• AFPgate (le montage de l’AFP sur le Honduras)

    Quand l’AFP joue avec les photos

    Vers la mi-août l’AFP a diffusé une série de photos sur les manifestations à Tegucigalpa qui appuyaient les violences des opposants au coup d’état : véhicules brûlés, vitrines brisées... Une petite mise au point s’impose, surtout pour nous qui sommes loin de là.

    Les 12 et 13 août de 2009 dans Tegucigalpa, Honduras, des manifestations populaires pacifiques s’organisent contre le coup d’état et la dictature installé dans ce pays, tout à coup la dictature met en place le couvre-feu et elle réprime d’une manière sauvage. La dictature torture de manière généralisée en le justifiant parce qu’il faut réprimer les actes de vandalisme des manifestants.

    Des médias internationaux ont écrit des articles sur les "troubles" que provoquèrent ceux qui résistaient au coup d’état, des articles comprenant des photos. Plusieurs photos parmis ses articles sont réellement criardes.
    Voici un exemple de montage de la part des médias internationaux : C’est une photo de l’AFP, qui montre un "partisan supposé de Zelaya" qui vandalise un local commercial.

    La source de la désinformation, le diaporama AFP relayé ici sur le site Noticias 24 :
    http://doc.noticias24.com/0908/20090812_pro_zelaya_to_web/20090812_pro_zelaya_index.html

    Le problème n’est pas ce que montre la photo, mais ce qu’elle ne montre pas :

    1 - Le visage de l’attaquant : Il est très rare qu’un journaliste international, qui "est dans tout" et capte toujours "la nouvelle du moment" puisse ne pas avoir le visage de l’attaquant, d’autant plus si ce dernier est masqué.

    2 - "un attaquant solitaire" : Pour qui voit TeleSur ou les photos que publient aporrea.org, kaosenlared.net ou une pléiade de sites web d’information alternative ou même la BBC, qui tente toujours de ne pas distordre l’information (parce que les britanniques détestent, chaque jour un peu plus les grands médias en Angleterre) remarquera que les marches du Front National Contre le Coup d’État au Honduras sont populaires et avec beaucoup de gens...

    Alors pourquoi ce vandale est-il seul dans l’image ?

    Regardez bien le reflet de la rue dans la vitrine du commerce : il n’y a pas de manifestants dans la rue ! Il n’y a personne, il n’y avait pas de manifestation dans le lieu. Pourquoi peut-on être aussi affirmatif ? Car c’est un restaurant Burger King, qu’il n’y en a pas trente six au centre de Tegucigalpa et qu’il se trouve juste à côté de la rue. [NDT : le logo Burger King se voit, un petit peu, sur le panneau graffité à droite, barré par un coup de peinture noire en bas, sur la gauche. Si on est sud américain le "Triple Queso" suffit ;)]

    3 - "photos sans relation" : Après être allé à la source des photos il faut remarquer également que lors des marches les gens étaient calmes, ils chantaient et ces manifestations étaient bon enfant et non violentes [NDT :c’est d’ailleurs ce qui leur a permis de mettre la dictature en difficulté], et dans son diaporama l’AFP met tout de suite quelques photos de manifestants qui jettent des pierres, nous ne savons pas à quelle date a été pris la photo, ni contre qui ils jettent des pierres, justa après le diaporama présente des photos de bus scolaire brulé... Durant les 44 jours de résistance [NDT:au moment de la publication] il n’y a jamais eu d’incendie de bus, au contraire le Front de Résistance utilise les bus pour que les gens puissent aller jusqu’aux lieux des manifestations. Aucune relation directe entre les différentes photos, que ce soit celle du vandale entrain d’exploser les vitrines de Burger King, ou les photos des bus brûlés ou encore les photos des marches pacifiques.

    Nous sommes dans un monde où le mensonge est la normalité, il ne nous reste aucune autre alternative que d’épurer ce que nous voyons ou entendons en essayant de croiser beaucoup de sources différentes.

    Alejandro Sánchez

    Source : AlterMediaMundo AFPGATE (El montaje de AFP sobre Honduras)
    Traduction : Primitivi

    lundi 26 octobre 2009, par Primitivi

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  • On a un peu hésité, en recevant cette missive. Pétain sur A11, ça risquait pas de faire "too much" ? Et puis, on s’est dit que ne pas rendre public ce soutien serait une erreur. Ce que ce gouvernement pense tout bas, revival Vichy, le Maréchal le dit tout haut. Un peu gâteux, limite sénile, mais, à sa manière, limpide. Cet adoubement, dans l’air depuis longtemps, fera date…

    Courrier de l’au delà : M. Pétain, Maréchal, félicite M. Eric B. au nom de l’éternelle Patrie

    lundi 26 octobre 2009, par Lémi

    Monsieur,

    Je vous serrerais volontiers sur mon cœur, paternellement, si je ne craignais de vous faire une mauvaise publicité. Vous savez ce que c’est, vous, Homme d’état, au cœur de la tempête : certaines rancœurs ne s’effacent jamais. Une accolade du Maréchal, voilà qui vous desservirait, les vautours ont toujours faim…

    En d’autres temps, j’ai dû moi aussi réchauffer le cœur des Français à la flamme de leur patrie. Capitaine dévoué, j’ai gouverné le navire France pendant des périodes troubles, douloureuses. Rien n’était moins facile. En mon âme et conscience, j’ai fait à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur [1]. De voir des gens tels que vous s’engouffrer dans mon sillon, labourer la même terre historique, est un baume pour mon vieux cœur.

    La France va mal, vous le savez comme moi. Partout le défaitisme, la perte de sens, la mort de la morale. La patrie, cette douce mère, est quotidiennement bafouée, insultée. Si bien que cette "Révolution Nationale" qu’en mon temps j’avais courageusement mise en place, nécessitait d’être réactivée, remise au goût du jour. Le Vent mauvais, soufflé de toutes parts par les apôtres de la confusion et les vils traîtres de l’anti-France, sévissait depuis trop longtemps. Certes, votre prédécesseur, M. Boutefeux (sic) montrait déjà en la matière de réelles dispositions. Mais c’est avec vous, sous votre impulsion (alliée, évidemment, à celle de votre très respectable président, avec qui j’entretiens également une correspondance toute amicale), que la France peut véritablement se redresser, je le sens. Intuition patriotique.

    Lorsque je lis vos récentes déclarations, que j’apprends votre volonté de lancer « un débat avec les parlementaires sur l’identité nationale » pour « réaffirmer les valeurs de l’identité, et la fierté d’être français », il me semble lire ma propre prose, mes propres mots, et l’allégresse emplit mon cœur de soldat, une larme brille à mes paupières : La France n’est pas morte, elle revit, elle vibre sous vos paroles. « Je veux que tous les enfants de France aient une meilleure connaissance de l’histoire. Que tous les jeunes Français aient au moins une fois dans l’année l’occasion de chanter la Marseillaise » : voilà-là des paroles que l’on n’entendait plus, la réaffirmation d’un Nation marchant dans les traces de son passé mythique, de Charles Martel à Napoléon. Continuez dans cette voie, persévérez, et un jour, si l’on vous juge, vous pourrez dire, à l’instar de Jean Borotra : « Le maréchal Pétain m’a confié la mission de faire une jeunesse robuste à l’âme bien trempée. » Destin grandiose.

    Vous, Monsieur, avez deviné que la Patrie est en danger, risque d’imploser. L’étranger, plus que jamais, est à nos frontières. Je n’ai rien contre lui, l’étranger, mais il n’est pas français, voilà tout : comment pourrait-il partager nos valeurs, notre histoire ?
    De plus, vous ne l’ignorez pas, l’étranger a tendance à se regrouper, à faire bande à part : du temps de la Grande Guerre, déjà, j’avais remarqué qu’un tirailleur africain, isolé, était un bon soldat mais que c’était quand il y en avait plusieurs que ces indigènes posaient problème (contrairement aux troupes de choc auvergnates, par exemple).
    Le Français, lui, est comme la Terre : il ne ment pas, ne se masque pas. Pas question de voiles ou d’autres accoutrements exotiques dans nos belles provinces, nous n’avons rien à cacher, nous. Ce n’est pas le cas de tous. Les entendez-vous, ces meutes fanatiques, s’attrouper aux portes de la France, guetter la moindre faille pour disloquer l’identité nationale ? Vous déclariez, hier, « La Grèce est trop poreuse ». J’irais plus loin, cher ami : c’est toute l’Europe qui est trop poreuse.

    Vous l’avez compris, il est temps de réactiver les slogans anciens : L’ordre nouveau est une nécessité française. C’était vrai hier, c’est vrai aujourd’hui. La nécessité d’un pouvoir fort, qui ne mâche pas ses mots, se fait chaque jour plus flagrante. C’est là le ferment d’une identité nationale réaffirmée, triomphante. Dans ces conditions, que sont quelques afghans renvoyés sous les bombes au regard de la France que vous défendez ? J’ai, moi aussi, dû me résoudre à quelques sacrifices pour sauvegarder l’éternelle patrie. Vos Afghans sont mes Juifs, si j’ose dire. Armés d’un pouvoir fort, d’une vraie volonté nationale, nous ne perdrons certaines apparences trompeuses de la liberté que pour mieux en sauver la substance.

    J’entends également qu’on vous accuse de reprendre l’argumentaire du Front National. Et alors ? Chez les nazis, aussi, il y avait du bon et du mauvais, j’ai pioché comme vous le faites, sans dogmatisme, toujours guidé par le souci de contenter la mère patrie. « Nous n’aurions jamais dû abandonner au FN un certain nombre de valeurs, comme le patriotisme », avez-vous dignement claironné. Dieu, que j’aime entendre ces mots fédérateurs ! Les divisions passées entre droite dure et molle doivent s’effacer devant l’unité nationale. L’ordre nouveau ne peut, en aucune manière, impliquer un retour, même déguisé, aux erreurs qui nous ont coûté si cher. Vous le savez comme moi, il est fini le temps des querelles, des rejets : en avançant avec ceux-là que la vindicte populaire dénonce trop souvent, qui se sont faits apôtre de la patrie, comme Maurras, Laval ou Barrès en leur temps, vous faites revivre l’idée d’une belle France, digne et efficace. Cette collaboration doit être sincère. Elle doit être exclusive de toute pensée d’agression, elle doit comporter un effort patient et confiant.

    Courage, Monsieur, je sais que d’indignes personnages, probablement membres de l’anti-France, sans doute communistes, dénigrent votre action. Je hais les mensonges qui vous font tant de mal. Leur constant travail de sape ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir, je vous le promets. Certes, un long délai sera nécessaire pour vaincre la résistance de tous ces adversaires de l’ordre nouveau, mais il nous faut, dés à présent, briser leurs entreprises, en décimant les chefs. C’est ainsi, seulement, que la France se relèvera, que Vichy refleurira. Monsieur, je n’aurais qu’un mot : On les aura !

    Notes

    [1] Taquin, le Maréchal s’est amusée à glisser dans sa lettre des citations de ses propres discours. En Italique, elles sont tirées de diverses adresses aux français que tu retrouveras, en partie, ici.

    SOURCE ARTICLE XI 


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  • Quand Besson fait l’actu : identité nationale, sombre avenir et fange à venir

    lundi 26 octobre 2009, par JBB

    C’est étrange.

    Mais cette photo, publiée il y une dizaine de jours dans Libération [1], me fascine.

    Pas tellement pour la pose, Besson qui regarde dehors, les yeux vaguement posés sur un avenir brillant, hautes responsabilités qui l’attendent de l’autre côté de la vitre et que lui n’est malheureusement plus le seul à voir.

    Mais plutôt pour le côté daté qui se dégage du personnage, cheveux partant sur l’arrière - presque collés à la gomina - , visage émacié et comme rajeuni, costume sombre et élégance stricte.

    Et ce sentiment que le ministre ne regarde pas dehors non plus qu’il n’a les yeux dans le vague : c’est sur le passé qu’il colle son regard, ce sont d’autres temps qu’il voit et laisse à voir, retour en arrière confirmé par l’apparent rajeunissement du personnage.

    Besson lorgne vers les années 30.

    Et tout en lui dit ce voyage dans le passé, l’allure vestimentaire, l’apparence physique et ce romantisme funeste et funèbre de l’homme d’État soucieux de faire accroire qu’il entend aller au bout de son sombre rôle.


    Cette photo me fascine, mais elle ne devrait pas.

    Tant ce qu’elle sous-tend et dit secrètement - donc réellement - est aussi une forme de manipulation.

    Au premier niveau de lecture de l’image - un ministre regardant par la fenêtre pour les besoins d’une photo promotionnelle - et au deuxième - la pose d’un homme s’échinant à faire renaître quelques-uns des plus dégénérés des thèmes politiques de l’histoire politique française - s’en ajoute un dernier, plus récent : si Besson multiplie les références sales et les déclarations dégueulasses, c’est pour mieux se placer au centre du cliché, attirer sur lui le débat, redonner l’offensive à son camp et fédérer des électeurs déboussolés à quelques mois des régionales.

    En sorte que, paradoxe déprimant, le ministre de l’Identité nationale pose son regard dans le vide mais c’est moi qui suis perdu.

    Puisqu’il est impossible de ne pas réagir à ses dernières déclarations - « J ’ai envie de lancer un grand débat sur les valeurs de l’identité nationale, sur ce qu’est être Français aujourd’hui », débat destiné à alimenter « un grand colloque de synthèse » et « à réaffirmer les valeurs de l’identité nationale et la fierté d’être français » - , mais que Besson n’espère rien tant que s’attirer des réactions logiquement vindicatives - de moi, de toi, des centaines de milliers et millions de personnes qui ont encore une conscience en ce pays - pour mieux refonder l’unité de son camp.

    Et l’AFP ne s’y trompe pas, qui titre : Besson relance spectaculairement le débat sur l’identité nationale.

    Façon de dire : s’indigner est une défaite, au motif que c’est là sacralisation implicite de l’opération de reprise en main médiatique d’un ministre prêt à surfer sur les thèmes les plus ignobles, ne pas le faire serait une honte.

    On perd.

    Il gagne, et ses propositions avec lui.

    C’est cela, en fait, que regarde Besson par la fenêtre : sa victoire à venir.

    Car lui sait qu’il n’est rien à opposer à une pratique politique ayant abandonné tout scrupule et remisé toute morale.

    Oh, bien sûr : nous gueulons et gueulerons, cette fois-ci comme les autres.

    Mais le colloque se tiendra, tout autant que ses réunions préparatoires « avec les forces vives de la Nation sur le thème de qu’est-ce qu’être Français, quelles sont les valeurs qui nous relient, quelle est la nature du lien qui fait que nous sommes français et que nous devons être fiers ».

    Et l’annonce médiatique de l’organisation de ces puants rassemblements, autant que la remise en avant de la burqa et - de façon générale - que le climat encore plus dégénéré et délétère qui s’amorce et ira crescendo jusqu’aux régionales, auront plongé encore davantage le pays censé être le nôtre dans le déshonneur.

    Loin de la fallacieuse justification d’un ministre affirmant que « la mort politique du Front national serait la meilleure nouvelle pour tous », nous savons ainsi tous que Le Pen et son parti n’ont jamais été aussi vivants qu’aujourd’hui, qu’ils le sont plus qu’hier et moins que demain.

    -

    C’est cela - enfin - que regarde Besson par la fenêtre : son sacre et le leur.

    Il se voit avancer dans la lumière du pouvoir.

    Il voit les autres faire route avec lui, les Le Pen, Pucheu, Laval, Déat et tous autres souffleurs de haine gouvernementaux, passés et présents.

    Il voit comment tous se tiennent les uns les autres, lui aussi pièce de ce mécano puant.

    Il voit cette livre de chair que lui et ses camarades ont décidé de donner, en contrepartie d’un pouvoir croissant.

    Et il voit son âme et les leurs, abandonnées dans un coin, prix à payer que tous ont accepté.

    C’est notre avenir de merde que regarde Besson.

    Et il s’en fiche, puisque sa tête surnage au milieu de la fange.

    ARTICLE XI 


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  • Bolivie: capitalisme andino-amazonien ?

    Affrontements gauche-droite au Venezuela et en Bolivie |1|

    Le Venezuela et la Bolivie connaissent de véritables batailles entre la gauche au gouvernement et la droite qui, bien qu’étant dans l’opposition, détient le pouvoir économique et médiatique (sans compter les puissants appuis qu’elle compte dans l’appareil d’Etat – les ministères, la justice, une partie de l’armée - et dans la hiérarchie des Eglises catholique – surtout - et protestante).

    Au Venezuela, les batailles les plus agressives livrées par la droite ont commencé après trois ans de gouvernement Chavez, c’est-à-dire début 2002 en réaction aux réformes économiques décidées par le gouvernement au cours de l’année 2001. Cela a pris la forme d’affrontements majeurs comme le coup d’Etat d’avril 2002, la grève patronale de décembre 2002-janvier 2003, l’occupation de la place Altamira à Caracas par des généraux séditieux et des dirigeants de l’opposition politique. Elles ont commencé à fortement baisser d’intensité après août 2004 grâce à la victoire du non au référendum révocatoire du président Chavez |2|. Depuis lors, la droite cherche des occasions pour reprendre l’initiative mais sa capacité de mobilisation a été fortement réduite.

    En Bolivie, la droite a livré de véritables batailles en 2007 et en 2008 après moins de deux ans de gouvernement Morales. Elle a utilisé la violence à plusieurs reprises et choisi une stratégie de batailles frontales en 2008. La victoire d’Evo Morales au référendum révocatoire d’août 2008 avec 67,43% des voix |3| n’a pas entraîné une réduction de la violence de la droite. Au contraire, cette violence est allée crescendo pendant plusieurs semaines après son échec au référendum, notamment parce que la droite se sentait capable de réunir une majorité dans plusieurs départements-clés de l’Est du pays. Or les résultats du référendum révocatoire d’août 2008 montrent que la popularité d’Evo Morales, indiscutable à l’échelle nationale est aussi relativement forte dans les départements de l’orient majoritairement favorables aux statuts d’autonomie et opposés à la nouvelle Constitution (il obtient 52,5% dans le Pando, 49,8% à Tarija, 43,7% dans le Beni et 40,7% à Santa Cruz).

    La réaction très forte du gouvernement et la mobilisation populaire face au massacre de partisans d’Evo Morales dans la province de Pando (combinée à la condamnation internationale notamment de la part de l’UNASUR qui s’est réunie de manière extraordinaire en septembre 2008 pour apporter son soutien au gouvernement d’Evo Morales) ont fini par provoquer un armistice (provisoire). Après un an de boycott, la droite s’est engagée à accepter l’organisation du référendum sur la nouvelle Constitution. Cela a débouché sur une nouvelle victoire pour Evo Morales fin janvier 2009 : la nouvelle Constitution a été approuvée par 62% des votants.

    Retour sur les affrontements en Bolivie en 2008

    Le gouvernement d’Evo Morales a dû affronter en 2008 une opposition très violente de la droite représentant les intérêts de la classe capitaliste locale (industriels, grands propriétaires fonciers, groupes financiers) liée aux intérêts des transnationales privées qui exploitent les ressources naturelles (pétrole, gaz, différents minerais). Álvaro García Linera, vice-président de la Bolivie, offre dans une interview |4| une vision stratégique de ces affrontements. En voici quelques extraits particulièrement significatifs. Il part du constat que la droite refusait d’accepter sa situation de force politique minoritaire et avait opté pour la séparation entre les départements orientaux riches |5| et le reste du pays où se trouve la capitale La Paz. Ensuite, il décrit la politique suivie par le gouvernement qui a refusé l’affrontement à plusieurs reprises avant de choisir de frapper fort.

    « La droite n’était pas disposée à être incluse dans le projet national - populaire comme force minoritaire et dirigée, et elle optait pour l’explosion territoriale. La lutte pour le pouvoir se rapprochait du moment de sa solution belliqueuse ou finale dans la mesure où, en dernière instance, le pouvoir de l’Etat est coercition. C’est ce que nous appelons « le point de bifurcation », c’est le moment où la crise de l’Etat, entamée huit ans auparavant, se résout soit via une restauration du vieux pouvoir étatique, soit via la consolidation du nouveau bloc de pouvoir populaire. (…)

    Après les résultats du référendum d’approbation du mois d’août 2008, le bloc civico-préfectoral (c’est-à-dire la droite, NdET) commence son escalade putschiste : ils prennent les institutions, on attend ; ils attaquent la police, on attend ; ils détruisent et saccagent des édifices d’institutions publiques dans 4 départements, on attend ; ils désarment les soldats, on attend ; ils prennent les aéroports, on attend (…). Ils se lancent eux-mêmes dans une voie sans issue. (…) Le préfet déclenche le massacre de Pando |6| dans le but de donner un signal d’intimidation aux leaders populaires… et cet acte pousse dans ses derniers retranchements la tolérance de la totalité de la société bolivienne. Le massacre des paysans amène la population à tirer un trait d’égalité entre les préfets de droite et leur mentor Sánchez de Lozada (le président renversé en octobre 2003 par la colère populaire, NdET) ou García Meza |7|, et a forcé l’Etat à réagir par une intervention rapide, aiguë, en défense de la démocratie et de la société. Et sans douter une seule seconde, nous visons le maillon le plus faible de la chaîne putschiste : Pando. Il s’est agi du premier état de siège dans l’histoire bolivienne qui ait été dicté par la défense et la protection de la société, avec l’appui total de la population horrifiée par l’action des putschistes.

    Ce fait, ajouté au rejet des putschistes par la communauté internationale, mettra un terme à l’initiative civico-préfectorale, entraînant leur repli désordonné. C’est le moment d’une contre-offensive populaire où les organisations sociales et populaires du département de Santa Cruz |8| ont été en première ligne. Non seulement les paysans et les colonizadores |9| se mobilisent mais aussi les pauvres des quartiers populaires de Santa Cruz et spécialement les jeunes des villes qui, lors de journées mémorables de résistance contre les bandes fascistes, défendront leurs districts à Santa Cruz et rompront la domination clientéliste des loges de Santa Cruz.

    La vigueur et la fermeté de la riposte politique et militaire du gouvernement contre le coup, ajoutées à la stratégie de mobilisation sociale dans Santa Cruz et vers Santa Cruz, a créé une parfaite articulation entre société et Etat rarement vue dans l’histoire politique de la Bolivie. C’est cette force de frappe que le projet indigéno-populaire déploya au moment décisif. La droite évalua l’état de ses troupes de choc, isolées, en débandade et se rendit compte du haut niveau de la volonté politique du bloc indigéno-populaire qui était prêt à tout. La droite préféra déclarer forfait et se rendre. C’est ainsi que le cycle de la crise étatique, de la polarisation politique s’est refermé et que la structure durable d’un nouvel Etat s’est imposée au cours d’une épreuve de force belliqueuse.  »

    Álvaro García Linera poursuit en établissant un parallèle historique : « Une chose pareille a eu lieu en 1985 |10|, quand les mineurs qui constituaient le noyau de l’Etat nationaliste se rendirent face aux divisions de l’armée qui protégeaient le projet néolibéral. Aujourd’hui, le bloc des entrepreneurs et des propriétaires terriens doit assumer la défaite et céder le pas à la nouvelle corrélation de forces politiques de la société. A sa manière, septembre – octobre 2008 aura le même effet sur l’Etat que la défaite de la « marche pour la vie » des mineurs de 1986. A part que maintenant, c’est le bloc populaire qui fête la victoire et les élites de l’argent qui doivent assumer leur défaite historique.  »

    Jusque là, Álvaro García Linera développe un point de vue fort optimiste sur la déroute politique de la droite, mais plus loin dans l’interview, il souligne lui-même que celle-ci ne manque pas de points d’appui pour rebondir et chercher à reprendre l’initiative pour en finir avec l’expérience de gauche en cours : « La bourgeoisie rentière n’a déjà plus les entreprises pétrolières pour alimenter généreusement ses revenus. Le réseau clientéliste agraire que les rentiers de la terre ont créé dans le milieu agro-industriel s’est énormément affaibli avec l’existence de l’entreprise d’Etat d’aliments EMAPA et le fait que la part publique de la chaîne de production du soja, du blé, du riz représente entre 20 et 30% de la production totale. Mais le bloc d’opposition irréductible conserve encore des espaces importants de pouvoir agricole |11|, commercial et financier et cela lui donne une grande capacité de pression et de confrontation.

    Par contre, ce qu’il n’a pas aujourd’hui, et cela peut durer des années, c’est un projet d’Etat ; combien de temps n’en aura-t-il pas ? Personne ne le sait, mais il a comme objectif d’essayer d’empêcher le projet populaire de continuer à avancer. A la différence des classes populaires qui en 1985 ont été battues et matériellement déstructurées pour donner lieu à un cycle lent de réorganisation, la droite n’est pas dans cette situation. La droite a subi un choc politique, a perdu la direction de l’Etat, a perdu la capacité de séduire la société à partir de l’Etat mais elle a encore beaucoup de pouvoir économique. Il y a une différence dans la forme de consolidation du point de bifurcation quand le secteur populaire est défait, politiquement et matériellement, ou quand il s’agit du secteur patronal, parce que celui-ci peut perdre politiquement mais conserver le pouvoir économique qui lui permet de garder un pouvoir de veto permanent. »

    Revendications des peuples indigènes originaires |12| et avancées dans la nouvelle constitution de 2009

    Pour connaître le projet politique indigéniste défendu par d’importantes organisations liées au MAS (Mouvement vers le socialisme, le parti du président Evo Morales –voir point suivant- ), il faut se référer au Pacte d’Unité qui a été rendu public en septembre 2006 pour préparer l’Assemblée constituante.

    Autonomie : "L’autonomie indigène, originaire et paysanne, en tant qu’axe fondamental du processus de décolonisation et d’autodétermination, est la condition et la base de liberté de nos peuples et nations. Elle se fonde sur des principes fondamentaux, générateurs d’unité et d’articulation sociale, économique et politique, non seulement entre nos peuples et nations, mais également dans la société dans son ensemble. Elle vise la construction permanente d’une vie pleine et entière, via des formes propres de représentation, administration et propriété de nos territoires."

    Régime foncier et territorial : "Le droit originel sur les ressources non renouvelables appartient aux nations et aux peuples indigènes originaires et paysans. La propriété des ressources non renouvelables appartient quant à elle à part égale aux nations et peuples indigènes originaires et paysans, et à l’Etat unitaire plurinational." Cette formulation est sujette à des interprétations différentes. En effet, ce qui tend à dominer dans la politique du gouvernement d’Evo Morales, c’est l’exploitation des ressources naturelles par l’Etat comme l’affirme très clairement le vice-président de la République dans une interview récente (voir plus loin L’exploitation des ressources pétrolières de la région amazonienne de la Bolivie).

    Latifundio : "[L’Etat doit] distribuer les terres de manière équitable, se porter garant des droits et nécessités actuelles et à venir des nations et peuples originaires et paysans, et veiller au bien-être de la population dans son ensemble."

    Education : "La priorité de l’Etat plurinational est de donner à l’éducation, pilier fondamental, un caractère intraculturel, interculturel, pluriculturel et plurilingue, à tous les échelons et sous des formes diverses ; conformément à la diversité ethnique et linguistique du pays, l’enseignement et l’administration utiliseront en priorité la langue indigène, l’espagnol ensuite comme langue de communication interculturelle."

    Le Pacte d’unité réclame aussi la coexistence des systèmes juridiques indigènes originaires et paysans avec le système juridique occidental et la création d’un quatrième pouvoir indépendant par rapport à l’Etat : le pouvoir social instituant alternatif qui trouve sa source dans les mouvements sociaux. Le thème du pouvoir social plurinational a été amplement débattu, en tant que "quatrième pouvoir" à caractère civil et corporatif (ses membres seraient choisis par les us et coutumes et par le suffrage universel). Il aurait pour attribution de "veiller sur et contrôler" les pouvoirs de l’Etat et aurait la faculté de les sanctionner, étant indépendant d’eux - une idée qui n’a finalement pas été reprise dans la NCPE (Nouvelle Constitution politique de l’Etat).

    La nouvelle constitution qui a finalement été approuvée en janvier 2009 lors du référendum constitutionnel par 62% des votants constitue une avancée pour les peuples indigènes et originaires. Cette constitution garantit entre autres : la reconnaissance des langues indigènes, la reconnaissance des droits des nations et peuples indigènes à l’exercice de leur propre système politique, juridique et économique, l’établissement de Territoires « indigènes originaires paysans » dotés de compétences en terme de définition de forme propre de développement, d’administration de la justice indigène, de gestion des ressources naturelles renouvelables, etc. Plusieurs parties de la constitution garantissent ces droits.
    Ci-dessous en version intégrale la partie I, Titre II, chapitre 4.

    Encadré  : Droits des Nations et des peuples indigènes originaires et paysans
    (Extraits de la nouvelle constitution de la Bolivie)
    Chapitre Quatre

    Article 30. I. Est une nation ou un peuple indigène originaire et paysan, toute collectivité humaine qui partage une identité culturelle, une langue, une tradition historique, des institutions, un territoire et une cosmovision dont l’existence est antérieure à l’invasion coloniale espagnole.

    II. Dans le cadre de l’unité de l’Etat et en accord avec cette Constitution, les nations et les peuples indigènes originaires et paysans jouissent des droits suivants :


    1. A exister librement.
    2. A leur identité culturelle, leur croyance religieuse, leur spiritualité, leurs pratiques et coutumes et à leur propre cosmovision.
    3. A ce que l’identité culturelle de chacun de ses membres, s’il le désire, soit inscrite avec la citoyenneté bolivienne sur sa carte d’identité, passeport ou tout autre document d’identification ayant une validité légale.
    4. A l’auto détermination et territorialité.
    5. A ce que leurs institutions fassent partie de la structure générale de l’Etat.
    6. A l’octroi d’un titre de propriété collective des terres et des territoires.
    7. A la protection de leurs lieux sacrés.
    8. A créer et administrer des systèmes, des moyens et des réseaux de communication propres.
    9. A ce que leurs savoirs et connaissances traditionnels, leur médecine traditionnelle, leurs langues, leurs rituels et leurs symboles et vêtements soient valorisés, respectés et promus.
    10. A vivre dans un environnement sain, avec une gestion et une utilisation adéquates des écosystèmes
    11. A la propriété intellectuelle collective de leurs savoirs, sciences et connaissances ainsi qu’à leur valorisation, utilisation, promotion et développement.
    12. A une éducation intra-culturelle, interculturelle et multilingue dans tout le système éducatif.
    13. A un système de santé universel et gratuit qui respecte leur cosmovision et leurs pratiques traditionnelles.
    14. A l’exercice de leurs systèmes politiques, juridiques et économiques en accord avec leur cosmovision.
    15. A être consultés au moyen de procédures appropriées et en particulier à travers leurs institutions, chaque fois que sont prévues des mesures législatives ou administratives susceptibles de les affecter. Dans ce cadre, on respectera et on garantira le droit à une consultation préalable obligatoire, réalisée par l’Etat, de bonne foi et en concertation, en ce qui concerne l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables dans le territoire qu’ils habitent |13|.
    16. A la participation aux bénéfices de l’exploitation des ressources naturelles dans leurs territoires.
    17. A la gestion territoriale indigène autonome et à l’usage et bénéfice exclusif des ressources naturelles renouvelables existantes sur leur territoire sans préjudice des droits légitimement acquis par des tiers.
    18. A la participation aux organes et institutions de l’Etat.

    III. L’Etat garantit, respecte et protège les droits des nations et des peuples indigènes originaires et paysans consacrés dans cette Constitution et dans la loi.

    Article 31. I. Les nations et peuples indigènes originaires en danger d’extinction, en situation d’isolement volontaire et sans contacts, seront protégés et respectés dans leurs formes de vie individuelle et collective.

    II. Les nations et peuples indigènes isolés et sans contacts jouissent du droit à rester dans cette condition et du droit à la délimitation et à la consolidation légale du territoire qu’ils occupent et habitent.

    Article 32. Le peuple afro-bolivien jouit, en tout ce qui le concerne, des droits économiques, sociaux, politiques et culturels reconnus dans la Constitution pour les nations et les peuples indigènes originaires et paysans.

    L’épreuve du pouvoir pour le MAS

    Le parti du président Evo Morales, le MAS-IPSP (Mouvement vers le socialisme – Instrument politique pour la souveraineté des peuples), a la particularité d’avoir été créé par des organisations syndicales paysannes à la fin des années 1990 |14|. En ce qui concerne la nature sociale du MAS, Pablo Stefanoni |15| se demande aujourd’hui s’il ne serait pas intéressant d’étudier ce mouvement politique en tant que parti de petits propriétaires ruraux et urbains (commerçants, micro-entrepreneurs) d’origine indigène.

    Si on adopte cet angle de vision, cela modifie la compréhension de cette organisation politique vue jusqu’ici comme l’émanation des mouvements sociaux des plus opprimés. Ceci dit, il s’agit bien de petits propriétaires qu’on aurait tout à fait tort d’ostraciser. En effet, ils ont parfaitement leur place dans un processus de construction d’une société alternative au capitalisme, une société de transition vers le socialisme. Pablo Stefanoni pose une autre question qui pousse plus loin l’interrogation : « L’accumulation familiale – rebaptisée « capitalisme andin » – ne repose-t-elle pas pourtant sur des formes d’exploitation et d’auto-exploitation au moins égales – généralement pires – à celles qui prévalent dans le capitalisme formel, régulé par le droit du travail |16| ? »

    Disposant depuis 2006 d’une majorité à la Chambre des députés, le MAS est confronté à l’exercice du pouvoir politique. Au fil du temps, comme tout parti de gauche qui fait l’exercice concret de la participation aux institutions parlementaires et au gouvernement, une évolution se fait jour. Le MAS ne fait pas exception. Comme le dit simplement Pablo Stefanoni, le raisonnement d’un certain nombre de militants change : « la politique doit servir à changer le pays », on passe à « pourquoi n’ai-je pas droit, moi, à un poste, alors que j’ai fait campagne et me suis battu pour que le MAS gagne ? ». C’est d’autant plus répandu que, selon une règle de fonctionnement du MAS, les candidats paient eux-mêmes les frais de leurs campagnes électorales, cela signifie qu’un certain nombre d’entre eux (la majorité ?) s’endette pour pouvoir mener une campagne électorale permettant d’avoir des chances d’être élu |17|.

    Dans certains cas, ils prennent aussi des engagements afin de s’assurer des appuis. Cela conforte le clientélisme qui imprégnait déjà la vie politique du pays.
    Lorsque le MAS a accédé au gouvernement, il a annoncé qu’il rompait avec une tradition qui voulait que le parti victorieux licencie un grand nombre de fonctionnaires pour les remplacer par ses membres ou ses protégés/clients. Il a fixé un maximum de remplacement à un niveau très bas : 5% des fonctionnaires afin de garantir l’institutionnalisation non partidaire de la fonction publique. Cette décision a été difficilement acceptée par une partie des militants qui espéraient que leur effort pendant la campagne électorale et lors des luttes serait récompensé par un ou des postes de travail. Finalement, la direction du MAS a flexibilisé sa position et est allée au-delà de la limite des 5%.

    En janvier 2007, un scandale a éclaté à La Paz : certains militants du MAS se sont fait payer afin de donner leur soutien à des candidats fonctionnaires. Mais cela n’a pas pris des proportions massives. Début 2009, un deuxième scandale a causé plus de dégâts : Santos Ramirez, dirigeant historique du MAS |18| qui avait été placé à la tête de l’entreprise pétrolière publique YPFB, a été pris en flagrant délit de corruption à grande échelle. Le MAS au gouvernement a réagi très fermement afin de donner l’exemple. Santos Ramirez a été emprisonné dans l’attente de son procès. Le MAS a montré à la société que bien que certains de ses cadres n’étaient pas immunisés contre la corruption, le parti rompait avec la tradition d’impunité des mandataires politiques en étant favorable à leur condamnation en cas de délit. Ceci dit, le scandale Santos Ramirez a provoqué une véritable commotion qui laissera des traces |19|.

    Lorsqu’Evo Morales a accédé à la présidence, il a pris une mesure exemplaire afin de montrer qu’il mettait fin à des privilèges : il a baissé son propre salaire. Evidemment, cela a été très bien perçu dans la population, à juste titre. Cette mesure a impliqué de baisser également les salaires des autres mandataires politiques car il est inconcevable que ceux-ci gagnent plus que le président et ne donnent pas eux-mêmes l’exemple d’un gouvernement refusant des privilèges pour lui–même. Par la suite, le gouvernement a cru bon de flexibiliser sa position afin de permettre l’octroi de hauts salaires à des dirigeants d’entreprises publiques. Ceux-ci sont autorisés à gagner plus que le président de la République. Álvaro García Linera, qui justifie cette décision, l’appelle la NEP bolivienne en faisant référence à la NEP appliquée sur recommandation de Lénine au début des années 1920 en Russie soviétique |20|.

    Álvaro García Linera, vice-président de la Bolivie, plaide pour un « capitalisme andino-amazonien »

    Álvaro García Linera est partisan du développement d’un « capitalisme andino-amazonien » dans lequel l’Etat joue un rôle clé. Sans déformer la proposition, on peut considérer que le vice-président bolivien est favorable à une forme andine-amazonienne de capitalisme d’Etat. De manière imagée, en utilisant l’image du train, il décrit clairement la hiérarchie des acteurs de ce modèle : « L’Etat est le seul acteur qui peut unir la société. C’est lui qui assume la synthèse de la volonté générale, planifie le cadre stratégique et guide le premier wagon de la locomotive économique. Le deuxième, c’est l’investissement privé bolivien. Le troisième, l’investissement étranger. Le quatrième, la petite entreprise. Le cinquième, l’économie paysanne et le sixième, l’économie indigène. Tel est l’ordre stratégique dans lequel doit se structurer l’économie du pays |21| ». La perspective ouverte par Álvaro García Linera est clairement distincte ou opposée à un authentique socialisme du XXIe siècle. Il faut reconnaître qu’il ne déguise pas la nature réelle du projet qu’il défend sous des phrases socialistes ronflantes.

    Pablo Stefanoni attribue à Evo Morales une perspective proche ou identique à celle de son vice-président Álvaro García Linera : « Loin d’encourager la lutte des classes dans son acception marxiste, Evo Morales réactualise les clivages déjà mentionnés – nation/antination, peuple/oligarchie – et promeut de fait une nouvelle « alliance de classes » – sans pour autant utiliser ce terme qui rappelle les années 1950. Alliance qui inclut les « entrepreneurs patriotes » et les « militaires nationalistes », pour construire un « pays productif et moderne », grâce aux bénéfices des ressources naturelles « récupérées par l’Etat ». L’essentiel du programme économique gouvernemental porte ainsi sur la modernisation/industrialisation d’une économie en retard, sous la direction d’un Etat fort, qui remplace une bourgeoisie nationale inexistante |22|. » Cela nous mène aux antipodes de nombreuses prises de positions d’Evo Morales dans des forums internationaux et dans le pays quand il dénonce le système capitaliste et déclare qu’il faut en débarrasser la planète.

    Par ailleurs, Álvaro Garcia Linera met en cause une certaine vision « ONGéiste » |23| et « indigéniste » des Indiens de Bolivie : « La vision selon laquelle le monde indigène a sa propre cosmovision, radicalement opposée à celle de l’Occident, est typique des indigénistes de la dernière heure ou étroitement liés à certaines ONG. Je ne veux pas dire pour autant qu’il n’existe pas des logiques organisationnelles, économiques et politiques spécifiques. Au fond, tous veulent être modernes.

    Les insurgés de Felipe Quispe, en 2000, demandaient des tracteurs et Internet. Ceci n’implique pas l’abandon de leurs logiques organisationnelles. D’ailleurs, cela se voit dans les pratiques économiques indigènes. Le développement des entreprises indigènes possède une logique très flexible. Ils cherchent à accumuler mais jamais ils ne risquent tout pour l’accumulation. D’abord, je commence à travailler seul avec mon entourage familial, noyau de base ultime et irréductible ; ça marche très bien : j’embauche plus de personnes et j’arrête de travailler ; ça ne marche pas : je reviens au second niveau ; ça marche très mal : je retourne dans ma famille où on supporte tout. Jamais on ne rompt avec la logique familiale… Ils veulent se moderniser mais ils le font à leur manière. Ils peuvent exporter, s’intégrer à la mondialisation, mais le noyau familial reste le dernier refuge où on est capable de survivre avec seulement du pain et de l’eau.

    Quand l’activité économique croît à 10, 15 travailleurs, au lieu d’aller jusqu’à 30, 40 ou 50 personnes, ils s’arrêtent et une autre petite entreprise surgit, celle du fils, du beau-frère, il y a une logique de ne jamais mettre tous ses œufs dans un même panier. C’est différent d’une accumulation très rationnelle wébérienne, avec des économies d’échelle, avec beaucoup d’innovation technologique. Dans ce cas, la famille n’est jamais le dernier point d’appui de l’activité productive, c’est un élément de liens, de réseaux, de marchés, de logiques matrimoniales… Il y a une logique propre au monde indigène mais ce n’est pas une logique antagonique, séparée de la logique « occidentale ». Ceux qui ont participé aux derniers mouvements s’en rendent bien compte. » |24|

    L’exploitation des ressources pétrolières de la région amazonienne de la Bolivie

    De manière cohérente, par rapport à la perspective d’un « capitalisme andino-amazonien », Álvaro Garcia Linera plaide, dans l’interview ci-dessous, pour l’exploitation des ressources pétrolières de la région amazonienne. Là aussi, il défend une « real politik » en décalage avec le discours écologiste souvent tenu par le président bolivien…

    « Dans le cas de l’exploration de gaz et de pétrole dans le nord amazonien de La Paz, nous cherchons à produire des hydrocarbures pour équilibrer géographiquement les sources de richesse collective de la société, générer un excédent étatique et simultanément préserver l’espace environnemental en coordination avec les communautés indigènes. Aujourd’hui, nous ne sommes pas en train d’ouvrir le passage dans le nord amazonien pour faire entrer Repsol ou Petrobras. Nous sommes en train d’ouvrir le passage pour faire entrer L’Etat. (…)
    Est-il obligatoire d’exploiter le gaz et le pétrole dans le nord amazonien de La Paz ? Oui. Pourquoi ? Parce nous avons besoin d’équilibrer les structures économiques de la société bolivienne étant donné que le développement rapide de Tarija |25| avec 90% du gaz, va générer des déséquilibres à long terme. (…)

    Question : Et si les communautés disent que l’Etat non plus ne peut y entrer ?

    C’est le débat. Qu’est-ce qui s’est passé ? Quand nous avons consulté la Centrale des Peuples Indigènes de La Paz (en espagnol, CPILAP), on nous a demandé d’aller négocier à Bruxelles avec leur cabinet d’avocats et de respecter des principes environnementalistes publiés par l’USAID. Comment est-ce possible ? Qui veut empêcher que l’Etat explore du pétrole au nord de La Paz : les communautés indigènes Tacanas ? Des ONG |26| ? Ou des pays étrangers ? Pour cela, nous sommes allés négocier communauté par communauté et nous avons obtenu là l’appui des communautés indigènes pour poursuivre l’exploration et l’exploitation de pétrole. Le gouvernement indigéno-populaire a consolidé la longue lutte des peuples pour la terre et le territoire.

    Dans le cas des peuples indigènes minoritaires des terres basses, l’Etat a consolidé des millions d’hectares comme territorialité historique de beaucoup de peuples de petite densité démographique ; mais à côté du droit d’un peuple à la terre, il y a le droit de l’Etat (de l’Etat mené par le mouvement indigéno-populaire et paysan), de donner la priorité à l’intérêt collectif supérieur de tous les peuples. Et c’est ainsi que nous allons procéder par la suite |27|. »

    Cette prise de position n’est pas sans rappeler les différences politiques qui s’expriment en Equateur entre, d’une part, Rafael Correa qui est assez proche de la démarche d’Álvaro Garcia Linera et, d’autre part, celles de la CONAIE (Confédération des Nations indigènes d’Equateur) et de l’ONG « Accion ecologica ». Rafael Correa a critiqué à plusieurs occasions les prises de position des « gauchistes » et des « écologistes radicaux » qui s’opposent à l’exploitation des ressources naturelles du pays.

    Néanmoins, malgré ces critiques, la position officielle du gouvernement et du président équatoriens consiste jusqu’ici à proposer à la communauté internationale de ne pas entamer l’exploitation du pétrole qui se trouve dans le territoire Yasuni situé dans l’Amazonie équatorienne |28|. Alberto Acosta (ex-président de l’Assemblée constituante en 2008 et membre du même parti que Rafael Correa, mais défendant des positions sensiblement différentes sur plusieurs thèmes) est un des grands promoteurs et défenseurs de la proposition équatorienne |29|.

    Il est légitime de se poser les questions suivantes : en convainquant, au nom du « bloc indigéno-populaire » (pour reprendre l’expression d’Álvaro Garcia Linera), les populations amazoniennes d’accepter l’exploitation des ressources non renouvelables du sous-sol des territoires ancestraux qu’elles occupent, le gouvernement d’Evo Morales ne s’inscrit-il pas dans la poursuite d’un modèle extractif productiviste ? Un gouvernement de droite n’aurait-il pas affronté une résistance populaire très forte de la part des peuples indigènes s’il avait voulu exploiter sur leur territoire le pétrole d’Amazonie bolivienne ? Si dans quelques années, la droite revient au pouvoir ne réduira-t-elle pas radicalement les concessions que le pouvoir central a accordées aux peuples originaires quand il a voulu obtenir le droit d’exploiter les ressources de leurs territoires ? Dans ce cas, ne vaudrait-il pas mieux pour les peuples originaires indigènes de refuser l’exploitation industrielle des ressources naturelles non renouvelables ?

    Notes

    |1| Pour une présentation de l’élection d’Evo Morales à la présidence de la Bolivie et des 2 premières années de son mandat, voir Eric Toussaint : « Bolivie : avancées sur les biens communs et la réforme constitutionnelle » en ligne sur le site www.cadtm.org

    |2| Le référendum révocatoire a constitué une véritable défaite politique pour la droite puisque Chavez a été plébiscité avec 59,10% de suffrages en sa faveur (5.800.629 voix), soit 1.810.000 voix de plus que ceux qui se sont exprimés pour sa révocation http://es.wikipedia.org/wiki/Refer%...

    |3| http://es.wikipedia.org/wiki/Refer%... et http://www.nodo50.org/plataformabol...

    |4| Cette interview a été réalisée par Maristella Svampa, Pablo Stefanoni et Ricardo Bajo. Elle est intitulée : “La droite n’a pas encore été défaite sur le plan économique”. Traduction réalisée par Denise Comanne et Eric Toussaint. L’intégralité de cette interview vient d’être publiée (avec une autre traduction) dans l’excellent numéro que la revue Alternatives Sud, éditée par le CETRI, consacre à la Bolivie : La Bolivie d’Evo. Démocratique, indianiste et socialiste ? Vol XVI -2009/3, Louvain-la-Neuve, http://www.cetri.be/spip.php?rubriq...

    |5| Les départements orientaux qui forment la media luna (demi lune) sont ceux de Santa Cruz, Beni, Pando et Tarija. Ensemble, ils représentent 36% de la population du pays et 45% du Produit intérieur brut.

    |6| Une quinzaine de paysans sont assassinés et des dizaines d’autres blessés le 11 septembre 2008 à El Porvenir dans la province de Pando. Son préfet, Leopoldo Fernandez, une des figures de proue de l’opposition de droite, directement impliqué dans le massacre, est emprisonné sur ordre du pouvoir central.

    |7| Dictateur qui a pris le pouvoir par un coup d’Etat sanglant le 17 juillet 1980 à la tête d’un groupe de militaires mêlés au narcotrafic et avec le soutien de la junte militaire argentine. L’année qu’il a passée au pouvoir a été marquée par une véritable terreur avec près de 500 assassinats et 4.000 emprisonnements. Parmi les personnes assassinées lors du putsch, se trouvait le député Marcelo Quiroga Santa Cruz qui était à l’initiative du jugement contre l’ex-dictateur Hugo Banzer. Le 15 janvier 1981 a eu lieu l’assassinat de huit leaders de la direction clandestine du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR).

    |8| Le département de Santa Cruz constitue l’épicentre de la réaction de la droite.

    |9| Les colonizadores sont des paysans qui ont occupé de nouveaux territoires, soit dans le cadre de politiques de colonisation promues par l’État dans les années 1930, soit dans le cadre de mouvements de population auto-organisés. C’est le cas des familles qui ont émigré vers la province du Chapare, dans le département de Cochabamba, pour cultiver la coca. Elles provenaient dans un premier temps de l’Altiplano puis, à partir du plan d’ajustement structurel appliqué en 1985, des régions minières de Oruro et Potosi suite à la fermeture des mines et à la perte de leur emploi. La famille d’Evo Morales fait partie de ces familles paysannes qui ont quitté les hauts plateaux arides et froids pour les terres chaudes et humides de basse altitude du Chapare. Néanmoins, comme indiqué plus haut, si les cocaleros font effectivement partie des colonizadores, ces derniers ne se réduisent pas aux seuls cultivateurs de coca. Par exemple, si la mobilisation vers Santa Cruz comprend des cocaleros de la zone du Chapare, ce sont surtout les paysans colons de la zone de San Julián qui ont été en première ligne.

    |10| Très affectée par la crise de la dette qui a explosé en 1982, la Bolivie a été soumise à un plan néolibéral de choc à partir de 1985 : privatisation des mines et du pétrole, réduction massive des salaires et de l’emploi, ouverture économique forcée, réduction des dépenses publiques. L’auteur intellectuel de ce plan d’ajustement structurel est l’économiste nord-américain Jeffrey Sachs qui a ensuite conçu le plan de choc appliqué en Russie puis s’est converti en adepte de l’annulation de la dette des pays pauvres, notamment des pays d’Afrique subsaharienne.

    |11| Selon Charles-André Udry, dans les deux départements du Beni et de Santa Cruz, 14 familles détiennent 312 966 hectares. Une partie de ces terres n’est pas mise en valeur. Ces familles sont, depuis longtemps, des piliers des divers partis de la droite la plus dure. Aujourd’hui, ces familles - qui se sont approprié le sol entre 1953 et 1992, en particulier sous les régimes dictatoriaux militaires - montent aux barricades contre l’application de la réforme agraire. (Réforme agraire et réappropriation territoriale indigène, http://risal.collectifs.net/spip.ph...)

    |12| Les peuples autochtones boliviens sont généralement désignés comme "originaires" dans les Andes et "indigènes" en Amazonie. La nouvelle Constitution bolivienne érige en sujet de droit les populations "indigènes originaires paysannes" dès lors qu’il s’agit de doter les communautés rurales de droits collectifs.

    |13| Il faut souligner que si la consultation des populations concernées par l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables est obligatoire (ce qui est positif), son résultat n’est pas contraignant !

    |14| Les organisations syndicales parties prenantes du MAS sont la CSUTCB (Confédération syndicale unique des travailleurs paysans de Bolivie), la CSCB (Confédération syndicale des colonisateurs de Bolivie) et la CNMCIOB - "BS" (Confédération nationale des femmes, paysannes, indigènes et originaires de Bolivie - "Bartolina Sisa"). A partir de 1988, la CSUTCB, la principale confédération syndicale paysanne bolivienne (qui regroupait en son sein une partie des cocaleros), s’est prononcée pour la construction d’un instrument politique propre aux syndicats. Les syndicalistes, après avoir constaté qu’ils n’arrivaient pas à obtenir un changement politique au niveau du gouvernement notamment, se sont dit qu’ils devaient se doter d’un bras politique afin d’être présents au parlement et à tous les niveaux de pouvoir via la participation aux élections. A la fin des années 1990, Evo Morales et ses partisans lancent le MAS-IPSP dans le prolongement de l’orientation adoptée en 1988 concernant la création de l’instrument politique du mouvement social. Le MAS deviendra au fil des ans la force politique de gauche la plus importante même si d’autres expériences politiques se sont développées dans le prolongement de l’orientation de la CSUTCB de 1988, notamment le MIP (Mouvement Indigène Pachakuti) de Felipe Quispe, sans parler de nombreux partis politiques de gauche qui ont une origine plus ancienne. Felipe Quispe a participé aux côtés d’Álvaro García Linera, l’actuel vice-président bolivien, à la guérilla katariste EGTK et a été secrétaire exécutif de la CSUTCB.

    |15| Pablo Stefanoni est co-auteur, avec Hervé Do Alto, du livre Evo Morales, de la coca al Palacio (Malatesta, La Paz, 2006). Le livre a été traduit et publié en français sous le titre Nous serons des millions. La gauche bolivienne à l’assaut du pouvoir, Editions Raisons D’agir, 2008

    |16| Pablo Stefanoni in « L’Indianisation du nationalisme ou la refondation permanente de la Bolivie », in la revue Alternatives Sud éditée par le CETRI : La Bolivie d’Evo. Démocratique, indianiste et socialiste ? Vol XVI -2009/3, Louvain-la-Neuve, http://www.cetri.be/spip.php?rubriq... . Il précise : « Le gouvernement actuel est revenu sur la flexibilisation du travail approuvée dans les années 1990 – en particulier, sur le « licenciement libre » –, mais ces règles ne régissent pas les économies familiales et informelles qui prévalent pourtant dans des villes entières comme El Alto, voisine de La Paz, où vivent près d’un million d’habitants. (…) La supériorité de la « cosmovision indigène » – un écran qui masque souvent des pratiques corporatistes ou des identités régionales profondément enracinées – sur la « cosmovision libérale » est à peine débattue et la volonté de souligner la dimension ethnique de l’oppression a quasiment fait disparaître sa dimension de classe. Ce n’est pas un hasard si les avancées en matière de droits du mouvement ouvrier ont été rares ou nulles. »

    |17| Cette règle barre de fait l’accès des plus pauvres à la candidature à un poste de député, de sénateur ou de membre de l’Assemblée constituante. De fait, il n’est pas rare de voir, au moment de l’élaboration de listes électorales, des dirigeants syndicaux bien préparés au niveau de leur formation politique devoir céder leur place à des intellectuels de classe moyenne ou de petits entrepreneurs, au capital économique plus important.

    |18| Selon Álvaro García Linera, Santos Ramirez pouvait prétendre à succéder à Evo Morales en tant que candidat du MAS à la présidence de la république.

    |19| Voir Hervé Do Alto, “¿“Más de lo mismo” o ruptura con los “tradicionales” ? Bolivia y el MAS : un caso de democratización paradójica”, Le Monde diplomatique (Edición boliviana), Febrero 2009, nº 11, pp. 6-8.

    |20| « C’est ainsi que nous avons dû approuver une loi qui autorise des salaires plus élevés que celui du Président pour des cadres techniques d’entreprises stratégiques. C’est notre forme locale de la NEP léniniste (Nouvelle Politique Economique, dans la Russie postrévolutionnaire). L’objectif de la NEP, outre l’alliance avec les paysans, était fondamentalement de recruter des techniciens pour administrer les niveaux subalternes de l’Etat, tenant compte du fait que si l’Etat est bien une structure politique, il a des niveaux bureaucratico-administratifs et technico-scientifiques exigeant des connaissances et des savoirs qui ne peuvent être acquis ni transformés rapidement. Lénine, pour en finir avec la catastrophe économique qui eut lieu immédiatement après la révolution, dut réembaucher les techniciens du vieil Etat, jusqu’à créer graduellement une administration plus simple. Il donna comme consigne : sous chaque cadre technique, il faut placer un jeune qui apprend et nous, nous sommes en train de faire pareil. Nous avons déjà commencé en 2006 : on a changé l’organisation et les personnes des niveaux décisionnels de l’administration publique (ministres, vice-ministres et quelques directeurs), mais on ne touche pas à la structure secondaire de l’administration étatique de l’Etat jusqu’à ce que des cadres étatiques, jeunes, formés, se substituent aux vieux cadres. » in interview réalisée par Maristella Svampa, Pablo Stefanoni et Ricardo Bajo et intitulée : “La droite n’a pas encore été défaite sur le plan économique”. Traduction de Denise Comanne et Eric Toussaint.

    |21| in Ortiz P. (2007), « Fue un error no liderar el pedido autonómico » (entrevista a Álvaro García Linera), El Deber, Santa Cruz de la Sierra, 21 janvier 2007. Cité par Pablo Stefanoni in « L’Indianisation du nationalisme ou la refondation permanente de la Bolivie », op. cit.

    |22| Pablo Stefanoni in « L’Indianisation du nationalisme ou la refondation permanente de la Bolivie », in Alternatives Sud : La Bolivie d’Evo. Démocratique, indianiste et socialiste ? Vol XVI -2009/3, Louvain-la-Neuve, http://www.cetri.be/spip.php?rubriq...

    |23| Néologisme pour désigner ce qui est lié au monde des ONG (organisations non gouvernementales).

    |24| in Svampa M., Stefanoni P. (2007), « Evo simboliza el quiebre de un imaginario restringido a la subalternidad de los indígenas » (entrevista a Alvaro Garcia Linera), in Monasterios K., Stefanoni P. et Do Alto H. (dir.), reinventando la nación en Bolivia, La Paz, Clacso-Plural.

    |25| Le préfet de la province de Tarija fait partie de l’opposition de droite en compagnie des préfets des provinces de Santa Cruz, Beni et Pando.

    |26| Dans le cas de la Bolivie, cependant, un tel discours d’opposition franche aux ONG est d’autant plus étonnant qu’il apparaît en totale contradiction avec la composition même du gouvernement, dont les ministres sont largement issus des rangs de ce type d’institutions. Parmi elles, le CEJIS (Centre d’études juridiques et de recherches sociales), reconnu par les mouvements indigènes de l’Orient comme un soutien indéfectible dans la reconquête par les peuples autochtones de leurs prérogatives sur leurs territoires ancestraux. Certains des poids lourds de l’équipe de Morales y ont fait leurs classes, tel Carlos Romero, l’actuel ministre des Autonomies.

    |27| Interview réalisée par Maristella Svampa, Pablo Stefanoni et Ricardo Bajo et intitulée : “La droite n’a pas encore été défaite sur le plan économique”. Traduction réalisée par Denise Comanne et Eric Toussaint. Alternative Sud, La Bolivie d’Evo. Démocratique, indianiste et socialiste ? Vol XVI -2009/3, Louvain-la-Neuve.

    |28| Rafael Correa a défendu cette position à plusieurs reprises dans des réunions des Nations unies ainsi que dans d’autres instances internationales. Cette proposition connue comme le projet ITT (sigle venant du nom des trois forages d’exploration qui se trouvent dans la zone : Ishpingo-Tambococha-Tiputini) est une des initiatives du gouvernement équatorien afin de lutter contre le réchauffement climatique. Il s’agit de ne pas exploiter quelque 850 millions de barils de pétrole situés dans le Parc Yasuní, réserve naturelle qui contient une des plus importantes biodiversités dans le monde. L’exploitation de ce pétrole lourd pourrait rapporter à l’Etat entre 5 et 6 milliards de dollars (avec un prix d’environ 70 dollars le baril).

    |29| Voir en français une interview extrêmement intéressante d’Alberto Acosta réalisée par Matthieu Le Quang et intitulée « Le projet ITT : laisser le pétrole en terre ou le chemin vers un autre modèle de développement », www.cadtm.org/Le-projet-ITT-.... En espagnol, “La moratoria petrolífera en la Amazonia ecuatoriana, una propuesta inspiradora para la Cumbre de Copenhague”, www.cadtm.org/La-moratoria-p.... Alberto Acosta donne sa version sur l’origine du projet et présente un grand nombre de facteurs contradictoires qui interviennent dans sa concrétisation.


    Éric Toussaint est un collaborateur régulier de Mondialisation.ca.  Articles de Éric Toussaint publiés par Mondialisation.ca


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  • Le Pérou copie la Colombie

    par André Maltais

    Depuis l’élection d’Alan Garcia, en 2006, le Pérou a accéléré son insertion dans ce que la sociologue et chercheuse en sciences politiques, Monica Bruckman, appelle « le dispositif continental d’endiguement de l’avancée de la gauche en Équateur, en Bolivie et au Venezuela ».

    Dans un article paru en septembre dans le Monde diplomatique, la chercheure des Nations unies, nous apprend que Garcia, ex-président social-démocrate et anti-impérialiste dans les années 1980, a remplacé les idéaux de son parti, l’Alliance populaire révolutionnaire américaine (APRA), par l’inquiétante doctrine du « chien du jardinier ».

    Le 28 octobre 2007, dans une lettre adressée aux journaux péruviens, Garcia explique que les mouvements sociaux, indigènes, environnementalistes et la gauche en général sont comme le chien du jardinier « qui ne mange pas mais empêche les autres de manger », bref, qu’en défendant les ressources naturelles du pays, ils sont les ennemis de sa modernisation.

    Les déclarations méprisantes de Garcia ne s’arrêtent pas là. Au début de 2007, il traitait les indigènes de « sauvages arriérés » et demandait aux nombreux pauvres de son pays de « cesser de quémander » parce que cela fait d’eux « des parasites ».

    Le 2 février 2008, il félicite la police dont certains membres viennent d’exécuter deux paysans. « C’est très bien qu’ils défendent le Pérou, déclare-t-il. Que cela serve de leçon à ceux qui incitent publiquement à la grève et à l’agitation. »       

    La modernisation dont parle le président, rappelle Bruckman, vient du traité de libre-échange que le Pérou a signé avec les États-Unis, en décembre 2007.

    Dès lors, le Congrès péruvien accordait au gouvernement tous les pouvoirs pour légiférer par décrets pendant les six premiers mois de 2008. Garcia en profite pour modifier ou créer une centaine de lois favorables à la privatisation des ressources du pays exigée par Washington.

    Les nouvelles lois vont jusqu’à découper la forêt amazonienne, et même la mer, en concessions vendables à de grandes entreprises.

    Aussitôt les indigènes se sont mobilisés contre les décrets 1090 (Loi des forêts et de la faune sylvestre) et 1064 (Régime juridique pour l’exploitation des terres agricoles). Le premier met en vente 68% des forêts péruviennes, avec toute leur biodiversité faunique et florale, tandis que le second facilite les transactions dans le cas de terres indigènes.

    Au printemps 2009, les protestations débouchent sur une grève régionale qui dure deux mois, les indigènes occupant des portions d’autoroutes et bloquant l’accès à des pipelines et stations pétrolières.

    Le 5 juin (Journée mondiale de l’environnement!), une brutale intervention policière cherche à déloger 5000 indigènes Wampi et Awajun d’un important tronçon autoroutier et provoque la mort de 24 policiers et d’une cinquantaine de manifestants et à la disparition de centaines de civils.

    Cinq mois plus tard, le « massacre de Bagua » n’a pas encore été investigué, les dirigeants indigènes sont toujours détenus ou exilés et leurs hameaux truffés d’agents du renseignement.

    Garcia, nous dit Monica Bruckman, profite de l’appareil légal répressif créé par Alberto Fujimori, dans les années 1990, « appareil qu’il a encore durci et qui permet la criminalisation des mouvements sociaux et l’impunité des forces armées dans leurs actions de répression. »

    « Se sachant non poursuivis pour les blessures et les morts causées, policiers et militaires n’hésitent pas à utiliser leurs armes. »

    Qualifiés d’extorqueurs, les manifestants et les autorités locales qui les soutiennent encourent des peines pouvant aller jusqu’à 25 ans de prison. Toute personne peut être arrêtée sans mandat et être coupée de l’extérieur pendant dix jours tandis que la police peut mener des enquêtes sans ordre du procureur.

    Au lendemain des événements de Bagua, Lima, qui venait d’accorder l’asile politique à des opposants vénézuélien et bolivien recherchés par la justice de leur pays, dénonce « une agression soigneusement préparée contre le Pérou » et laisse entendre que la révolte autochtone est attisée par les présidents Chavez et Morales de ces deux mêmes pays.

    Le 28 septembre dernier, Garcia, seul président latino-américain à soutenir fermement l’occupation états-unienne des bases militaires colombiennes, réussit à convaincre le Tribunal constitutionnel péruvien d’approuver l’intervention des Forces armées dans les « conflits influencés par une idéologie étrangère ».

    Le Pérou est maintenant transformé en centre d’opérations pour le Pentagone. Selon les registres du Congrès péruvien, entre 2004 et 2009, pas moins de 55’350 militaires états-uniens seraient entrés en territoire péruvien et, à partir de 2006, leur durée moyenne de séjour passe de 100 à 277 jours.

    Les activités de ces patrouilles se concentrent dans des zones de fort conflit social (la jungle et sa périphérie) et consistent surtout en appui informatif et en entraînement contre le trafic de drogue.

    Pour Fredy Otarola, député du Parti nationaliste péruvien (PNP), l’objectif caché est d’entraîner les frégates lance-missiles et autres unités navales de la 4e flotte états-unienne avec ses homologues péruviennes, les ports servant au réapprovisionnement des navires et au repos des équipages.

    Et, advenant des « causes imprévues », dit-il, l’armée péruvienne peut inviter des militaires étrangers avec armes et navires de guerre sans l’autorisation du Congrès prévue par la constitution.

    Le Pérou procède aussi à une intégration militaire croissante avec son voisin colombien : manœuvres communes dans les zones frontalières avec opérations aériennes, établissements de canaux de communications et de procédures de coordination, entraînement des états-majors, etc.

    Les présidents Garcia et Uribe justifient ce rapprochement militaire par des « problèmes communs » comme le trafic de drogue et la présence de guérillas.

    À propos de ces dernières, les médias colombiens et péruviens prétendent que la guérilla colombienne des FARC a réussi à faire renaître de leurs cendres ses homologues péruviennes du Sentier lumineux et du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru à qui, après les avoir déclarées vaincues, on impute maintenant la responsabilité du moindre acte de violence.

    L’hiver dernier, quatre manœuvres militaires conjointes colombiano-péruviennes avaient lieu précisément dans la région où opèrent les unités états-uniennes et les pseudo-guérillas.

    Le spécialiste en matière de sécurité, Ricardo Soberon, croit que ces manœuvres « ratifient l’alliance entre la Colombie, le Pérou et les États-Unis », ces derniers profitant d’un traité de libre-échange générateur de mécontentement et de conflits sociaux au Pérou « pour consolider leur stratégie militaire en Amérique du Sud ».

    Il s’agit là, poursuit-il, d’un coup très dur porté à la stabilité régionale et à la formation du Conseil de défense sud-américain qui a, entre autres objectifs, celui de diminuer les ingérences étrangères dans la région.

    Mais les mouvements sociaux péruviens disposent d’une énorme capacité de mobilisation. En plus de faire tomber les régimes de Francisco Morales Bermudez (1978) et d’Alberto Fujimori (2000), ils ont, en 2006, fait du parti nationaliste d’Ollanta Humala, la deuxième force politique du pays :

    « Par la polarisation qu’elle engendre, conclut Monica Bruckman, la politique brutale de M. Garcia crée la condition d’une offensive de ces organisations politiques progressistes. La répression est une arme puissante mais aussi très dangereuse : elle peut se retourner contre celui qui en use. »


    André Maltais est un collaborateur régulier de Mondialisation.ca.  Articles de André Maltais publiés par Mondialisation.ca


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