israéliens des attaques par missiles depuis Gaza. Mais dans la nuit du 4 au 5 novembre 2008, Israël a décidé de briser la trêve. Comme The Guardian le rapportait le 5 novembre 2008, « un cessez-le-feu de quatre mois entre Israël et les militants palestiniens à Gaza est mis en péril aujourd’hui après que les troupes Israéliennes aient massacré six combattants du Hamas dans une incursion dans le territoire » (« La trêve de Gaza brisée après une incursion israélienne qui tue six militants armés du Hamas »).

    Puis, exactement comme il l’a fait lors de sa dernière attaque, Israël a justifié les massacres par l’affirmation invérifiable que ceux qu’il a massacrés étaient partie prenante d’un complot pour capturer des Israéliens.

    Le 21 mars, dans ce contexte d’escalade de la violence, l’aile militaire du Hamas elle-même a déclaré qu’elle serait disposée à appliquer une autre trêve mutuelle si Israël en était d’accord, mais Israël n’a montré aucun intérêt (« Gaza : Hamas veut une trêve, » Ma’an News, le 21 mars 2011).

    La constante provocation israélienne à la violence, selon toute vraisemblance délibérée, le long de la frontière avec Gaza survient dans un contexte de déclarations et d’initiatives bellicistes et de propagande de la part des dirigeants israéliens. Le 15 mars dernier, Israël a arrêté un bateau en route de Turquie vers Alexandrie en Egypte, qu’elle a accusé sans fournir de preuves de transporter des armes destinées à Gaza.

    Le vice-premier Ministre Silvan Shalom a déclaré à la radio israélienne le 23 mars qu’Israël pourrait devoir lancer une autre attaque à grande échelle sur Gaza pour renverser le Hamas, ajoutant : « Je dis ceci malgré le fait que je sache qu’une telle action, naturellement, pousserait la région dans une situation encore plus explosive ».

    Le ministre de la culture Limor Livnat a averti, selon Haaretz, qu’Israël ne pourrait avoir d’autre choix que de lancer une opération Cast lead numéro 2 [Israël est un pays où les ministres de la culture se comportent comme des généraux bellicistes. Peut-être sortent-ils leur pistolet quand ils entendent le mot ’culture’ ? - N.d.T].

    Shalom, inversant les faits et rejetant la responsabilité de l’escalade de la violence sur les Palestiniens, a placé la possibilité d’une nouvelle guerre contre Gaza dans un contexte manifestement politique. Le Hamas, selon le vice Premier Ministre cité par Haaretz, « pourrait avoir ouvert un nouveau front avec Israël ’pour arrêter n’importe quelle possibilité de dialogue parmi les Palestiniens ou pour venir à la négociation intra-palestinienne en position bien plus forte’ » (« Netanyahu : Israël continuera à fonctionner contre les terroristes à Gaza, » le 23 mars 2011).

    En d’autres termes, selon Shalom, c’est la force de résistance du Hamas qui empêche une réconciliation intra-palestinienne dans des conditions favorables à l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas (AP), basée à Ramallah et soutenue par Israël.

    Qu’Israël prépare délibérément le terrain pour un nouvel assaut sur Gaza ou finisse par y trébucher — si l’escalade actuelle ne s’arrête pas — une telle attaque doit être comprise en termes politiques. Ce serait une tentative pour en finir une bonne fois avec le Hamas et n’importe quelle autre îlot de résistance palestinienne.

    L’engagement à la résistance — politique ou militaire — de tout groupe palestinien significatif demeure un obstacle important à la pleine légitimation de la chaleureuse entente qui règne entre Israël et l’AP dirigée par l’Abbas, dont l’ampleur a été récemment mise à nue au grand jour dans les mémos de Palestine. En effet les relations sont si amicales qu’en octobre dernier les dirigeants de plus haut niveau de l’AP à Bethlehem ont reçu le chef d’état-majorl israélien Gabi Ashkenazi — qui a commandé l’opération Cast Lead - comme invité d’honneur, lui organisant même une visite guidée de l’Église de la Nativité - (« Le chef d’état-major de l’armée israélienne visite Bethlehem, » Ma’an News, le 3 octobre 2010).

    Ironiquement, le Hamas reste beaucoup moins intransigeant qu’Israël, comme cela est démontré par ses offres répétées de cessez-le-feu - qu’Israël rejette ou viole systématiquement - par les bruits constants au sujet « d’une réconciliation » avec Abbas sans insister sur le fait que ce dernier en finisse avec ses relations de « sécurité » avec Israël, par son adoption de l’ancienne « solution à deux états ». En dépit de ces concessions politiques non avouées comme telles, le Hamas maintient une capacité militaire qu’Israël est peu disposée à tolérer, soit comme défi vis-à-vis de lui-même, soit comme défi vis-à-vis de l’AP.

    Jusqu’ici, il y avait de bonnes raisons de croire qu’Israël hésiterait à lancer une nouvelle attaque militaire majeure sur Gaza. Il souffre toujours en effet des retombées diplomatiques et politiques de l’opération Cast lead - retombées dont fait partie le rapport des Nations Unies élaboré sous la direction du juge Goldstone - comme du massacre de neuf militants à bord du Mavi Marmara dans la Flotille de la Liberté pour Gaza au printemps dernier.

    Sans exagérer les risques, les contraintes sur Israël peuvent s’alléger. À la suite de la révolution en Egypte et dans un contexte de bouleversements politiques dans le monde arabe, certains Israéliens peuvent penser qu’ils ont une « dernière occasion » d’agir durant cette situation d’interrègne avant qu’un nouveau et moins amical gouvernement soit en place au Caire. Les interventions militaires occidentales et saoudiennes en Libye et au Bahrain respectivement ont également fourni une nouvelle respectabilité à l’emploi de la force militaire à des fins politiques.

    La complicité internationale continue cependant à envoyer à Israël un message très clair selon lequel son impunité est garantie. Le récent veto de l’administration Obama à une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies - qui ne faisait que reprendre les termes de la position des Etats-Unis concernant la construction de colonies par Israël en Cisjordanie - a été une indication limpide qu’Israël dispose toujours d’un chèque en blanc de la part des Etats-Unis.

    Tragiquement, le plus grand contributeur à la confiance renouvelée en Israël pour se lancer à nouveau dans une série de meurtres à grande échelle dans Gaza, est peut être juge Richard Goldstone lui-même. Les dirigeants israéliens ont exploité son article de contrition du 1er avril dans The Washington Post comme une preuve qu’Israël n’a jamais commis de crimes de guerre à Gaza, et qu’il était la victime d’une « diffamation sanglante », comme Jeffrey Goldberg, ancien volontaire de l’armée d’occupation israélienne le dit sur son blog Atlantic.

    Tandis Que Goldstone essayait clairement d’apaiser les sionistes qui l’ont soumis à une intense campagne de dénigrement et d’ostracisme personnel, son article n’a en fait nullement contredit même une seule et concrète conclusion du rapport qui porte son nom (« Reconsidération du Rapport de Goldstone sur Israël et les crimes de guerre, » le 2 avril 2011).

    Deux analyses importantes de l’initiative de Goldstone, et comment il ne s’agit nullement d’un reniement du rapport qui porte son nom est visible sur Mondoweiss et daté du 2 avril : « Ce que l’opération de contrition de Goldstone ne dit pas » par Yaniv Reich, et « Goldstone encense l’enquête israélienne sur les crimes de guerre dans Gaza, mais le comité des Nations Unies en a une image différente, » par Adam Horowitz. La contrition de Goldstone concerne l’opinion personnelle d’une seule personne. Le rapport de Goldstone, un document officiel des Nations Unies et établi par une commission, demeure un condensé des actes d’Israël — et du Hamas - qui n’est contredit par aucune nouvelle preuve, et encore moins par les « enquêtes » faites par Israël.

    Pourtant, comme nous l’avons tristement constaté tant de fois, l’analyse et la prise en compte appropriés de faits de base ont peu d’incidence dans le « brouillard de la guerre, » et particulièrement quand Israël est la partie qui lance cette guerre.

    (JPG) Ali Abunimah est cofondateur de The Electronic Intifada, conseiller politique du Réseau politique palestinien, et auteur de Un pays : une proposition audacieuse pour mettre fin à l’impasse israélo-palestinienne.

    Du même auteur :

    -  Vers un « moment Moubarak » en Palestine
    -  La révolution continue après la chute de Moubarak
    -  Le soulèvement en Egypte et ses implications pour la cause palestinienne
    -  Le massacre de Gaza et la lutte pour la justice
    -  Israël pense que nous sommes « très forts » ... Alors aidez-nous à le rester.
    -  La Banque mondiale occulte-t-elle les mauvais chiffres de la « croissance » économique en Cisjordanie ?
    -  Pourparlers directs : qui va tirer les marrons du feu ?


    4 avril 2011 The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
    http://electronicintifada.net/v2/ar...
    Traduction : Abd al-Rahim


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  • Genèse de la disparition forcée en Colombie



    MOVICE

    Traduit par  Christophe Kenderian


    Les premières disparitions forcées se produisent à la fin des années 70’ en Colombie, dirigées contre des militants reconnus de gauche (syndicalistes, étudiants, intellectuels, entre autres), des partis politiques d’opposition comme le Parti Communiste, ou des membres d’organisations insurgées capturés en dehors des combats. À cette époque, on en sait très peu sur ce genre de crime, il n’est pas considéré comme un acte criminel dans le pays. Les autorités judiciaires et politiques le justifient en signalant simplement qu’il s’agit de personnes disparues ou qui ont décidé d’intégrer des groupes insurgés. Depuis, des informations concernant les victimes ont été recueillies, la plupart du temps par des organisations de défense des droits humains qui ont enregistré de nombreux cas dans leurs bases de données, mais ceux-ci restent dans la plus totale impunité.
     

     

    Journée commémorative des disparus, Plaza Bolívar, Bogotá, Colombia

    Cette pratique de la disparition forcée coïncide avec la mise en circulation de manuels d’opération militaire définis par le décret 1 537 de 1974, connu sous le nom de Stratégie de Défense et Sécurité Nationale, et le décret 1 923 de 1978 qui élargit les compétences de la force publique au jugement des civils et octroie des pouvoirs judiciaires à la police. Dans ces deux décrets, la population civile est conçue comme objectif de la lutte contre-insurrectionnelle puisque c’est en elle que « se fonde l’existence de groupes subversifs » ; c’est pourquoi elle est la cible d’opérations d’intelligence, de guerre psychologique et de « défense » contenues dans les manuels de référence

    La classification de la population en listes noires, grises et blanches est une stratégie bien connue à laquelle on applique différentes modalités d’agression, parmi lesquelles la disparition forcée. C’est également une époque de renforcement de la stratégie paramilitaire avec l’apparition du MAS (Muerte a Secuestradores - Mort aux Ravisseurs), dans le Magdalena Medio, et qui s’étendra plus tard à l’ensemble du pays.

    Dans les années 80’, ce crime se généralise et devient permanent. Les groupes paramilitaires, avec la complicité des forces armées, reprennent cette pratique comme modalité d’agression et d’exercice de la terreur contre les paysans qu’ils capturent, torturent et assassinent avant de les faire disparaître. Ils s’approprient ainsi leurs terres et leurs biens, ou encore mettent en œuvre des projets stratégiques d’infrastructure ou d’exploitation des ressources naturelles. Dans les années 90’, la disparition forcée devient le crime de lèse humanité le plus pratiqué par les groupes paramilitaires, elle répond alors à trois objectifs principaux :

    • Exterminer et faire disparaître les dirigeants sociaux et politiques ;
    • Réaliser des actions d’extermination de secteurs de la population considérés indésirables, comme les prostituées, les toxicomanes, les LGBT et les indigents ;
    • Imposer une forme de discipline et de contrôle social de populations entières à qui s’applique cette modalité, afin de créer un état de terreur et en finir avec toute intention de dénoncer ou de s’opposer à la stratégie paramilitaire.

    De nombreuses victimes de disparition forcée terminèrent dans des fosses clandestines, réduites en cendres dans des crématoriums artisanaux construits sur des propriétés d’éleveurs de bétail, de paramilitaires ou de narcotrafiquants, ou dans les grands fleuves du pays, sans qu’on ait pu retrouver leur trace jusqu’à nos jours. Cette réalité, ajoutée à la peur de dénoncer une disparition forcée dans une zone contrôlée par ceux qui l’ont perpétrée et au manque de confiance dans les institutions étatiques ne permet pas de se faire une idée précise du nombre total de victimes. Des témoignages de parents sont encore recueillis car ce n’est qu’aujourd’hui qu’ils osent dénoncer ces crimes, mais de nombreux cas restent à documenter.

    C’est seulement depuis 2000 et la loi 589 que la disparition forcée est reconnue comme un délit, qu’elle est considérée comme telle par l’institution judiciaire. Actuellement, la Colombie souscrit à la majorité des instruments internationaux sur la question et a développé une législation et des mécanismes spéciaux. Pourtant, la détention et la disparition forcée de personnes continuent d’être systématiques, permanentes et généralisées, comme le signalent les rapports de l’ONU, les organismes de défense des droits humains et même les instances officielles. Suite à une importante campagne menée par le Mouvement National des Victimes des Crimes d’État, le gouvernement a consenti à présenter un projet de loi qui permette de ratifier pleinement la Convention internationale des Nations Unies pour la protection de toutes les personnes contre la disparition forcée.

    Combien de victimes de disparition forcée en Colombie ?

    Personne ne peut apporter de réponse précise à cette question. La non reconnaissance de ce délit pendant des années, le fait qu’il apparaisse comme un simple enlèvement ou un homicide et, par conséquent, le manque de rapports officiels, la peur de dénoncer de la part des parents des victimes, la persécution contre les organisations de victimes qui s’occupent de mener des recherches et la volonté constante du gouvernement d’occulter les chiffres, font qu’il est impossible d’avoir des données précises sur la magnitude de ce crime contre l’humanité.

    Jusqu’à mi-2009, le Bureau du Procureur Général de la Nation avait enregistré 25 000 victimes et recevait encore des plaintes. La Commission Nationale de Recherche de Personnes Disparues quant à elle a enregistré 35 086 cas ; elle a par ailleurs déclaré que les cas de disparition forcée ont augmenté dramatiquement entre le 1er février 2007 et le 21 octobre 2008. Durant cette période, 7 763 cas ont été enregistrés, dont 3 090 en 2008. Les registres de médecine légale et sciences légistes disposent de chiffres encore plus élevés.

    De leur côté, les organismes de défense des droits humains, parmi lesquels le Mouvement National des Victimes des Crimes d’État, affirment que depuis 1977, et si on prend en compte les quatre dernières années, les chiffres pourraient dépasser les 50 000 victimes. Organismes gouvernementaux et non gouvernementaux coïncident sur le fait que le nombre de victimes continue d’augmenter. Ces chiffres intègrent la documentation des cas d’exécutions extrajudiciaires au cours de la période de Sécurité Démocratique, crime également connu sous le nom de « faux positifs » en Colombie. Le nombre de cas documentés s’élève à 3 083 (entre juin 2002 et décembre 2009), parmi lesquels un pourcentage élevé ont débuté par des disparitions forcées.
     



    Journée commémorative des disparus, Plaza Bolívar, Bogotá, Colombia

    Un exemple peut illustrer la magnitude de l’horreur. L’Institut National de Médecine Légale signale qu’il a reçu dans la ville de Medellin - entre le 1er mars et le 7 avril 2010 - un rapport mentionnant 109 cas de disparitions forcées. Six personnes ont été retrouvées mortes et 103 sont encore portées disparues, dont 34 femmes. Enfin, la disparition forcée continue d’être une réalité douloureuse et derrière chaque cas, une personne, un projet de vie, une famille et très souvent un collectif, sont gravement affectés.

    Prendre part aux recherches des victimes de disparition forcée

    Le MOVICE est également préoccupé par la faible participation des familles aux processus de recherche des disparus (seules 448 familles ont pu y assister sur plus de 4 000 exhumations réalisées). Dans de nombreux cas, les parents des victimes sont uniquement perçus comme des plaignants, une source d’informations, objet de la preuve d’ADN, mais pas comme des sujets de droit. D’autres raisons expliquent également leur faible participation :

    • Méconnaissance de la part des instances officielles de l’identité des personnes qu’elles recherchent, manque d’investigation préliminaire rigoureuse et efficace. Les organismes ne savent pas qui contacter ni vers où orienter leurs investigations ;
    • Manque d’information adéquate et compréhensible de la part des familles sur leur droit à participer ;
    • Refus de Bureau du Procureur de la présence des parents des victimes et de leurs accompagnateurs lors des exhumations, par manque de sécurité ; argument contradictoire puisque le gouvernement nie l’existence d’un conflit armé, nie le contrôle exercé par les paramilitaires sur certains territoires et met l’accent sur les avancées en matière de sécurité grâce à la Politique de Sécurité Démocratique ;
    • Crainte de la part des fonctionnaires de l’impact émotionnel sur les parents des victimes et des communautés, incapacité à gérer ces situations sans l’appui de professionnels, particulièrement lors des exhumations et des identifications ;
    • Manque de moyens pour que les parents des victimes puissent réaliser un suivi des processus judiciaire et d’investigation ;
    • Annonces des exhumations faites au dernier moment.

    « Nous cherchons les êtres qui nous sont chers. Nous ne cherchons pas des tombes et des os »

    Telle est la réaction des familles de victimes quand elles voient défiler froidement les statistiques des organismes judiciaires sur le succès des exhumations réalisées par le Programme National d’Identification des Victimes non identifiées et de Recherche de Personnes Disparues, du Bureau du Procureur Général de la Nation. Ce programme a été présenté devant la communauté internationale comme étant à la base du succès de la loi 975 de 2005 (connue sous le nom de Loi de Justice et Paix). Pourtant, en se penchant sur les statistiques, s’il est vrai que le Bureau du Procureur a permis quelques avancées, il est encore bien loin d’assurer l’accès au droit à la vérité et à la justice. Plus de 90% des victimes restent aujourd’hui disparues et la plupart des affaires n’ont pas pu être résolues; les paramilitaires n’ont reconnu leurs crimes que de manière globale et l’État n’assume pas sa responsabilité dans ce crime de lèse humanité.

    Le règne de l’impunité rend ces délits bien relatifs. Aujourd’hui encore, de nouveaux cas de disparitions forcées passent aux mains de la justice pénale militaire comme s’il ne s’agissait que de cas d’obéissance due. Des combattants ayant été exhumés figurent dans les statistiques afin de gonfler les résultats des recherches de personnes disparues. D’un point de vue psychosocial, cette re-victimisation des familles ôte tout caractère réparateur aux processus de recherche, d’exhumation, d’identification et d’une remise des corps qui se fasse dans le respect de la dignité.

    Souvenons-nous qu’il est question de plus de 50 000 victimes de disparition forcée au cours des trente dernières années. Le Bureau du Procureur signale que jusqu’au 28 février 2010, 2 488 fosses avaient été retrouvées, contenant 3 017 corps. Mais l’identification et la remise des restes et des corps sont encore très lentes : 910 corps ont été pleinement identifiés, parmi lesquels 796 ont été remis à leur famille.

    Un événement à vite oublier

    Journée commémorative des disparus,
    Plaza Bolívar, Bogotá, Colombia

    Le 15 octobre 2009, dans les installations du Corps Technique d’Investigation (CTI) de Medellin, organisme lié au Bureau du Procureur Général de la Nation, 23 corps de victimes de disparition forcée ont été remis par l’Unité de Justice et Paix. Les familles et la presse furent invitées à participer à l’événement. Les restes se trouvaient dans de petites caisses en bois scellées que les parents n’ont jamais pu ouvrir. Derrière les caisses se trouvaient tous les fonctionnaires de l’Unité de Justice et Paix, du CTI, de la mairie, entre autres. Les parents des victimes quant à eux furent installés sur des chaises, loin des restes de leurs proches ; on leur demanda d’être présent à cette cérémonie pendant laquelle les discours des fonctionnaires représentaient le véritable enjeu vis-à-vis de la presse qui se fit l’écho des bons résultats obtenus par le programme d’exhumation et d’identification des cadavres.

    Ce jour-là, Yoni Rivera était présent avec ses dix frères pour recevoir les restes de leur père Sebastian Enrique Rivas Valeta et de leur frère Wilson Rivas Lopez, tous deux torturés, disparus et assassinés le 20 juillet 1996 dans la commune de Turbo par des paramilitaires qui opéraient dans la région. Leur mère n’a pu assister à l’événement, Rosiris del Carmen Lopez a été cruellement assassinée en 1997 pour avoir dénoncé les faits. Peu importait alors que Rosiris soit enceinte et que ses enfants soient accrochés à ses mollets au moment du meurtre, les assassins n’eurent aucune compassion : elle fut dépecée, étripée, son fœtus arraché et son corps éparpillé pour que ses enfants voient tout. Yoni avait douze ans. Il a eu le courage, avec ses frères, de récupérer les morceaux du corps de leur mère.

    Le jour de la remise des restes, les enfants se sont retrouvés, car ils vivent maintenant dispersés aux quatre coins du département d’Antioquia, mais leur histoire n’a pas intéressé grand monde, ils n’étaient pas les héros du jour. Le Mouvement National des Victimes des Crimes d’État les a réunis pour une célébration eucharistique intime où pour la première fois, ils ont pu parler de ce qu’ils sentaient. Ils ont pu s’approcher des « cercueils » tranquillement, les toucher et exprimer leurs peurs. Le plus âgé se demanda « Ce sont les corps de notre père et de notre frère ? ». Tout ce qu’ils savent à ce jour, c’est qu’on leur a fait une prise de sang pour réaliser un prélèvement d’ADN auquel ils n’ont pas compris grand chose, ils n’ont pas assisté à l’exhumation. « Ce fut comme une remise de diplôme de fin d’études », ont déclaré certains…





    Merci à MOVICE
    Source: http://alainet.org/active/45655⟨=es
    Date de parution de l'article original: 07/04/2010
    URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=4552


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  • Des Blacks Pour Un Beur Libyen, Des Blancs Pour Un Noir Ivoirien.

     
    L’Afrique s’est diversement illustrée en noir et blanc (N&B) dans les dossiers libyen et ivoirien en négociant pour un Beur en butte à une rébellion armée par l’Occident et en livrant son Noir aux Blancs de la force "Licorne", des Français qui n’ont pas voulu perdre la face sur tous les plans, étant allés à Canossa en Libye et cherchant coûte que coûte à se refaire une santé sur le dos du couple Gbagbo tenu responsable moins pour la vie des suppliciés noirs de la guerre post-électorale que de la mort d’un Jean Hélène et/ou d’un Guy André Kieffer disparu le 16 avril 2004, principalement .

    La porte-parole de Ouattara est sans ambages à ce sujet, ce lundi 11 avril, malgré les tentatives de rattrapage subséquentes : "Il a été arrêté par les forces françaises qui l’ont remis aux forces républicaines". En bon hédoniste aimant la vie qu’il continue de croquer de belles dents, d’après les images muettes diffusées après son arrestation, Gbagbo a facilité la tâche à Sarkozy en restant vivant au moment de l’irruption des Français ; sa mort aurait été inacceptable et les colonisateurs qui peuvent encore bombarder des palais présidentiels africains, cinquante ans après l’indépendance, auront sans doute la décence de négocier la vie de Laurent et de Simone Gbagbo, pour se rattraper auprès de leur propre opinion et de la communauté africaine. Surtout s’ils ont tous bénéficié de ses largesses, comme avec Khadafi, au demeurant.

    Si, en effet, cinq présidents africains et un chef de la diplomatie volontaires et mandatés comme médiateurs par l’Union africaine, ont séjourné les 10 et 11 avril derniers en Libye, dans l’espoir d’obtenir une trêve dans une rébellion armée par l’extérieur pour faire tomber Khadafi, au mépris du droit élémentaire, sur la Côte d’Ivoire, en revanche, le silence coupable de l’Afrique des dictatures n’étonne guère : tous plus ou moins mal élus, les chefs d’État africains ne pouvaient, dans leur majorité, irriter une France ou d’une Amérique de Sarkozy et de Obama à la recherche d’une prolongation (deuxième mandat hypothétique) connue sur l’ancien continent, berceau des présidents à vie qui ont sans doute nourri le secret espoir de voir Gbagbo tenir tête.

    Parmi les objectifs visés, figuraient la "cessation immédiate de toutes les hostilités", l’acheminement de l’aide humanitaire et l’ouverture d’un dialogue entre le régime et l’insurrection encadrée par les États-Unis et la France, principalement Paris.

    Le président sud-africain Jacob Zuma et ses homologues du Congo, du Mali, de Mauritanie et d’Ouganda ont également proposé une "période transitoire" pour l’adoption de réformes politiques censées éliminer les "causes de la crise actuelle", et qui dormaient dans quelque tiroir depuis près de trois ans, selon le camp du guide libyen.

    Ils seront confortés par les assaillants de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) lorsque le secrétaire général reconnaissait le même jour l’impasse militaire et s’appesantissait sur l’aspect diplomatique à privilégier, et ceci bien que ses troupes aient continué de bombarder des cibles innocentes.

    Le relatif succès libyen est cependant éclipsé par le douloureux spectacle d’un Gbagbo ramené à l’état d’un Saddam Hussein traqué et extirpé d’un trou à rat pour être soumis à ce spectacle dégradant d’un prisonnier de guerre sans droit ni dignité, palpé, tâté, "adéannisé", exactement comme on faisait de l’esclave noir avant sa livraison à de nouveaux maîtres.

    Les Africains exclus de la cour des grands ont démontré toute leur intelligence dans le dossier –libyen, en fermant pudiquement les yeux sur le sort des Ivoiriens livrés aux mercenaires, aux soldats de l’Organisation des Nations-Unies et aux militaires français.

    Des coalisés de circonstance, en mal d’autorité parce que faisant route vers un second mandat des plus incertains, avaient décidé de fermer le ciel africain à des chefs d’États souverains qui ne demandaient pourtant qu’à être utiles à leurs frères de race. Mobilisés au nom du continent pour apporter une réponse africaine, ils seront éconduits sans autre forme de procès alors qu’on leur demandait d’aller voir à Paris s’ils y étaient, ce qu’ils refusèrent dignement… tout en avouant leur impuissance morale coupable face au pays de Houphouët-Boigny.

    Si, comme le notait "Jeune Afrique" le 11 avril même, "c’est donc plutôt l’impuissance ou l’inertie de l’Union africaine, de la Cedeao et de l’ONU qui ont incité Paris à monter en première ligne, visiblement à reculons", une logique raciale face à un anti-français primaire avait fait pencher la balance du côté du boulanger ivoirien qui a su entretenir "les « amis » de Sarkozy (qui) ne se sont d’ailleurs jamais aussi bien portés qu’avec le leader du FPI : Bolloré, Bouygues, Veolia, Vinci, France Télécom ou Total peuvent en témoigner... », conclue malicieusement Marwane Ben Yahmed.

    Pathé MBODJE
    Journaliste, sociologue

    URL de cet article 13381
    http://www.legrandsoir.info/Des-Blacks-Pour-Un-Beur-Libyen-Des-Blancs-Pour-Un-Noir-Ivoirien.html

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  • Débat sur la laïcité : un musulman répond à Copé
    Marwan Muhammad

    Cher Jean-François, j’ai lu avec grand intérêt la lettre que tu m’as adressée dans l’Express et, puisque nous sommes désormais amis, permets-moi de te tutoyer et de te dire les choses en toute franchise.

    D’abord je dois te confier que chez moi (en France avant que tu demandes), ce n’est pas comme ça que l’on traite ses amis. On ne fait pas un débat pour savoir comment nos amis devraient s’habiller ou s’exprimer. On ne se mêle pas de leur vie religieuse et on ne se permet pas de dire à leur fille que sa robe est trop longue. Ce serait très déplacé, tu en conviendras.

    On ne se sert pas non plus de ses amis pour gagner des élections. On ne salit pas leur dignité et on ne leur porte pas préjudice, même si ça fait monter l’audimat au radio-crochet du coin…

    Tu dis vouloir m’aider à combattre les préjugés à mon sujet, mais c’est toi qui les alimentes à chaque fois que tu prononces les mots islam, menace et laïcité dans la même phrase.

    Je ne t’ai rien demandé et je n’ai pas besoin de ton aide. Je veux juste que tu me laisses en paix. Le jour où tu auras vraiment envie d’avoir une conversation avec moi, retrouve moi autour d’un bon repas, sans caméras si possible, comme ça tu pourras me regarder dans les yeux te dire le fond de ma pensée. D’ici là, si vraiment tu t’ennuies et qu’il te reste de l’énergie, je peux t’indiquer un certain nombre de problèmes qui requièrent toute ton attention dans le pays : à commencer par le fait qu’il manque du travail à beaucoup de nos concitoyens et que les gens ne se parlent quasiment plus depuis que toi et ton équipe tenez le micro.

    J’aimerais aussi répondre point par point à un certain nombre de remarques que tu fais dans ta lettre et qui, si l’un de nos amis la lisait, risqueraient de l’induire quelque peu en erreur.

    Quand tu dis que notre foi, l’islam, est « défigurée dans l’opinion par des comportements ultraminoritaires », ce serait bien de rappeler que cette « opinion » se construit moins à partir de la réalité que du discours politique et médiatique auquel, il me semble, tu participes un peu (note ce doux euphémisme que l’amitié t’offre en privilège).

    Toi qui as depuis fort longtemps renoncé à la langue de bois et à la stratégie politique, tu devrais savoir qu’il ne convient pas de dire une chose et son contraire d’une interview à la suivante. On pourrait t’accuser de tenir un double discours ce qui, par les temps qui courent, reviendrait à te bannir de la sphère publique où tu sembles t’épanouir.

    Plus loin dans ta lettre, tu parles de mon grand père mais tu confonds probablement, c’est celui d’un autre qui est mort à Verdun. Le mien a combattu à Al Alamein en Egypte, dans une guerre qui n’était pas la sienne. Du côté de maman, ils étaient plutôt vers Alger, où ils ont pu découvrir les joies de l’électricité dans les années 50’. C’est vrai que tout ça fait partie du passé… mais je suis bien content que tu fasses avec moi ce devoir de mémoire qui nous rappelle d’où nous venons et ce qui nous unis, tout en nous permettant de tirer des enseignements qui nous éviterons de répéter les mêmes erreurs. Comme par exemple de stigmatiser une partie de nos concitoyens pour des objectifs politiques.

    Tu voudras bien m’expliquer aussi pourquoi dès que tu parles d’islam, tu te sens obligé d’invoquer la laïcité pour dire quelque chose de pas sympa juste après. Si tu n’aimes pas les barbes et les foulards, libre à toi d’exprimer ton opinion. Nul besoin de faire comme tous ceux qui, pour légitimer leur rejet des formes visibles de l’islam, se drapent sous la cape de la laïcité en espérant y trouver une respectabilité à leur racisme d’autrefois. Je sais bien que tu n’en fais pas partie, toi qui poursuit des objectifs « emprunts de paix et de respect », mais c’est tout de même dans ton camp qu’on entend des gens parler de « croisades », de la « France [qui] doit rester la France », et du jeune musulman dont on veut « qu’il travaille, qu’il ne parle pas verlan et qu’il ne mette pas sa casquette à l’envers ». Si c’est toi le chef de cette belle équipe d’esprits éclairés, je te souhaite bien du courage.

    C’est bien d’avoir une opinion. C’est mieux d’avoir la vérité. Or notre vérité commune est dictée par la loi de notre pays et il se trouve justement qu’en 1905, une loi a été votée pour établir le principe de laïcité que les polémistes (contre lesquels tu fais bien de t’insurger) ressassent à tort mais surtout à travers sans vraiment l’avoir lue.

    Et que dit-elle cette loi ?

    Elle dit que nous sommes libres.

    Libres de choisir en conscience notre religion et de la vivre comme bon nous semble, sans faire de prosélytisme et sans devoir la cacher ou la renier dans la sphère publique.

    Libres de s’habiller comme il nous plait, de porter une barbe ou de se couvrir la tête si on le souhaite.

    Libres de prendre notre place au sein de la république comme nous l’avons fait jusqu’ici en l’enrichissant de notre travail, de nos idées et de nos espoirs.

    Aucune instance musulmane n’a réclamé le changement de cette loi. Aucun musulman n’a demandé un privilège dont serait exclu l’un de ses concitoyens. Nous demandons, et la majorité de nos concitoyens avec nous, le strict respect de la loi de 1905. Sans cadres ni contraintes supplémentaires et sans polémiques pour venir, chaque jour un peu plus, restreindre nos libertés et nos droits fondamentaux.

    Mon cher Jean-François, à trop vouloir nous aider, tu risques de nous causer du tort en faisant croire qu’il y a une spécificité islamique qu’on aurait jusque là ignorée. Il n’en est rien. Nous sommes des citoyens comme les autres, acteurs anonymes des changements et des sacrifices que doit concéder notre pays aujourd’hui. Ta famille politique n’est pas étrangère à cette situation (mais bon, on ne choisit pas sa famille…). Ce serait malheureux de donner ainsi raison à ces mauvaises langues que j’entends déjà dire qu’avec des amis comme toi …on n’a pas besoin d’ennemis.

    Pour ces raisons, tu comprendras que je ne souhaite pas venir à ta petite fête du 5 avril. Je préfère vous laisser laver votre linge sale en famille. Fais-moi signe quand tu auras repris tes esprits et que les choses se seront un peu calmées vers chez toi.

    Je termine en te rappelant que le respect, c’est d’accepter l’autre tel qu’il est et non tel qu’on voudrait qu’il soit, avec ses différences. Il serait bon que tu t’en souviennes désormais, avant d’invoquer une idée de fraternité que tu piétines chaque jour.

    Ton ami,

    Marwan Muhammad

    Source : FoulExpress


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  • Crise nucléaire japonaise : qui croire ?



    Tomi Mori トミ森

    Traduit par  Pedro da Nóbrega

    La plus grande crise actuelle au Japon est d’abord la crise de confiance. Il n’est déjà plus possible de croire en aucun des communiqués de la Tepco (Tokyo Electric Power Company), ni non plus dans ce qu’affirme le gouvernement japonais. Comment croire aux déclarations du gouvernement japonais ? Nul ne sait sur quel critère scientifique le gouvernement a déterminé ce périmètre de 30 km d’évacuation. Mais il est indubitable que ce périmètre n’est pas élargi car cela représenterait des milliards de yens d’indemnisations.

    À l’orée de la quatrième semaine après le début de la tragédie, sachant qu’elle est bien loin de sa conclusion, nous disposons maintenant de quelques données relativement stabilisées. Le bilan officiel des victimes s’élève à 11.620 tués, 16.444 disparus (il y a peu de probabilités que puissent encore trouvés des survivants après tant de jours), 2.877 blessés et 191.625 édifices détruits ou endommagés. Ces chiffres peuvent être considérés comme le premier volet de la tragédie. L’autre partie concerne les maisons, les cultures et les vies désorganisées par la tragédie nucléaire, qui se poursuit sans que nous puissions déterminer à quel stade de la crise nous nous situons. Les estimations pour réparer les dommages causés se chiffrent à 300 milliards de dollars. Sommes-nous au début, au milieu ou proches de la fin de cette crise?

    Manque de crédibilité

    La plus grande crise actuelle au Japon est d’abord la crise de confiance. Cette phénoménale crise de confiance, dans l’acception la plus large du terme, procède de l’attitude des autorités impliquées dans la crise nucléaire, à savoir la Tepco et le gouvernement du Premier ministre Naoto Kan.
     
    La Tepco, gestionnaire de la centrale nucléaire Fukushima 1, depuis le début de la tragédie, s’est comportée de telle façon qu’il n’est déjà plus possible de croire en aucun des communiqués qu’elle rend publics. Le Premier-Ministre japonais lui-même avait du, dès le début de la crise, se rendre au siège de l’entreprise à Tokyo pour se plaindre de la façon dont elle communiquait. Il avait été le dernier informé, l’entreprise ayant en premier lieu communiqué avec les média. Les premiers rejets, que le gestionnaire prétendait "inoffensifs", ont engendré, entre autres conséquences, une situation telle que les populations riveraines ne pourront plus retourner chez eux. Plusieurs travailleurs ont été irradiés, du fait de manquements à la sécurité sur les lieux, d’informations erronées ou, qui sait, de mensonges avérés.

    Depuis le début de cette catastrophe nucléaire, le gestionnaire fournit des données de mesure de la radioactivité mais sans que personne ne soit en capacité de connaître les critères qui ont été utilisés. Ces critères sont-ils pertinents, les équipements sont-ils appropriés, personne n’est à même de l’évaluer. Malgré tous les artifices utilisés pour minimiser la gravité d’une situation de crise, les actions de l’entreprise ont plongé. Et si elles ne sont pas encore devenues poussière, comme on peut le dire dans le langage des initiés, c’est parce qu’elle continue à dissimuler la vérité, sans dire clairement ce qui devrait être dit dans une situation aussi grave que celle-là. Il n’y a aucun doute que ce sont les considérations économiques qui priment sur toutes autres, les questions sociales relatives à la sécurité et à la vie des personnes étant reléguées au second plan. Les semaines passent mais aucune information concrète sur les issues possibles à cette crise ne filtre.
     
    La désactivation des quatre réacteurs a été annoncée cette semaine. Dans tous les cas de figure, cette opération prendra plusieurs décennies. C’était l’évidence même, après la décision désespérée de déverser des masses d’eau salée afin de réfrigérer les réacteurs. Mais plutôt que de lever les doutes, nous nous trouvons aujourd’hui face à une quantité encore plus grande d’interrogations sans réponses. Combien de temps faudra-t-il pour que la situation soit sous contrôle ? De quels moyens dispose le gestionnaire pour colmater les fuites qui mettent en péril la vie des personnes ? Maintenant que le printemps arrive et que la température augmente, comment remplacer l’eau de mer ? L’armée va-t-elle utiliser ses hélicoptères pour inonder les réacteurs de sorbet ?
     
    À l’heure actuelle, la température aux abords de Fukushima 1 est encore assez basse se situant à environ 5 degrés. Mais, qu’adviendra-t-il lorsque la température ambiante dépassera les 30 degrés ? Le gouvernement a évoqué la possibilité de recourir à de la résine mais dans quel but et de quelle façon ?
     
    Comment croire aux déclarations du gouvernement japonais ? Nul ne sait sur quel critère scientifique le gouvernement a déterminé ce périmètre de 30 km d’évacuation. Mais il est indubitable que ce périmètre n’est pas élargi car cela représenterait des milliards de yens d’indemnisations. Plus grand sera le périmètre, plus importantes seront les indemnisations à verser et le gouvernement fait à l’évidence ce calcul, quel que soit le risque encouru par des milliers de personnes. Le gouvernement, comme tout gouvernement, se doit de communiquer sur le sujet, mais il s’est montré incapable de trouver une solution rapide pour que la tragédie ne prenne pas de plus amples proportions. En l’absence d’explications fiables, j’en suis réduit à spéculer et tout semble indiquer que la situation est aujourd’hui pire et plus dramatique que le 11 mars, date du séisme.

    L’impact économique du manque de confiance

    La visite du Président Sarkozy au Japon ne fait qu’illustrer la crainte existant, dans le monde entier, que la crise japonaise puisse être la source de problèmes encore plus graves dans une situation déjà passablement compliquée. Les optimistes affirment que le monde était en train de sortir de la crise de 2008. D’autres, plus sceptiques, prétendaient que nous étions sur la voie, non d’une récession, mais d’une dépression. Quelle que soit l’opinion pour laquelle on penche, la crise actuelle japonaise, sans aucun doute, ne fait qu’assombrir la situation mondiale. La dépendance à l’énergie nucléaire de certains pays est criante, à l’image de la France de Sarkozy. La France, qui projetait de vendre des centrales nucléaires même aux Martiens, si possible, a vu son rêve s’écrouler. Mais plus encore, pourrait émerger un puissant mais redouté mouvement anti-nucléaire, facteur que le Président français cherche à éviter, en anticipant les évènements et en essayant de se présenter comme le paladin de la sécurité nucléaire, comme si c’était possible...
     
    Le manque de positions claires de la part du gouvernement entraîne une paralysie dans tous les domaines de l’activité sociale. Il est encore trop tôt pour pouvoir fournir des chiffres précis, mais, au-delà du fait que plusieurs entreprises aient été touchées, en raison du manque de pièces détachées et de composants, nous n’en sommes qu’au début de problèmes encore plus grands pour l’économie japonaise. Lors de l’été prochain, il est d’ores et déjà clair que le manque d’énergie va causer de graves problèmes. Le plus grand se posera à Tokyo, cœur de l’économie japonaise. Comment résoudre ce problème ?
     
    Cette année, les Japonais vont pouvoir grandement mettre à contribution leur créativité, mais il est hélas peu probable que cela nous épargne d’une récession. Les secteurs de la bourgeoisie impérialiste japonaise espèrent que cette tragédie engendre des opportunités d’engranger de vastes profits. Voilà qui n’est pas dénué de sens dans la mesure où les gens vont devoir acheter des réfrigérateurs, des télévisions, des lits, construire des maisons, etc... Mais nous ne pouvons pas pour autant prétendre que l’économie japonaise va s’en trouver revitalisée. Étant donné la crise nucléaire actuelle, sa durée éventuelle et ses implications possibles, le mot qui synthétise le mieux la situation japonaise aujourd’hui est "volatile". Quelle que puisse être la prochaine tragédie, elle ne sera déjà plus une surprise.





    Merci à Tlaxcala
    Source: http://www.esquerda.net/artigo/crise-nuclear-japonesa-acreditar-em-qu%C3%AA
    Date de parution de l'article original: 03/04/2011
    URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=4513


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